Dès qu’il ouvre les yeux, Sulli pose son regard sur le corps toujours inerte de la jeune femme qu’il tient dans ses bras. Il se dégage en la posant précautionneusement, se demandant s’il n’est pas temps d’arrêter d’y croire. C’est beaucoup trop long !
Un coup d’œil à sa montre l’informe qu’il est vingt-trois heures, cela fait une journée entière que son cœur a cessé de battre.
– Tu ne peux pas entrer ! entend-il pester Bastian.
La seconde suivante, la porte de sa chambre s’ouvre dans un fracas et Lilith apparaît devant Sullivan, une fiole de sang à la main.
– Qu’est-ce que tu fiches ici ? demande ce dernier avec agressivité.
– Je pensais que tu avais besoin de moi, soupire-t-elle en constatant que non.
– Tire-toi !
– Pas sans toi.
– Écoute-moi bien, saleté de démone ! Tu as obtenu ce que tu voulais, tu m’as pris la seule femme que j’ai réellement aimée, alors sors de ma vie pour de bon ou je te tranche la gorge !
– Je ne suis coupable de rien, Sulli, tu as fait ton choix.
– Je n’ai rien fait du tout ! Je ne suis pas responsable de ce qu’il se passe. Tout est de ta faute ! Uniquement de ta faute ! vocifère-t-il, haineux.
Comment a-t-il fait pour aimer cette femme à un moment donné de sa vie ? Il l’ignore. Il devait être perdu, en train de se chercher, c’est la seule explication qui lui semble plausible.
Aujourd’hui, il la hait comme la pire de ses ennemies et ne rêve que de lui briser le cou.
– J’espère que tu finiras par comprendre que je l’ai fait dans ton intérêt.
Il ricane.
– Tu ne supportais pas que je puisse être heureux avec une autre femme, que je puisse l’aimer au point d’en faire ma compagne, chose que je n’ai jamais faite avec toi.
– Tu m’appartiens, Sulli.
– Faux. C’est à elle que j’appartiens, prononce-t-il en désignant l’humaine inanimée, et je refuse de poursuivre ma vie sans elle. L’éternité n’a plus le moindre sens si je ne peux pas la partager avec ma compagne.
– Sulli… articule Bastian, touché par ces derniers mots.
– Laisse, Bastian, ça va aller. Mets cette misérable dehors, réclame-t-il, à bout de force.
– Lilith, je te demande de t’en aller, intime Bastian.
– De toute façon, je n’ai plus rien à faire ici, ma mission est accomplie, déclare-t-elle, triomphante, avant de sortir de la pièce, escortée par Bastian.
Sullivan pose ses yeux sur Délila, hésitant entre poursuivre sa lente descente en Enfer ou abréger ses souffrances maintenant en demandant à Bastian de le décapiter.
Il n’a qu’une seule certitude : il n’a plus assez de force pour supporter de voir la jeune femme ainsi.
– Elle est partie, informe Bastian en revenant dans la chambre quelques minutes plus tard.
– Tu ne trouves pas que c’est trop facile ?
– Elle n’a aucune raison de rester ici.
– Lilith n’est pas idiote, elle doit bien se douter que Délila peut se transformer en vampire.
– Non.
– Arrête ! Tu ne la connais pas comme je la connais, peste Sulli, qui ne croit pas en avoir aussi facilement fini avec la fille de son créateur.
– Elle ne le pense pas parce que je lui ai dit que c’est moi qui ai tué Délila.
Sulli baisse la tête, ne souhaitant pas aborder ce sujet. Ni maintenant ni jamais.
– Trouve-moi une hache, réclame le vampire épuisé.
– Je ne te laisserai pas faire ça.
– Je n’en ai pas l’intention, c’est toi qui le feras.
Bastian ne trouve rien à répondre. Il ne pourrait jamais faire une telle chose, peu importe de quoi s’est rendu coupable Sulli.
– Fais-le pour elle, supplie son ami en désignant le corps de Délila.
– Tu ne mérites pas d'obtenir ma clémence, je ne t’offrirai pas la paix… pas après… ça, réplique-t-il en serrant les poings, les yeux rivés sur l’humaine.
– Je suis désolé.
