Chapitre 1

 

 

 

Anaïs est très inquiète pour Délila, qui devait faire son retour aujourd’hui. Elle a été la chercher chez elle comme convenu, mais personne ne lui a ouvert la porte. Elle s’est alors rendue au Journal, et on lui a dit que Délila Nagar n’était pas arrivée.

Son amie lui avait pourtant fait part de son retour chez elle et de la reprise de sa vie – de son travail. Elle ne comprend pas.

Anaïs entre dans le bureau vide depuis trop longtemps et appelle sur le téléphone du vampire, son seul contact avec Délila. Elle ignore ce qui est arrivé au téléphone de la jeune femme, tout autant que l’identité du vampire à qui appartient le numéro. Elle est obligée de s’y prendre à plusieurs reprises avant que celui-ci ne décroche, peu ravi d’être dérangé.

–    Quoi ?

–    Je suis désolée, je cherche à joindre Délila.

–    Tu n’y arriveras pas.

–    Pourquoi ? Elle n’est pas rentrée chez elle et n’est…

–    Un contretemps, se contente-t-il de dire.

–    Je peux lui parler ?

–    C’est impossible.

–    Que se passe-t-il ? s’inquiète-t-elle.

Le fait que le vampire refuse de la lui passer la laisse supposer qu’il s’est produit quelque chose de grave.

–   Je lui dirai de t’appeler, si je peux.

–    Je veux savoir…

–    Sulli est de retour, se contente-t-il de répondre, comme si cela pouvait tout expliquer.

–    Oh ! Et donc elle choisit son amant plutôt que moi et ne me prévient même pas !

–    Détends-toi, humaine ! Elle ne pouvait pas te prévenir. Maintenant, tu vas bosser et elle te joindra quand elle en sera capable.

–    Ce qui signifie ?

–    Ni plus ni moins ce que je viens de te dire !

Bastian raccroche, ne voulant pas expliquer la situation à la meilleure amie de Délila. Il espère qu’elle n’ameutera pas la presse ou la police. Quoiqu’elle n’en aurait aucune raison, sauf si elle pressent que son amie est en danger.

Anaïs n’est pas satisfaite de cet appel, elle aurait vraiment voulu parler avec Délila. Néanmoins, elle n’abandonne pas et tentera de la joindre un peu plus tard ou même d’aller directement chez le Duc Lancaster si l’autre vampire refuse de passer le téléphone à son amie.

Elle sort du bureau qui sera vide une journée de plus, elle le pressent, pour rejoindre Claude et Drew en salle de réunion.

Claude est son fiancé depuis plusieurs semaines déjà, ils ont fixé la date de leur mariage et nagent d’ailleurs en plein dans les préparatifs ; il est aussi son patron au Journal de Montréal où elle est chroniqueuse au même titre que Délila.

Drew est un collègue et ami qui a perdu sa fiancée récemment, assassinée par un vampire après qu’ils se soient disputés. C’est un souvenir très douloureux pour lui, comme pour tous ceux qui connaissaient Peggy.

–    Ah ! s’exclame Claude en la voyant entrer. Tu es seule ? s’étonne-t-il ensuite.

–    Où est Délila ? questionne Drew qui savait aussi qu’elle devait reprendre le travail aujourd’hui.

–    Pas là, comme vous le voyez ! Apparemment son mec instable est de retour en ville.

Instable, parce qu’elle sait que ce vampire disparaît sans prévenir, revient quand cela lui chante et dispose de Délila selon son bon vouloir. Il a baissé dans son estime depuis un moment !

Tout ce qu’elle espère, c’est que la jeune femme ne sera pas assez stupide pour retomber dans ses bras.

–   Je ne savais pas que Délila voyait quelqu’un, lance Drew.

–   J’espère qu’elle saura lui résister. Je trouve qu’il s’amuse trop avec elle.

–    Qui est ce type ?

–    Ce n’est pas important, répond Anaïs.

La jeune femme sait que Sulli est un vampire, c’est même celui qui traquait son amie avant de tomber amoureux d’elle. Il l’a marquée et fait d’elle sa compagne. Tout cela, c’était avant que son ex-copine, jalouse, débarque et leur jette un sort condamnant l’un ou l’autre.

Anaïs se défend de réfléchir davantage, mais tout se met en place dans son esprit. Elle sait que Sulli est parti, peut-être pour ne pas commettre l’irréparable auprès de Délila et la condamner à devenir comme lui. D’une simple morsure, il peut la transformer en vampire, et il a besoin de son sang pour vivre, alors s’il est de retour, c’est qu’il a mordu Délila… C’est pour cette raison qu’elle ne peut pas lui répondre, elle est en transition !

