Le Wahrtvatèn se devinait de loin aux oiseaux qui ennuageaient le ciel, tantôt d’une blancheur éclatante, tantôt parés de couleurs exubérantes. Les gulddari pelletaient le limon des rivages au moyen de leur bec aplati, tandis que les stigfolgi planaient, presque immobiles, guettant le scintillement par lequel un poisson trahirait sa présence près de la surface.
Cependant la hauteur de la végétation qui prospérait sur le rivage, des cannes et des roseaux-sabres longs de quatre aunes, dérobait la rive et les îles aux regards.
Les coulées aménagées dans la roselière tenaient du labyrinthe. Elles nécessitaient un entretien permanent et leur tracé changeait fréquemment. Les tiges coupées étaient laissées sur place. Amassées au fil des générations, elles constituaient un plancher élastique colonisé par des plantes rampantes qui en assurait la compacité. Ainsi, il était difficile de savoir quand on quittait la terre ferme pour un sol flottant. Les chevaux, effarouchés par cette souplesse inhabituelle, manifestaient leur nervosité en secouant leur mors. Pour suivre le guide qui avait surgi de nulle part à leur approche, Oddi quitta sa selle, imité par les deux jeunes femmes.
Par endroits, les tiges montaient si haut qu’elles se courbaient sous leur propre poids, formant bien au-dessus de leurs têtes une voûte qui tamisait la lumière. À leur passage, les cannes frémissaient, et de leur faîte agité sourdaient mille murmures. D’autres bruits inquiétants émanaient des profondeurs de la roselière, d’autant plus impénétrable qu’outre le danger que représentait le feuillage acéré elle était envahie de lianes urticantes ou vénéneuses.
— Au temps du hartl Gunir-belle-écaille, raconta Oddi, l’armée du Burlegh a voulu s’emparer de Wahrtstadr. Les roseaux se sont opposés à sa progression en modifiant le tracé des chemins. Si les soldats essayaient d’en ouvrir un, dix tiges poussaient là où ils en avaient coupé une. Ils ont erré des jours à la recherche d’une issue. À la fin, comprenant la vanité de leurs efforts, ils tentèrent d’utiliser le feu. Mal leur en prit. Les cannes se régénéraient à mesure qu’elles brûlaient. Ayant échoué à se ménager une issue, les agresseurs périrent tous dans l’incendie qu’ils avaient eux-mêmes allumé.
Le chuchotement reprit de plus belle. Oddi éclata de rire.
— Ne faites pas cette tête ! Ce n’est qu’une légende que les Wahrtstadri entretiennent pour se dédouaner d’avoir égorgé tous leurs ennemis jusqu’au dernier. Ils tiennent à leur réputation de douceur.
Les sabots des chevaux résonnèrent enfin sur le plancher d’une plate-forme desservant un ensemble de bâtisses montées sur pilotis. Quatre jeunes garçons vêtus d’un simple pagne en peau de syld, dont la pupille exagérément dilatée ombrait leurs regards de mélancolie, s’emparèrent des brides et entraînèrent les montures dans l’une d’elles. La végétation de la rive les avala.
— Les chevaux ne nous seront d’aucune utilité là où nous allons, précisa Oddi à ses compagnes qui les voyaient disparaître avec inquiétude.
— N’aurions-nous pas dû mettre à l’abri le contenu des fontes ? demanda Elna.
— Aucun souci de ce côté-là. Ces jeunes gens sont des accueillants, comme notre guide.
L’explication parut d’autant plus courte à Elna que les armes de l’« accueillant » ne lui inspiraient pas confiance.
Quand l’embarcation dans laquelle les trois voyageurs prirent place s’éloigna de la rive, une sonnerie de cor, reprise d’île en île, résonna pour annoncer leur arrivée.
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Flanquée de l’aruspice Eymund, dont l’âge voûtait les épaules, et d’un enfant d’une octennie au regard triste, Silgi Gedalmaggi attendait les visiteurs sur le ponton. Une brise légère remuait le voile de deuil qui, selon l’usage local, couvrait son visage.
