Chapitre 22

 

 

 

La nuit suivante, profitant du fait que Bastian soit sorti pour chasser, Délila va voir Lilith, ignorant les évènements de la veille. Elle a délibérément refusé d’accompagner le vampire car elle veut discuter avec la démone.

Elle désire encore un peu de son élixir magique.

La jeune femme passe la grille du château, puis la porte sans encombre. Elle reste toutefois dans le hall et appelle celle qu’elle est venue voir.

Aucune réponse.

Elle recommence.

–    Lilith ?

C’est Sulli qui apparaît dans les escaliers.

Elle se sent toute chose, mais refuse d’y donner du crédit ou d’y prêter attention.

–    Je suis venue pour voir Lilith, dit-elle.

Le vampire garde d’abord le silence, ne souhaitant pas lui révéler la vérité sur la démone, désirant s’en tenir à son histoire inventée : son retour dans son pays.

–    Pourquoi ? demande-t-il après un moment.

Délila imagine que si elle veut pouvoir discuter avec celle qu’elle est venue voir, elle devra en expliquer les raisons à Sulli, qui veut sans doute protéger sa… Elle se demande comment elle doit l’appeler. A-t-il fait d’elle sa compagne ?

–    Elle a une solution pour que je supporte le soleil et je voudrais qu’elle me donne d’autres…

–    Tu as bu son sang pour supporter le soleil !? s’ahurit-il.

–    Il était ensorcelé, précise-t-elle, mais oui, et je voudrais qu’elle m’en donne encore.

–    Te rends-tu compte de ce que tu fais ? s’écrie-t-il, inquiet à son sujet.

–    Je veux juste la voir, alors dis-lui que je suis là.

–    Elle n’est pas ici.

–    Où est-elle ? Tu as son numéro pour que je puisse la joindre ?

–    Pff ! Ne me dis pas que tu la vois comme une sauveuse !

–    En quelque sorte.

Sulli serre les poings. C’est impossible qu’elle puisse penser ainsi. Elle a sans doute besoin d’une piqure de rappel.

–    C’est à cause d’elle que tu es devenue une vampire, c’est à cause d’elle qu’on n’est plus ensemble…

–    Non, de toi, le coupe-t-elle.

–    Elle nous a brisés, peste-t-il. Et toi, tu la vois comme le messie !

–    Tu n’as aucune leçon à me faire ! Tu es retournée avec elle malgré tout ça ! crache-t-elle.

–    Ah, c’est ce que tu crois ? Que je me suis remis avec ce monstre ? Comment as-tu pu penser ça, après tout ce qu’elle nous a fait !

Délila réalise qu’elle a eu tort de tirer cette conclusion, mais c’est bien ce que Lilith lui a dit ; en plus, quand elle est venue récupérer ses affaires, elle les a vus ensemble.

Sulli descend les dernières marches et s’avance jusqu’à se retrouver proche de Délila, la désirant ardemment, mais la sachant inaccessible.

–    Elle a débarqué ici en m’annonçant sa rengaine habituelle : elle voulait s’en prendre à toi. Cette fois, parce que tu étais responsable de la mort de Jose, et encore et toujours parce que tu étais avec moi. J’ai bien essayé de lui expliquer notre nouvelle situation, mais elle n’a rien voulu savoir.

–    Elle ne m’a rien fait, s’étonne Délila qui ne comprend pas où il veut en venir.

–    Forcément que non puisque j’ai, comme qui dirait, conclu un accord avec elle.

–    Qui est… ?

–    Ce n’est pas important.

–    Tu as commencé, Sulli, alors tu finis !

–    Elle te laisserait tranquille si je me remettais avec elle, et avec le sourire, ce que j’ai eu beaucoup de mal à faire.

–    Tu étais avec elle pour me protéger ?

Il acquiesce d’un hochement de tête, avant de lui expliquer la manière que Lilith a employée pour briser le lien qui les unissait, en le vidant de son sang pour qu’il ne puisse plus communiquer avec elle. Elle est écœurée, mais comprend maintenant pourquoi elle n’arrivait pas à lui parler et se heurtait à un mur.

