Sur le plateau de Fiskbakki, aux confins de l’Ulsfeld et de l’Ortmark, s’étendait un lac sur les rives duquel s’alanguissaient quelques villages de pêcheurs. Alimenté par plusieurs sources de la rive ortmarkee, il se déversait à l’horizon de l’Ours dans un affluent de la Laxao. De tous temps les filles des villages ortmarki avaient demandé leurs hommes parmi les Ulsfeldi, et inversement vu leurs frères et leurs cousins appelés par des Ulsfeldeeï. Dans les eaux froides du lac prospéraient les ombles, les lavarets et les poissons-chiens en nombre suffisant pour nourrir tous les riverains et entretenir leurs échanges, après séchage. La renommée de leurs fumaisons était telle qu’on les servait aux banquets des deux hartli, et même de leurs voisins.
Or, il advint que Resnar s’avisa que la partie du lac située sur sa commanderie occupait une superficie supérieure à celle bordée par le territoire de Jörm. Cette constatation lui inspira d’exiger un écot des pêcheurs ortmarki, lesquels ignorèrent superbement cette prétention et continuèrent à mouiller leurs lignes et jeter leurs filets où bon leur semblait, comme ils en avaient l’habitude. Le lac se couvrit bientôt de barques armées, qui leur interdirent l’accès aux eaux profondes. Jörm envoya à son tour des soldats, pour protéger les intérêts de ses assujettis. La pêche se trouva gravement perturbée de part et d’autre. Les villages qui, jusqu’alors, avaient vécu dans la concorde s’en tinrent mutuellement rigueur.
Chercher querelle à son voisin de l’Aigle était le seul moyen que Resnar avait trouvé pour faire pièce à son gendre, lequel commençait à lui reprocher le ventre resté plat de Sölwi, comme s’il lui avait fourgué une denrée avariée. Prouver qu’il pouvait lui aussi agrandir son territoire, se gaver des revenus de deux commanderies et, profitant de ce que Jörm se montrait réfractaire à la Vraie Doctrine, se présenter à son tour comme un de ses champions devait, dans son esprit, lui valoir un peu plus de ménagements de la part du heyr.
Jörm avait tout de suite saisi que l’enjeu de la querelle dépassait de beaucoup quelques caques de poisson séché. Pacifique, négociateur adroit, il avait su se tenir à l’écart de la guerre, notamment en se montrant tolérant envers les prédicants pour ne pas fournir un prétexte à Slegur de lui chercher noise. Mais il n’était pas naïf au point de croire qu’il échapperait éternellement à la malice de Gorth.
Et l’heure avait sonné.
Sans grand espoir, il dépêcha une ambassade au Dàstrand pour demander un soutien. Et, le deuil au cœur, il mit son armée sur le pied de guerre. Sa réputation l’exigeait. Quand le premier sang coula sur les eaux du lac, ses troupes prirent le chemin de la frontière.
La rencontre se tint au lieudit Silunghof. Jörm, à vrai dire, fut surpris de ne pas avoir à affronter une troupe plus fournie. Dégagé, le terrain autorisait un déploiement classique, piétons au centre, cavaliers sur les ailes. Les hérauts échangèrent les proclamations d’usage. Aucun des deux chefs de bataille n’accepta de se reconnaître vaincu. Le combat s’engagea.
La Chronique n’aurait pas consacré plus d’une ligne à cette escarmouche, si elle n’avait consacré l’usage d’une innovation appelée à se développer. Comme d’autres, Jörm avait équipé ses troupes d’une dotation de poudre fusante. Pourtant, il ne riposta aux salves de traits fusants par lesquelles les agresseurs engagèrent les hostilités que par des pluies de flèches. L’incapacité des Ortmarki à répliquer au feu par le feu renforça les officiers de Resnar dans leur sentiment de supériorité.
