Chapitre 3

 

 

 

Le sérieux dont fait preuve Sulli inquiète grandement Délila, qui ne ressent plus la douleur de son corps, mais celle habitant le vampire.

–    Comment puis-je ressentir ainsi tes émotions ?

–    Parce que tu as bu mon sang.

C’est bien ce qu’elle pensait, même si elle ne comprend pas pourquoi. À moins que… elle imagine qu’elle en a perdu beaucoup après l’attaque du vampire, donc Sullivan l’a aidée ainsi.

–    Que se passe-t-il ? Pourquoi as-tu si peur ?

Il attrape sa main qu’il serre dans la sienne, incapable d’articuler le moindre mot. Pourtant, il le faut ; elle ne peut pas déduire les choses, elle doit les entendre de sa bouche pour comprendre.

–    J’étais à Atlanta ces dernières semaines, et je sentais la mort venir, j’aurais dû rester dans mon coin comme je l’avais décidé, mais je n’ai pas pu. J’avais envie d’être avec toi, de mourir auprès de toi.

Les larmes roulent sur les joues de Délila en l’écoutant lui conter sa douleur, c’est d’autant plus dur car elle la ressent distinctement.

–    J’ai surestimé ma résolution.

–    Que veux-tu dire ?

–    Je n’ai pas réalisé ce qu’il se passait…

–    Sulli… murmure-t-elle.

–    Je t’aime, prononce-t-il pour la seconde fois où elle l’entend, je n’ai jamais voulu ça.

La jeune femme retire sa main, ressentant sa douleur, ses regrets, ses remords. Il souffre, c’est certain, et se reproche ce qu’il s’est passé. Elle n’arrive pas encore à emboîter les pièces ensemble, mais craint de malheureusement comprendre ce qu’il tente de lui dire.

–    Que s’est-il passé avant que tu m’allonges sur ce lit ?

–    Je te demande pardon.

–    Que s’est-il passé ? s’écrie-t-elle, les larmes roulant sur ses joues.

–    C’est moi qui t’ai attaquée.

Elle ferme les yeux un court instant, essayant de réfléchir, mais n’y parvient pas. Les évènements ne s’emboîtent pas les uns avec les autres. Elle est encore trop faible pour que son cerveau puisse comprendre.

–    Tu m’as mordue ?

–    Oui.

–    Tu m’as donné ton sang ensuite ?

–    Oui.

Elle réalise mieux à présent. Mais pourquoi Sulli souffre-t-il ainsi ? Elle va bien. Il a dérapé, elle peut le tolérer. Après tout, elle sort avec un vampire, elle n’ignorait pas les conséquences possibles d’une telle relation.

–    Je vais bien, Sulli, articule-t-elle en serrant sa main dans la sienne.

Le vampire en perd la voix quand il réalise qu’elle ne mesure pas la gravité de la situation. Elle croit qu’il l’a juste blessée et sauvée ensuite, que cela n’aura aucune conséquence… Comment lui dire que c’est faux ?

–    Tu as besoin de sang.

Elle hoche la tête face à sa douleur qu’elle ressent et le laisse s’installer à côté d’elle, la prendre dans ses bras, lui donner son poignet. Délila avale le sang de Sulli, délicieux élixir, sans réaliser ce que cela signifie réellement. Elle manque de sang et celui des vampires est très puissant et a des vertus curatives, donc elle en absorbe. C’est ce qu’elle pense sur le moment, mais plus elle en avale, plus elle réalise que la réalité est embrumée, qu’elle lui est inaccessible…

Quand, enfin, elle lâche le poignet de son compagnon, elle se sent bien, n’a plus mal et est repue. C’est à cet instant qu’elle réalise l’ampleur de la situation.

–    Tu… tu…

Elle s’écarte de lui avec rapidité, se retrouvant à l’autre bout de la pièce bien trop vite pour une humaine.

–    Je suis ton créateur et je te demande pardon.

