Chapitre 7

 

 

 

Délila vient de faire l’amour avec Bastian et a très faim. Bien sûr, elle a envie de se nourrir sur le vampire encore entre ses cuisses, mais c’est impossible sans ce que cela la fasse souffrir, et ayant un souvenir précis de ce que cela engendre chez un vampire – même si ce n’était que de la nourriture humaine – elle refuse de tester l’expérience.

–    Je dois rentrer, l’informe-t-elle.

Bastian se retire et commence à enfiler ses vêtements quand elle l’imite, ne voulant pas lui donner la raison de son départ soudain. Il n’est que quatre heures du matin et il imaginait sans doute qu’elle resterait plus longtemps. Mais comment lui dire qu’elle doit boire le sang de Sulli alors qu’ils viennent de partager un moment intime ?

–    Pourquoi ne veux-tu pas rester encore ?

Elle termine de se vêtir, mais n’a pas l’intention de rentrer au château dans cette tenue et sans une douche au préalable. Elle n’imagine pas se présenter devant Sulli, l’odeur de Bastian encore sur sa peau.

–    Tu te souviens de mon problème de nourriture.

–    À quoi fais-tu allusion ?

–    À moi, qui ne peux boire que sur Sulli et inversement.

–    Tu vas te nourrir, comprend-il, la mine sombre.

Sa tristesse lui fait si mal au cœur qu’elle refuse de le laisser ainsi. Elle s’approche de lui et pose ses mains sur son visage.

–    Il n’est pas question de ça, pas après ce qu’on vient de faire. Je dis juste qu’il est temps que je lui en parle, temps qu’on trouve une solution, car je ne veux plus de cette vie.

C’est un petit mensonge – et heureusement qu’elle parvient à le tenir éloigné de ses pensées –, mais elle souhaite réellement retrouver sa liberté. Faire ce qu’elle veut avec qui elle veut.

Bastian pose un baiser sur ses lèvres, rassuré de savoir qu’elle a enfin décidé de parler à son créateur.

–    Je vais juste prendre une douche avant, il est un peu tôt pour qu’il sache, non ?

–    Si. J’aimerais autant que tu ne sois plus à lui avant de le crier sur tous les toits.

Et elle aussi.

Elle file prendre une douche et se changer, trouvant des affaires à elle dans son armoire puisqu’elle n’a pas tout apporté au château.

–    J’y vais, on se verra la nuit prochaine.

–    Avec plaisir.

Ils s’embrassent longuement, collés l’un à l’autre, n’ayant aucune envie de se lâcher. D’ailleurs, si Délila n’avait pas si faim, elle serait restée avec lui.

 

En pénétrant dans la cuisine équipée du château, Délila se demande comment aborder le sujet avec Sulli. Elle ne peut pas débarquer dans sa chambre – qu’elle fuit depuis une semaine – et réclamer qu’il la nourrisse. Il pourrait lui rire au nez, refusant de subvenir à ses besoins, choisissant de la laisser mourir…

–    J’attendais que tu rentres.

Elle sursaute, n’ayant pas entendu Sulli arriver et pivote pour le regarder. Il est toujours aussi beau, mais elle ne le voit plus, sa colère masquant son visage. Il semble désemparé, mais cela n’a aucun effet sur elle.

–    Je n’ai pas voulu cette situation. Je la déteste et je refuse de la vivre davantage. Nous sommes liés par notre amour et mon manque de contrôle est en train de tout détruire. Je te demande pardon, même si je sais que tu ne m’entends pas. Je t’aime plus que tout, et ce depuis que j’ai posé les yeux pour toi. Je l’ai longtemps renié, mais quand je l’ai accepté, je me suis senti faible, et ce sentiment ne disparaîtra jamais.

Sulli fait quelques pas dans sa direction, alors que Délila ignore comment agir, quoi dire. Elle ressent sa douleur mais ne peut pas l’apaiser, elle en est incapable.

–    J’espère sincèrement que tu me pardonneras mon acte et que tu comprendras à quel point je peux t’aimer.

Il lève sa main pour caresser sa joue, mais elle recule.

–    Je crois qu’on a tous les deux besoin de se nourrir.

Elle acquiesce d’un hochement de tête.

Il pose ses mains sur ses épaules et la fait pivoter, ensuite il plaque son dos contre son torse comme il lui présente son poignet.

La jeune femme ignore comment elle imaginait que cela se déroulerait, mais pas aussi facilement, c’est certain. Elle enfonce ses crocs dans le poignet qu’il lui tend alors qu’il pose sa main libre sur son ventre. Elle aspire le sang de son compagnon, se délectant à son contact.

Après quelques secondes, Sulli dégage les cheveux du cou gracile de celle qu’il affectionne, et plante ses crocs dans sa peau laiteuse. Lentement, il plie ses jambes pour les faire s’asseoir sur le carrelage. Il replace sa main sur le ventre de sa compagne, la glissant sous le tissu pour caresser sa peau comme il boit avidement son sang.