Anaïs refuse de poursuivre, mais ses pensées se frayent un chemin sans écouter ses protestations. Sulli a craqué, Délila a perdu son humanité.

Elle ferme les yeux, inquiétant son ami et son fiancé.

–    Anaïs ? l’appelle Claude en s’approchant.

–    Il l’a transformée, souffle-t-elle.

–    Qui a transformé qui ?

–    Sulli, lâche-t-elle alors que des larmes coulent de ses yeux.

–    Qui est Sulli ? s’intéresse Drew en faisant un pas dans sa direction.

–    Le mec de Délila, c’est un vampire, avoue-t-elle en s’asseyant sur la chaise à sa proximité.

Sous le choc de l’aveu, Drew ne peut pas bouger. Claude s’empresse de fermer la porte pour que personne ne les entende, puis il exige de connaître toute l’histoire.

Inquiète pour son amie et terrorisée par ce qu'il a pu lui arriver, Anaïs raconte la traque que subissait Délila par ce vampire qui l’a marquée avant de vivre une relation avec elle.

Certains points s’éclairent pour Claude, comme la détermination de Délila à ne pas vouloir parler du vampire qui l’a marquée et à ne pas dévoiler l’endroit où il vit à Antoine Tringle, le chasseur aux pratiques très douteuses.

–   Pourquoi l’aurait-il transformée ? l’interroge Drew qui ne comprend pas.

Anaïs parle alors de la malédiction jetée par Lilith – l’ex de Sulli, mi-démone et mi-vampire –, du départ de Sulli, puis de son retour, et enfin des mots sans aucun sens de l’autre vampire.

–   Tu es sûre de ce que tu avances ?

Elle acquiesce d’un hochement de tête alors que Claude se place à côté d’elle pour lui prendre la main.

Après quelques minutes, la journaliste s’empare de son téléphone et tente de joindre son seul contact avec celle qu’elle suppose morte ou en passe de l’être.

–    Qu’est-ce que tu veux encore ?

–    Est-ce que Délila est vivante ?

–    Quoi ? Pourquoi tu me demandes un truc pareil ?

–    Il l’a transformée, j’en suis sûre. C’est pour ça que tu ne peux pas me la passer.

–    Il s’est bien passé un truc… souffle Bastian sans en dire plus.

–    Je veux tout savoir, sinon je débarque au château.

–    Qu’est-ce que ça t’apportera ? Tu risques de te faire tuer.

–    Tu me menaces ? s’ahurit-elle, indignée.

–    Mais non. Délila est… pff, je n’en sais rien. Je ne sais pas ce qu’il se passe. Elle aurait dû revenir à elle depuis des lustres.

–    Quoi ? Non !

–    Je te promets de te dire quand elle reprendra connaissance ou… Mais, s’il te plaît, ne viens pas, elle pourrait faire de toi son dîner si elle émerge, ou alors ce sera Sulli.

–    …

–    Arrête de m’appeler, se contente-t-il de dire avant de raccrocher.

Bastian n’a aucune envie de discuter davantage, il en a déjà beaucoup trop dit.

Cette fois, Anaïs ne compte pas réitérer l’appel ni se rendre au château. Elle a perçu la douleur dans la voix du vampire, elle est certaine qu’il est attaché à son amie, tout comme elle, et qu’il a ses intérêts à cœur, alors elle attendra qu’il lui donne des nouvelles. Cependant, pas indéfiniment.

–   Est-ce que tu as raison ? demande timidement Claude.

Elle hoche simplement la tête.

–   Que doit-on faire ?

–   On va attendre. Délila… elle n’a pas repris connaissance. Il me tiendra informée.

–   C’est son mec ? questionne Drew.

–   Non, l’un de ses amis vampires.

–   Délila a des amis et un amant vampire ? s’ahurit Drew qui n’arrive pas à s’y faire.

La jeune femme est son amie et elle sait à quel point il a souffert de la perte de sa fiancée tuée par un vampire. Il ne peut pas croire qu’elle copine avec ceux de cette race démoniaque.

Anaïs se laisse aller à son chagrin, incapable d’aligner d’autres mots, son esprit étant empli de question.

Sulli lui a-t-il vraiment pris son humanité ou s’est-il passé quelque chose de plus grave ? Ce qui pourrait aussi expliquer le retour du vampire. Il n’est pas forcément responsable, elle le réalise, mais si ce n’est pas lui qui l’a mordue, alors qui l’a fait ? Et pourquoi ne se réveille-t-elle pas ?