Monté le premier sur le débarcadère, Oddi la salua.
⎯ Mon époux, le hartl Gedalyr, vous présente ses excuses. Il aurait aimé vous accueillir en personne, mais il s’est déclaré officiellement mort.
Pris au dépourvu, Oddi ne sut que bafouiller :
⎯ Vous m’en voyez désolé. J’ignorais…
⎯ Nous avons poussé sa barque jusqu’au lieu du naufrage il y a tout juste une octade et demie. Son corps ne saurait plus apparaître à ses assujettis. Néanmoins, il vous entretiendra cette nuit de l’affaire qui vous concerne. En attendant, ma modeste demeure est la vôtre.
Elle coula un regard vers les novices.
— Est-ce là toute votre escorte, Oddi-èrto ?
Oddi les présenta pour ce qu’elles étaient censées être, des apprenties qui avaient choisi de suivre leur maître sur le chemin de hasard où la malignité des Uniciens l’avait jeté.
— Bien que, précisa-t-il, mes connaissances soient encore bien chancelantes.
— Vous êtes trop modeste, Oddi-èr, dit Silgi en hochant la tête. Et elles ont bien de la chance d’avoir été choisies pour vous protéger.
Oddi rougit, comme un godelureau pris en faute. Bien sûr que l’épouse de Gedalyr savait à quoi s’en tenir ! Il dévia la conversation :
— Cet enfant est le fils de Gedalyr, je présume.
— Syndùr. Reconnu hartl du Wahrtsfeld. Je suis sa tutrice désignée.
L’enfant leva vers le gros homme un regard nébuleux. Était-il déjà obligé de boire régulièrement du lygn pour contrôler sa violence ?
— Vous avez parcouru un long chemin et je me verrai contrainte de vous tenir éveillé une partie de la nuit. Je vous propose donc de vous accompagner dans vos appartements, où vous pourrez vous rafraîchir et prendre un peu de repos.
— Silgi-èrin, cette armée que je suis censé mener…
Elle leva la main pour l’interrompre. Il n’insista pas. Le geste signifiait : chaque chose en son temps. Sur le lac les barques glissaient lentement sous le vol tranquille des stigfolgi. Au loin, les sommets neigeux du Flugbratt semblaient suspendus au-dessus de la brume qui bleuissait la rive opposée. Le temps semblait figé. Difficile d’imaginer une scène plus paisible. Pourtant, entre le lac et la montagne, une armée se rassemblait. Une armée à la tête de laquelle il était censé tenter de sauver ce qui pouvait encore l’être. Pour la plus grande gloire de l’Axe-divin, et peut-être contre sa volonté. À moins que Varka réussît à remplir la mission qu’il lui avait confiée.
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Une ombre glissait dans les corridors obscurs. On n’avait pas renouvelé l’huile des lampes qui, d’ordinaire, y dispensaient leur chaude lumière. Non par négligence, mais parce que le deuil frappait la demeure. Une vie s’était éteinte. Alors il aurait été malséant que les lampes ne se consument pas à leur tour. Malgré cela, l’ombre se dirigeait sans hésiter. Elle s’arrêta devant l’appartement de l’hôte. Le grattement d’un ongle contre le panneau qui le fermait suffit à provoquer son ouverture : la visite n’était pas une surprise.
— Êtes-vous prêt, Oddi-èr ? demanda Silgi.
Et comme Hundeirin faisait mine de se lever :
— Non, pas toi. Ton maître seulement.
— Ça va bien, la rassura Oddi. Èrin-Silgi est notre hôte. D’ailleurs, n’est-ce pas toi qui m’a amené à elle ?
Il vit bien, à la mine de la kwigaree, que l’argument lui semblait peu convainquant. Pourtant elle n’osa pas s’opposer à sa volonté. Elle se contenta d’appuyer sur la veuve un regard qui valait avertissement, pour ne pas dire menace.
Dans l’obscurité Oddi n’avait pas l’aisance de sa guide. Silgi lui prit la main pour le mener à une porte dérobée.
