Hicham prit la main de Chahida et l’emprisonna comme s’il se tenait en équilibre au bord d’un ravin.
— Calme-toi, albi, calme-toi, mon cœur. Il ne sert à rien de te mettre dans cet état.
— Ce qui se prépare est grave, tu ne peux pas imaginer comme c’est grave.
— Arrête de me prendre pour une attardée ! Je vois bien la situation. Mais que faire ? Les événements se sont enchaînés à la vitesse de la lumière, la machine s’est emballée. Ils sont tous devenus malades.
Elle répéta :
— Que faire ?
En parlant de machine emballée, Chahida n’aurait pu mieux dire.
Six mois auparavant, trois soldats israéliens avaient été tués par des
feddayin[1] aux abords de la frontière syrienne, et tout le Moyen-Orient avait retenu son souffle. Comment Israël allait-il réagir ? Levi Eshkol, qui venait de succéder à Ben Gourion, choisit de riposter là où l’on ne s’y attendait pas. Un raid fut lancé sur le village jordanien de Samou qui fit dix-huit morts et cent trente-quatre blessés. Nasser ne broncha pas. Le roi Hussein laissa alors éclater sa colère et clama haut et fort que, lorsque son pays était attaqué, les « prétendus leaders de l’arabisme » restaient muets. Personne ne fut dupe. Ni au Caire ni dans les autres capitales arabes : c’est bien Nasser que visait cette allusion. Le
raïs encaissa et rongea son frein. Peut-être son instinct animal lui conseillait-il de ne pas souffler sur la braise de peur de se voir dévorer par les flammes ?
Le 6 avril, au cours d’un accrochage aérien, six Mig syriens étaient abattus au-dessus de Damas.
Cette fois encore, Nasser demeura sans réaction. Pas un mot.
C’est à ce moment que la machine infernale mentionnée par Chahida devint folle.
Le 8 mai, Hicham était informé d’une dépêche en provenance de Damas avertissant que l’état-major israélien préparait une attaque imminente contre la Syrie. Le 12, on pouvait lire dans le New York Times : « Certains dirigeants israéliens sont décidés à frapper la Syrie pour couper court à la vague de terrorisme dont leur pays est victime au quotidien. » Ce même jour, le général Yitzhak Rabin confiait à un journal britannique : « Mon pays n’ignore pas que la Syrie est derrière toutes les activités de sabotage. Nous réagirons avec la plus grande fermeté si le terrorisme se poursuit, et notre réaction sera alors bien différente des modestes représailles entreprises dans le passé contre la Jordanie. » Et d’ajouter : « Tant que le gouvernement de Damas ne sera pas renversé, aucun régime ne se sentira en sécurité au Proche-Orient. »
Plus préoccupant encore : l’agence Tass publiait le 13 mai une note d’où il ressortait que Moscou tenait de source sûre qu’une attaque israélienne contre la Syrie était planifiée pour le 17 mai.
Chahida fit remarquer :
— Tu as bien vu qu’hier, 17 mai, il ne s’est rien passé. Israël n’a pas bougé. La frontière entre les deux pays n’a jamais été aussi calme. Ces informations qui proviennent de sources pseudo-sûres ne sont que du vent !
Bullshit[2] !
Hicham se ressaisit.
— Il ne s’est rien passé ? Comment considères-tu la décision que Nasser a prise dans la soirée ? Il a exigé purement et simplement le retrait des forces de l’ONU stationnées depuis 1956 à la frontière du Sinaï. « Afin, a-t-il expliqué, que l’Égypte soit en mesure d’agir contre Israël dans le cas où une agression serait commise contre un pays arabe. » Et, ce matin, le secrétaire général U Thant a fait savoir, avec une surprenante docilité, qu’il ne pouvait que se plier aux exigences du raïs. Dès demain, des troupes égyptiennes feront mouvement vers les secteurs abandonnés par les Casques bleus.
La femme se replia dans le silence. Apparemment, elle ignorait ce dernier rebondissement.
