Chapitre 32

 

 

 

Deux mois plus tard, Délila emménage dans sa nouvelle maison, aidée par Anaïs, Drew et Claude.

L’endroit est calme, à la sortie de Montréal, pas trop loin du Journal, et l’arrêt de bus est juste au bout de la rue.

–    C’est le dernier carton, l’informe Drew en le posant sur l’herbe, à côté de la boite aux lettres.

Il ferme les portes arrière de la camionnette alors que Délila le remercie en regardant la maison qu’elle vient d’acheter. Elle n’est pas de grand luxe, elle est simplement jolie et agréable, accueillante…

Elle a les trois chambres qu’elle voulait, une cuisine équipée, un grand salon, un bureau et une salle de bain plus grande que la normale, sans compter la cave et le terrain qui l’entoure.

–    Tu seras bien ici, assure Drew en posant ses deux mains sur ses épaules.

–    Je crois aussi.

Elle s’est beaucoup rapprochée de l’homme qui se tient derrière elle. Mis à part Anaïs et Claude, il est le seul en qui elle peut avoir confiance, le seul qui sait ce qu’il s’est passé dans sa vie. Ce qu’elle appelle : la période sombre.

Elle est honnête avec lui et apprécie sa compagnie, même si elle le voit davantage comme un ami. Il aimerait plus, elle en est certaine, mais elle ne peut pas franchir le pas. Pas maintenant.

–    Il me semble que je vais avoir du boulot ! soupire-t-elle.

–    Je vais t’aider, et les tourtereaux aussi si on ne les laisse pas seuls trop longtemps.

Elle sourit alors qu’il attrape le carton posé sur l’herbe.

Les deux amis pénètrent dans la maison. Anaïs est dans la cuisine en train de vider les cartons, et Claude installe le meuble de la télévision avant que Drew ne le rejoigne.

–    J’adore ta maison ! se réjouit Anaïs. Je veux la même !

–    Quand est-ce que vous vous décidez à acheter ?

–    Je n’en sais rien. Je vais le pousser ! rit-elle.

L’installation de Délila se poursuit jusque tard le soir. Après le départ de ses trois amis, elle se retrouve seule chez elle.

Installée sur son canapé, elle repense à sa vie qui a grandement changé en deux mois. Elle a acheté une maison, repris son travail, et s’est même inscrite sur un site de rencontres, mais sans succès… Elle commence à croire que Drew a raison, que c’est faux. Elle a bien eu des demandes, mais elle a davantage l’impression que les hommes recherchent « un plan cul » plutôt qu’une histoire sérieuse.

Puis elle repense au jour où sa vie est redevenue comme avant, plus précisément au soir où, après avoir bu trois verres avec Drew et Anaïs, elle est rentrée chez elle, dans un appartement vide. Le départ de Bastian a été très dur à vivre pour elle, même si elle en est à l’origine. Elle était sincèrement éprise de lui, pas comme elle l’était de Sulli cela dit, néanmoins il avait de l’importance à ses yeux. Elle a mis les deux hommes qu’elle aime hors de sa vie, et aujourd’hui, elle se retrouve seule. Toutefois, elle ne regrette rien.

Elle se sent bien, elle aime son existence.

 

Le lendemain, Délila accueille à nouveau ses amis dans sa maison en désordre. Claude et Drew s’occupent de poursuivre le montage des meubles alors qu’avec Anaïs les remplit. Soudain, elle se plaint de douleurs abdominales.

–    Depuis quand n’as-tu rien mangé ? la questionne Anaïs en lui tendant un verre d’eau.

–    J’ai déjeuné, répond Délila avant d’avaler le liquide. C’est Claude qui m’a porté la poisse avec cette histoire de cancer. Il ne pouvait pas inventer autre chose !

–    Tu es malade ? s’inquiète soudainement Anaïs.

–    Non, la rassure aussitôt Délila, je plaisantais, c’est tout.

Mais plus les jours passent et plus elle se plaint de vertiges, de douleurs, de fatigue… alors elle est traînée par sa meilleure amie au cabinet médical.

Délila rouspète en y entrant, pendant le rendez-vous et même quand elle en sort, exaspérant Anaïs.

–    Tu ne prends pas ta santé à cœur ! lui reproche son amie. Tu ne te rends même pas compte de la chance que tu as d’être encore en vie !

–    Bien sûr que je le sais.

–    Alors soit un peu plus inquiète !

–    Tu l’es pour deux.

Anaïs ne répond plus rien et serre sa confidente dans ses bras.

–    C’est juste la fatigue à cause du déménagement, assure Délila.

Son amie ne répond rien, n’ayant pas la même certitude qu’elle. Elle s’inquiète parce qu’elle est du genre à croire au mauvais présage, et le fait que Claude ait dit à tout le Journal que Délila avait un cancer la laisse penser que cela ne lui portera pas chance. D’ailleurs, elle était totalement contre ce mensonge.

 

Au bureau, la journaliste se sent bien, dans son élément. Elle est heureuse, malgré la fatigue qui la tenaille ces derniers temps. Bien sûr, Sulli lui manque et Bastian aussi. Elle aurait aimé garder les vampires dans sa vie, mais c’était totalement impossible, incompatible avec la voie qu’elle a choisie. De plus, elle aurait dû choisir, et elle sait déjà qu’elle aurait brisé l’un d’eux. Elle sait aussi sur lequel se serait porté son choix : sur Sulli.

