Chapitre 6

 

 

 

Après une journée terrée sous la couette, Délila quitte la propriété dès que le soleil est couché. Elle a appelé Anaïs un peu plus tôt (que c’est bon de retrouver son téléphone !) et la retrouvera chez elle dans une dizaine de minutes. Elle a réellement besoin de parler à son amie, même si elle n’est pas certaine de réussir à bloquer ses pensées à Sulli.

D’un pas assuré, elle se rend à son appartement, ignorant encore si elle pourra y vivre à nouveau. Mais dans ce cas, pourquoi le garder ? Et comment subviendra-t-elle à ses besoins ? À la réflexion, elle n’a plus aucun besoin !

Elle passe la porte sans s’annoncer au préalable, mais Bastian l’avait entendue arriver.

–    Tu es pile à l’heure pour ta leçon ! annonce-t-il, jovial.

–    On va devoir la repousser. Anaïs va arriver, j’ai besoin de discuter avec elle.

Bastian la regarde, essayant d’infiltrer ses pensées, lisant son mal-être et ses interrogations. Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’elle maîtrisera son esprit !

–    Bloque tes pensées, mon cœur.

Elle sourit, rougissant légèrement.

–    Je vais aller me nourrir et prendre l’air, tu auras tout le loisir de parler avec ta copine. Fais quand même attention à ta porte.

Elle esquisse un autre sourire en le remerciant, même si Anaïs ne peut pas s’introduire dans sa tête, un autre le peut.

–    Attends avant de te sauver, donne-moi ton numéro, réclame-t-elle en sortant fièrement son téléphone de sa poche.

–    Tu as une puce ?

–    Oui, Sulli m’en a donné une à mon retour avec un nouveau téléphone en prime.

Bastian s’exécute avant de déposer un baiser sur le front de la jeune femme. De sa main droite, il caresse son visage, désirant plus mais ne se le permettant pas. Et ce, pour un tas de raisons, dont leurs stupides lois vampiriques. Alors que ses doigts frôlent ses lèvres, on frappe à la porte. Il laisse tomber sa main et disparaît après avoir laissé entrer l’humaine.

Délila se jette dans les bras d’Anaïs dès que celle-ci a fermé la porte.

–    Eh bien, dis donc ! Il est craquant ton ami, complimente la jeune femme après leur étreinte amicale.

–    Je sais, répond Délila l’air de rien. J’ai besoin de te parler.

–    Je t’écoute.

Les filles passent au salon et s’installent sur le canapé avant que la nouvelle-née ne commence :

–    Je ne sais pas quoi faire de ma vie. Je suis perdue.

–    Tu n’es pas obligée de vivre comme une vampire ! Tu as un boulot et des amis, pourquoi cela changerait ?

–    Peut-être parce que je ne pourrais jamais plus voir la lumière du jour.

–    Ce n’est qu’un détail, Délila. Tu peux très bien travailler de chez toi.

–    Et les reportages ?

–    Tu pourrais t’installer en Alaska. Il fait tout le temps nuit et Claude te trouverait une place dans un journal.

–    Je ne veux pas m’expatrier !

–    Tu pourrais partir avec ton bellâtre ! insiste-t-elle souriante.

–    Sauf que je dois me nourrir sur Sulli, et inversement.

–    Comment ça ?

Délila explique alors à son ami les raisons qui l’obligent à ne boire que le sang de Sulli, qui par ailleurs sont les mêmes pour le vampire.

–    Tu es sa compagne ?

–    Ça s’est fait quand j’étais encore humaine.

–    Alors vous êtes liés l’un à l’autre pour l’éternité…

–    Oui.

–    Mais, enfin… Vous ne pourrez pas survivre longtemps.

–    Comment ça ? s’étonne Délila en voyant la mine inquiète de son amie.

–    Ne me dis pas qu’aucun de vous deux n’y a pensé ! Votre sang ne se régénère pas, c’est pour ça que vous avez besoin de celui des humains pour vivre, mais toi, tu n’as pas le droit d’en boire et Sulli non plus. Vous allez donc vous assécher mutuellement.

Délila porte sa main à sa bouche, elle n’avait pas pensé à cette éventualité. Voilà un autre problème qui se pose à eux, et de taille… insurmontable même.