Lancé, le vampire se confie à elle sur les derniers jours cauchemardesques qu’il a passés avec Lilith, sur les horreurs qu’elle lui faisait subir pour le rendre docile et pour qu’il la satisfasse. Quand il se tait, Délila laisse couler ses larmes, réalisant qu’il a enduré ce que la démone lui infligeait dans le seul but de la protéger, elle.

–    Pour moi ? murmure-t-elle.

–    Parce que je t’aime plus que tout, souffle-t-il en essuyant du bout des doigts les larmes qui roulent sur ses joues.

Elle pose sa main par-dessus la sienne avant d’entremêler ses doigts aux siens.

–    Elle a compris et elle est partie ?

–    Non. Elle se moquait bien de ce que je pouvais ressentir, elle ne se serait jamais arrêté, j’ai dû… j’ai saisi ma seule chance.

–    Tu l’as tuée ? comprend-elle.

–    Elle m’a brisé, confie-t-il.

Délila se blottit contre lui, le serrant fort, alors qu’il referme ses bras autour d’elle. Il vient de lui donner, là, la plus belle de toutes les preuves d’amour. Délila réalise que Lilith n’était qu’une briseuse de couple, comme d’individu. Elle s’en est prise à elle, à Sulli… à eux.

Après plusieurs minutes, la jeune femme lève la tête pour regarder le vampire qui semble abattu, délivré, mais épuisé. Il va même jusqu’à lui confier qu’il souhaitait mourir tant il avait mal, et qu’il pleurait quand il était sous la douche. Jamais il ne s’était ouvert à quiconque de cette façon et il ne regrette pas de se laisser aller avec elle.

–    Je t’aime Délila, souffle-t-il.

Elle retire ses mains de ses hanches pour les poser sur son visage et caresser les quelques centimètres de peau que sa barbe ne recouvre pas.

–    Faudra penser à te raser.

Il esquisse un sourire, les yeux brillants de larmes.

–    C’est terminé maintenant, assure-t-elle. Elle ne reviendra plus pas vrai ?

–    Je crois que non.

La jeune femme caresse encore son visage de ses deux mains, pressant son corps contre le sien, réalisant à cet instant qu’elle ne lui en veut plus pour tout ce qu’elle a traversé, pour son état. Elle n’a envie que d’une chose : lui. D’ailleurs, aussitôt que cette réflexion s’est frayé un chemin dans son crâne, elle pose ses lèvres sur les siennes pour lui donner un baiser à la fois doux et exigeant, laissant ses mains glisser le long de son visage, de son cou, de son torse…

Sulli la plaque contre lui avec force, la désirant comme jamais, voulant qu’elle lui appartienne à nouveau, mais pas décidé à souffrir encore une fois.

Lilith l’a brisé, Délila pourrait le guérir ou l’achever.

–    S’il te plaît, souffle-t-il en la repoussant.

–    Je suis désolée, bafouille-t-elle, encore ivre de son baiser.

–    Je t’assure que ça va, mais… je te veux, Délila, et si tu n’es pas prête à revenir vers moi, il ne vaut mieux pas qu’on aille plus loin.

Il la lâche, la laissant pantelante sans le savoir, et tourne les talons pour monter à l’étage.

–    Que fais-tu ? s’étonne-t-elle.

Il y a encore deux secondes, elle était dans ses bras, et là, il la plante littéralement.

–    Je m’apprêtais à partir quand tu es arrivée. Pour tout le monde, Lilith est rentrée et j’ai vendu le château.

–    Tu as quoi ? s’exclame-t-elle.

–    J’ai vendu. Je déménage.

Délila le regarde faire volte-face et disparaître au second escalier. Elle n’arrive pas à réaliser qu’il ait pu se débarrasser de ce château, il y tenait pourtant tellement. Mais ces derniers jours qu’il a passés ici avec Lilith ont dû le dégoûter à jamais de l’endroit et elle ne peut que le comprendre.