Or, les premières lignes étaient à peine entrées en contact que les rangs des Ortmarki s’ouvrirent pour livrer passage à quatre cavaliers isolés. Emportés par leur élan, ils s’enfoncèrent de quelques toises dans les rangs ennemis. L’un d’eux portait un homme en croupe. Personne n’y prit garde. Les soldats étaient trop affairés à tenter de cerner les bardaghi afin de les tirer à bas de leurs montures. Mais ceux-ci jouèrent si bien de leur sabre qu’ils se dégagèrent. Ils retournèrent vivement d’où ils étaient venus, laissant les piétons ébahis par cette tactique : d’habitude, quand les cavaliers chargeaient, c’était en nombre, pour créer une brèche dans laquelle, espéraient-ils, leurs soldats s’engouffreraient ; pas pour un aller-retour rapide qui n’avait pas entraîné de conséquences.
C’est alors qu’ils s’avisèrent que le cinquième homme ne les avait pas accompagnés dans leur retrait. Ils comprirent le danger en le voyant bouter le feu au baril qu’il avait emporté avec lui. Ils tentèrent de s’en écarter, mais comment s’enfuir quand les rangs sont serrés ?
L’explosion projeta des clous et des éclats de silex qui déchiquetèrent les corps – y compris celui de l’artificier qui n’avait pu s’y soustraire. Ceux qui n’avaient pas été tués sur le coup contemplaient, hébétés, qui un membre arraché, qui la plaie béante par laquelle s’écoulaient ses viscères.
Une autre explosion déchira l’air, sur l’aile gauche. Une autre encore. À droite cette fois. Puis des catapultes entrèrent en action pour envoyer plus en profondeur les meurtriers engins – avec il est vrai des résultats mitigés car la mèche s’éteignait souvent au cours de la trajectoire.
Quelque imparfaite que fût cette innovation, elle assura la victoire des Ortmarki. Désorganisés par les trous sanglants qu’elle formait dans leurs rangs, paniqués car ne sachant comment s’en protéger, débordés par les charges de l’ennemi, les Ulsfeldi se replièrent, penauds.
La victoire ne réjouit pas Jörm. Le heyr pouvait-il laisser son beau-père ainsi humilié ? Il dépêcha aussitôt un émissaire auprès de Slegur afin de l’assurer de sa respectueuse amitié et de lui demander son arbitrage dans le litige concernant les poissons du lac. Lesquels, pendant ce temps, continuaient à frayer avec d’autant plus d’insouciance que la pêche avait bien diminué.
En apprenant la déconfiture de Resnar, Slegur partit d’un grand rire. Il s’empressa d’en informer Sölwi, car, après quelques mois d’insémination infructueuse, il ne la conviait plus que pour se donner le plaisir de la rabaisser.
Ses espions l’avaient bien entendu informé des préparatifs de Resnar. Il en avait été d’abord contrarié, mais il s’était tenu à l’écart. Si son beau-père l’emportait, il saurait bien lui dérober sa victoire. Dans le cas contraire…, eh bien, on y était, précisément.
Averti également, et dans le même instant, Kredfast déboula auprès de Slegur. Pour une fois, il se montrait plus rapide que son astrologue.
— L’Unique punit l’outrecuidance, commenta-t-il. Vous, Èrto-Heyr, vous seul, êtes Son champion. Cependant, ajouta-t-il, vous ne devez pas ignorer le message qu’Il vous adresse. Resnar vous a ouvert la voie. Jörm se montre certes conciliant avec nos prédicants, mais lui-même honore toujours les anciens dieux. C’est une tache sur la bannière de vos marches. Et puis, en infligeant une correction à votre beau-père, il a porté atteinte à la réputation de votre famille.
— Ma famille ? Dois-je considérer que cet imbécile de Resnar est de ma maison parce que j’ai dépucelé sa fille ?
Kredfast tordit le nez. Il n’aimait pas que Slegur évoque devant lui en termes aussi crus des ébats auxquels lui-même avait renoncé afin de ne pas se détourner du seul amour qui valût, celui de la divinité.
— Il pourrait être le grand-père de votre fils. Si toutefois la jeune Sölwi consentait à vous en donner un.
L’Inspiré savait comment mettre Slegur de mauvaise humeur.
Cette aigreur n’était pas dissipée quand l’émissaire de Jörm arriva à Swartaug. Il en repartit le soir même porteur d’un ultimatum. Au reste, dans le rejet de l’offre de paix par Slegur, la réputation familiale du heyr comptait moins que l’inquiétude de voir se développer une arme nouvelle, qu’il ne maîtriserait pas.