Délila est submergée par le chagrin, la douleur, le repentir de Sulli. Toutes les émotions qui habitent le vampire en ce moment, elle les ressent. Il est terriblement malheureux et cela la frappe comme une certitude. Elle réalise qu’il n’a jamais pensé les mots qu’il lui a dits avant de disparaître. Il était juste extrêmement en colère. En réalité, il est amoureux d’elle. Il l’aime tellement qu’il voulait mourir pour la sauver, mais il a surestimé sa résolution, désirant obtenir le repos éternel dans ses bras, et il a commis l’irréparable sous le coup d’une pulsion causée par la douleur.

Ne souhaitant plus ressentir le chagrin de Sulli, elle retire son poignet de sa bouche et regarde les morsures disparaître sous ses yeux. Aussitôt après, le vampire l’imite, pensant qu’elle ira s’isoler dans sa chambre, mais elle ne bouge pas, se laisse aller contre lui, pose sa tête contre son torse.

–    Tu m’as ouvert l’accès à tes pensées, souffle-t-elle.

–    Je ne savais pas comment faire d’autre pour que tu comprennes à quel point je m’en veux.

Sa main est toujours sur son ventre, et il y ajoute l’autre, ce qui ressemble fortement à une étreinte possessive.

–    Cela prendra sans doute du temps, mais je veux qu’on essaye… je veux qu’on se donne une chance de réussir.

Délila est intimement convaincue que cela ne fonctionnera pas. Déjà, elle éprouve beaucoup trop de colère à son encontre, même si à cet instant elle réclame à être proche de lui – effet du partage de leur sang. Il a brisé ses rêves, c’est quelque chose qu’elle ne pourra jamais lui pardonner. De plus, il y a Bastian, avec qui elle se sent bien et désire faire du chemin. Il n’y a rien entre eux, pas comme avec Sulli, où tous se dressent sur leurs passages, à commencer par Lilith, la démone sans cœur.

–    Je te reproche trop de choses pour accepter de même essayer, répond-elle.

–    Il faudrait qu’on en parle et qu’on voie ce qu’on peut faire. Je pense qu’en prenant les problèmes un à un, on a une chance.

Malheureusement, la jeune femme n’est pas de son avis, elle n’imagine pas pouvoir lui pardonner un jour de lui avoir volé son humanité.

–    Il faut que je te dise quelque chose, dit-elle, désirant changer sujet.

–    Je t’écoute.

–    Que se passera-t-il quand il n’y aura plus assez de sang dans nos corps ? On est obligé de se nourrir l’un de l’autre… à un moment, ça nous tuera.

Sulli ne répond rien. Il n’avait pas pensé à cette éventualité, mais elle a raison. Le temps joue contre eux, à moins qu’il n’aille boire sur Dracula de temps à autre, ce qu’il refuse.

Quelle solution ont-ils ? Existe-t-elle seulement ?

–    Sulli…

–    On a beaucoup de temps avant d’en arriver à ce stade. On trouvera une solution.

–    J’aimerais être aussi confiante que toi.

–    Qu’est-ce qui t’empêche de l’être ?

–    Tu dis toujours qu’on s’en sortira, et au final c’est pire qu’avant.

Sulli sent que la colère recommence à la gagner, et ce n’est pas ce qu’il veut. Au contraire, il désire pouvoir parler calmement avec elle et essayer de trouver une solution.

–    Délila, tu es sous l’effet de ce que nous venons de partager, j’aimerais en profiter pour que l’on discute.

–    Je n’en vois pas l’intérêt.

Il est clair qu’elle non, mais lui le voit très bien et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Une si belle occasion n’est pas prête de se représenter.

–    Dis-moi ce qui te paraît si insurmontable.

–    Tout l’est. Tu n’as pas pensé un seul instant à moi, tu m’as tout pris.

–    Confie-toi à moi pour que je puisse t’aider. Qu’est-ce que je t’ai pris ?

Le vampire la garde serrée contre lui, ne souhaitant surtout pas qu’elle se braque, brise l’étreinte et s’en aille. Il a réellement besoin de discuter avec elle. De plus, c’est selon lui le seul moyen qu’ils ont pour s’en sortir. Parler et réparer ce qui peut l’être.

–    Je ne vieillirai jamais, dit-elle difficilement, je n’aurai jamais d’enfant… tu m’as pris mon humanité, tout ce qui comptait pour moi. À cause de toi, je n’ai plus la possibilité de vivre au grand jour, je dois renoncer à mon travail et à la famille dont j’ai toujours rêvé.

Délila se retient pour ne pas fondre en larmes contre lui, elle est en colère et refuse catégoriquement qu’il la console de quelque manière que ce soit. Elle brise l’étreinte avec facilité, sans doute parce qu’il ne l’a pas forcée à rester, et se lève.

–    S’il te plaît, supplie-t-il en saisissant sa main, parle avec moi.

–    Je viens de te dire ce que tu voulais savoir, Sulli. Tu crois pouvoir m’apporter ce que je désire ? Ce que tu m’as pris ?

