Bastian regarde Délila qui ne cesse de pleurer, incapable de savoir ce qui lui fait aussi mal, parce qu’il imagine qu’elle réagit encore comme une humaine.
Le téléphone de la jeune femme sonne aussitôt. Voyant qu’elle n’émet aucun mouvement pour s’en emparer, il le fait.
– Allo ?
Il a vu que c’était Anaïs et imagine qu’elle s’impatiente de ne pas voir son amie arriver.
– Je…
– C’est Bastian, Délila ne peut pas te répondre.
– Ah ! Elle vient quand même ?
– Je ne sais pas. Il s’est passé…
– Mon Dieu ! Elle va bien ? s’inquiète-t-elle sans le laisser finir.
– Je l’ignore, répond-il en posant ses yeux sur la jeune femme anéantie. Peut-être que tu devrais venir.
– J’arrive.
Bastian repose le téléphone et s’assoit auprès de Délila.
– Anaïs va venir te voir. Je… suis désolé.
– Pff.
– C’est mieux qu’il sache, assure-t-il.
Elle ignore s’il a raison, pour le moment elle ne parvient pas à réfléchir. Mais le reproche qu’elle a vu dans les yeux de Sulli lui a glacé le sang, il s’est senti trahi. Et il a raison. Elle aurait pu être honnête avec lui, sachant que ce qu’elle faisait en privée était mal.
Bastian fixe la jeune femme, de nouveau ahuri par sa réaction. Si elle se décidait à agir comme une vampire, cela serait bien plus simple. Elle serait, à l’heure actuelle, réjouie par la tournure des évènements, se sentirait libre. D’ailleurs, elle aurait annoncé son changement de vie à son créateur depuis bien longtemps.
Au lieu d’une femme qui sait ce qu’elle veut et qui l’assume, il se retrouve avec une geignarde aux réactions horripilantes.
Il soupire d’exaspération et, quand on frappe à la porte, il fait entrer Anaïs avant d’aller prendre l’air, priant pour que Délila perde réellement son humanité, ce à quoi elle semble décidée à s’accrocher malgré sa nature. Il n’a jamais vu un vampire s’attacher autant à sa part humaine, au contraire, c’est bien mieux de prendre ses décisions en fonction de soi et non plus des autres.
– Délila ?
Lorsque celle-ci entend la voix de sa meilleure amie, elle l’appelle. Anaïs la rejoint aussitôt au salon.
– Oh… qu’est-ce qu’il t’arrive ? demande-t-elle avant de s’asseoir dans le canapé, prenant son amie dans ses bras pour la réconforter.
Pendant de très longues minutes, Délila ne dit rien, se contentant de pleurer à chaudes larmes. Puis elle se redresse et se confie à sa meilleure amie.
D’abord sur sa nature, qu’elle refuse d’accepter, et sur son humanité à laquelle elle s’accroche. Ensuite, elle lui parle de Bastian et de la relation qu’ils entretiennent, qui est magique, intense… même si parfois, elle le sait, il ne la comprend pas, voulant qu’elle soit vampire à part entière. Pour finir, elle lui fait part du lien qui l’unissait à Sulli et qui s’est brisé à sa mort, de sa possibilité de se nourrir sur qui elle veut…
– C’est plutôt une bonne nouvelle, l’encourage Anaïs.
– Sulli le sait aussi. En fait, il sait tout. Il était fou de rage.
– C’est pour ça que tu pleures ? Parce que Sulli a découvert la vérité ?
Elle acquiesce. Elle lui précise qu’elle ne voulait pas qu’il l’apprenne, pas encore du moins, et surtout pas par Bastian.
– Que veux-tu réellement ?
Délila ignore quoi répondre. Ce qu’elle veut, elle ne l’aura jamais plus.
Devant son silence, Anaïs reformule sa question :
– Avec qui veux-tu vraiment être ?
La jeune femme ouvre la bouche pour répondre, mais aucun mot ne sort… Elle réalise alors qu’elle n’en a pas la moindre idée.
– J’en veux beaucoup à Sulli, avoue-t-elle, c’est à cause de lui si je suis comme ça.
