Quand le soleil est couché, Délila quitte le lit pour se glisser sous la douche, Sulli à ses côtés. Pour ne pas mettre fin aux dernières volutes de passion si vite, les amants comblent leurs désirs sous le jet d’eau froide.
Délila est encore en proie à Sulli quand ils se vêtissent, mais elle sait qu’elle doit le laisser s’en aller pour prendre de l’avance sur la démone, qui se lancera sans le moindre doute à sa poursuite quand elle saura.
Ils se préparent dans le silence, sachant l’un comme l’autre que la fin est proche. La fin de leurs vies liées.
D’ailleurs, quand la nouvelle-née est prête, elle ne prend pas la peine de parler, se contentant de déposer un baiser sur les lèvres de l’homme qu’elle aime. Le dernier. Au fond d’elle, elle sait que c’est la dernière fois qu’elle le voit. Il partira sans retour et elle se tournera vers une autre vie.
Après le départ de Délila, Sulli se hâte, sans laisser place à la réflexion. Il ne prend aucune de ses affaires, seulement une grosse malle vide, gagnant l’aéroport où il compte prendre le premier vol long-courrier qui atterrira en pleine nuit, dissimulé dans sa seule valise.
Il part avec la certitude que Délila obtiendra ce qu’elle veut, connaissant les pouvoirs illimités d’Illeana ainsi que sa droiture et sa loyauté. Sa protégée ne risquera rien de la démone, il en est convaincu.
Alors il s'en va, léger, apaisé, sans aucun regret. Sauf peut-être celui de ne pas avoir su la convaincre qu’être une vampire est quelque chose de merveilleux et non d’abominable comme elle semble le percevoir. Il ignore ce qu’il adviendra de Bastian dans la vie de Délila, mais il pense qu’elle l’en sortira, comme elle l’a indirectement fait avec lui.
Cette simple pensée le réconforte. Il n’aurait pas aimé que son rival gagne le cœur de la belle. Sa belle…
Délila ne repasse pas par chez elle et se rend directement au château. Elle est seule. Elle en profite pour marcher un peu, réfléchir à sa future vie. Que fera-t-elle quand elle aura retrouvé sa condition d’humaine ? La retrouvera-t-elle au moins ? Illeana pourrait exiger d’elle la peau de Sulli. Vouloir se venger et ne pas se satisfaire d’un vampire absent. Alors, elle se met à douter.
– Je suis contente de vous voir, dit Illeana, la faisant sursauter. Oh, ne vous effrayez pas, ce n’est que moi.
Délila esquisse un sourire forcé, tentant d’être naturelle, de ne pas lui montrer son inquiétude.
– Avez-vous ce que je vous ai demandé ?
La jeune femme garde le silence quelques secondes avant de lui donner sa réponse :
– Oui.
Illeana sourit de bon cœur en l’invitant à lui raconter ce qu’elle sait. Délila s’exécute et relate l’histoire de la mort de Lilith, sans parler du rôle de Bastian. Inutile de le mettre en danger parce qu’il a aidé Sulli à se débarrasser du corps.
Quand elle a terminé, la démone réclame à voir l’endroit où ont été enterrées les cendres de sa fille.
Délila l’y conduit en marchant lentement, répondant aux questions de son interlocutrice sur la relation qu’elle entretient – ou plutôt entretenait – avec Sulli. Elle se confie en quelque sorte, n’imaginant pas que cela puisse lui nuire, d’autant qu’elle a mis un terme à tout et que le vampire est parti, ce qu’elle ne manque pas de lui faire savoir.
– C’est ici, dit-elle en désignant l’endroit tout en s’immobilisant.
Paumes tendues vers le sol, Illeana se concentre pour sentir la présence des cendres de sa fille.
– Je la perçois.
– Vous arriverez à…
– Reformer son corps ? finit Illeana. Oui.
Et effectivement, elle le fait. Délila est abasourdie de voir les particules sortir de la terre pour reconstruire le corps de Lilith. Cela confirme bien l’étendue des pouvoirs de l’immortelle qui se tient devant elle. Ils sont sans limites.
– J’aimerais que ni vous ni Lilith ne pourchassiez Sulli. Il a assez souffert, vous savez. Il mérite d’être en paix.
– Je vous l’accorde.
Une fois de plus, cette démone surprend Délila. Elle est si gentille, à moins que cela ne soit calculé et qu’elle ne lui rende pas son humanité, choisissant la liberté de Sulli à sa nature à elle.
Quand le corps de Lilith est totalement reconstruit, Illeana le laisse se poser sur la terre et caresse le visage de sa fille.
– Est-elle vivante ? se risque à demander Délila.
– Non. Je lui rendrai la vie en Transylvanie, auprès de mon époux. Je veux être là quand il ouvrira les yeux.
Elle caresse encore un instant le visage de la demoiselle, belle même dans la mort, avant de poser son regard sur Délila.
– Nous avons un accord. Si vous le voulez toujours, je fais de vous une humaine.
– Je le désire plus que tout.
Illeana s’ouvre alors le poignet grâce à la magie et demande à la jeune femme de boire son sang. Pendant que la vampire obéit, la démone prononce des mots en latin, puis elle lui retire son poignet.
Délila tombe sur le sol rocailleux et se tord sous les spasmes de douleur qui lui dévore les entrailles.
– La transition sera très douloureuse, la prévient Illeana, mais un peu tard.