Incapable de se contenir davantage, elle hausse la voix, et le vampire voit toutes ses chances d’une discussion calme s’envoler.

–    Je t’ai offert la jeunesse éternelle, l’immortalité, se défend-il en se levant à son tour.

–    Seulement, je n’en voulais pas !

Sur ces derniers mots, elle tourne les talons et va se réfugier dans sa chambre.

Sulli ne sait plus quoi faire, il sent qu’au fur et à mesure du temps qui passe, il la perd. Elle reste chez lui uniquement parce qu’il le lui a ordonné, elle reste auprès de lui seulement parce qu’elle le doit pour se nourrir.

Il déteste tirer de telles conclusions, mais aucune autre explication n’est plausible.

Il aimerait la retrouver dans sa chambre et essayer d’apaiser ses tourments, mais a-t-il seulement une chance d’y parvenir ? Ne devrait-il pas plutôt la laisser se calmer ? S’il veut pouvoir revenir dans ses bonnes grâces, il va devoir combler ce qu’il lui a pris, d’une façon ou d’une autre. Lui donner une famille ne serait pas compliqué, il lui suffirait de sélectionner deux ou trois enfants qu’il transformerait, mais il n’est pas certain que cela fasse plaisir à la nouvelle-née. Il pense plutôt qu’elle le haïrait davantage, pourtant ses intentions seraient nobles.

Il pourrait se rendre dans un centre d’adoption, user de ses pouvoirs et ressortir avec des enfants humains, mais il est certain que Délila y trouverait à redire. Elle est peut-être de son espèce maintenant, elle a toujours des réactions qu’il ne comprend pas.

Peut-être que le temps est la solution…

 

L’arrière du château est magnifique. Il fait nuit, pourtant de sa fenêtre, Délila le distingue parfaitement. Elle ignore tout de ses nouveaux pouvoirs, préférant jusqu’à présent se concentrer sur l’accès à son esprit. Maintenant que c’est maîtrisé, elle peut faire ce que bon lui semble sans que son créateur puisse le découvrir. Mais elle n’a envie de rien…

Elle ne souhaite que retrouver sa vie, aller travailler, supporter Claude et s’amuser avec Anaïs. Elle aurait pu rencontrer un homme bien, l’épouser et lui donner des enfants. Ils auraient acheté une jolie maison et un chien, ou des chats. Le rêve est devenu inaccessible.

Que lui reste-t-il à présent ?

Elle ne peut plus aller travailler, Claude sait ce qu’elle est, Drew aussi, et il lui en veut pour ses fréquentations. Elle le comprend ! Elle s’en veut aussi de s’être laissé aller avec un vampire. Elle aurait dû le fuir après tout ce qu’il lui a fait et le laisser agoniser au château au lieu de ruser pour qu’il boive son sang. Le regrette-t-elle vraiment ? En cet instant précis : oui.

Il lui a tout pris et jamais elle ne lui pardonnera. Il aura beau faire tout ce qu’il veut pour se rattraper, il est définitivement trop tard.

Elle pense à Bastian qu’elle a laissé parce qu’elle avait faim, et à qui elle n’a même pas eu le courage de dire la vérité. Il doit bien penser qu’à un moment ou un autre elle se nourrira, et il sait pertinemment de qui. Alors pourquoi fait-elle des cachoteries ? Oh, elle le sait. Elle a simplement peur de sa réaction. Partager du sang avec un vampire n’est pas un acte anodin pour elle, c’est quelque chose d’érotique. Puis elle se demande si son amant le voit ainsi. C’est un vampire et il ne réagit pas comme elle, qui a gardé ses réactions d’humaines ! Il est possible qu’elle s’inquiète pour rien, que Bastian n’ait rien contre, mais que son mensonge lui coûte sa relation. Elle lui dira la vérité dès demain. À la réflexion, elle a d’abord besoin de voir Anaïs. Leur soirée de papotages entre filles a tourné court la vieille, elle veut remettre ça, elle en a besoin.

Elle se confiera à sa meilleure amie, qui saura la conseiller, elle en est persuadée.

Délila reste devant la fenêtre jusqu’au lever du soleil, qu’il lui est impossible de regarder. Alors, quand il fait son apparition, elle ferme les volets et tire sur le grand rideau noir pour qu’aucun rayon ne filtre dans la pièce. Elle enfile sa tenue pour dormir en se demandant si Sullivan est déjà couché, puis elle se réprimande. Pourquoi penser à lui ? Eh bien, c’est parce qu’il lui a laissé libre accès à son esprit et qu’elle a ressenti ses émotions. Il n’aurait pas dû, mais au moins elle sait qu’il souffre, même si pour le moment, cela ne l’adoucit en rien.

La jeune femme se glisse dans les draps en se demandant combien de temps elle va encore devoir rester ici. Ça aussi, elle en discutera avec Anaïs. Elle veut rentrer chez elle et reprendre sa vie. Malheureusement, les rédacteurs ne travaillent pas de nuit au Journal de Montréal.

 

 

 

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