Incapable de tenir une conversation sans exploser, Bastian quitte la pièce, allant se réfugier à l’extérieur où la nuit règne et où il peut laisser éclater sa colère.
La veille, à cette heure, il était parti chasser malgré son envie de rester auprès de Délila. Il avait envie d’elle, c’est malsain car elle est liée à un autre vampire, mais il la désirait plus que de raison, et aujourd’hui… il n’aura ni l’occasion de le lui dire ni celle de passer à l’acte.
Sulli, qui ne sait plus quoi penser, est abattu. Bastian lui en veut, il l’a bien compris, toutefois cela n’aurait pas dû arriver. Jamais le vampire n’éprouverait une telle colère envers lui s’il ne s’était pas attaché à sa compagne. En même temps, il est parti en la lui confiant ; à quoi s’attendait-il ? Tout à coup, il se demande s’il s’est passé quelque chose entre eux, si la femme qu’il pleure est tombée amoureuse de son acolyte.
– Est-ce que tu m’as oublié ? demande-t-il à celle qui ne pourra jamais plus lui répondre. Voulais-tu être avec Bastian ? J’ai trop merdé avec toi, Délila. Je voudrais tant avoir une seconde chance pour faire les choses correctement.
Il s’approche d’elle, décidant qu’il est temps de la laisser partir… de lui dire adieu… de s’en aller ensuite.
Il s’assoit sur le bord du lit et saisit sa main qu’il porte à ses lèvres pour y déposer un doux baiser.
– Si tu avais ouvert les yeux, m’aurais-tu pardonné mes erreurs ?
Silence.
– À ta place je ne l’aurais pas fait.
Il embrasse de nouveau le dos de sa main avant de la poser sur son buste. Il attrape l’autre qu’il embrasse solennellement et la pose également sur son buste.
– Adieu, mon amour… pardon…
Alors qu’il s’apprête à se lever dans l’intention d’aller prendre le plus tranchant des couteaux se trouvant dans la cuisine pour mettre fin à son éternité, il perçoit un mouvement de doigt. Il est infime, mais il est certain de ne pas avoir rêvé, elle a bien bougé son doigt.
– Délila ? Est-ce que tu peux m’entendre ? Fais un signe si c’est le cas.
Le même doigt effectue un autre mouvement.
– Ça va aller, ma belle, ne t’inquiète pas, je vais t’aider.
Il n’arrive pas à y croire ; a-t-il rêvé ou peut-elle réellement l’entendre et bouger ?
Il se rassoit auprès d’elle en s’interrogeant sur ce qu’il peut faire pour la jeune femme. Est-elle prisonnière dans son corps ?
– Je vais te donner mon sang, tu vas devoir avaler, ça devrait t’aider.
Il s’ouvre le poignet après avoir placé la tête de la jeune femme de façon à ce qu’elle arrive à boire et laisse couler son élixir de vie, massant sa gorge pour faciliter sa descente.
– Bois, Délila. S’il te plaît.
Il la voit déglutir, ce qui le conforte dans le fait qu’il ne rêve pas, et approche son poignet de sa bouche, sentant ses lèvres sucer légèrement le breuvage qu’il lui donne.
Sulli ne retient pas ses larmes… elle est vivante. Vampire, mais en vie. Il ignore ce qu’il se passera ensuite, mais il ne renoncera pas à elle. Jamais !
– C’est bien, l’encouragea-t-il.
Il la laisse prendre autant de sang qu’elle en ressent le besoin, l’aidant comme il le peut, jusqu’à ce qu’elle tourne la tête, manifestant son souhait d’arrêter. Sulli essuie alors sa bouche du bout d’un doigt.
– Tu arrives à parler ? À bouger ?
La jeune femme cligne des yeux difficilement avant de les ouvrir.
– Est-ce que tu peux me voir ?
Elle ne répond pas tout de suite, contemplant le visage du vampire qui se tient devant elle. Sulli. Pour le moment, il lui est impossible de réfléchir ou de se rappeler ce qu’il se passe. Elle sait juste qu’elle est allongée, qu’elle vient de boire son sang et qu’il a drôlement changé. Il a une barbe qui a bien poussé, apparemment il se néglige depuis son départ.
