Délila se pomponne avant de quitter l’enceinte du château, sans aucune intervention de Sulli. Elle s’attendait à ce qu’il la dissuade de sortir ou alors qu’il insiste pour l’accompagner, si bien qu’elle est surprise. Toutefois, cela ne la perturbe pas. Elle se rend chez elle à pied, ne craignant rien ni personne, appréciant sa nouvelle vue vampirique et sa rapidité.
Elle flâne un peu dans les rues sombres de Montréal avant d’arriver à l’immeuble où elle loue un appartement. Sert-il encore à quelque chose ? Elle l’ignore. Ne sachant pas quoi faire de sa vie à présent, il lui est difficile de répondre. Elle doit d’abord apprendre à gérer ses pouvoirs et avoir une discussion avec Anaïs avant de prendre une décision.
Elle ne sait même pas si elle pourra toujours travailler au Journal. Comment réagira Claude quand il saura pour elle ? Et Drew ? Le pauvre homme a eu son lot de malheurs à cause des vampires ! Délila chasse ses mauvaises pensées, ne souhaitant pas qu’elles lui gâchent la soirée.
Elle gravit les escaliers et traverse le couloir avant de se retrouver devant la porte de son logement. Elle hésite tout d’abord entre frapper et entrer, puis elle se demande si elle pourra franchir le seuil. N’étant plus humaine, cela devrait lui être impossible. Délila est alors prise d’angoisse ; se pourrait-il qu’elle ne puisse pas rentrer chez elle ? Que Bastian n’ait aucun pouvoir de l’inviter ?
Empreinte de doute, elle est figée quand la porte s’ouvre, dévoilant Bastian qui sourit.
– Tu n’entres pas ?
– Je ne sais pas si je peux, bafouille-t-elle mal à l’aise.
– Bien sûr que tu peux. Aucun humain ne vit plus ici, tu n’as pas besoin d’invitation.
Soulagée, elle pénètre dans son appartement quand Bastian s’écarte puis referme la porte.
– Je suis contente de te voir, avoue-t-elle avant de se blottir dans ses bras.
Le vampire l’enlace avec plaisir, respirant son parfum, caressant le bas de son dos. Quand Sulli l’a mis dehors, il a cru qu’il n’aurait plus jamais le plaisir de voir Délila, il ne l’aurait pas supporté.
– Pile à l’heure pour ton cours, dit-il en la lâchant.
– J’ai cru que Sulli m’en empêcherait, réplique-t-elle en retirant sa veste en jean.
– Tu l’aurais voulu ?
– Non. Je veux apprendre à me défaire de lui. D’ailleurs j’imagine qu’il sait où je suis.
– C’est le sang et la promiscuité qui vous lie, moins il boira sur toi et inversement, et plus tu seras loin, plus il lui sera difficile de capter tes pensées.
– Commençons, je ne veux pas le voir débarquer.
– Moi non plus.
Ils passent au salon où Délila s’assoit sur le canapé. Bastian l’imite, tout en gardant une distance raisonnable.
– Visualise une porte.
Une porte ? Elle obéit, s’imaginant une superbe porte en chêne, bien robuste et infranchissable.
– Cette porte symbolise ton esprit, tu dois la laisser fermer.
La jeune femme visualise cette grosse porte bien fermée, ce qui lui semble plutôt simple. Si cette seule vision suffisait à interdire l’accès de ses pensées à Sulli, alors elle aurait pu le faire plus tôt.
– Non, tu n’aurais pas réussi en tant qu’humaine.
– Hey ! râle-t-elle, tu n’as pas le droit de lire en moi ! La porte est fermée.
– Pas tout le temps, mon cœur. Malheureusement pour toi, j’arrive à percevoir des bribes de pensées.
– Comment dois-je faire ?
– Comme tu fais en ce moment, tu ne me laisses pas entrer.
Délila continue de s’imaginer la porte en chêne close. Elle sent toutefois une pression, sans doute Bastian qui essaye de faire voler sa protection.
– Ferme les yeux, réclame le vampire en prenant ses mains dans les siennes. Ne pense qu’à ta porte. C’est bien.
Bastian tente de forcer le passage, elle le sent mais ne cède pas. Si elle parvient à maîtriser l’accès à ses pensées, alors elle sera libérée de son créateur. Elle perçoit qu’il bouge, suppose qu’il approche son visage de sa gorge, mais ne fléchit pas. Il pousse encore sur sa porte imaginaire alors qu’il dépose un baiser dans son cou. Et là, il peut lire dans ses pensées. Elle apprécie le contact.
