Chapitre 11

 

 

 

Ne faisant que tourner dans son lit, Délila se lève sous les coups de quinze heures et s’installe sur le canapé du salon avec son téléphone.

Encore perturbée par la récente révélation, elle ne désire qu’une chose : discuter avec Anaïs. Elle la cherche alors dans sa courte liste de contacts et attend qu’elle décroche.

–    Délila ?

–    Oui. J’ai besoin de te voir.

–    Passe ce soir chez moi.

Délila est soulagée, elle va pouvoir se confier sur le chaos qu’est devenue sa vie. Elle n’a pas eu beaucoup le loisir de converser avec sa meilleure amie depuis qu’elle est morte. Elle déglutit à cette pensée.

–    Délila, tout va bien ?

–    Non, justement, rien ne va ! Claude sera-t-il là ? J’aimerais aussi parler boulot.

–    Je m’arrangerai pour rentrer avant lui, comme ça on aura un moment à nous. Ensuite, quand il sera présent, on parlera travail. Tu veux revenir bosser ?

Si seulement elle le pouvait !

Réalisant son erreur, Anaïs reformule sa phrase :

–    Tu veux que Claude t’envoie des articles à rédiger ?

–    J’ignore quoi faire, je ne pourrais plus réaliser de reportage.

–    Peut-être la nuit…

–    Appelle-moi quand tu seras chez toi, réclame Délila, coupant ainsi court à la conversation.

Elle sait très bien qu’elle ne pourra pas reprendre son travail comme avant et n’a pas envie d’en discuter pour le moment. Elle préfère le faire le soir, en présence de son patron.

–    Très bien.

–    Euh… Anaïs ? Est-ce que Claude me déteste ?

–    Bien sûr que non !

–    Il sait pourtant ce que je suis.

–    Ne t’en fais pas. Il n’y a que Drew qui n’arrive pas à comprendre comment tu as pu te laisser embarquer dans une histoire avec un vampire. Mais je vais le travailler au corps !

Délila entend son amie sourire, et fait de même.

–    Pour ma défense, je ne connaissais pas la nature de Sulli quand je suis tombée amoureuse de lui.

–    Je sais. Bon, à ce soir…

–    Oui.

Quand elle coupe la communication, elle se rend compte que Bastian est dans la pièce, les yeux rivés sur elle. La jeune femme n’arrive toutefois pas à savoir s’il est en colère.

–    J’irai voir Anaïs ce soir.

–    Je t’accompagnerai.

Elle hoche la tête, espérant qu’il ne reste pas une fois sur place, sinon elle ne risque pas de se confier.

–    Tu veux reprendre ton boulot ?

–    J’aimerais beaucoup, répond-elle en constatant qu’il a dû entendre toute sa conversation.

–    Dormir le jour, bosser la nuit… Quand prendras-tu soin de toi ? demande-t-il en la rejoignant sur le canapé.

–    Je n’aime pas rester à ne rien faire et j’ai besoin d’argent pour payer les factures.

Ce qui n’est pas tout à fait vrai, elle pourrait accepter la proposition de Sullivan et s’installer définitivement au château. Mais elle ignore s’il le permettra une fois qu’il saura qu’il n’est plus lié à elle. Refusant d’y songer, elle chasse ces pensées.

–    Délila, tu te fais du souci pour trop de choses. Tu réagis en humaine, dit-il en saisissant ses mains. Un vampire ne pense qu’à son intérêt, il…

–    Arrête, s’il te plaît ! le coupe-t-elle.

–    Qu’est-ce que tu as ? Je te sens différente.

Bastian la regarde, l’air suspicieux. Il aimerait beaucoup pouvoir lire en elle en cet instant, mais elle lui bloque parfaitement l’accès à son esprit.

–    Je suis fatiguée et… je ne veux pas être une vampire !

–    Accepte-toi, Délila, c’est…

–    Ferme-la ! exige-t-elle en se levant du canapé.

La jeune femme va directement dans la salle de bain où elle se glisse sous une douche, refusant de penser ou de réfléchir. Elle souhaite juste rester elle-même, même si elle a perdu son humanité. Elle ne comprend pas pourquoi Bastian veut qu’elle réagisse et réfléchisse comme son espèce. C’est quelque chose qu’elle refuse catégoriquement.