— Attention, Oddi-èr, la passerelle est étroite.
Au plus profond de la nuit le brouillard se formait. Une barque en surgit, qui se rangea le long de l’appontement.
— Le hartl Gedalyr n’est donc plus à Hartleyja ?
Spontanément, il avait chuchoté.
— Un peu de patience, souffla-t-elle.
La nuit était si sombre qu’Oddi eut peine à reconnaître Eymund quand celui-ci l’aida à prendre pied sur la nacelle. Sitôt que Silgi les eut rejoints, l’esquif s’écarta du quai. L’aruspice manipulait les avirons avec une telle habileté qu’ils pénétraient dans l’eau sans le moindre bruit. Oddi frissonna. Se fiant à la douceur de l’air qu’il avait connu dans la journée, il n’avait pas pris la précaution de se couvrir. Or, le brouillard était froid.
Heureusement, le trajet ne se prolongea pas. Ils abordèrent un îlot trop minuscule pour abriter plus qu’une maisonnette.
— Ce temple est consacré à Igham, précisa Silgi.
Le fils qu’Örl avait eu de la pêcheuse de perles Fridùr. Pas tout à fait un dieu mais davantage qu’un homme. De toute façon peu fréquentable. On devait les tempêtes, rares mais redoutables, qui agitaient le lac à ses accès de mauvaise humeur. Si encore ses turpitudes se bornaient à cela ! Il lui arrivait d’attirer par caprice une barque par le fond, ou de ronger les pilotis d’un appontement pour en provoquer la chute. Ou simplement de chasser les poissons loin des filets des pêcheurs. Bref, on lui devait tous les malheurs qui affligeaient les Wahrtsfeldi. S’il avait été un vrai dieu, on l’aurait redouté. Sa nature hybride lui valait d’être traité comme un cousin éloigné, qu’on ne pouvait totalement ignorer, mais dont la méchanceté inspirait assez de mépris pour qu’on se gardât de le fréquenter. De là, sans doute, sa relégation dans cette masure.
Silgi prit soin d’atterrir sur la face opposée de l’îlot, derrière un rideau de roseaux, comme si la nuit et la brume ne suffisaient pas à dérober l’embarcation à la vue d’un éventuel curieux. Leurs pieds s’enfoncèrent dans un sol spongieux en soulevant d’écœurants relents de vase. Enfin, écœurants pour le Sachant. Les Wahrtsfeldi n’en paraissaient pas incommodés. Silgi marchait en tête, Oddi sur ses talons pour ne pas la perdre de vue. Eymund fermait la marche. Oddi n’aimait pas le savoir dans son dos. Sans raison aucune. Sans doute l’influence de ce lieu sinistre.
Ils pénétrèrent dans le temple par une porte étroite, dont les gonds rouillés grincèrent. Quelque vacillante que fût la lueur dispensée par de trop rares lampes, elle réchauffa le cœur d’Oddi. Le temple recevait peu de visites. Sur les offertoires, les fruits ratatinés se couvraient de moisissure, les poissons se racornissaient. Sans doute les offrandes remontaient-elles à la dernière tempête. Au parfum des fumigations avait succédé un remugle de pourriture douceâtre, comme si un cadavre s’était momifié dans un coin.
— Oddi-èrto, mon ami, merci d’être venu.
Le Sachant sursauta. La voix de Gedalyr surgissait d’une alcôve.
— Asseyez-vous dans la lumière. En ce qui me concerne, ce serait imprudent. Aussi, avec votre permission, je resterai dans le noir.
L’œil d’Oddi s’accoutumant, il distingua dans l’ombre de la niche une forme humaine tassée sur un siège à haut dossier, entièrement voilée. En même temps, il prit conscience que la pestilence n’émanait pas des offertoires, mais de cet endroit.
— Ainsi qu’il convient aux morts ?
— Ainsi qu’il convient à un malheureux rongé par la lèpre purulente.
