Chapitre 8

 

 

 

Délila se regarde dans le miroir de la salle de bain, mais elle ne se voit pas – un effet de sa nouvelle condition. Les vampires n’ont pas de reflet. C’est dur de se regarder sans se voir, c’est comme si… elle n’existait pas.

Que verrait-elle si elle pouvait voir son visage ?

Ses yeux sont cernés, car elle a très mal dormi cette journée à cause du bruit au second étage. Elle imagine que les ouvriers ont entrepris de terminer les rénovations. C’est bien sa chance ! Elle qui pensait qu’un vampire avait un sommeil de plomb !

Elle se passe un dernier coup de brosse dans les cheveux sans savoir à quoi elle ressemble.

La jeune femme enfile une veste davantage par habitude que par nécessité et sort de la pièce, percevant tout de suite la présence de Sulli dans le couloir.

–    Tu sors ? demande-t-il.

–    Je passe la soirée chez Anaïs.

Pour une fois, elle ne ment pas. Elle a appelé son amie un peu plus tôt pour lui faire part de son besoin de se confier et elles ont convenu de se retrouver chez Anaïs. Ainsi, elles ne risquent pas d’être dérangées par Bastian, et Claude est encore au travail pour une réunion avec la direction.

–    Encore ? J’aurais aimé que tu restes et qu’on discute.

Encore, effectivement. C’est l’excuse qu’elle lui invente tous les soirs avant de disparaître jusqu’au petit matin. Comment réagirait-il si elle parlait de Bastian ? Le pauvre vampire risquerait de se faire tuer à cause d’elle, et des maudites lois vampiriques.

–    Je n’ai pas envie de rester, se contente-t-elle de répondre avant de s’engager dans l’escalier.

–    Il faut que je te parle de nos lois.

–    Ça ne m’intéresse pas !

–    Délila ! peste-t-il en lui emboîtant le pas. Tu es une vampire à présent et tu dois connaître nos lois.

La jeune femme s’arrête et fait volte-face pour se retrouver devant Sulli.

–    Je connais la plus importante : je t’appartiens et celui qui m’approche de près ou de loin risque la mort.

–    Qui t’en a parlé ?

–    Bastian. Quand tu étais parti avant… enfin, tu vois.

–    Pourquoi t’a-t-il dit un truc pareil ? aboie-t-il.

–    Je n’en sais rien, je…

–    Qu’est-ce qui s’est passé avec lui en mon absence ? exige-t-il de savoir.

–    Rien du tout ! Et arrête de me crier dessus !

–    C’est lui que tu retrouves tous les soirs ? rage-t-il en serrant les poings.

Rassemblant tout le courage dont elle est capable, Délila lui ment avec autant de conviction qu’elle le peut :

–    Bien sûr que non !

Sulli desserre ses poings, pose ses paumes sur la rambarde, essayant de se remettre, de retrouver un souffle dont il n’a pas besoin…

–    C’est bon ? J’ai le droit de sortir ? peste-t-elle comme une adolescente en pleine rébellion.

Sulli reste immobile un instant avant de lever les yeux sur elle, qui lui paraît trop agitée pour être innocente. Il ignore si elle dit la vérité et n’arrive pas à pénétrer son esprit pour s’en assurer. D’ailleurs, il l’a remarqué depuis quelques jours, c’était de plus en plus difficile de lire en elle. Maintenant, c’est impossible. Elle maîtrise l’accès à son esprit, et il est certain d’une chose : elle ne peut pas l’avoir appris seule, ni avec une humaine. Il a donc vu juste : elle voit Bastian en secret et il l’éduque à sa place.

Il ne compte pas se laisser prendre pour un imbécile plus longtemps.

–    Je t’accompagne.

–    Quoi ?

–    Ça me fera du bien de prendre l’air.

Délila hausse les yeux au ciel, remerciant sa bonne étoile d’avoir réellement rendez-vous avec Anaïs. Sinon, elle était bonne pour une nuit d’explications et de cris.

Sans attendre le vampire, elle sort de la demeure et marche jusqu’au portail. Quand il arrive à sa hauteur, elle le questionne :

–    Ça te va le bus, ou tu veux qu’on appelle un taxi ?

–    On va marcher.

Elle soupire de mécontentement.

Sullivan lui tend son bras, qu’elle accepte après quelques minutes en comprenant qu’ils ne bougeront pas d’ici autrement. Ils regagnent rapidement les rues éclairées de Montréal où le vampire se laisse guider, ignorant où vit l’amie de sa compagne.

–    On dirait que je ne suis pas sorti depuis une éternité, lance-t-il.