 

Bastian ne reconnaît plus celle qu’il avait devant lui il y a encore deux minutes. Elle est totalement différente de ce qu’elle devrait être. Elle est… humaine. Il ne comprend pas ses réactions, ne les a d’ailleurs jamais comprises, mais depuis sa transformation, c’est pire encore ! Il s’attendait à ce qu’elle raisonne comme lui, comme un vampire, mais elle garde sa part d’humanité, ce qui est pour le moins étrange...

De plus, il n’est pas idiot et a bien remarqué qu’elle n’a pas beaucoup dormi aujourd’hui. Il sait aussi que c’est lié à leur découverte de la veille. Il ignore comment elle le vit, il pensait que ce serait une bonne nouvelle pour elle. En théorie, c’en est une puisqu’elle ne mourra pas quand Sulli ne pourra plus la nourrir, et inversement, mais elle ne semble pas en être satisfaite. À moins qu’il se fasse des idées, mais il ne le pense pas.

Peut-être a-t-elle seulement besoin de le réaliser ? Après tout, avec ses maudites réactions d’humaines, ce serait plausible.

Il sait comment ôter le doute qui subsiste dans son esprit. Il se rend à la salle de bain à son tour et se déshabille en regardant la jeune femme sous le jet de pluie. Il l’a toujours trouvée très belle, mais là encore plus qu’avant. Ses cheveux ont légèrement foncé, ce qui lui va à ravir ; son teint n’a pas blêmi, il est juste parfait, comme tout son corps.

Il ouvre la porte de la douche avant de se glisser dans la cabine avec elle, caressant ses hanches pour lui faire savoir qu’il est là. Elle a deux solutions : soit elle le met dehors ou sort elle-même, soit elle accepte ce qu’il lui propose, à savoir un moment d’intimité.

Quand il emprisonne ses lèvres et qu’elle se laisse faire, il comprend qu’il se fait des idées. Elle n’est pas perturbée parce que la réalité la dérange, seulement parce qu’elle réagit comme le ferait une humaine.

Il presse son corps contre le sien sous cette pluie d’eau, la plaque contre la paroi tout en embrassant ses lèvres, caressant sa langue. Il la désire plus que tout, et maintenant qu’elle est à sa portée, c’est quelque chose d’enivrant. Il a envie d’elle… envie d’en faire sa compagne, mais il sait toutefois qu’il vaut mieux attendre avant de le lui proposer. D’autant que c’est un engagement très sérieux et dangereux entre deux vampires. Ils ne pourront se nourrir que l’un de l’autre. Délila aura toujours Sulli comme alternative, mais rien n’est certain qu’il accepte, et lui n’a plus de créatrice. Ce serait presque suicidaire de se lier officiellement à la nouvelle-née.

 

Sulli n’a pas réussi à dormir aujourd’hui, il était bien trop sur les nerfs de savoir que Délila n’était pas au château. Elle se trouve chez elle, et il suppose qu’elle n’y est pas seule. Cette idée le met dans tous ses états. Elle est sa compagne et il ne supporte pas de la savoir avec un autre mâle. De plus, tout lui laisse à penser qu’elle est avec Bastian. À moins qu’il ne se trompe lourdement, ce qu’il espère, bien qu’il en doute.

Il est prêt à passer la porte, n’attend plus que le soleil se couche pour aller découvrir ce qu’il se passe dans l’appartement de Délila. Il a bien essayé de l’appeler plusieurs fois, mais il tombe sur son répondeur, à croire qu’elle a éteint son téléphone pour être tranquille. Il rage à cette simple idée.

Le vampire reste impassible, fixant le réveil de sa chambre, assis sur son lit… attendant l’heure où il pourra enfin quitter sa prison.

Son désir se réalise deux heures trente plus tard, lorsque le soleil est couché. Plus rien ne l’empêche de parcourir les rues de la ville pour se rendre chez Délila.