Elle s’abaisse pour se retrouver plus près de la jeune femme et lui caresse les cheveux telle une mère alors que Délila souffre atrocement. La démone lui murmure des encouragements et reste avec elle durant plus de deux heures. Quand la douleur qui vrillait Délila commence enfin à devenir soutenable, Illeana propose de la raccompagner chez elle.
– Je vais me débrouiller, assure Délila en essayant de se redresser.
– Laissez-moi vous aider, dit Illeana avant de la soutenir.
Incapable de faire deux pas, pliée en deux de douleur, la jeune femme se rassoit et attend plusieurs heures auprès de la démone que son corps accepte enfin de la soutenir.
Illeana lui parle alors de sa vie d’immortelle et de Sulli, passage que préfère Délila. Elle lui raconte comment s’est déroulé son dernier séjour en Transylvanie, ce qui confirme les dires du vampire. Il avait bien été manipulé.
La démone fait léviter le corps de sa fille qui la suit tout en aidant Délila à marcher jusqu’à chez elle, les ayant rendues invisibles aux yeux des passants.
– Je vais rentrer seule, réclame Délila en arrivant au pied de l’immeuble où elle vit.
– Prenez soin de vous, ma chère.
– Je vous remercie, Illeana. Grâce à vous…
– Allons, c’est inutile, la coupe-t-elle, vous m’avez rendu ma fille et je vous ai remercié à ma manière.
Délila sourit à la démone avant de lui tourner le dos pour entrer dans l’immeuble. Elle pivote ensuite pour la regarder une dernière fois, mais elle a déjà disparu.
Difficilement, elle monte à son appartement où, elle le sait, Bastian l’attend. Ils n’ont pas discuté depuis qu’il est intervenu chez Drew, elle imagine qu’il aura des choses à lui dire, d’autant qu’elle a découché la nuit dernière. Il lui faudra sans doute une explication, à moins qu’il n’ait su d’instinct où elle était.
En poussant la porte de chez elle, elle tombe effectivement sur le vampire, mais ne peut pas assumer d’avoir une discussion houleuse avec lui. Elle a mal dans chaque parcelle de son corps, même si c’est supportable, et son cœur se tord en elle.
Sans un mot et après un regard, elle va se réfugier dans sa chambre où elle s’allonge sur son lit, se recroquevillant, attendant que la douleur passe.
Bastian reste planté au milieu de la pièce à vivre après que Délila lui ait, une nouvelle fois, fermé la porte de sa chambre. Il ne sait pas ce qu’il se passe réellement, mais imagine que c’est lié à Sulli. Il est persuadé qu’elle a passé la journée avec lui, même s’il n’a pas osé vérifier où lui poser la question. L’odeur de son rival ne flottait pas autour d’elle, mais elle a très bien pu prendre une douche avant de rentrer.
Il la sait malheureuse à cause des mensonges de son ami Drew et de la sorcière. Elle croyait vraiment pouvoir redevenir une humaine. Bastian n’ignore pas à quel point elle s’accroche à cet espoir, il sait aussi que personne ne réalisera son souhait et qu’il serait temps qu’elle l’accepte.
Peut-il seulement l’y aider ? Est-il la bonne personne ? Ne serait-ce pas mieux qu’il s’efface pour rendre sa place à Sulli ?
Alors qu’il est en pleine réflexion, Délila pousse un hurlement. Sans attendre, il accourt à la chambre où il voit la jeune femme se tordre de douleur sur le lit. Tout de suite, il pense à la fin, elle ne s’est pas nourrie depuis plusieurs jours et a en plus donné son sang à son rival il y a deux nuits.
– Qu’est-ce que tu as ? demande-t-il en s’asseyant sur le lit, auprès d’elle.
– J’ai soif…
Cela confirme la conclusion à laquelle il était arrivé. Il lui tend alors son poignet, imaginant qu’elle n’ait pas envie de se nourrir à sa gorge. Mais elle le repousse.
– Tu préfères la gorge, comprend-il.
– Donne-moi de l’eau.
Abasourdi par sa demande, Bastian est persuadé d’avoir mal compris, mais elle insiste, alors il lui rappelle les effets indésirables de n’importe quelle boisson sur un vampire.
– De l’eau ! exige-t-elle.
Il obéit, préférant ne pas la mettre davantage en colère contre lui, espérant pouvoir recoller les morceaux avec elle, même s’il doute sincèrement que cela soit encore possible. Elle est amoureuse de Sulli, il l’a toujours su, et cela va lui exploser au visage.
Bastian lui donne alors un grand verre d’eau fraîche, bien que très sceptique.
Délila le saisit et le vide d’une traite, assoiffée, comme si elle n’avait rien bu depuis des jours.
– Tu te sens mieux ? questionne-t-il en reprenant le verre qu’il pose ensuite sur la table de chevet.
– Je dois dormir.
Le vampire n’effectue aucun mouvement, s’attendant à ce qu’elle se torde de douleur sous l’effet du liquide dans son organisme, mais rien ne se passe. Il ne comprend pas.
– Laisse-moi, réclame-t-elle en lui tournant le dos.
Il quitte alors la pièce avec tristesse, persuadé que leur relation a pris fin avant même qu’il le réalise. Il est amoureux d’une femme qu’il ne comprend pas et qui en aime un autre. Il le sait maintenant.
Que doit-il faire ? Attendre la journée suivante et discuter d’avenir avec elle, ou s’en aller sans se retourner, sans souffrir ? Il aimerait s’éloigner maintenant, disparaître… mais a bien trop peur des non-dits. Il ne veut pas vivre son éternité en se posant des questions sur la décision qu’il aura prise. Il va donc attendre un peu et discutera avec elle.
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