Malgré lui, Oddi eut un geste de recul. Gedalyr avait raison de se considérer comme mort. On ne connaissait pas de remède à son mal. Il évoluait lentement, mais inexorablement. D’abord il se manifestait par une gêne respiratoire, des nausées. Puis il gagnait les articulations. Toutes les articulations. La douleur s’installait, s’amplifiait, devenait telle qu’un jour le malade passait au-delà. Ses nerfs refusaient de la relayer. Alors elle devenait supportable. La rémission durait peu. La peau se fissurait, tombait par plaques, poussée par cette humeur à laquelle la maladie devait son nom. Le moindre rayon lumineux provoquait une brûlure.
— Comme vous le savez, Oddi-èrto, enchaîna Gedalyr, Èrto-Herd, le primat des hemsendi, m’a demandé, il y a de cela quelques années, de mettre une armée sur pied pour s’opposer aux appétits de Slegur Skogurs’ar. La coalition est nouée. Les armes sont forgées et quelques phalanges sont d’ores et déjà prêtes à marcher au combat. Mais l’Axe-divin n’a jamais exprimé la volonté de s’en servir.
Cette passivité avait nourri bien des conversations entre Oddi et Galmader, pour qui elle demeurait une énigme. Oddi ne manquait pas d’exemples, puisés dans la Chronique, où l’Axe-divin avait estimé que le meilleur moyen de préserver l’équilibre du Monde était de ne pas agir. Il devait cependant reconnaître que la comanifestation Gydja se montrait particulièrement patiente. Pour ne pas dire passive. Ce sujet n’était pas ce qu’il préférait aborder avec la doyenne, mais elle l’y ramenait souvent. Rétrospectivement, Oddi se rendait compte qu’elle avait enfourché ce nouveau cheval de bataille quand elle avait cessé de tenter de vaincre ses réticences à l’idée qu’il lui succéderait un jour.
— Ce n’est plus le cas aujourd’hui, poursuivait Gedalyr. Le sac de Skriftbjarg est trop grave. La Dàsten a tremblé si fort que même les servants réunis dans le Dàstadir ont ressenti la secousse. J’ai reçu du Conseil des hemsendi le signal que j’avais si longtemps attendu. Trop tard pour moi. Cette armée, je ne suis plus en état de la conduire. Comment un hartl qui se décompose sur pied prétendrait-il à la victoire ? Personne ne le suivrait. Et Syndùr n’est encore qu’un enfant. C’est donc vous que les hemsendi ont désigné pour repousser l’invasion et rétablir la situation dans les marches du Sanglier, après que vous aurez fait valoir votre légitime candidature au hartolat du Solkstrand.
Hormis la confirmation de l’intervention de l’Axe-divin, Gedalyr ne lui apprenait rien de plus que ce dont Hundeirin l’avait avisé.
— Pour le moment, la coalition regroupe une dizaine de commanderies, dont le Kjölstrand, l’Anasfeld et le Meldmark, pour ne citer que les plus importantes. Et quelques éléments épars, dont la secte des Flohi et les deux cohortes solkstrandeeï qui ont suivi votre fils Vradh.
Oddi tressaillit. Il avait eu confirmation que Vradh avait survécu à la bataille des Hommes de Craie et avait échappé à ses ennemis à la faveur du désastre de Svarkettel. Mais jamais son fils, qui savait pourtant où le trouver, ne s’était manifesté auprès de lui. Pour ce qu’Oddi en savait, il pouvait tout aussi bien avoir succombé à ses blessures.
— Je ne suis pas…
— Tout a commencé au Solkstrand. Si vous devenez le hartl approuvé de la commanderie qui était confiée à votre père, alors le cours normal des choses sera rétabli.
— Encore faudrait-il que je gagne cette guerre.
— D’après Galmader, vous maîtrisez entièrement les Huit Traités des maîtres stratèges et leurs soixante-quatre gloses.
— Les entrailles du sverdfisq qui a été péché au moment même où vous arriviez à Wahrtstadr annoncent votre succès, intervint l’aruspice.