–    Non ! hurle-t-elle quand tout lui revient en bloc.

D’abord la malédiction lancée par Lilith, puis l’attaque. Son meurtre, dont le responsable n’est autre que l’homme qu’elle aime. Sulli lui a pris son humanité.

Comment gérer cela ? Comment réagir face à l’atrocité de cette situation ?

Son pire cauchemar est en train de se réaliser… Non, il s’est déjà réalisé. Il est bien réel dorénavant. La situation est devenue insurmontable en l’espace d’une seconde.

La malédiction ne plane plus sur elle, elle s’est accomplie.

Délila est incapable de savoir comment réagir, elle se sent trahie et salie par l’homme qu’elle aime et qui ne bouge pas, figé sur le lit, la tête baissée. Si elle prenait le temps de réfléchir, elle comprendrait à quel point il s’en veut. Les remords le dévorent et jamais ne le laisseront en paix. Il a commis un acte barbare à ses yeux, un acte qui le répugne. Mais la jeune femme refuse de voir l’évidence, il lui a pris son humanité, sa vie, ses rêves, ses désirs… Jamais elle ne lui pardonnera un tel acte.

–    Je te maudis ! vocifère-t-elle méprisante. Tu me dégoûtes ! Tu savais que je ne voulais pas devenir un vampire !

–    Je te demande pardon.

–    Change de disque parce que tu ne l’auras jamais ! peste-t-elle.

–    Je n’étais plus maître de moi-même, Délila, explique-t-il en levant vers elle son visage dévoré par le chagrin.

–    Je ne veux pas le savoir ! Tu m’as pris tout ce que je chérissais. Je ne veux plus jamais te voir !

La nouvelle-née quitte la chambre de celui qu’elle considère comme un traître et qu’elle ne voudra jamais plus revoir, pour gagner celle qu’elle occupe dans le château. Ne souhaitant pas rester une seconde de plus ici, elle décide de rentrer chez elle. En larmes, elle saisit sa valise quand elle sent des mains sur ses épaules… des mains qui la font pivoter.

Bastian.

Elle lâche son sac pour se jeter dans les bras du vampire qui la serre contre lui alors qu’elle pleure à n’en plus finir.

Il savait qu’elle aurait besoin d’une épaule pour la réconforter. Elle ignore sans doute beaucoup de choses, bien qu’elle sache l’essentiel, et quelqu’un doit combler ses lacunes. Il pressentait que ce ne serait pas Sullivan qui pourrait le faire, sorti de la vie de Délila sans espoir d’y revenir. Il a entendu les paroles qu’elle a proférées, et même si c’était sous le coup de la colère, il sait qu’elle était sincère, son ami ne retrouvera jamais sa compagne. Peut-être que Sulli aurait aussi besoin de parler, de se confier, de se laisser aller… mais Bastian ne peut pas consoler le vampire responsable de la déchéance de la femelle qu’il affectionne.

–    Je suis là, mon cœur, articule-t-il en caressant les cheveux blonds de la jeune femme.

–    Je veux rentrer chez moi, déclare-t-elle en s’écartant de lui.

–    Attends, réclame-t-il en prenant sa main dans la sienne. On doit parler avant.

Bastian l’attire jusqu’au lit où il s’assoit ; elle l’imite. Il ne lâche pas sa main, la caressant, la trouvant douce. Il pose ses yeux sur son visage beaucoup moins livide qu’auparavant, il suppose qu’elle s’est nourrie.

–    J’imagine que tu as des questions, alors pose-les-moi.

Des questions ? Délila est incapable de penser pour le moment, désirant seulement rentrer chez elle, ne rien entendre de plus et oublier.

–    Il va te falloir du temps pour te faire à ta nouvelle vie, explique Bastian devant son silence, je pense qu’il est préférable que tu restes là un moment. Je pourrai t’aider.

Sullivan aussi. Mais Bastian pense qu’elle n’a pas envie de l’entendre, que c’est encore trop tôt. Sera-t-elle prête à lui pardonner un jour ?

