Monsieur Albert, dans sa voiture, roulait en direction d’Alès. Le trajet n’était pas bien long, même pour un vieil homme. Il arriva rapidement sur la Rocade Sud à Alès et trouva rapidement le boulevard Gambetta. Il se gara dans une rue adjacente et au stationnement gratuit. Après quelques pas, il se retrouva sur le long boulevard. Il regardait les numéros avec attention et s’arrêta devant le 23, un immeuble standard, pas d’interphone. Il poussa la porte qui ne résista pas et s’ouvrit. Monsieur Albert avait repéré sur les boîtes aux lettres, Monsieur et Madame Clément Dataire, 2e étage, porte droite. Il trouva l’appartement sans difficulté. Il hésita une seconde ou deux puis frappa. Une voix fluette lui répondit :
– Entrez !
Monsieur Albert était mal à l’aise de faire irruption chez des personnes qu’il ne connaissait pas.
– Bonjour Monsieur, bonjour Madame ! s’inclina-t-il poliment devant les deux cinquantenaires.
– Bonjour, qui êtes-vous ?
– Je peux m’asseoir ?
– Oui bien sûr ! Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ?
– Excusez-moi de venir vous déranger mais je cherche Armand Dataire, c’était bien votre fils ?
– Oui, il est mort, il s’est noyé dans sa baignoire à son appartement à Nîmes. Un terrible accident ! Terrible !
Monsieur Albert sentait bien qu’elle était prête à pleurer mais elle se retint et n’en montra pas plus. Elle enchaîna avec une autre question :
– Qu’est-ce que vous voulez savoir sur Armand ?
– Je recherche un vieux livre avec une reliure en cuir qui a dû vous être rendu avec ses affaires lorsque vous avez tout déménagé de chez lui. Vous vous en souvenez ?
La mère d’Armand réfléchissait. Son père paraissait perplexe. Monsieur Albert attendait que les souvenirs refassent surface dans leurs esprits. Chacun des deux répondit à la question sans faire de fioritures.
D’abord le père :
– Moi, je ne me souviens pas. J’ai tout embarqué avec l’aide des déménageurs mais ce n’est pas moi qui ai fait les cartons.
Puis la mère :
– Je me souviens ! se rappela-t-elle d’un seul coup. Lorsque j’ai emballé sa bibliothèque, il y avait un vieux livre qu’il avait laissé à côté de son fauteuil dans le salon. Je l’ai pris dans mes mains pendant quelques instants et il est devenu chaud. Je ne me suis pas posé de questions, je l’ai rangé dans un carton avec les autres livres.
– Oui, c’est bien celui-là que je cherche ! Vous savez où il peut être maintenant ?
– Toujours dans son carton. Les déménageurs ont tout déposé dans notre cave, qui était heureusement vide, et sont partis sans toucher à rien. Moi et mon mari avons vendu quelques meubles qui faisaient doublon. Nous en avons gardé quelques-uns que nous avons intégrés au mobilier de cet appartement en souvenir de notre fils. Normalement, il devrait encore être dans le même carton. Par chance, notre cave n’est pas humide. Les cartons n’y sont pas entreposés depuis trop longtemps. Peut-être nous pourrions le retrouver ? Pourquoi est-ce important ? Que voulez-vous en faire ?
– C’est très important pour moi, je suis prêt à vous le racheter s’il le faut ! Ce livre fait partie d’une collection de vingt ouvrages et il me faut les réunir tous. J’aimerais vraiment que vous me le retrouviez !
Clément le père, proposa de descendre à la cave avec une lampe de poche pour chercher.
– Allons-y maintenant si vous voulez, nous en serons débarrassés comme cela.
– Je vous remercie, allons-y ! Je vous suis !
Les deux hommes descendirent donc à la cave s’éclairant d’une lampe. Ils y voyaient relativement bien. Ils traversèrent le hall de l’immeuble et s’enfoncèrent par un escalier qui menait aux caves.
Le couloir était étroit, Clément cherchait sa cave.
Puis il s’arrêta. :
– C’est celle-là !
L’homme ouvrit le cadenas, enleva la chaîne et la porte fut libérée.
– Ça y est ! Il n’y a plus qu’à fouiller tout ça. Les cartons qui contiennent des livres doivent être marqués « bibliothèque ». Ma femme est méthodique : chaque carton aura sûrement un nom spécial : Cuisine, chambre, bibliothèque, salon, armoire, etc. Allez ! Il n’y a plus qu’à remuer tout ça. On commence !
Monsieur Albert acquiesça et passa le premier. En effet, chaque carton était clairement identifiable. Les trois premiers furent ceux de la chambre, les suivants ceux qui renfermaient le contenu de l’armoire. Albert passait les cartons à Clément qui les entreposait dans un autre coin.