Le hartl de l’Ortmark avait prouvé qu’il pouvait remporter une victoire. Sa réputation était sauve. Mais face à l’armée du Conquérant, la défaite était certaine. Une guerre n’apporterait que du malheur à ses assujettis. Il accepta la reddition que lui imposait Slegur. La seule condition qu’il y mit fut qu’il lui serait permis de se retirer dans un lieu de son choix et de continuer d’honorer les dieux de ses aïeux. Slegur lui accorda volontiers ces concessions, opposant une sourde oreille aux remontrances de Kredfast.
Ainsi l’Ortmark fut-il rattaché au Heldmark, bien que n’ayant aucune frontière avec lui. Pour remercier son beau-père d’une initiative qui débouchait sur un aussi heureux résultat, il régla le litige qui l’avait justifiée en annexant la totalité du lac.
Dans les troupes qu’il envoya occuper son nouveau territoire se trouvait un contingent d’artificiers chargés de s’enquérir de la nature des barils à mitraille que Resnar avait présentés comme l’unique cause de sa défaite. Le résultat de leurs investigations le déçut. Il s’était attendu à une arme plus efficace, moins capricieuse. Mais on pouvait probablement l’améliorer.
Jörm, comme il l’avait annoncé, se retira avec les siens dans un ermitage proche de la frontière de l’Aigle. Il pourrait toujours gagner l’Éthastrand si Slegur changeait d’avis. Il bannit à jamais le poisson de sa table.
***
Danseuse-de-corde. Tel était le nom public que Kélia portait dorénavant. Varka s’opposait à ce qu’elle exerçât ses talents dans les foires et marchés. Mais, les soirs où elle dansait pour les habitants d’un village auprès duquel ils campaient, elle consentait à ce que l’enfant fît étalage de ses talents.
Kélia s’était vite accoutumée à sentir les regards posés sur elle, tandis qu’elle virevoltait au-dessus des têtes. Des regards surpris, amusés, admiratifs. Naguère, Varka retenait toutes les attentions. Les profanes, pourtant, ne pouvaient percer tout le sens de ses mouvements. De même, dans les figures de Kélia, les paysans ne voyaient qu’une habileté d’acrobate. Ils ignoraient tout des chants qu’elle seule percevait et sur lesquels elle réglait ses pas, esquissant une autre vérité, un rapport au Monde différent. Elle-même en avait une conscience diffuse. Le chant s’emparait d’elle et elle lui abandonnait son corps.
Ce qu’elle accomplissait là-haut laissait les spectateurs bouche bée. Des funambules, ils en avaient déjà vu. Elle, c’était autre chose. Ils n’auraient su dire pourquoi. La voir défier sur son fil les lois de l’équilibre les rendait heureux, eux aussi.
Ces regards la flattaient. La petite errante, invisible quand elle traînait le long des chemins poussiéreux, attirait toute l’attention. Les regards convergents l’entouraient d’un cocon de chaleur. Elle ne s’en sentait que plus légère, comme s’ils la portaient.
Voilà pourquoi celui de l’homme en haillons lui perça le cœur aussi sûrement qu’un poignard.
Il faut dire qu’il était effrayant, cet homme maigre au point qu’il semblait qu’aucune chair ne couvrait ses os. Juste la peau. Une peau jaune, tavelée. Et dessous, le dur de l’os qui saillait. Une barbe filandreuse cascadait jusqu’à sa poitrine. Des cicatrices labouraient le haut de son crâne dégarni. Comme si on avait voulu en arracher les tatouages. Les cheveux qui poussaient au-dessous formaient une couronne aussi hirsute qu’irrégulière. Il valait mieux ne pas s’interroger sur la nature des taches qui ponctuaient les lambeaux de tissu qui le couvraient à peine. Il dégageait une odeur rance. Mais surtout, il avait le regard halluciné d’un qui a posé les yeux sur ce qu’aucun être humain ne devrait être autorisé à voir.