–    Tu ne peux pas vivre chez toi avec ta nouvelle condition.

–    Je suis censée rester cloîtrée ici à attendre que… à attendre quoi d’ailleurs ?

–    Que tu sois consciente de ta nouvelle vie, de tes nouveaux pouvoirs et de tes faiblesses.

–    Tu crains que je ne veuille croquer des humains ? s’énerve-t-elle.

–    Tu es liée, Délila, tu ne pourras que te nourrir sur ton créateur et compagnon.

–    Super ! Il ne manquait plus que ça ! s’énerve-t-elle en se levant, retirant sa main de la sienne. Je ne veux pas de cette vie.

Elle se poste devant la fenêtre, percevant l’extérieur comme s’il faisait jour. C’est effrayant de se dire qu’elle peut maintenant voir distinctement en pleine nuit, sans lumière. Effrayant et exaltant.

–    J’imagine que je n’ai plus de travail.

–    Tu peux toujours continuer à travailler d’ici, rien ne t’en empêche, répond Bastian en se plaçant à côté d’elle.

Elle ne rétorque rien. Comment le pourrait-elle ? Plus personne ne la verrait au Journal, ils s’interrogeraient tous sur sa subite disparition.

–    Ta copine a appelé pendant que… tu étais en transition. Elle a compris qu’il se passait quelque chose et était inquiète. L’étant moi-même, j’ai fait un piètre menteur et je crois qu’elle a compris la vérité.

Il ne manquait plus que ça ! Anaïs sait qu’elle s’est transformée.

–    Je l’appellerai demain.

Cela lui laisse le temps de trouver ce qu’elle lui racontera. Peut-elle envisager la vérité ? Elle l’ignore. Elle ne veut causer de tort à personne, et surtout pas à Anaïs.

–    Que vais-je faire ? souffle-t-elle, réellement perdue.

–    Tout ira bien, je suis là, promet-il en l’enlaçant, conscient d’être trop proche d’elle mais néanmoins incapable de garder ses distances.

Délila se love dans les bras du vampire, constatant pour la première fois que l’étreinte n’est pas froide. Évidemment, c’est dû à sa condition, elle-même ayant une température corporelle basse.

Bastian lui apporte beaucoup de réconfort. Depuis ces dernières semaines, il est devenu un être indispensable à sa vie. Son seul contact avec le monde puisqu’elle se terrait dans le château pour se cacher des chasseurs de vampires. D’ailleurs, quand ils sauront, ils la traqueront davantage, désirant renvoyer l’abomination qu’elle est en enfer. Toutefois, elle s’imagine plus puissante maintenant et apte à éliminer deux chasseurs humains encombrants.

–    Suis-je forte ? demande-t-elle en s’écartant de Bastian.

–    Oui, tu l’es. Mais pas assez pour te mesurer à moi, je suis plus vieux que toi, réplique-t-il en esquissant un sourire.

–    Je pensais aux chasseurs.

–    On n’en fera qu’une bouchée s’ils reviennent.

Elle fait quelques pas dans la pièce, constatant qu’elle est plus rapide, plus vive ; cependant elle n’arrive pas à l’apprécier, à en sourire. Elle s’assoit sur le lit, comme vidée, épuisée, démoralisée, anéantie…

–    Qu’est-ce qui change chez moi ?

–    Tu as des pouvoirs que tu développeras avec le temps et maîtriseras en pratiquant.

–    Non, je parlais plutôt de ce qui se passe dans mon cœur… ma tête…

–    Ton cœur appartient à Sulli, même si pour le moment tu lui en veux. Un jour, ton compagnon te manquera, tu éprouveras le besoin d’être avec lui…

La jeune femme ne le conçoit pas une seconde, elle l’a sorti de sa vie, ce n’est pas pour l’y faire revenir à un moment ou un autre. C’est d’ailleurs à cause de la fin de leur relation qu’elle veut retourner chez elle, ne pas rester ici et le voir à chaque fois qu’elle quittera sa chambre.