Elle lève la main vers son visage, ce qui lui demande un effort incommensurable. Sulli l’aide en saisissant cette main qu’il laisse se poser sur sa barbe qu’elle effleure du bout des doigts.
– Tu…
– Je penserai à me raser, sourit-il.
Elle esquisse un sourire tout en laissant tomber sa main.
Sulli la trouve bien pâle, mais c’est probablement le résultat de son état, elle est faible et sans doute affamée. En tant que son compagnon, il se doit de la nourrir, de faire en sorte qu’elle survive à cette transition. Il ne la laissera pas le quitter de toute façon.
– Comment tu te sens ?
– J’ai… mal…
– Tu as encore besoin de te nourrir, ensuite tu iras mieux.
Se nourrir ? Délila n’arrive pas à penser, à comprendre ce qu’il se passe. Elle voit Sulli mordre dans son poignet avant de le lui tendre.
Doit-elle encore boire son sang ? Pourquoi ?
– Bois, l’encourage-t-il devant son hésitation. Ensuite, on pourra discuter, tu recouvreras tes esprits.
L’odeur alléchante la fait saliver et elle aspire le sang du vampire, d’abord doucement, ensuite avidement. L’élixir est délicieux, il coule dans son corps, effaçant la douleur qui lui vrillait les entrailles jusqu’à maintenant.
Sulli serre les dents en sentant les lèvres de sa compagne contre sa peau, sa bouche aspirer son sang, désirant lier le sexe à l’acte qu’ils partagent, mais devant lutter contre lui-même pour garder les idées claires.
Quand Délila libère son poignet, il se sent affaibli.
– Que… que s’est-il passé ? demande-t-elle. Je n’arrive pas à me…
Elle se tait lorsque des flashs de son agression reviennent avec force dans son esprit. Elle s’est fait attaquer par un vampire.
– Tu m’as sauvée, comprend-elle. Tu es venu pour moi.
Le vampire baisse les yeux, sans lui fournir de réponse.
– Sulli ?
– On discutera après.
– Sulli ?
– Quoi ? l’interroge-t-il en posant son regard sur elle.
Elle caresse sa joue, même si elle se heurte plus à sa barbe hirsute qu’à sa peau douce, se redresse sans difficulté jusqu’à être assise et proche de lui. L’instant suivant, elle pose ses lèvres sur les siennes, quémandant un baiser qu’il lui donne, bien qu’il sache qu’elle n’acceptera plus jamais qu’il la touche.
– Je vais me raser, dit-il en effleurant sa joue. Je pense que Bastian sera ravi de savoir que tu vas bien.
– J’ai besoin de comprendre…
– Et je t’expliquerai tout, je te le promets.
Il dépose un baiser sur son front avant de sortir de sa chambre, soupirant de bien-être, bien qu’il sache que le pire reste encore à venir.
Délila, allongée, épuisée, affamée et les membres endoloris, ne parvient pas à réfléchir, comme si son cerveau avait été gelé. Elle s’est fait attaquer par un vampire, c’est sa seule certitude. Elle essaie de bouger, mais ses membres sont douloureux.
– Tu m’as fichu une de ces trouilles ! lance Bastian en pénétrant dans la chambre de Sulli.
Délila esquisse un sourire en apercevant son ami, qui s’approche jusqu’à s’asseoir sur le bord du lit. Il saisit sa main, blessé par sa froideur car il sait qu’elle ne voulait pas de ce destin. Comment réagira-t-elle quand elle saura ? Sullivan aura-t-il le courage de lui raconter la vérité ? Bastian imagine que les aveux se feront dans les cris et les pleurs. Cependant, il sera là pour Délila. Il l’aidera à surmonter cette épreuve si elle le souhaite.
– Comment te sens-tu ?
– Courbaturée… J’ai mal partout.
– Ça passera, mon cœur, une fois que tu te seras correctement nourrie.
Elle acquiesce d’un signe de tête, pâle comme une morte, aussi livide qu’un humain atteint d’une maladie incurable en phase terminale.
– J’ai été attaquée…
– J’aurais voulu ne pas te laisser seule, tu sais, avoue-t-il en caressant sa main.