– Mais tu l’aimes toujours, pas vrai ?
– Il n’a jamais essayé de me changer. Je veux dire… Bastian voudrait que je réagisse comme une vampire, ce que je refuse plus que tout. C’est dur de rester humaine, mais je ne veux pas qu’il en soit autrement.
– Je te comprends.
Sans peur, Anaïs la prend à nouveau dans ses bras. Elle étreint une vampire, elle le sait, mais pour elle, son amie est toujours la même personne, elle ne décèle aucun changement intérieur. Juste ses cheveux et sa beauté parfaite, en ce qui concerne son apparence.
– Je crois que tu dois rester telle que tu es, Délila, et reprendre ta vie en main. Tu te sentiras mieux après.
– Pff… deux vampires veulent ma mort et les chasseurs ne me laisseront pas en paix.
– C’est quoi cette histoire de vampires qui veulent ta mort ?
La jeune femme s’écarte de l’étreinte réconfortante de son amie pour lui raconter en détail ce qu’il s’est passé le soir où elle se rendait chez elle. La mort d’une vampire se nommant Josephte. Et la rage dans les yeux de l’autre, Rosalie, amie de Lilith si elle a bien compris ses propos.
– Eh bien ! Ta vie ne commence pas des plus calmement, mais tu dois pouvoir gérer ça… je veux dire avec tes pouvoirs.
– Je suis rapide et plus forte, acquiesce-t-elle, mais ça ne m’intéresse pas d’en user. Je veux juste oublier tout ça et m’occuper l’esprit.
Anaïs n’est pas persuadée que c’est la meilleure solution, mais elle pense que Délila a besoin de temps pour s’adapter, pour savoir ce qu’elle veut…
– J’aimerais reprendre le travail.
– Tu sais quoi ? Tu viendras chez moi demain et on en parlera avec Claude.
– D’accord.
– Je suis sûre qu’il aura une idée. Et si tu veux, je peux inviter Drew à prendre un café.
– Il m’en veut toujours ?
– Je lui ai raconté ton histoire, et il a du mal à comprendre que tu aies pu rester avec ce type en sachant ce qu’il t’a fait subir et surtout sa nature.
Comment pourrait-il comprendre ? Il sait qu’elle s’est fait traquer et marquer par un vampire, qu’elle était terrorisée en découvrant la vérité… alors cela doit être inconcevable pour lui qu’elle soit restée auprès de la créature de la nuit.
Ce serait à refaire, elle ignore comment elle agirait. Peut-être que pour son bien, et surtout sa survie, elle s’éloignerait de lui.
– Je l’aimais avant de savoir, se défend Délila.
– Je lui ai dit. Ça ne change rien, mais peut-être que si tu lui expliquais…
– Non. Drew déteste les vampires, et il a raison, c’est moi l’idiote dans l’histoire, à m’entourer d’eux. Maintenant, je suis la proie d’autres, encore bien plus forts que moi.
– Tu devrais prendre des vacances, t’éloigner de tes deux soupirants et réfléchir.
– Où ça ? demande-t-elle en esquissant un sourire. Une croisière au soleil ?
– Je pensais plutôt à quelque chose comme une randonnée en traîneau en Alaska.
Les deux filles éclatent de rire.
L’Alaska, c’est bien vu, il fait plus souvent nuit que jour. D’ailleurs, en y réfléchissant, Délila imagine qu’un grand nombre de vampires doit y vivre.
– Je vais rester un moment avec toi, décide Anaïs.
– Rentre retrouver Claude. Bastian ne devrait plus tarder et j’ai à parler avec lui.
– Tu es sûre ?
– Oui. Ça ira, promis.
– Que vas-tu faire de lui ?
Délila hausse les épaules, l’ignorant encore, se sentant réellement perdue.
– Je crois que ça dépendra de ce qu’il dira.
– Et Sulli ?
– Sulli a besoin de se calmer, réplique-t-elle en repensant à la rage qui l’animait lorsqu’il a quitté les lieux.
– On se voit demain alors, rappelle Anaïs en se levant.
– Oui, promet son amie en la raccompagnant à la porte.
