Ils traversent une étendue de sable noir, sur laquelle le vent inconstant a dessiné des vagues.
— Arrêtons-nous un instant, propose Hòggni.
Il vaudrait mieux marcher encore un peu pour trouver un village avant la nuit, un abreuvoir ou au moins une source pour les chevaux. Mais, pendant la bataille, Hòggni a pris un mauvais coup au côté. Les chevauchées trop longues lui sont pénibles. Alors, ils s’accordent une pause. Ils se calent dans un pli du sable. Ulfdòttir, qui furetait en avant, rebrousse chemin pour venir se coucher à leurs pieds.
— Sommes-nous encore loin d’Horst ?
Oui, non, il ne sait pas le dire. Quand il en a été chassé, dans sa jeunesse, il a marché des mois vers le Sanglier, avec pour seule intention de parcourir le plus de chemin possible. Découvrir le Monde. Il ne nourrissait aucune idée de retour. Il est allé où le vent le poussait, sans compter ses pas. Alors, aujourd’hui, il sait seulement que sa forêt natale est tout au bout, dans la direction de l’Aigle sous le Renard.
Juste devant leurs pieds, une tache de verdure ponctue la noirceur des cendres. Une graine est arrivée jusqu’ici, portée par le vent ou enkystée dans l’étron d’un oiseau. Peut-être a-t-elle attendu plusieurs saisons avant de germer, guettant les circonstances les plus favorables. Puis elle s’est nourrie de la substance de ce sol ingrat pour prendre sa forme. Maintenant, pour continuer à exister, elle lutte, jour après jour, contre le sable qui cherche à la recouvrir, contre la sécheresse dont rien ne la protège. Elle ignore tout de la grande bataille qui a fait rage un peu plus loin, sous l’horizon du Loup. Elle ignore tout des hommes, de leurs passions, et de ces événements dont ils nourrissent leurs Chroniques. Elle n’a qu’une raison d’être : résister au vent, au sable, au temps. Et s’étendre. Prospérer. Produire à son tour une graine qui s’envolera, se posera et germera. Un jour peut-être, cette étendue désolée que le sable a conquise, désolée parce que le sable l’a conquise, sera-t-elle entièrement gagnée par la verdure.
Ou bien la petite pousse, lasse de lutter, s’étiolera, sèchera, s’effritera. Il n’en restera aucune trace. Mais pendant sa courte vie, elle aura retardé, seconde après seconde, son effacement. Et qui sait quel rôle elle aura joué dans l’équilibre du Monde ?
Varka regarde, fascinée, cette ponctuation verte. Elle songe à sa petite qui dansait sur les cordes. Une larme roule sur sa joue.
— En route, décide-t-elle en se levant.
Elle tend la main au Horsto pour l’aider.
— Allons, gentil sanglier, il reste du chemin à parcourir avant le soir. Nous bâtirons un grand feu, et je danserai.