– Ça va. Je vais bien.
Bastian se force à sourire alors qu’il a envie de hurler et de pleurer. Savoir ce qui attend Délila ensuite lui brise le cœur et lui donne envie de tout détruire autour de lui. Il porte la main de la jeune femme à ses lèvres pour y déposer un baiser.
– Je serai là pour toi si tu as besoin de moi.
– Ce n’est pas parce que Sulli est revenu que je n’aurais plus besoin de toi. Je te considère comme un ami.
– Moi aussi, mon cœur.
Il repose sa main pour caresser son visage. Une amie ? Elle est devenue tellement plus en l’espace de ces derniers jours. Mais ce qu’il éprouve pour elle est interdit par les lois vampiriques. Si elle ou Sulli le soupçonnaient, il risquerait sa vie. Aucun vampire n’est autorisé à convoiter la compagne d’un congénère. C’est pourtant bien ce qu’il fait.
– Quand est-il rentré ?
– Hier soir.
– Il m’a sauvée, comprend-elle.
Le vampire garde le silence. Mais Délila comprend tout de suite que quelque chose cloche.
– Que se passe-t-il ?
– Lilith a débarqué. Elle voulait récupérer Sulli, mais a fini par s’en aller en te voyant allongée sur le lit, je crois… Elle te croit morte. Tu es débarrassée d’elle. Pour le moment en tout cas.
– C’est une bonne nouvelle.
– Oui, je pense.
Prise de douleur, Délila pousse un cri. Son corps la fait encore souffrir.
– J’ai… mal.
– Tu dois te nourrir.
Bastian quitte la pièce avec rapidité, laissant Délila imaginer qu’il va lui chercher de la nourriture alors qu’il va informer Sullivan de l’état de la nouvelle-née.
Pendant son absence, la jeune femme tente de se rappeler. Elle avait l’intention de s’en aller, de rentrer chez elle, de reprendre sa vie… Puis, elle est venue dans la chambre de Sulli pour… elle ne se souvient plus. Quelqu’un…
– Sulli va venir, informe Bastian en revenant dans la chambre.
– Tu peux me trouver quelque chose à manger ?
– Pas vraiment.
– Comment ça ?
Délila tente de se redresser, alors Bastian l’aide à s’appuyer contre la tête de lit.
– Tu vas reprendre des forces et ça ira mieux ensuite.
– Que s’est-il passé ?
Le vampire s’assoit sur le bord du lit, arborant une mine triste à ce souvenir. Il se sent responsable des évènements, parce que s’il s’était nourri sur l’une des deux femmes au lieu de poursuivre ses recherches, il aurait pu revenir à temps. Jamais il ne l’aurait retrouvée… morte.
– Quand je suis revenu, je suis allé dans ta chambre, mais tu n’y étais pas. C’est à cet instant que j’ai senti la présence d’un vampire, et je suis monté aussi vite là où j’étais certain de te trouver… dans la chambre de Sulli.
La jeune femme l’écoute avec attention, se souvenant qu’elle était effectivement montée dans la chambre de Sulli pour lui faire ses adieux… se souvenir un dernier instant des bons moments qu’ils ont passés ensemble.
Mais tout a basculé.
– Tu étais allongée sur le sol, la gorge en sang et…
– Bastian ! intervient Sulli.
Le vampire se retourne pour regarder son acolyte rasé de près, ce qui change grandement, mais n’efface pas le monstre qu’il est à l’intérieur. Sa beauté n’est que superficielle, et il espère que Délila le réalisera.
– Laisse-nous, réclame Sullivan.
Bastian pose ses yeux sur la jeune femme qu’il affectionne, puis effleure sa main avant de quitter la pièce.
Sulli ferme la porte après son départ, préférant l’intimité pour ce qu’il s’apprête à dire et faire. Il ignore comment sa compagne réagira, mais sait que cela ne sera pas une partie de plaisir.
– Tu es très beau ainsi, souffle-t-elle.
– On doit discuter, ma belle.
Il adopte un ton sérieux avant de s’asseoir auprès d’elle.
– Tu dois te nourrir, mais avant j’aimerais que tu saches ce qu’il s’est passé.
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