– Tu aimes ça, ma belle, s’amuse-t-il en se reculant.
– Tu es déloyal ! peste-t-elle faussement fâchée.
– Peu importe ce qu’il se passe, Délila, tu dois maîtriser l’entrée à ton esprit.
Elle trouvait l’exercice simple, mais finalement ce n’est pas gagné !
Bastian la somme de se concentrer et agit plus d’une fois avec traîtrise pour la déconcentrer. À chacune de ses tentatives, elle baisse sa garde, se laissant envahir par les sensations que lui procure le contact rapproché du vampire.
Il finit d’ailleurs par croire qu’il ne parviendra pas à l’aider à dompter son esprit. Peut-être fait-elle partie des vampires chez lesquels leurs congénères peuvent lire comme dans un livre ouvert ! Toutefois, il ne peut pas le tolérer. Il refuse de la laisser à la merci de Sulli, désire la libérer de son impact sur elle.
Durant des heures, ils pratiquent cette expérience, Bastian l’obligeant à se concentrer et elle à ne pas faiblir, à ne pas se laisser aller quand elle sent le souffle du vampire contre sa peau.
Quand il reste en retrait, Délila contrôle parfaitement son esprit, il n’arrive pas à forcer le passage, mais lorsqu’il la perturbe, la porte est plus facile à pousser, et il pénètre en elle presque facilement. Il la sait capable de cacher ses pensées à Sulli, mais uniquement lorsqu’elle sera concentrée. Dans le cas contraire, il percevra ses secrets.
– Il va te falloir beaucoup d’entraînement.
– Ça me donnera une bonne raison pour revenir la nuit prochaine.
– Il faut que tu caches ça à Sulli, sinon il ne te laissera plus sortir librement.
– Je maîtrise, assure-t-elle. J’ai besoin d’une nouvelle puce pour mon téléphone.
– Je peux te prêter le mien si tu veux appeler ton amie.
– Elle est passée au château un peu plus tôt.
– J’imagine qu’elle sait pour toi.
Délila hoche la tête pour acquiescer. Ensuite, elle lui raconte l’épisode tragique. Elle qui ouvre la porte sans se soucier du soleil. L’intervention de Sulli pour la libérer des rayons meurtriers.
– J’avais oublié, confie-t-elle.
Bastian l’attire contre lui, dépose un baiser sur son crâne et l’enlace.
– Tu veux qu’on en parle ?
La jeune femme garde le silence, blottie dans les bras du vampire qu’elle apprécie de plus en plus, ne désirant penser à rien, simplement profiter du moment, tenant fermement sa porte intérieure pour que personne ne viole ses pensées.
Elle est bien dans les bras de Bastian. Il lui plait physiquement et plus elle apprend à le connaître, plus elle a envie d’être avec lui. Son seul moyen d’y parvenir, c’est en maîtrisant son esprit.
– Je peux mourir à cause du soleil ?
– Oui. Il te brûlera et après une exposition de quelques secondes tu te transformeras en torche humaine.
Ouah ! Alors Sulli lui a réellement sauvé la vie. Sans lui, elle serait morte à l’heure actuelle. Théoriquement, elle l’est déjà, mais elle a encore la possibilité de vivre sur Terre, ce que le soleil lui prendra si elle oublie encore qu’il est son ennemi.
– Un pieu est capable de me tuer, je suppose.
– Oui, s’il est dans le cœur. Tu es une jeune vampire, tu es vulnérable.
– Qui va m’apprendre ?
– Théoriquement c’est le rôle de ton créateur…
– Je ne veux pas ! l’interrompt-elle fermement.
– Je peux très bien m’en charger si tu préfères.
– C’est ce que je veux.
Une raison de plus pour qu’elle maîtrise l’accès à ses pensées ; Sulli n’a pas besoin de savoir qu’elle est éduquée par Bastian. D’ailleurs, s’il venait à l’apprendre, le vampire s’en mordrait les doigts.
Délila ne pose plus aucune question, désirant juste profiter du moment en s’efforçant de garder sa concentration.
Personne ne doit plus jamais violer ses pensées secrètes.
Personne parce qu’il se passe des choses en elle, des choses qu’elle désire taire… cacher. En tout cas pour le moment.