–    Je n’y suis pour rien si tu te terres au château.

–    Tu es juste la raison de ma déprime.

La jeune femme ne répond pas, refusant de s’engager dans cette conversation. Soudain, son téléphone sonne. Elle pense alors à Anaïs qui aurait un empêchement et lâche le bras de Sulli pour prendre l’objet dans sa poche. Elle prend soin de cacher le cadran au vampire et heureusement, car ce n’est pas Anaïs mais Bastian. Elle ne peut pas décrocher sinon son partenaire comprendrait rapidement qui est au bout de la ligne et aussi qu’elle lui ment impunément depuis plusieurs jours. Elle refuse donc l’appel, sa seule solution, puis remet le téléphone dans sa veste avant de prendre à nouveau le bras du vampire.

–    Qui était-ce ?

–    Le bureau. Mais comme tu le sais, je ne peux plus aller bosser.

Le vampire n’y croit pas. Le Journal où elle travaillait n’aurait pas appelé si tard, surtout sachant qu’elle n’y va plus depuis des semaines. Il pense plutôt que c’était son nouvel ennemi : Bastian.

–    Elle habite où ta copine ?

–    À deux rues d’ici, ne t’inquiète pas, ce n’est plus très loin.

Il esquisse un sourire. Un vampire ne ressent pas la fatigue et peut marcher durant des heures, des jours… sans jamais s’arrêter.

–    Tu sais quand même qu’on peut marcher éternellement si l’on veut.

–    Ouais, tu as raison, je n’ai pas mal aux pieds dans mes bottes.

Il sourit de bon cœur, content de voir qu’elle arrive à être heureuse malgré la situation qu’elle déteste.

–    Tu peux continuer à travailler de chez moi, j’ai mis internet, je te donnerai le code d’accès.

–    C’est gentil, mais tu sais que j’ai le mien et que…

–    Tu n’as plus besoin de ton appartement, dit-il en s’arrêtant.

Il se tourne vers elle et pose ses mains sur ses épaules comme il noie son regard dans ses prunelles.

–    Il ne t’apporte que des dépenses inutiles. Rends tes clés à ta propriétaire et installe-toi chez moi… chez nous. Tu pourras y travailler. On aménagera un bureau pour toi, et tu auras tout ce dont tu as besoin. C’est possible de travailler à distance, non ?

–    Oui, répond-elle, étonnée par sa demande.

Jamais il n’avait été aussi explicite. Il veut sincèrement d’elle chez lui et il est prêt à tout lui offrir pour qu’elle s’y sente bien.

–    Alors c’est faisable. Tu pourras recevoir ton amie et tous les autres qui te feront plaisir, on est équipé pour les humains.

Elle ne s’attendait pas à ce qu’il lui fasse cette proposition, il le réalise et compte jouer sur l’effet de surprise. Il doit se battre pour elle s’il ne veut pas la perdre. Et il ne le veut pas.

–    Ça serait un bon début, tu ne crois pas ?

Elle l’ignore. Elle vit déjà chez lui alors c’est vrai qu’elle n’a pas besoin de payer pour un appartement ailleurs. De plus, il lui propose un bureau équipé pour son travail, c’est un plus. Toutefois, elle a envie de rentrer chez elle, envie de pouvoir y retrouver Bastian toutes les nuits. Il faut qu’elle réfléchisse avant de répondre.

–    Je peux te répondre plus tard ? J’ai besoin d’y réfléchir.

–    Bien sûr, accepte-t-il en laissant tomber ses mains, ressentant une once d’échec.

Elle n’acceptera pas. Il en est certain. Si elle veut du temps, c’est pour en parler à Bastian, et si, comme il le pense depuis qu’il est revenu, il a des vues sur sa compagne, alors il ne lui conseillera pas d’accepter, mais bien de reprendre sa liberté.

–    Je vais être en retard si on ne se dépêche pas, lance Délila avant de se remettre en marche.

Sullivan la suit de près, sans pour autant la toucher. Elle lui semble distante à présent. Sans doute l’effet de sa demande.

Après quelques mètres parcourus parmi une foule d’humains, ils se retrouvent dans une rue attenante absolument déserte.

–    C’est quoi cette route ?

–    C’est plus rapide en passant par là.

–    Ce n’est parce que tu es une vampire que tu es invulnérable, d’autant que je te rappelle que tu n’as pas appris à te servir de tes pouvoirs.

En même temps que les mots sortent de sa bouche, il a la sensation qu’ils sonnent faux. Bien sûr qu’elle a dû apprendre à s’en servir – elle pourrait même l’épater –, mais pas auprès de lui.