— Mon amour, poursuivit Hicham, tu ne soupçonnes pas l’extraordinaire pression que le monde arabe exerce sur le Président. Et pas que le monde arabe. Moscou y va aussi de son grain de sel. Brejnev a appelé personnellement le raïs et lui a déclaré que l’Égypte aurait intérêt à ne pas trop laisser affaiblir son prestige, qu’une élimination du gouvernement syrien par les Israéliens serait une grave défaite non seulement pour lui, mais aussi pour l’URSS.
— Que les Russes aillent se faire foutre ! gronda Chahida. Ils vous manipulent ! Ils ne valent pas mieux que les Américains.
— Laisse-moi finir, s’il te plaît. Ici, au sein même de l’armée, Chams Badran, notre ministre de la Défense, cet individu qui était venu réclamer à Nasser la nomination du maréchal Amer au poste de Premier ministre, ne cesse d’inciter Nasser à attaquer le premier. Selon lui, et selon son ami le maréchal, notre armée est plus que jamais prête au combat, elle serait même invincible !
Chahida alla s’asseoir sur un divan et alluma une cigarette. Tout à coup, le mot « guerre », jusque-là évanescent, venait de s’incarner. Était-ce possible ? Des morts, encore ? Près de vingt ans après la création d’Israël, la plaie demeurait donc plus que jamais béante ? Se refermerait-elle même un jour ?
Elle exhala de minces filets bleus de fumée qui restèrent en suspens dans la lumière crue de la pièce.
*
Irina avait le visage pâle et presque défiguré par l’angoisse. Elle ne quittait pas Avram des yeux, détaillant chacun de ses gestes tandis qu’il boutonnait le haut de son uniforme. Elle énuméra mentalement chaque bouton, comme si elle se livrait à un compte à rebours. Car il s’agissait bien de cela : un compte à rebours au terme duquel elle verrait son fils unique partir sans savoir s’il reviendrait.
Était-ce possible ? Des morts, encore ?
Pouvait-elle imaginer qu’elle venait de partager la même pensée qu’une autre femme, une Syrienne, à quelques centaines de kilomètres de là ?
Samuel, lui, semblait serein. Son visage reflétait même de la fierté. Son fils allait se battre pour son pays. Pour la survie d’Israël. Pour la survie de ses femmes, de ses enfants, qui ne demandaient rien de plus que d’être acceptés par leurs voisins. Une fois encore, les Arabes voulaient la guerre ? Ils l’auraient, et Tsahal vaincrait. Non parce que Tsahal était invincible, mais parce que ses soldats savaient pourquoi ils combattaient. Dans leur cœur, chaque pouce de terre perdue pouvait avoir des conséquences tragiques. Les Arabes, eux, possédaient l’espace. Battre en retraite ne mettait pas leur devenir en jeu ; au pire, ils perdraient des territoires. Ce qui n’était pas le cas d’Eretz. Un mouchoir de poche. Pas question de céder.
— Je suis prêt, annonça Avram.
— Déjà ? protesta Irina. Il est à peine 10 heures !
— Oui. Mais j’ai une visite à rendre à quelqu’un avant.
— Une visite ?
Avram ne répondit pas. Il était impensable qu’il parte pour le front sans en informer Joumana, sans lui dire adieu. Jamais ils n’avaient été si proches. Elle s’était apaisée et avait fini par comprendre que la mort de son frère fut accidentelle, qu’il eût été encore de ce monde s’il n’y avait pas eu l’attentat du cinéma Zion. Il était non la victime des policiers israéliens, mais de la femme qui avait commis cette action monstrueuse.
Avram alla vers sa mère et l’enlaça. Elle resta assise. Ses jambes ne la porteraient pas.
— Ne t’inquiète pas, îma. Tout va bien se passer. Fais attention à toi.
Elle se fit toute petite contre lui. Elle n’était plus une mère sexagénaire, seulement une enfant.
— Allons, allons, s’exclama Samuel. Il a raison. Courage ! Il va nous revenir décoré et dans pas longtemps.
De toute sa vie, Samuel Bronstein ne fut si proche de la vérité.
*
— Si je buvais de l’alcool, s’écria Hussein triomphant, j’aurais ouvert une bouteille de champagne !