 

Alors que Délila vient de finir de se préparer pour retrouver Anaïs, ayant bien précisé à Bastian qu’elle ne voulait pas qu’il reste avec elles, on frappe à sa porte. Aussitôt, elle pose son regard terrifié sur son amant, pensant tout de suite aux représailles des deux vampires, et peut-être même de Lilith.

C’est un vampire, l’informe-t-il dans son esprit.

Elle déglutit en s’approchant de la porte pour regarder dans le judas, sursaute lorsqu’on frappe à nouveau et reprend son courage en main pour observer l’inopportun.

Sulli.

Elle se tourne vivement vers Bastian et lui demande mentalement de s’en aller, lui expliquant qui est derrière la porte.

Il reste immobile en la fixant, ne voulant pas la laisser seule avec le vampire, mais elle insiste, préférant qu’il ne soit pas là quand elle annoncera la vérité à Sulli.

Croyant en elle, il cède et s’en va par la fenêtre de la chambre.

Soulagée, Délila ouvre la porte, mais non sans peur. Elle ignore ce qu’il vient faire ici et l’imagine furieux qu’elle n’ait pas passé la journée chez lui.

Sans un mot, le vampire pénètre à l’intérieur, regardant autour de lui comme s’il cherchait quelque chose ou quelqu’un, alors que Délila ferme la porte, se sentant coupable.

–    Où est-il ?

–    Qui donc ? demande-t-elle, feignant de ne pas comprendre.

–    Bastian, soupire-t-il en la fixant. Je sens son odeur.

–    Tu l’as mis dehors, alors je lui ai proposé de s’installer ici.

–    Je vois.

Sullivan scrute l’intérieur de Délila à la recherche d’éléments de réponse. Mais il ne trouve rien, tout est bien rangé.

–    Pourquoi es-tu là ? J’allais partir chez Anaïs.

–    Vraiment ? ricane-t-il. Tu la vois souvent ces derniers temps !

Délila comprend qu’il ne la croit pas. Sait-il qu’elle venait retrouver Bastian ici toutes les nuits ?

–    Que se passe-t-il ici ?

La jeune femme fait quelques pas pour se retrouver dans le salon, où elle s’assoit sur le canapé avant de l’inviter à faire de même. Elle souhaite une discussion cordiale et inanimée.

Sullivan peste, mais s’assoit finalement auprès d’elle.

–    J’ai un aveu à te faire, annonce-t-elle difficilement.

–    Tu couches avec lui, l’accuse-t-il d’emblée.

–    Sulli, je t’en prie ! C’est important !

Le vampire ne dit plus rien, constatant qu’elle n’a toutefois pas démenti l’accusation, bouillonnant de rage.

–    J’ai réalisé quelque chose hier soir…

Elle se tait rapidement, se demandant s’il est judicieux de lui en faire part alors qu’elle ignore elle-même comment elle doit réagir. Il serait peut-être plus sage d’attendre.

–    Eh bien ! la presse-t-il.

–    J’ai besoin d’entraînement, ment-elle.

–    Comment ça ? questionne-t-il moins sur les nerfs.

–    Je veux pouvoir me défendre contre les deux vampires.

–    Rosalie et Narcisse ?

Elle acquiesce d’un hochement de tête, contente d’avoir réussi à l’emmener sur un autre terrain.

–    Je t’aiderai.

–    Merci.

–    Pourquoi ne demandes-tu pas à Bastian ?

Elle grimace en l’entendant prononcer son nom. Elle ne veut pas parler de lui ou de la relation qui les unit.

–    Sulli, souffle-t-elle en prenant sa main dans la sienne, complètement retournée par ce simple contact, Bastian et moi on est amis, promet-elle avec conviction, et il a déjà essayé de m’apprendre, mais…

–    À fermer ton esprit aussi, j’imagine.

–    Il a dit que c’était important.

–    Et il a raison.

Elle esquisse un sourire en constatant qu’il s’est radouci et qu’elle va pouvoir discuter cordialement avec lui.

–    Mais pour le reste… je n’y arrive pas.

–    Je t’aiderai, assure-t-il.

Il caresse le dos de sa main, désirant se rapprocher d’elle qui lui manque énormément, davantage maintenant qu’il sait qu’il ne se passe rien avec le vampire habitant les lieux.