Quand elle l’aperçut, Kélia songea immédiatement à un drog, un de ces fantômes de guerrier mort sans gloire, condamnés à errer éternellement à la recherche de leur renommée, dont Hòggni s’amusait à l’effrayer quand elle était toute petite. Elle voulut échapper à l’emprise de ces prunelles si noires qu’on ne distinguait pas l’iris de la pupille. Il ne le lui permit pas. Pointant sur elle un index exagérément long et noueux, il coassa :
— Tu virevoltes entre ciel et terre, Danseuse de corde, entre deux mondes qui ne devraient pas se rencontrer. Danse, danse aussi longtemps qu’ils durent. Cela ne saurait se prolonger. Un jour le pied te manquera.
— Laisse cette gamine tranquille, le fou ! intervint une grosse femme. Tu vois bien que tu lui fais peur !
— Peur ? Non, Brjan n’effraye personne, car personne ne le croit. Pourtant, Brjan sait d’où elles viennent, les séductrices qui franchissent les lisières pour vider ceux dont elles se nourrissent de l’énergie. Mais cela n’aura qu’un temps. Comme toute chose.
Il partit d’un rire grinçant.
— Ne lui prête pas attention, conseilla la femme à Kélia. Il est un peu…
Elle compléta sa phrase par un geste éloquent à hauteur de la tempe, avant de préciser :
— Mais il n’est pas méchant. On raconte que c’était un savant du Dàstrand autrefois. Il a suivi une étrangère. Une magicienne. Quand il est revenu, il était comme ça. Le corps vidé de toutes ses forces, incapable d’aligner deux idées sans délirer.
Connaître la cause de la démence du furieux ne rassurait en rien Kélia. Celui-ci enchérissait :
— Danse, danse, danseuse. Cours sur ton fil entre deux mondes. Mais à quoi te servira d’avoir deux ombres ? Les Autres aussi disparaîtront. Ils ne meurent pas comme nous. Ils se dissolvent à la manière d’une vapeur qui se perd dans le vent. À la manière d’un souvenir qui s’efface, dont on sait dire qu’il était agréable, mais qu’on est incapable de retrouver.
Il se mit à se frapper violemment la tête avec le poing, se répandant en imprécations contre sa mémoire qui se délitait. Kélia en profita pour s’enfuir.
Quand elle rejoignit Varka, celle-ci s’inquiéta de sa mine bouleversée.
— Il y avait un homme…, lâcha Kélia.
Elle lui rapporta les propos du dément, en y mettant le plus de légèreté possible, afin de se persuader elle-même de leur bénignité.
— Ce n’était qu’un fou, conclut-elle.
Pour le prouver, elle ajouta :
— Il prétendait que j’avais deux ombres.
Varka blêmit. Son expression alarma sa fille. Elle se reprit :
— Tu as raison. Il tenait des propos incohérents.
Kélia connaissait suffisamment sa mère pour savoir que, lorsque ce pli se formait à la commissure de ses lèvres, quand le sillon entre ses sourcils se creusait, aucune question ne parviendrait à l’entraîner sur le chemin des confidences. Peu importait. Hòggni serait plus facile à circonvenir.
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— Deux ombres ? Comment pourrais-tu avoir deux ombres, à moins d’être éclairée par deux soleils ?
— Ce n’est pas ce que je te demande. Je veux juste savoir pourquoi maman était contrariée.
— Tu ne lui as pas posé la question ?
— Oncle Hòggni !
Elle s’impatientait. Lui interdisait toute échappatoire. Son père n’avait d’autre choix que dire la vérité. Elle, elle paraissait douée pour détecter le mensonge. Du moins, en ce qui le concernait. Alors, inutile de chercher à l’abuser.
— Un jour une charbonnière, une initiée flohee, a dit la même chose à propos de ton père. La coïncidence l’aura surprise, voilà tout.
— La coïncidence ?
Elle ne comprenait pas le mot. Il crut qu’elle tiquait sur la notion.
— Quoi d’autre ? Puisque cela ne veut rien dire. J’ai bien connu Bouche-d’or et je peux t’assurer qu’il n’avait qu’une seule ombre, comme tout le monde. D’ailleurs, il n’a jamais compris ce que la vieille sorcière avait voulu dire.