–    Il faut que j’appelle Bastian, décide-t-elle, paniquée.

–    Ce n’est pas Sulli qui est concerné ? s’étonne Anaïs.

–    Je ne veux plus rien avoir à faire avec lui !

–    Comment ça s’est passé ? questionne-t-elle alors qu’elle prend son téléphone en main.

La jeune vampire ne souhaite pas en parler, c’est encore très douloureux et l’évoquer ne lui apporterait rien de bon.

–    Il m’a mordue et je ne veux pas aborder ce sujet.

Anaïs n’insiste pas alors que la journaliste tente de joindre Bastian.

–    Qu’y a-t-il, ma jolie ?

–    Il faut que tu reviennes, c’est important.

–    Accorde-moi deux minutes et je serai près de toi.

Elle raccroche en constatant que c’est un homme bien, prêt à remettre son besoin de sang à plus tard pour la rejoindre quand c’est sérieux.

–    Il arrive, informe Délila.

–    Je persiste à penser que peu importe ce qu’il s’est passé, tu dois en parler à Sulli. Il est concerné aussi, tu n’es pas d’accord ?

–    Plus tard !

Anaïs n’insiste pas devant l’entêtement de Délila. Elle est consciente qu’elle a souffert à cause du vampire, et bien qu’elle-même le déteste pour ce qu’il a infligé à sa meilleure amie, elle ne peut s’empêcher de penser qu’il doit être mis au courant.

Bastian revient rapidement, sans avoir eu le temps de se nourrir.

–    Que se passe-t-il ? questionne-t-il d’emblée sa protégée.

D’un ton grave, l’intéressée lui expose son nouveau problème, celui-là insurmontable, qui entraînera sa mort quoiqu’il arrive.

Bastian n’en revient pas, cela aurait dû lui sauter aux yeux et il n’a rien vu. Il s’assoit sur l’accoudoir du canapé dès qu’elle a terminé et l’attire contre lui, embrassant son front.

–    On peut faire quelque chose ? demande Anaïs.

–    Sulli peut se nourrir sur Dracula. La seule solution pour que lui et Délila vivent serait qu’ils s’installent en Transylvanie, dans le château du Comte.

–    Avec Lilith ! peste Délila en s’écartant de lui. Tu en as beaucoup d’autres des idées comme celle-là ?

–    C’est la seule pour que tu vives.

–    Je suis déjà morte ! aboie-t-elle. Tu n’as pas oublié que ton ami m’a tuée !

Percevant sa colère, Bastian n’ajoute rien. La discussion vient de devenir impossible. Il faut d’abord qu’elle digère cette information.

Après quelques minutes de silence, Bastian s’approche de sa protégée postée devant la fenêtre, et glisse ses mains sur ses hanches pour l’enlacer, la plaquant contre son torse.

–    On trouvera une solution, souffle-t-il à son oreille.

Elle se laisse aller contre lui, pose sa tête contre son épaule et profite de l’étreinte.

Depuis que Sulli est entré dans sa vie, tout va mal. Elle subit des épreuves plus atroces les unes que les autres : la traque, les chasseurs, Lilith, la transformation, et maintenant ça… Elle voudrait ne jamais avoir croisé cet homme. Si on pouvait remonter le temps, elle n’insisterait pas auprès de Claude pour se rendre à cette maudite soirée où elle a posé les yeux sur lui. Au contraire, elle s’en serait tenu à l’écart pour avoir une vie normale.

–    Merci d’être là, murmure-t-elle.

Il dépose un baiser sur sa tête, sous les yeux d’Anaïs qui se sent de trop face à cette scène.

–    Je vous laisse, décide-t-elle en se levant du canapé.

Bastian lâche Délila, qui s’approche de son amie, souhaitant qu’elle reste encore un peu, mais Anaïs a bien compris qu’ils ont besoin d’être ensemble. Elle a aussi réalisé ce qui empêche Délila de s’adoucir envers Sulli : ses sentiments naissants pour Bastian.

–    Tu as un téléphone maintenant, on pourra s’appeler, assure l’humaine. Au fait, il faut que je te dise que Claude et Drew savent pour toi.