— Et j’aurais péché avec toi, admit Zeyd. L’Égypte et la Syrie vont réduire en pièces ces maudits Israéliens ! Car il y aura la guerre, c’est sûr.
— Je ne vous comprends pas, lança Leïla Khaled, sur un ton ironique. Vous êtes donc si fiers de vous ? Affalés, là ? À jubiler ?
Les deux hommes la questionnèrent du regard.
— Vous ne comprenez pas ? C’est nous, les Palestiniens, qui sommes le plus concernés par ce qui se prépare. C’est nous qui devrions être en première ligne ! Au lieu de quoi, nous sommes réduits au rôle de spectateurs. Impuissants.
Hussein protesta.
— Comment veux-tu que nous agissions ? Nous n’avons même pas d’armes. Ou si peu. Le Fatah ne réunit pas plus de trois cents membres, et encore ! disséminés un peu partout à travers la région. Notre journal, Le Mouvement de la libération de la Palestine, n’est autorisé que dans les pays du Golfe et au Liban. En Égypte et en Syrie, il est considéré comme une publication subversive et vendu sous le manteau. C’est Arafat lui-même qui est obligé de transporter les magazines à Beyrouth pour les faire distribuer. Même certains lecteurs s’interrogent sur la réalité et le sérieux de notre mouvement : « Qui est M. Fatah ? » m’a demandé quelqu’un. La seule personnalité politique qui semble disposée à nous donner un coup de main est Ben Bella. Il a promis à Arafat de nous aider à promouvoir la révolution. Mais, pour l’heure, ce ne sont que des mots.
Zeyd objecta :
— Il a quand même autorisé l’ouverture d’un bureau officiel du Fatah à Alger, ce qui n’est pas rien. Et puis tu sembles totalement occulter que, depuis trois ans, existe un mouvement officiel : l’OLP
[3]. Il défend nos intérêts puisque, dans sa charte, il prône l’élimination d’Israël et la création d’un État palestinien. De plus, le Fatah y a été reconnu comme faisant partie intégrante du mouvement.
Leïla haussa les épaules avec dédain.
— Un grain de riz. Du vent ! Puisque vous parlez de l’Algérie, ce qui s’est passé là-bas est bien la preuve que tout est possible. Au départ, le FLN était constitué uniquement d’une poignée de résistants. Regardez aujourd’hui le résultat : l’Algérie est indépendante !
Sa voix se durcit.
— Non ! Je vous le dis, et je rejoins en cela Abou Jihad : seule compte l’action militaire. Les discours ne servent à rien. Les Arabes raffolent des discours, et nous voyons où ils les ont menés.
Elle récupéra d’un geste nerveux son paquet de Rothman, sa marque de cigarettes préférée.
— Quelqu’un a du feu ?
*
Voilà une heure que les quatre plus hauts responsables du Comité exécutif suprême venaient de prendre place autour de Nasser dans l’une des salles de réunions du palais de Koubbeh. Ils étaient six en tout : Zakaria Mohieddine, Hussein el-Chafe’i, Ali Sabri, Sidki Soleïman, l’actuel Premier ministre, Anouar el-Sadate et, bien entendu, celui que tous surnommaient « Robinson
[4] », le commandant en chef des troupes armées : Abdel Hakim Amer. En les observant, Hicham se dit que sa présence parmi ces personnalités n’avait pas vraiment de sens : il n’était qu’une pièce rapportée. Mais Nasser – pour des raisons inexpliquées – avait exigé qu’il assistât à la réunion.
En quelques mots très brefs, le Président acheva de dresser un tableau de la situation :
— À présent que nos troupes ont remplacé celles de l’ONU, et qu’elles sont concentrées dans le Sinaï, il y a 50 % de risques qu’une guerre éclate. En revanche, si j’ordonne, comme en 1956, la fermeture du détroit de Tiran
[5] à la navigation israélienne, la guerre est sûre à 100 %.
Il se tut, plongea son regard dans celui du maréchal Amer et questionna :
— Si je prenais cette décision, nos forces armées seraient-elles en mesure de faire face à une attaque israélienne ?
Amer fit mine de se trancher le cou du plat de la main :
— Sur ma tête, j’en réponds ! Tout est parfaitement au point. Jamais nous n’avons été aussi prêts.