–    Je dérange ? demande Bastian avec un peu d’agacement.

Délila retire instantanément sa main de celle de Sulli, pestant intérieurement.

–    Je me suis dit que c’était injuste et lâche de ma part de te laisser tout lui dire seule, explique Bastian à Délila qui pâlit.

Tu aurais dû me laisser faire !

Je préfère être là.

Tu ne comprends pas ! J’aurais pu gérer, le gérer ! Avec toi ici…

Elle se tait, ne trouvant plus ses mots, incapable de prévoir la suite des événements, et les redoutant davantage.

Pendant leur échange mental, Sulli comprend. Bastian et Délila ne sont pas à se fixer dans une guerre du regard, mais bien en grande discussion. Et si cela est possible, c’est parce qu’ils ont échangé leur sang. Là, par contre, il ne comprend plus, cela devrait normalement être impossible.

–    Arrêtez ça tout de suite ! ordonne Sulli en bondissant sur ses jambes. Dites ce que vous avez à dire devant moi !

–    Mais…

–    Traîtresse ! la rabroue Sulli alors que Délila tentait de lui mentir. Que se passe-t-il ? exige-t-il de savoir.

Alors que la jeune femme baisse les yeux pour ne pas affronter son regard, Bastian confirme ses craintes :

–    Elle me reprochait d’être intervenu. Mais je ne veux pas la laisser seule avec toi, pas avec ce qu’elle a à te dire.

–    Mentalement, crache-t-il.

–    Nous nous sommes nourris l’un de l’autre, explique Bastian alors que Délila le maudit intérieurement.

Sulli ne répond pas, il serre les poings jusqu’à ce que ses articulations blanchissent, et fixe Délila qui fuit son regard.

–    Regarde-moi, exige-t-il.

La jeune femme lève des yeux en larmes sur son créateur, qui comprend alors que c’est vrai, ne souhaitant plus qu’elle le lui confirme. Il est anéanti, mais dans la totale incompréhension.

Le cœur de Délila se serre dans sa poitrine, même si c’est plus un réflexe humain que la réalité. Elle ne voulait pas qu’il sache, pas avant qu’elle ait pris une décision.

–    Comment… ? articule-t-il difficilement en fixant la jeune femme, sans éprouver la moindre compassion pour son mal-être.

En voyant que Délila ne répond pas, Bastian lui explique :

–    Ta compagne était humaine et elle est morte.

Sullivan reporte son attention sur le vampire, comprenant où il veut en venir sans même qu’il le lui dise. Il était lié à une humaine, pas à une vampire. La mort de Délila a brisé ce lien. Il n’existe plus, et c’est pourquoi elle a pu s’abreuver d’un autre. Il le pourra aussi.

Il déteste l’idée. Comment ne pas perdre Délila si plus rien ne la raccroche à lui ?

–    En dehors de la nourrir, que fais-tu ? peste le vampire, rageur.

Délila pose ses yeux sur Bastian, le suppliant intérieurement de ne rien révéler sur leur relation, mais lui pense que c’est mieux que Sulli sache. Ainsi tout sera clair, ils n’auront plus à se cacher et pourront envisager l’avenir.

–    Je lui fais l’amour, répond Bastian.

Une seconde plus tard, sans qu’aucun d’eux ne l’ait vu venir, Sulli met son poing dans la figure du vampire, alors que Délila, en larmes, ignore comment réagir.

Le vampire qui se fait attaquer ne souhaite pas se rebeller et engendrer un combat dans le salon de sa petite amie, parce que c’est ce qu’elle vient de devenir, maintenant que les non-dits ont été levés. 

Sullivan s’écarte rapidement de Bastian, refusant de laisser libre court à la violence qui l’habite en cet instant. Pas ici. Pas devant une femelle.

Celle que jamais plus il ne pourra appeler : sa compagne.

Telle une bourrasque, il quitte l’appartement. Ravagé par le chagrin, mais pire… il se sent trahi par la femme qu’il aime. Elle s’est jouée de lui, n’a pas été honnête avec lui.

Jamais il ne lui pardonnera.

 

 

 

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