Juste avant le lever du soleil, Délila regagne sa chambre, bien décidée à passer la journée au lit pour qu’elle passe rapidement, et ensuite retrouver Bastian pour sa leçon numéro deux.
Alors qu’elle retire ses vêtements, on pénètre dans sa chambre. Elle pivote pour se retrouver face à Sulli. Elle aurait dû s’en douter ! Il n’a émis aucune opposition quant à son départ, mais il va lui dire ce qu’il en pense dès maintenant.
Délila croise les bras sur sa poitrine, ne portant qu’un soutien-gorge en dentelles, elle ne souhaite pas qu’il profite de la vue.
– Voilà ton téléphone ainsi qu’une nouvelle puce, lui dit-il en posant les objets sur la commode.
Stupéfaite par sa gentillesse, elle ne rétorque rien.
– J’ai noté ton nouveau numéro sur ce papier. Fais attention à qui tu le donnes.
– Oui… merci.
– Tu es restée tard chez Anaïs.
Bien consciente qu’elle ne doit lui donner aucune information, elle ne répond pas, maintenant même la porte de son esprit fermée. Elle refuse qu’il lise où elle était et ce qu’elle faisait. Elle estime avoir droit à une vie privée.
– J’aimerais me coucher, dit-elle pour clore la conversation.
– Il faudrait que l’on discute.
– Je n’ai rien à te dire.
– On ne peut pas rester ainsi, nos rapports se dégradent et…
– Je n’ai pas envie qu’ils s’améliorent. Tu m’as transformée sans penser une seconde à ce que je pourrais ressentir. Tu m’as privée de mes rêves sans retour en arrière possible. Tout ce à quoi j’aspirais, je ne l’aurai jamais à cause de toi. Tu m’as détruite !
– Je te demande pardon, mais il n’y a qu’en parlant qu’on pourra arranger les choses.
– Je ne veux rien arranger avec toi. Je ne veux plus avoir à faire à toi ! peste-t-elle avant d’aller se réfugier dans la salle de bain.
Elle s’interdit de pleurer et de penser, se contentant d’écouter ce qu’il se passe dans la pièce à côté. D’abord, il n’y a pas le moindre bruit, ensuite la porte claque. Elle imagine que le vampire en colère a quitté les lieux.
Comment va-t-elle vivre maintenant ?
Délila se laisse glisser le long du mur, se demandant ce que l’avenir lui réserve. Si elle a encore une vie… Ce qu’il lui arrive est si terrible, si dur qu’elle essaye de ne pas y réfléchir, se contentant d’apprendre à maîtriser ses pensées. Mais une fois qu’elle aura atteint son but, que se passera-t-il ? Elle explosera. Toute la colère contenue en elle sortira, même si elle ignore ce qu’il se passera à ce moment-là. Elle éprouve tant de rage à l’encontre de Sulli, mais aussi beaucoup d’incompréhension. Il lui disait l’aimer et ne pas vouloir faire d’elle une vampire… Il est vrai qu’ils se sont quittés en de très mauvais termes ensuite. Sulli a eu des mots très blessants, lui a exprimé ses regrets d’avoir choisi de la traquer plutôt que de la tuer. Elle imagine qu’il a dû ressasser tous ces mots, tous ces jours passés avec elle, à jouer avec elle, alors il s’est rendu compte qu’elle ne valait pas la peine qu’il meurt pour elle.
Bien sûr, ce n’est pas ce qu’il lui a dit quand elle a ouvert les yeux, mais peut-être était-ce pour arrondir les angles, la calmer avant de déclencher la tempête. En fait, la nouvelle-née en arrive à la conclusion que son créateur a agi dans son intérêt à lui, sans se préoccuper d’elle. A-t-elle seulement déjà été importante à ses yeux ? Peut-elle croire aux mots d’un vampire alors que ses actes prouvent le contraire ?
Sans doute que non.
Elle se ressaisit et se glisse sous une douche chaude, enfin, elle l’imagine d’après la poignée qu’elle a tournée. Elle est incapable de savoir si l’eau qui ruisselle sur son corps est chaude ou froide. Elle est juste… ce n’est que de l’eau.
Délila ne ressent maintenant plus les effets du chaud et du froid. Son corps mort n’est qu’une enveloppe pour son âme. Il ne lui sert à rien, il ne peut plus rien pour elle. De nouveau, elle se laisse aller à son chagrin. Comment pourra-t-elle vivre ainsi ?
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