Nasser examina les visages autour de lui et réitéra sa question. Tous, à l’unanimité, lui firent la même réponse que le commandant en chef.
— Parfait.
Nasser médita un bref instant. Cette fois encore son interrogation s’adressa à l’ensemble du groupe :
— Quant au détroit de Tiran, l’un d’entre vous a-t-il une opinion ? Prenons-nous le risque de le fermer ?
Un homme, un seul, parmi les six, répondit par la négative. C’était Sidki Soleïman, le Premier ministre.
— Expliquez-vous, dit Nasser. Pourquoi êtes-vous opposé à cette action ?
— Parce qu’elle est dangereuse, monsieur le président, mais surtout prématurée. Notre situation économique est au pire, une nouvelle guerre lui porterait un coup fatal. Tous les grands projets industriels sont arrêtés faute de moyens. Et l’aide soviétique a été réduite de manière très significative. Croyez-moi, je pense vraiment qu’il serait plus sage de reporter à plus tard le blocus de Tiran. Vous vous doutez bien que sa fermeture ne manquera pas de provoquer chez les Israéliens une réaction aussi violente que celle des Franco-Britanniques à Suez.
Le raïs inclina la tête. Songeur.
Hicham en profita pour approuver Sidki du regard. Le ministre était la voix de la raison, mais le Président y était-il sensible ? Parce qu’aux portes de l’Égypte le monde arabe guettait un geste fort, l’affirmation d’une autorité face aux Israéliens. De leur côté, les Palestiniens exigeaient que le héros du panarabisme les arrache à leur ghetto et leur restitue leurs droits. Les ennemis du raïs avaient la critique aux bords des lèvres, prête à jaillir. Si Nasser persistait dans son immobilisme, on le montrerait du doigt, on le taxerait de couardise. Déjà des voix s’élevaient dans les milieux politiques arabes, porteuses de mots lapidaires : « Fini, le raïs est fini. » Le seul qui n’attendait rien était sans aucun doute le peuple égyptien. Usé, lassé, misérable, il s’était fait une raison. Après tout, voilà deux mille ans que cela durait, alors…
Nasser, tout le monde le savait, excellait aux échecs. Hicham, qui le scrutait, crut lire dans ses pensées : « Que faire ? Déplacer son cavalier en C3 ou prendre la tour en H5 ? »
Dans son for intérieur, Hicham ne se faisait guère d’illusion. À ce moment précis de l’Histoire, Nasser était devenu le jouet d’événements qui échappaient totalement à son contrôle. Au fil des années, il s’était hissé au rang de symbole absolu du monde arabe, et, en tant que tel, on attendait de lui qu’il combatte l’ensemble des « forces du mal », pour le compte du nationalisme arabe. Le raïs n’était plus qu’un lion enchaîné.
Quarante-huit heures plus tard, le 22 mai 1967, Nasser annonça le blocus du détroit de Tiran.
Le secrétaire général des Nations unies se précipita au Caire pour essayer de le faire revenir sur sa décision. On discuta. Nasser lâcha du lest. C’est d’accord, concéda-t-il ; en attendant un règlement à l’amiable avec les Israéliens, nous laisserons passer les cargaisons à destination d’Eilat, mais à la condition que les navires ne transportent pas d’armements ou de matériels stratégiques.
« Pas question ! protesta aussitôt le Premier ministre israélien. Ce blocus viole les règles internationales et constitue une agression contre Israël ! » Sa protestation fut immédiatement relayée par le président Johnson.
Tous ceux qui approchèrent Nasser en ces heures de tension notaient sa nervosité extrême. Peut-être voyait-il se profiler les cavaliers de l’Apocalypse.
Faire demi-tour ? Ranger les armes ? Bluffer jusqu’au bout ?