Heureusement, la pièce était grande et bien rangée. Encore quelques cartons puis Monsieur Albert en prit un qui portait la mention bibliothèque. Il le passa à Clément qui l’ouvrit et le suivant marqué par la même mention fut ouvert par lui-même. Dans les cartons, des livres il y en avait de toutes sortes, mais ils firent chou blanc aucun n’était relié…
Ils cherchèrent encore, ouvrirent d’autres cartons étiquetés « bibliothèque ». En vain, tous se révélèrent sans le livre qu’ils cherchaient…
Tout à coup, Albert comprit pourquoi ces cartons ne contenaient pas le livre tant recherché… Il se rappela ce que la mère avait dit : « Il y avait un vieux livre qu’il avait laissé à côté de son fauteuil dans le salon ». Par conséquent, le carton recherché était marqué « SALON », pas « bibliothèque » suivant la méthodologie de la mère. Sans la présence d’esprit de Monsieur Albert, ils auraient pu passer à côté. Ce dernier, retourna illico à la pile de cartons. Il en repéra trois nommés « salon », et dans le premier, à peine ouvert, sur le dessus, le livre… Il était beau et luisant comme au premier jour où Monsieur Albert l’avait trouvé sous l’armoire de la boutique d’antiquités. Ayant récupéré ce qu’il était venu chercher, il remonta avec Clément pour les remercier, les dédommager et leur dire au revoir. Ce qui fut fait rapidement. Ensuite, Albert disparut de leur vie comme il y était rentré. Après avoir lâché quelques billets aux parents d’Armand, il prit congé et rejoignit son véhicule.
Il lui restait un dernier livre à trouver, celui de Katia, offert par son mari Otto Didact. Albert reprit la route de Nîmes et rentra directement chez lui. La route le fatiguait vite. Il irait donc chercher le dernier livre le lendemain, après avoir porté celui-là à Valérie, son acolyte.
Comme prévu le lendemain, à dix heures du matin, il ouvrit la porte du magasin et Valérie fut ravie de le voir une nouvelle fois.
– Alors quelles sont les nouvelles ?
– J’ai retrouvé un livre de plus, celui d’Armand Dataire et vous ?
– Moi j’ai eu de la chance, mais quel périple pour retrouver les deux derniers !
– Il ne m’en reste plus qu’un à vous ramener, celui d’Otto Didact et par conséquent ce sera le dernier, on est bien d’accord.
– Oui, c’est ça, c’est le dernier !
– Bon alors j’y vais ! À tout à l’heure !
Monsieur Albert était très impatient de retrouver le dernier livre, celui qui allait refermer la collection et permettre qu’elle soit à nouveau complète. La rue où habitaient Otto Didact et sa femme, menait directement à la Tour Magne, un vestige romain très apprécié des touristes.
Cette tour, construite en l’an 15 et 16 avant J.-C., haute de 36 mètres à l’époque romaine, ne mesure plus que 32,50 mètres ce qui en fait un des vestiges le plus haut de Nîmes. Elle servait sûrement de tour de guet défensive ou pour envoyer des signaux avec des feux lumineux. Elle était aussi le point culminant où aboutissait un chemin de ronde qui surveillait la ville.
Monsieur Albert venait de descendre du bus et cheminait maintenant vers la rue de la Tour Magne qu’il allait atteindre rapidement. Il le savait, car il flânait souvent dans le coin avec sa femme, quand elle était encore en vie. Il se remémorait toutes ces promenades, traversant les jardins de la fontaine jusqu’à la tour pour redescendre le soir avant que la nuit ne tombe.
Sa femme adorait ces promenades, Albert y avait pris goût au fil du temps. Plus, il devenait vieux et plus ces promenades lui parurent indispensables.
Maintenant qu’il se retrouvait seul, c’était quelques-uns des souvenirs qui lui faisaient repenser à sa femme qu’il avait adorée. Ils avaient été heureux pendant presque quarante ans, puis un cancer fulgurant avait renvoyé sa femme au ciel. Même si la maladie avait été douloureuse à vivre, sa femme n’avait pas trop souffert. De plus, il se félicitait de l’avoir accompagnée au plus près, et le plus longtemps possible.
Il arrivait devant la maison d’Otto Didact. Il clopinait appuyé sur sa canne. Il ne fit pas très attention à l’environnement et ne remarqua pas la voiture banalisée qui se trouvait garée en face. Albert était préoccupé par les numéros pour ne pas rater la maison de Monsieur et Madame Didact :
– 22, 23, 24, ça y est c’est là ! 25 rue de la Tour Magne.
Il sonna à l’interphone, une voix lui répondit :
– Oui !
– Monsieur Otto Didact, je suppose ?
– Oui qu’est-ce que vous me voulez ?
– Vous allez trouver cela curieux mais j’ai des renseignements sur la mort de votre femme. Puis-je entrer pour vous les exposer ?