Elles s’étreignent amicalement, puis Anaïs s’en va, laissant Délila seule. En refermant la porte, cette dernière pense qu’une protection comme celle dont lui parlait Antoine Tringle aurait été la bienvenue. Aucun vampire, et surtout pas Lilith, n’aurait pu entrer chez elle sans invitation.
Elle fait quelques pas dans la pièce à vivre, essayant de rassembler ses pensées, de savoir ce qu’elle veut… Elle n’est certaine que d’une chose : elle ne veut pas être ce qu’elle est. Elle ne veut pas laisser gagner la vampire en elle, pas tant qu’il subsistera une once d’humanité.
Elle fait volte-face quand elle entend la porte s’ouvrir.
Bastian entre, les yeux rivés sur elle.
– J’ai attendu que ta copine parte pour revenir. Tu vas mieux ?
– Oui, répond-elle en constatant qu’il ne semble pas mal à l’aise.
Il le devrait pourtant, il a quand même jeté la vérité à la figure de Sulli malgré sa désapprobation et ses supplications. Mais il se présente à elle comme si de rien n’était. Sans doute est-ce une attitude typiquement vampire.
Ne rien ressentir, juste penser à soi.
– On doit parler ou tout est clair ?
– Tu aurais dû me laisser faire, mais je te l’ai déjà dit et je n’ai pas envie de revenir là-dessus, ça ne changera rien.
– Moi, par contre, j’aimerais savoir quelque chose.
Délila plante son regard dans le sien, se demandant à quoi il pense. C’est pourtant bien lui qui a brisé sa relation avec son créateur, parce qu’après cela, elle n’est pas certaine qu’il accepte de la voir à nouveau.
– Avais-tu réellement l’intention de lui parler de nous ?
Non, elle ne l’avait pas, désirant d’abord savoir où elle en est. Apprendre que leur lien est caduc lui a fait un choc, car elle pensait vraiment être liée à lui pour l'éternité. Mais comment réagirait-il si elle le lui disait?
– C’est ce que j’allais faire, en douceur, avant que tu ne débarques.
– Donc tu m’en veux ?
– Non, soupire-t-elle. De toute façon, on ne peut plus revenir en arrière.
– Sulli sait, et je crois que peu importe la manière dont il l’a appris, le résultat est le même. Il est sorti de ta vie, c’est bien ce que tu voulais.
Elle garde le silence. Le voulait-elle ?
– Délila ?
Elle en veut terriblement à Sullivan, mais n’avait pas pour autant envie de le faire souffrir ainsi.
– Oui, affirme-t-elle néanmoins.
– Alors tout est clair, mon cœur.
Le vampire s’approche de la jeune femme pour l’étreindre amoureusement.
Après plusieurs minutes, elle lui annonce avoir rendez-vous avec son patron demain soir chez Anaïs pour parler de sa future vie professionnelle.
– Tu ne pourras pas reprendre ton travail comme avant, mais si tu écris de chez toi, ce sera possible et gérable. Je te promets de t’aider.
Elle esquisse un sourire. Quel progrès ! Lui qui était contre la veille encore.
– En fait, tu sais quoi… ? Tu devrais te mettre à écrire une histoire que ton patron publierait toutes les semaines dans son journal, ce serait pas mal.
– Oui, acquiesce-t-elle bien qu’elle n’ait jamais pensé à se lancer dans l’écriture d’un roman.
– Ton histoire ferait une superbe fiction.
Elle le regarde en y réfléchissant. C’est peut-être justement le fait de mettre ce qu’elle a vécu sur papier, de le nommer, qui lui donnera la force de réussir à le surmonter.
– Merci, dit-elle avant de se blottir contre lui.
Il l’enlace avec plaisir, déposant un baiser sur le sommet de son crâne. Il aimerait lui confier tout le bien qu’il pense d’elle et ce qu’il ressent quand il est en sa présence, mais il préfère se taire, sentant qu’elle lui briserait le cœur s’il lui dévoilait ses sentiments maintenant.
Elle est égarée, elle se cherche… et il en est parfaitement conscient. Il compte bien l’aider à se trouver, mais sans la perdre.
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