–    Savent pour moi… répète-t-elle, savent quoi ?

–    Quand Bastian m’a mise au courant de la situation, j’étais tellement en colère que je me suis confiée à mon fiancé, et Drew était là.

–    Comment ont-ils réagi ?

–    Mal. Mais ne t’inquiète pas, j’ai parlé à Claude et ça va. Par contre, Drew a du mal à croire que tu aies pu avoir une aventure avec un vampire sachant ce qui est arrivé à Peggy.

–    Il m’en veut, comprend-elle.

–    Pour tes fréquentations, pas pour ta nouvelle condition. On devrait en discuter un soir au bureau.

–    On fera ça, je t’appellerai pour convenir d’une date.

Anaïs acquiesce, embrasse son amie, salue Bastian de la main, et quitte les lieux.

–    Tu veux discuter ? propose le vampire.

–    Je veux continuer les leçons, c’est le plus important en ce moment.

Il fait selon son désir et l’aide à maîtriser l’accès à ses pensées. D’abord, elle le fait sans qu’il la perturbe et c’est un succès fulgurant. Mais quand il allume la télévision, elle a du mal à se concentrer. Il espère sincèrement qu’avec de la pratique elle parviendra à se protéger des intrusions.

Il n’a aucun geste déplacé cette nuit, les seules perturbations qu’il utilise sont la télévision et le dialogue. Elle se débrouille mieux en fin de nuit, c’est une première victoire pour eux.

 

Les nuits suivantes, Bastian poursuit ses leçons. Délila souhaite ne rien faire d’autre que fermer ses pensées et y parvenir en faisant plusieurs choses.

Elle y arrive en regardant la télévision, et même en tenant une discussion avec Bastian. Le vampire est très fier d’elle, mais ce n’est pas encore gagné, il reste un test qu’il a envie de lui faire passer. Il compte la déconcentrer au maximum pour voir si elle a toujours le contrôle sur sa porte intérieure ou si le plaisir fera tout voler en éclat.

Il pense qu’elle est prête pour sa dernière leçon, une semaine après avoir commencé à entraîner son esprit.

–    On va changer notre manière de faire, l’informe-t-il alors qu’elle est allongée sur le canapé, les yeux rivés sur lui.

–    Tu peux faire ce que tu veux, tu ne pourras plus jamais lire en moi.

–    Je l’espère, c’est le but de cet exercice.

–    Tu veux qu’on discute de choses très dures ? suppose-t-elle.

–    Non. On ne va pas parler. On va se laisser emporter par le silence, et tu essayeras de ne pas faire céder tes barrières.

Elle sourit, persuadée de réussir. D’ailleurs, sa nouvelle manière de faire semble bien plus simple que tout ce qu’il lui a imposé cette semaine.

–    Ferme les yeux, réclame-t-il.

–    Et si je veux les laisser ouverts ? lance-t-elle sur un ton de défi.

–    Le test sera plus concluant si tu les fermes.

Elle obéit après avoir contemplé son visage radieux. Elle ignore ce qu’il manigance, mais il semble s’en réjouir.

Bastian s’approche d’elle, se glisse entre ses jambes pour se retrouver près de son visage. Il ne peut rien percevoir en elle, elle est forte, mais il sent que cela ne va pas durer. Il approche ses lèvres de son cou et y dépose un baiser.

–    C’est déloyal, susurre-t-elle.

–    Tu veux que j’arrête ?

–    Non.

Le vampire lui donne un autre baiser, désirant la mordre mais n’en ayant pas le droit. Il se recule légèrement, satisfait de la maîtrise de Délila, puis fait glisser ses doigts sur son bras dénudé. Là encore, ce geste n’ébranle pas son contrôle. Il le répète plusieurs fois jusqu’à dévier sa trajectoire, ne se contentant plus de son bras, mais de sa gorge et du joli décolleté qu’elle arbore.

–    Je suis fière de toi, confie-t-il, mais c’est loin d’être fini.

–    Alors, continue au lieu de parler.

Il sourit devant son empressement et laisse glisser sa main dans le creux de son décolleté. Lentement, il ouvre les boutons maintenant son top rouge fermé, effleurant sa peau douce au passage. Ensuite, il en écarte les pans, percevant son soutien-gorge en dentelles. Précautionneusement, il caresse le tissu puis fait glisser ses doigts sur son ventre nu, la sentant faiblir, pouvant percevoir son désir.