L’enfant demeura songeuse. Hòggni s’en voulait d’avoir mentionné Kelt. Mais le moyen de faire autrement ? Une octennie que le Diseur de mots était parti pour Urskogar et il ne cessait de rester présent. Auprès de Varka. Auprès de sa fille, qui n’était pas née au moment de son départ, et qui se posait de plus en plus de questions à mesure qu’elle grandissait. Et, par contrecoup, de lui. Bouche-d’or était son ami. Mais Hòggni trouvait son ombre décidément trop encombrante.
— Je sais que certains soirs, dit Kélia, maman danse pour toi. Mais vous ne dormez pas ensemble.
Il soupira. Que pouvait-il raconter à ce sujet à une enfant ? Que Fille-farouche l’avait quelquefois demandé par pitié, par lassitude ou pour assouvir une tension trop forte de son corps encore jeune ? Après coup, ces étreintes lui avaient toujours provoqué un peu d’amertume. Car ce n’était pas à lui qu’elle songeait quand son corps se libérait.
Voilà. Bouche-d’or, encore et toujours.
— Un autre homme occupe ses pensées, le jour comme la nuit. Il y a des femmes que la passion embrase plusieurs fois, d’autres qui n’éprouvent toute leur vie que des élans tièdes, des désirs satisfaits à moindre frais, qui s’accommodent d’une perpétuelle attente. Et puis il y a celles qui consument en une fois toute leur réserve d’amour. Le lien qui attache Varka à ton père…
— Qui l’attachait. Il est mort !
Elle semblait lui en vouloir pour cela. Pas d’être absent, mais, en quelque sorte, de prendre la place que Hòggni aurait dû occuper auprès d’elles deux. Le Horsto détourna les yeux. Juste un instant. Mais cela lui ressemblait si peu que le soupçon s’immisça dans l’esprit de Kélia.
— Bien sûr, il n’est plus là, dit-il. Ce que je veux dire c’est que, d’une certaine manière, il ne l’a jamais quittée.
On entendait beaucoup de mélancolie dans sa voix et Kélia s’en voulut d’avoir abordé le sujet. Enfant, elle trouvait naturelle la présence du Horsto auprès de sa mère. Ces deux-là, avec le cheval et Ulfdòttir, constituaient sa famille. Sa mère et elle dormaient dans le chariot, et l’oncle Hòggni en dessous, en compagnie de la chienne, parce que tel était l’ordre des choses. Puis elle prit conscience de certaines réalités et elle commença à s’interroger sur les rapports qu’entretenaient les adultes entre eux. Tout en comprenant qu’il était préférable de ne pas se montrer trop ouvertement curieuse. Pourtant, les questions se multipliaient. Varka ne lui avait jamais exposé en détail les circonstances dans lesquelles son père était mort, ni n’avait éclairci le rôle joué par Hòggni dans cette affaire – car Kélia avait l’intuition que là-dessus aussi on préférait poser un voile.
— Tu n’aurais pas aimé avoir une famille ?
— Mais tu es ma famille. Toi et Fille-farouche.
— Je veux dire, une vraie famille. Avec des enfants et une femme à toi.
— Rassure-toi, je ne manque pas de femmes. Les villageoises sont intriguées par le couple que nous formons, ta mère et moi. Qu’elles croient que nous formons, je veux dire. Elles se disent que pour qu’une femme aussi belle reste avec moi, c’est qu’il doit y avoir une raison cachée. Elles sont curieuses. Et puis, cela les flatte d’être préférées, au moins pendant une nuit, à une Fille des étoiles.
Il s’arrêta, s’avisant soudain du regard qui était posé sur lui.
— Oui, enfin, je ne suis pas sûr d’avoir envie de poursuivre ce genre de conversation avec toi. Si nous faisions un peu d’exercice ? Va chercher le glaive.
Kélia bredouilla une excuse pour échapper à la corvée et s’éloigna vivement. Elle ne l’en tenait pas quitte. Un jour ou l’autre, il lui faudrait bien élucider toute la vérité sur son père.