–    … quant à ta tête, tu arriveras à percevoir ses pensées, ses émotions et inversement.

–    J’ai bu ton sang pour l’empêcher d’écouter ce que je pense, je peux le refaire ?

–    Non. Si tu te nourris sur un autre que ton compagnon, tu souffriras.

–    Alors il entendra toujours ce que je dis et pourra m’espionner quand bon le lui semblera ?

–    Pas tout à fait. En tant qu’humain, c’est très dur de bloquer ses pensées à un vampire, mais en tant que vampire c’est un jeu d’enfant avec un peu de pratique.

–    Apprends-moi.

–    Tout ce que tu veux, mon cœur.

Bastian s’approche d’elle, caresse son visage qui reprend des couleurs, ses cheveux qui foncent légèrement, ses lèvres qui rougissent, quand dans un fracas assourdissant la porte s’ouvre, dévoilant un vampire enragé. Sulli.

–    Reste éloigné de ma compagne ! ordonne-t-il, hors de lui.

Pensant trouver la solution qui l’aidera à retrouver sa complicité avec la jeune femme dont il est épris, Sulli s’est immiscé dans la tête de Délila, mais ce qu’il y a vu lui a arraché ses espoirs, tailladé le cœur en pièce. Elle l’aime toujours, bien qu’elle soit terriblement en colère, mais il n’est plus le seul à compter pour elle et son adversaire doit disparaître.

–    Je voulais juste l’aider, se justifie Bastian.

–    Reste loin d’elle !

–    D’accord, accepte le vampire en s’écartant de Délila.

Cette dernière est abasourdie par la colère qui émane de Sulli.

–    Je veux que tu t’en ailles, déclare-t-il.

–    Je me retire.

–    Tu ne m’as pas compris. Quitte le château ! C’est un ordre.

Délila et Bastian sont étonnés, mais ce dernier sait que Sulli a dû suivre leur conversation de près si bien qu’il peut comprendre sa fureur. Pour ne pas l’énerver davantage, il obéit, regagne sa chambre et rassemble ses affaires.

–    Ça ne me fera pas revenir vers toi, rétorque Délila, écœurée que le vampire la prive de son seul soutien. De toute façon, je pars avec lui.

D’un bond, le vampire enragé se retrouve en face de celle qui vient de se mettre sur ses jambes.

–    Tu n’iras nulle part. Tu es ma compagne, tu restes avec moi. Que ce soit bien clair dans ta petite tête ! Je t’interdis de quitter le château !

–    De quel droit ?

–    Tu es mienne.

Il fut un temps où elle aurait apprécié ces paroles, aujourd’hui elle les déteste. Elle ressent de la possessivité dans ses mots, de la jalousie aussi. Tout cela finira très mal, elle en est certaine.

Sullivan quitte la chambre rapidement, se reprochant d’avoir perdu le contrôle, mais d’après ce qu’il a perçu en celle qu’il désire, il ne pouvait pas en être autrement.

Délila laisse les larmes rouler sur ses joues. Si Bastian s’en va, jamais elle ne le reverra, à moins qu’elle ne trouve une solution et vite. Elle fouille dans son sac à main avant de se rendre à la chambre du vampire qui vient de finir de mettre ses affaires dans un gros sac.

–    Va chez moi, intime-t-elle en lui tendant ses clefs. Je te rejoindrai la nuit prochaine, tu dois m’apprendre à fermer mon esprit à Sulli.

Il acquiesce d’un hochement de tête.

La jeune femme le regarde quitter la chambre, attristée par son départ qui la laisse seule aux mains de son créateur, un vampire enragé. Elle se laisse glisser le long du mur, elle aurait voulu qu’il ne revienne jamais… qu’il meurt à Atlanta. Elle n’aurait ainsi pas perdu son humanité et serait en ce moment avec Bastian.

 

 

 

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