Elle tente de repousser ces pensées qui lui font du mal et se concentre dans la rédaction de son dernier chapitre. Elle continue à fournir un chapitre par semaine au Journal et elle rédige le dernier. Le point final à sa vie fantastique. Elle opte pour la vérité et conclut avec son héroïne qui redevient humaine et savoure son existence. Sans doute aura-t-elle des enfants avec un homme merveilleux…

Anaïs entre dans son bureau dès qu’elle a apposé le point final. C’est aussi à cet instant que la sonnerie de son téléphone portable retentit.

–    Tu es occupée, constate Anaïs en s’asseyant sur le fauteuil face à son amie.

–    Je fais vite, réplique-t-elle en décrochant au numéro inconnu.

Elle ne savait pas à quoi s’attendre en décrochant, espérant sans cesse que ce soit Sulli ou Bastian. Mais ce n’est jamais le cas. Cette fois encore, cela n’échappe pas à la règle, c’est le laboratoire. Anaïs l’ignore jusqu’à ce que Délila demande à son interlocuteur s’il a ses résultats. Là, elle comprend que c’est l’appel attendu. En voyant le visage de son amie se décomposer, elle s’inquiète.

–    Vous êtes sûr ? questionne Délila. Il n’y a aucune erreur possible ?

Anaïs déglutit, tentant de rester forte pour sa confidente, chassant ses mauvaises pensées.

Dès que Délila raccroche, Anaïs s’assure qu’elle va bien.

–    Je crois, bafouille-t-elle.

–    Qu’a dit le labo ? Je vais mourir si tu ne me dis rien !

Ce qui est sans doute vrai, Délila ne l’a jamais vue aussi stressé.

–    Pas de cancer, la rassure-t-elle. Je…

Elle voit son amie soupirer d’aise et esquisse un sourire.

–    … je… c’est aberrant. Je suis enceinte.

–    Oh ! Je ne savais pas que tu étais allée si loin avec Drew.

–    Ah ! Très drôle ! peste Délila. Je n’ai pas eu de rapport avec lui, et je n’en ai pas eu non plus avec un autre depuis que je suis redevenue humaine.

–    Tu déconnes ?

–    Non, assure-t-elle. Je… je ne comprends pas.

Et c’est vrai. Elle n’arrive pas à réaliser comment cela peut-être possible. La seule explication plausible à son sens, c’est que le laboratoire ait inversé ses résultats avec ceux d’une autre femme, mais l’homme qu’elle a eu au téléphone lui a assuré que non. Alors, une idée totalement saugrenue lui traverse l’esprit : Sulli l’a mise enceinte. Mais comment un vampire peut-il féconder une vampire ? C’est impossible, elle le sait.

–    Qui était ton dernier amant ?

–    Sulli.

–    Ah, tu as… mais tu étais avec Bastian !

Délila la fixe, lui faisant bien comprendre qu’elle ne veut rien entendre à ce sujet. Alors son amie n’ajoute rien.

–    Longtemps avant que Illeana te transforme ?

La journaliste y réfléchit. Longtemps ? Non, la journée avant le rendez-vous. Quelques heures à peine avant sa transformation.

–    Quelques heures.

–    Je vais te dire un truc complètement ahurissant.

Tout ouïe, Délila l’écoute.

–    Quand toi et lui avez… j’imagine qu’il a joui en toi et que comme tous bons nageurs ses spermatozoïdes se sont rués à ton ovule.

–    Je n’avais pas d’ovule.

–    Oui, mais ils ne le savaient pas.

–    Admettons.

–    Ensuite, la vie a repris dans ton corps, donc si tu étais en ovulation quand Sulli t’a tuée, tu l’es redevenue à cet instant, et l’un de ses nageurs t’a fécondée.

–    Son sperme est censé être mort.

–    Ton corps a repris vie, peut-être que la magie d’Illeana a redonné vie à tout ce qui était en toi, ses nageurs y compris.

Délila ne répond rien mais réfléchit à la théorie abracadabrante de son amie. Elle pourrait avoir raison, et dans ce cas elle porterait l’enfant de Sulli. En fait… elle a raison, c’est même sans doute la seule explication à son état. Elle est enceinte de Sulli.

–    Je n’ai jamais pensé que… ouah !

–    Tu vas le rappeler ? s’intéresse Anaïs.

–    Je n’ai même pas son numéro.

–    Un moyen de le trouver peut-être ?

–    Non. Ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas d’une vie avec un vampire.

–    Tu es sérieuse ? Même en portant son enfant ?

–    Oui, affirme-t-elle. Et je te demanderai de ne jamais rien révéler de ce que tu sais.

–    Alors qui t’a fait un môme ?

Délila ne répond pas. Elle l’ignore.

–    Tu comptes avorter ? s’ahurit Anaïs.

–    Non ! On… on dira que j’ai couché un soir avec un inconnu et c’est tout.

Elle se met à caresser son ventre, encore incapable de réaliser pleinement ce qu’il se passe et à quel point sa vie va changer. Elle aurait bien besoin de parler avec Illeana, mais n’a aucun moyen de la joindre.

 

 

 

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