Bluffer, oui. Ou alors comptait-il sur sa bonne étoile ? Celle qui avait brillé sur lui en 1948, lorsqu’il livrait combat en Palestine, à Falouga. La position qu’il tenait aux limites de la ville était indéfendable et il en était parfaitement conscient. Un matin, un lieutenant israélien s’était avancé vers les lignes de défense égyptiennes et avait demandé à lui parler. « Vous êtes encerclés, lui avait-il dit, je vais passer à l’assaut demain. Vous feriez mieux de vous rendre plutôt que de faire tuer vos hommes pour rien. » Nasser avait alors répliqué avec une extraordinaire inconscience : « Je vous conseille de ne pas attaquer, vous feriez une sottise, car j’ai une chance inouïe. Vous vous en mordriez les doigts. » Bien évidemment, le lieutenant israélien ne put s’empêcher de sourire devant un argument aussi fragile. Le lendemain, à l’aube, il passa à l’attaque. Selon le propre aveu de Nasser, ce qui s’ensuivit tenait du miracle. Il n’avait jamais pu expliquer comment les troupes qu’il commandait avaient réussi à repousser les Israéliens et à leur infliger de lourdes pertes. Le surlendemain, le lieutenant exprima à Nasser le souhait de venir chercher ses morts sur le no man’s land qui les séparait. Nasser donna son accord. « J’aurais dû vous écouter, lui dit alors le militaire israélien. You’re a lucky man ! Vous n’aviez pas une chance sur cent de vous en tirer. »
Peut-être qu’en cette veille de fin du monde Nasser rêvait à l’étoile de Falouga ?
Le 28 mai 1967, il tint une conférence de presse devant des centaines de journalistes. Il avait vieilli de cent ans ; la voix était âpre, le sourire habituellement éclatant ressemblait plus à un rictus. Le 30 mai, le roi Hussein de Jordanie atterrit au Caire et, à l’instar du président syrien Noureddine el-Atassi, signa avec le raïs un accord de défense.
Le lendemain, Moshe Dayan et Menahem Begin entrèrent au gouvernement de Jérusalem.
*
— C’est foutu, lâcha Hicham. Tout est foutu.
Son père voulut le rassurer.
— Le pire n’est jamais certain, ya ebni !
— Tu n’es peut-être pas au courant. Alors je t’informe qu’un nouveau personnage vient d’entrer dans le gouvernement Israélien : Menahem Begin.
— Connais pas.
— C’est un faucon. Un extrémiste de la pire espèce, doublé d’un ex-terroriste ! Sa tête fut mise à prix par les Anglais durant le mandat. C’est lui qui a organisé à Jérusalem – entre autres – l’attentat contre l’hôtel King David : une centaine de morts et autant de blessés. Et tout récemment, il a même été soupçonné d’avoir essayé d’assassiner Konrad Adenauer
[6].
— Le chancelier allemand ? Pourquoi diable ?
— Parce qu’il s’opposait à l’accord d’indemnisation des victimes de la Shoah que Ben Gourion avait négocié avec Adenauer. Il le jugeait insuffisant. D’ailleurs, Ben Gourion l’a toujours haï, comme il a toujours haï l’Irgoun, ce groupe responsable de tant d’atrocités que dirigeait Begin. On dit qu’il le méprise tellement qu’il refuse de l’appeler par son nom. À la Knesset, il emploie des périphrases comme « l’homme qui est assis à la droite du député Untel ». Alors, tu imagines bien que ce sioniste extrémiste va tout faire pour inciter Israël à entrer en guerre. C’est un pousse-au-crime !
Hicham se tut, puis :
— Il y a plus grave encore. J’ai surpris hier une indiscrétion. Le Président est gravement malade. Il le serait depuis des années : le diabète.
— Le diabète ! J’en ai aussi du diabète. Je suis toujours vivant !
— Oui. Mais tu ne fumes pas quatre-vingts Craven A par jour. Dans le cas de Nasser, la maladie a atteint un stade très avancé. Un check-up, établi il y a quelques mois dans une clinique de Moscou, a révélé un durcissement irréversible des vaisseaux fémoraux. C’est la crise cardiaque qui guette le raïs à plus ou moins brève échéance.
Taymour Loutfi soupira.
Dans l’esprit du vieil homme jaillirent soudain des fantômes, déguisés en apprentis sorciers. Un jour, tel Aladin, ils avaient fait sortir le génie de sa lampe, et depuis personne n’était parvenu à l’y faire rentrer.