⎯ Pardonnez-moi, mais il m’en faut un peu plus que la connaissance théorique d’ouvrages classiques et le verdict d’un intestin de poisson pour que je m’autorise à envoyer des milliers d’hommes au-devant de leur mort.
⎯ Cependant, ne faut-il pas arrêter Kredfast ?
⎯ Certes. Je dis seulement que je ne suis pas la personne adéquate pour cela. Quand Slegur s’est agité, les Gydjari n’ont pas réagi, à la surprise générale. J’ai beaucoup réfléchi à leur attitude. Nous ne la comprenions pas, parce que nous ne vivons pas dans la même temporalité qu’eux. De mesquines querelles pour un peu de terre… Quelle importance au regard de l’Axe-divin, quand ce qu’une génération a conquis sera perdu par la génération suivante ? Slegur se sera emparé du Solkstrand, ou du Kupstrand, ou du Tudmark ? Les saisons se s’y succéderont pas moins dans l’ordre immuable que ces commanderies ont toujours connu. Le blé qui verdit au printemps remplira peut-être à l’été un grenier différent, mais cela n’affectera en rien sa levée. Les fleuves couleront de leur source à leur embouchure, comme ils l’ont toujours fait, sans se soucier de savoir à qui appartiennent les chevaux qui s’abreuvent de leur eau. Le soleil bondira du Tétra pour gagner la Couleuvre, ainsi qu’il en a toujours été. À terme, la pluie finira par effacer les traits des statues érigées à la gloire des vainqueurs. Svarkettel a apporté la preuve de la vanité de l’entreprise, et tout aurait pu s’achever ainsi. Or ce ne fut pas le cas. Kredfast en a tiré argument. Et la guerre qui s’annonce est d’une tout autre nature. En détruisant la mémoire du Monde, le zélateur du dieu nouveau lui a donné son vrai visage. Sa grimace est hideuse. Vous avez choisi le bon séjour, Gedalyr-èr : pour comprendre l’affrontement qui se dessine, c’est peut-être davantage vers Igham que vers Gorth qu’il faut se tourner. Et pour le mener, une seule personne s’impose. Ce n’est pas moi.
— À qui songez-vous ? demanda Silgi
— À Eilkin.
Eymund étouffa un gloussement. Silgi resta bouche bée. Dans l’alcôve, la respiration de Gedalyr se fit plus sonore.
— J’ai dépêché des émissaires pour exfiltrer l’Axe-divin du Dàstrand et l’amener ici, poursuivit Oddi.
Sans qu’il s’en fût rendu compte, sa voix s’était affermie. Gedalyr émit un petit rire.
— Voilà ce que j’appelle agir en chef. Belle initiative, pour quelqu’un qui refuse le commandement de la riposte. Mais vous espérez vraiment que l’Axe-divin abandonnera Dàsborg ?
⎯ Je connais Élyhora. La raison préside le plus souvent à ses décisions. La façon dont elle a géré l’héritage de Slegur en a apporté la preuve. Après Skriftbjarg, elle doit s’attendre à une réaction. Elle connaît bien sûr l’existence de la coalition que vous avez montée. Elle n’a donc pas d’autre choix que de s’emparer du Dàstrand avant qu’elle intervienne.
— Jamais l’Axe-divin n’y consentira, insista Gedalyr.
— Alors nous perdrons cette guerre. Kredfast imposera le culte de l’Unique et Élyhora, proclamée heyree de tous les horizons, finira ses jours en arbitrant les querelles locales des hartli qui auront plié le genou devant elle. Les chroniques ayant été détruites, nos descendants parleront de nous comme nous parlons des hommes anciens.
Un silence pesant suivit cette prédiction. Oddi respirait avec peine, dans cette atmosphère qui sentait le poisson et la mort. Ils se trompaient. Ils se trompaient tous. Il n’était pas l’homme de la situation. Mais peut-être lui aussi s’était-il trompé en envoyant Varka au Dàstrand.
Silgi, la première, reprit la parole.
— Èr-Oddi a raison, dit-elle d’une voix paisible. Nous ne pouvons à la fois lui demander de mener cette guerre et remettre en cause son jugement.