Elle s’assoit sur les premières marches et attend qu’il redescende. Elle veut savoir ce qu’il va faire et où il compte vivre désormais.

Malgré elle, elle repense au baiser qu’ils ont échangé et qu’elle a aimé. Elle l’aime toujours, maintenant elle le sait.

Sulli finit par apparaître dans l’escalier, deux gros sacs de voyage à la main, apparemment étonné qu’elle soit toujours ici.

–    Je te croyais partie.

–    J’avais envie de savoir où tu vas aller.

–    J’ai acheté un appartement en ville aujourd’hui.

–    Ah oui ?

–    Sur le net, sur photos et meublé. C’est ce que je cherchais pour recommencer à vivre.

–    Je suis contente, répond-elle en baissant les yeux.

Elle ment évidemment. Bien sûr, elle est ravie qu’il ait trouvé quelque chose si vite, mais pas qu’il tourne la page, car c’est exactement la sensation qu’elle a : il tourne la page.

–    Il y a tellement de choses dont j’aurais voulu parler avec toi.

–    Comme quoi ? s’enquiert-il en descendant les dernières marches.

Il pose ses sacs à terre et ses yeux sur elle.

–    Les chasseurs sont morts.

–    Comment ? demande-t-il en haussant un sourcil suspicieux.

Elle lui raconte sa soirée après avoir quitté le château, sa peur de Lilith et la bêtise qu’elle a faite en appelant Antoine Tringle à la rescousse.

Sulli l’écoute avec attention, ne l’interrompant pas une seule fois. Jusqu’à découvrir avec horreur qu’elle a failli se faire violer – ce qu’elle n’a pas confié à Bastian – et comment Lilith lui a sauvé la vie.

–    C’est la seule chose de bien qu’elle ait fait dans sa vie, concède-t-il. Je suis content que tu sois débarrassée des chasseurs.

–    Moi aussi.

–    Il est temps que je parte, je devrais déjà avoir quitté les lieux.

–    Oh, bien sûr.

Il reprend ses sacs en main et sort du château après elle, fermant ensuite la porte à clé ; clé qu’il glisse dans la boîte aux lettres une fois la grille passée.

–    Je te souhaite… une bonne continuation, articule-t-il avec difficultés à la jeune femme qu’il aime.

–    Sulli, je…

Le vampire pose ses yeux sur elle, désirant savoir ce qu’elle a à lui dire, mais elle se reprend et n’ajoute rien. Il l’aime, il le lui a dit, mais il la veut pleinement, ce qu’elle n’est pas sûre de pouvoir lui donner, haïssant toujours ce qu’elle est devenue à cause de lui. Elle éprouve les mêmes sentiments à son égard, mais ignore si elle est capable de lui pardonner ce qu’il lui a fait, de renoncer à Bastian pour lui… Il faudrait qu’elle réfléchisse à ce qu’elle veut, mais elle ne risque pas d’y parvenir auprès de lui, encore moins s’il part et si elle ignore où le trouver.

–    Tu as toujours le même numéro ? dit-elle à la place de lui demander où il s’installe.

–    Non. J’ai détruit mon téléphone, n’en pouvant plus des appels de Illeana.

–    Pourquoi ? l’interroge-t-elle, surprise que la mère de Lilith ait tenté de le joindre.

–    J’imagine que son époux est mort, puisqu’il était lié à la vie de sa fille. Tout comme j’imagine qu’elle va débarquer ici pour me harceler. Je préfère qu’elle ne me trouve pas.

–    Tu n’as plus de créateur, comprend-elle.

–    Je m’en passerai très bien. Fais-moi plaisir, ne reste pas là.

Elle acquiesce d’un hochement de tête alors qu’il s’en va. Elle le regarde marcher dans la nuit, puis disparaître au détour de la rue. Incapable de savoir si elle le reverra un jour.

Après plusieurs minutes, elle quitte l’endroit, ne désirant pas non plus se retrouver face à Illeana. Un dernier coup d’œil au château, et c’est une page qui se tourne…

 

 

 

customer73262 Jimenez <customer73262@librairiedialogues.fr>