–    Fais attention, mon cœur, je vais réussir à lire en toi.

Délila tente de se ressaisir, de maintenir cette maudite porte alors qu’elle ne désire qu’une chose, l’oublier pour se laisser aller à l’homme qui la touche.

Bastian approche ses lèvres du ventre de sa belle pour l’embrasser, une fois, puis deux, percevant bien trop facilement les désirs de sa protégée. Elle le veut et il en a autant envie qu’elle. Mais il ne peut pas, même s’il joue dangereusement avec elle.

–    Ferme ton esprit, ma jolie.

Elle obéit alors qu’il l’embrasse de nouveau, remontant le long de sa peau jusqu’à laisser glisser sa langue sur le tulle. Il l’entend gémir, ce qui n’est pas de bon augure pour lui.

Elle saisit son visage de ses deux mains, ouvre les yeux et l’attire à elle sans qu’il n’oppose la moindre résistance. Quand elle l’invite à l’embrasser, il le fait ; quand elle glisse sa langue contre la sienne, il répond encore à l’invitation. Cet écart lui coûtera cher, il en est bien conscient. Mais il ne peut pas lutter, pris à son propre jeu.

Délila se redresse, l’obligeant à en faire autant, avant de le débarrasser de son tee-shirt.

–    Je suis un homme mort si ça vient aux oreilles de Sulli.

–    Il n’en saura rien.

–    Tu ne peux pas maîtriser complètement l’accès à tes pensées, pas si on…

–    Chut, intime-t-elle en dégrafant son soutien-gorge.

Bastian saisit sa poitrine avec délicatesse, tentant de pénétrer dans son esprit sans y parvenir. Peut-il toutefois lui faire confiance et faire l’amour avec elle ? Rien n’est moins certain.

Délila le chevauche et reprend possession de ses lèvres alors qu’il caresse son dos, sa peau douce, sentant son désir, éprouvant le même.

Quelques minutes plus tard, la jeune femme, complètement nue, est allongée sur le canapé, le vampire en elle pour la première fois. Bastian ne cesse de vouloir lire en elle alors qu’il va et vient dans son corps, mais il n’y parvient pas. Il constate que Délila a une volonté de fer quand il s’agit de cacher quelque chose qui lui tient à cœur. Il cesse alors de se torturer et profite d’elle au maximum, lui faisant l’amour avec tendresse malgré qu’elle ne soit plus humaine et qu’elle soit capable de supporter toute la rudesse qu’il pourrait lui infliger.

Le vampire se laisse tomber sur le corps de sa protégée quand il a terminé, satisfait et bienheureux de la tournure des évènements. Aucun mot ne sort de sa bouche, il a trop peur de briser le charme, mais pas elle.

–    Je vais t’avouer quelque chose…

–    Dis-moi, demande-t-il en se redressant pour la regarder.

–    Je crois que j’en avais envie depuis très longtemps.

Il sourit en repoussant les cheveux collés sur le visage d’ange qu’il regarde.

–    Tu te souviens quand tu m’apprenais à me défendre ?

–    Oui.

–    Ça a commencé à ce moment.

–    Moi aussi, confie-t-il. Le soir où je suis allé me nourrir, je voulais le faire sur toi.

–    Tu aurais dû, répond-elle avec tristesse.

Ainsi, il aurait été près d’elle quand Sulli aurait débarqué, et il aurait pu la protéger de lui, tuer le monstre.

–    Ne sois pas triste, dit-il en embrassant son visage.

Elle esquisse un sourire.

–    Alors, ai-je réussi ?

–    Oui. Je n’ai rien perçu de tes pensées. On ne se fera pas empaler par Sulli.

–    À ça aussi il faudra trouver une solution.

Bastian comprend très bien qu’elle fait allusion à son lien avec le vampire. Lui aussi aimerait qu’il puisse être brisé, mais il ne sait pas assez de choses sur le sujet pour dire si c’est possible.

 

 

  

customer73262 Jimenez <customer73262@librairiedialogues.fr>