Épilogue
À partir de 10 heures, partant du 42e degré de longitude ouest, le 11 septembre 2001, une onde de choc courut de fuseau horaire en fuseau horaire, secouant la planète. Elle était matérialisée par des images irréelles : deux avions s’écrasaient contre les tours du World Trade Center, à New York.
Quelques minutes plus tard, les deux monuments du capitalisme contemporain, symbolisés par leurs noms mêmes, s’effondraient dans des ouragans de poussière. Peu après, un autre appareil se fracassait sur le Pentagone, à Washington, et un dernier, en rase campagne à Shanksville, en Pennsylvanie, après que des passagers et des membres d’équipage eurent essayé en vain d’en reprendre le contrôle.
À Londres, à Rome, à Moscou, mais aussi au Caire, à Brazzaville, à Shanghai, à Sydney, les télévisions passèrent en boucle ces images qui défiaient la vraisemblance. Des milliards d’yeux les perçurent, bien peu de cervelles les assimilèrent. Elles étaient, en effet, aussi peu crédibles qu’un reportage sur l’Apocalypse.
L’ennemi fut désigné dès le lendemain par le secrétaire d’État à la Défense Colin Powell comme l’organisation terroriste islamique ou islamiste – mais l’heure n’était pas à pareilles nuances – Al-Qaïda, La Fondation ou La Base, selon les dictionnaires. Son chef était un Saoudien âgé de quarante-quatre ans, Oussama Ben Laden.
L’enquête sur l’attentat brisa aussi un certain nombre de notions très répandues sur la logique américaine. Et l’on entra dans le royaume de l’absurde.
En effet, il apparut tout d’abord que le dénommé Ben Laden avait été recruté par la CIA à Istanbul, en 1980, aux fins d’approvisionner les milices afghanes en lutte contre les Soviétiques qui occupaient l’Afghanistan : installé à Kaboul, c’est lui qui avait été chargé de distribuer les fonds américains et Saoudiens aux futurs talibans.
Les Américains eux-mêmes avaient donc forgé et chauffé les fers de l’islamisme qui venaient de les transpercer.
L’absurde s’aggrava rapidement. Deux jours après l’attentat, le FBI diffusa les noms et les photos des terroristes responsables de l’attaque. Dix-sept d’entre eux sur vingt étaient saoudiens et avaient été repérés depuis plusieurs mois dans des écoles de pilotage ; ils avaient éveillé les soupçons parce que, bizarrement, ils ne s’intéressaient pas aux phases les plus critiques du vol, celles du décollage et de l’atterrissage, mais aux commandes d’un avion en vol. Le FBI avait recommandé de les expulser, mais le président George W. Bush s’y était opposé ; entretenant des rapports privilégiés avec l’Arabie Saoudite et ne voulant pas offenser des amis par des expulsions immotivées.
Les services de renseignement américains avaient donc eu les moyens de prévenir les attentats, mais n’avaient pas agi, soit par pusillanimité, soit parce qu’ils en avaient été empêchés.
L’humiliation était cuisante.
Le trouble s’empara des esprits.
Et la machine infernale, dans laquelle le monde politique s’était enfermé, près d’un siècle auparavant, reprit sa course folle.