 

Sulli, assis sur le bord de son lit dans le château qu’il a quitté il y a plusieurs semaines, regarde la jeune femme allongée, inerte. Il ignore ce qu’il se passe en elle, mais espère qu’elle n’est pas morte.

Il passe précautionneusement sa main sur son visage, sa peau est pâle, ses cheveux sont ternes, son corps est rigide… Tout cela n’est pas bon signe.

Il l’a allongée sur ce lit il y a plus de dix heures – le soleil brille à l’extérieur –, il lui a fait boire son sang, ignorant si cela suffirait à la sauver ou si c’était définitivement trop tard.

Dix heures et toujours aucun signe d’amélioration.

Si elle meurt, il cessera de vivre, n’ayant pas la force d’exister sans elle.

Il serre les poings en contemplant ce visage chéri de la femme qui se meurt devant lui – ou qui l’est déjà. La douleur l’a longtemps dévoré – celle causée par la faim –, mais cette souffrance qui l’habite en cet instant n’est rien en comparaison, c’est pire que tout de voir Délila dans cet état.

–    Ouvre les yeux, souffle-t-il d’une voix suppliante.

L’entend-elle seulement ? Il n’en est pas du tout certain, et en doute même franchement.

–   Je t’en prie, ajoute-t-il d’une voix déformée par la douleur qui la dévore intérieurement.

Mais rien n’y fait. Aucun signe d’amélioration. Elle est juste… morte.

Quand il a pris dans ses bras la jeune femme inanimée, la gorge ensanglantée, pour la déposer sur le lit, c’est comme si on lui arrachait le cœur. S’il battait encore, il se serait arrêté.

Il n’a d’abord pas su quoi faire, puis en constatant qu’elle n’avait plus de pouls, qu’elle ne respirait plus, il a fait couler son sang dans sa gorge. Elle n’a émis aucun mouvement, elle n’a pas avalé, mais il a fait en sorte que l’élixir pénètre dans son organisme.

Depuis, il ne fait qu’attendre et rien ne se produit.

–   Toujours pas d’amélioration ? demande Bastian en pénétrant dans la pièce, timidement.

–   Non.

–   Tu ne devrais pas être là.

–    C’est toi qui n’as rien à faire ici ! Délila est ma compagne ! crie-t-il avant de bondir en face du vampire.

Les deux mâles se toisent.

Bastian ne supporte pas la présence de Sulli auprès de la jeune femme qu’il protège depuis les dernières semaines, mais il doit se plier aux règles. Le vampire est le compagnon de l’humaine, et il est le seul à avoir le droit d’être à son chevet, peu importe ce qu’il s’est passé. Alors il baisse les yeux et s’en va.

Sullivan retourne auprès de Délila, s’assoit sur le bord du lit et saisit sa main froide, trop froide.

Elle est morte, il le sait bien… son seul espoir serait qu’elle revienne en tant que vampire, même s’il ignore si cela est possible. Elle n’avait pas le sang de sa race dans l’organisme avant de mourir.

Il saisit sa main qu’il caresse avec douceur, la mine décomposée, meurtri par ce spectacle désolant qu’il a sous les yeux.

Combien de temps va-t-il tenir ainsi ?

–    Je t’aime… murmure-t-il de sorte que personne ne l’entende.

Il n’obtient aucune réponse.

La fatigue commence à le gagner, alors il s’allonge aux côtés du corps qu’il enlace, même si cela semble malsain ou déplacé. Il la serre contre lui comme s’il était possible que cette seule étreinte puisse lui redonner la vie… mais d’autres heures s’écoulent et ne font que confirmer la réalité : Délila est belle et bien décédée.

 

Bastian tente une nouvelle approche auprès de son ami – même s’il ne pense pas qu’il le soit encore longtemps – et pousse légèrement la porte de sa chambre. Il perçoit le couple allongé sur le lit, Sulli, endormi, enlaçant Délila, livide. Il aimerait comprendre, parce qu’il paraît clair que le vampire éprouve des sentiments très forts pour celle qui a perdu la vie.

Alors pourquoi est-il parti en pensant qu’elle se fichait de lui si c’est pour revenir maintenant et pleurer ?

Il sait qu’il a pleuré, il le voit aux étincelles brillantes au coin de ses yeux. Un humain ne le percevrait pas, mais lui si.

Il vaudrait mieux pour lui que Délila ne revienne pas – elle ne le désirait pas – parce que sinon, il va souffrir. Elle lui en fera baver, voir de toutes les couleurs, sans jamais le laisser respirer. Il connaît ce petit bout de femme, elle a un grand cœur, mais jamais elle ne pourra lui pardonner son acte.

Et Sulli ne le supportera pas.

 

 

 

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