Il est en train de détester celui qui fut son ami depuis tant de décennies.

–    Il y a des vampires, murmure-t-il en lui empoignant le bras pour la tirer près de lui.

–    Quoi ?

Délila pense tout de suite à Bastian, qui viendrait chercher des explications. Elle n’a pas répondu à son appel, et ne l’a même pas prévenu qu’elle irait chez Anaïs ce soir. Il doit s’imaginer un tas de choses désagréables et cela ne va rien présager de bon.

–    Nous ne sommes pas seuls, répond Sulli en la gardant au plus près de lui.

Il recule, l’entraînant dans son sillage, en scrutant les environs, quand il se heurte à quelque chose ou quelqu’un. Il pivote alors pour regarder derrière lui.

Narcisse.

Abasourdi, Sullivan ne prononce aucun mot. Il saisit la main de Délila, s’apprêtant à s’en aller par l’autre côté, mais quand il tourne la tête, il constate que Narcisse n’est pas seul.

Josephte et Rosalie sont là aussi.

Il n’a d’ailleurs pas oublié la trahison de cette dernière.

Narcisse, vêtu en femme, rejoint les filles.

–    Tu as transformé ton humaine, constate Rosalie.

Délila est pétrifiée devant les trois vampires pour qui elle n’a jamais éprouvé de sympathie, même si l’une des femelles lui a sauvé la vie lors d’une traque de Sullivan. Toutefois, sur le moment, elle est persuadée que son agresseur passé est son meilleur allié. Tout en lâchant sa main, elle se cache derrière lui et attrape son téléphone dans sa veste.

–    Qu’est-ce que vous fichez ici ? aboie Sulli.

–    On se promène, se moque Narcisse.

Ce dernier ne s’amusait pas autant la dernière fois qu’il a croisé son chemin. Au contraire, il n’osait ni le regarder dans les yeux, ni exprimer son mécontentement. Il était pétrifié devant lui, terrorisé en sachant de quoi il était capable. Les choses ont bien changé !

–    Je vous conseille de dégager…

–    Sinon quoi ? intervient Rosalie, menaçante.

Délila appuie sur Bastian dans sa liste de contacts, et quand celui-ci décroche, elle éternue aussi fort que possible pour que personne n’entende le « allo » prononcé. Elle laisse le portable allumé pour que son interlocuteur entende ce qui se déroule et comprenne qu’elle est en danger.

–    Pourquoi tu te caches, femelle ? la questionne Rosalie.

De peur qu’elle ne découvre son stratagème, Délila glisse le téléphone dans sa poche. Toutefois, elle ne répond pas, se contentant de chercher la main de Sulli pour sentir du réconfort.

–    Laisse-la ! prévient Sulli, rageur.

–    Nous ne sommes pas ici par hasard, explique Rosalie, un sourire narquois sur les lèvres. Lilith m’a fait part de la mort de ton humaine. Tuée par Bastian… Quelle tragédie ! Elle n’y a pas cru et moi non plus. Je vois que nous avions raison !

–    Elle a eu ce qu’elle voulait alors qu’elle me fiche la paix à présent ! crache Sulli en serrant la main de Délila dans la sienne.

–    Pas tout à fait, pouffe Rosalie. Tu n’as pas le droit d’être heureux…

–    Il ne l’est pas ! le défend Délila après avoir rassemblé son courage.

Elle n’est plus humaine, mais en cet instant, elle se sent comme telle, terrorisée devant les trois vampires qui les menacent. Mais elle ne doit pas le montrer si elle veut avoir une chance de survivre dans ce monde cruel.

La brunette rit, mais pas de bon cœur. Ce rire a plutôt quelque chose de diabolique qui fait regretter à Délila d’avoir ouvert la bouche.

–    Pauvre petite chose, tu es terrifiée et tu joues la grande.

Les doigts de Sulli se resserrent sur ceux de Délila, qui a beau ne pas pouvoir ressentir la douleur, elle éprouve un malaise à ce niveau et, en comprenant que le vampire bout de rage, elle réalise que rien de bon ne va en découler.

Sullivan lâche la main de sa compagne avant de bondir sur Rosalie, qui ne l’a pas vu venir et n’a pas eu le temps de parer l’attaque. Elle tombe à la renverse, s’écrasant violemment sur le sol sans ressentir la moindre douleur.

Sulli serre sa gorge, désirant la faire taire, la punir pour le manque de respect dont elle fait preuve envers la femelle qu’il aime, mais il est tiré en arrière par Narcisse et, quand il reprend ses esprits, il voit que Jose détient Délila.

 

 

 

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