– Bien sûr, je suis très intéressé ! s’exclama Otto.
Un petit clic, et le portillon se déverrouilla, Albert le poussa et entra dans la propriété.
– Bonjour, je suis Monsieur Albert Ponche…
Otto lui coupa la parole, instantanément :
– Vous avez des renseignements sur la mort de ma femme avez-vous dit ?
– C’est exact ! Je tenais la boutique d’antiquités où vous avez acheté le dernier livre qu’elle a lu. N’est-ce pas ?
– Oui, c’est bien ça ! Mais comment le savez-vous ?
– Alors d’abord je suis là pour récupérer le livre.
– Récupérer le livre mais pourquoi ? Il est à moi !
– Oui il n’y a pas de doute, il est à vous. Seulement j’ai besoin de vous le reprendre pour quelque temps. Si vous voulez, je vous le ramènerai quand tout sera fini.
– Bon d’accord, mais pour la mort de ma femme, de quels renseignements parliez-vous tout à l’heure ?
– Alors il semblerait que ce soit le livre qui soit responsable de la mort de votre femme.
– NON ! C’est possible ça ? Le légiste a dit qu’elle s’était étouffée avec un biscuit ! C’est stupéfiant ce que vous m’apprenez là !
– Je suis désolé d’être aussi abrupt avec des révélations aussi surprenantes mais je ne sais pas enrober les choses. Je parle franchement, vous comprenez ?
– Oui, plutôt bien ! Je vais vous chercher le livre.
Une fois dans la bibliothèque/boudoir, Otto qui avait un micro sur lui posé par la police, donna le code convenu :
– Le client est là !
Les policiers qui connaissaient leur travail et qui étaient en planque depuis des jours, étaient enfin heureux que le poisson ait mordu à l’hameçon. Ils n’avaient plus qu’à attendre qu’Albert sorte et ils le cueilleraient comme une rose.
Déjà Otto revenait avec le livre. Il transpirait à grosses gouttes, il avait l’air très mal à l’aise. Cela n’inquiéta pas Monsieur Albert obnubilé par le livre.
– Le voici le livre ! Il est inutile de me le ramener. Gardez-le, surtout s’il est la cause de la mort de ma femme, je ne le veux plus chez moi.
Otto donna le livre à Albert :
– Je vous remercie, je vais en prendre soin. Je ne vais donc pas vous ennuyer plus longtemps.
– D’autant que vous êtes attendu, je crois !
– Non, pas spécialement !
Albert n’avait pas compris l’avertissement lancé par Otto pour le prévenir que la police était postée devant la maison depuis plusieurs semaines. Cependant, la phrase prit tout son sens quand…
À peine dehors, Monsieur Albert se retrouva enserré par les deux policiers. Le sergent Bradroi sortit sa carte :
– Police, veuillez nous suivre !
– La police ! Mais qu’est-ce que vous me voulez ?
– Le lieutenant Trèchaud, veut vous voir, vous entendre et vous parler. Il vous expliquera tout au poste. Suivez-nous !
Les deux policiers embarquèrent Monsieur Albert dans la voiture banalisée. En route pour le commissariat. Ils ne lui passèrent pas les menottes, il n’était pas arrêté.
Après seulement quelques minutes de route, ils se garaient dans la cour du SRPJ de Nîmes. Ils firent entrer Monsieur Albert qui n’était pas très à l’aise.
Le Lieutenant Trèchaud voulait l’entendre, avaient dit les policiers, mais l’entendre sur quoi ? Rien ne le rassurait.
Monsieur Albert fut installé dans une salle d’interrogatoire. Il fut invité à attendre là. Jeff Trèchaud le laissa patienter volontairement plusieurs dizaines de minutes. Puis, il entra théâtralement dans la pièce, pour que son entrée fût remarquée par Albert : il voulait impressionner le vieil homme et lui montrer que c’était lui qui menait l’interrogatoire. Le Lieutenant commença à poser ses questions :
– Bonjour, nom, prénom et adresse ?
– Albert Ponche, 12, boulevard Talabot à Nîmes, ça vous convient ?
– Cela m’est égal l’endroit où vous habitez. C’est juste pour le noter, c’est la procédure. Ce qui m’intéresse c’est de savoir qui vous avez tué ?
– Je n’ai tué personne. Que voulez-vous me mettre sur le dos ? J’avoue tout mais attention que l’on soit bien d’accord, je n’ai tué personne. J’avoue que j’ai tenu le magasin d’antiquités, j’avoue avoir vendu des livres. Mais je n’ai tué personne.
– Vous avouez tout mais je ne vous ai accusé de rien encore ! répliqua le Lieutenant Trèchaud. Si vous commenciez par me raconter ce qui vous préoccupe tant au point de vous accuser vous-même.
Voyant que l’officier ne savait pas grand-chose, Monsieur Albert fit marche arrière.
– Je suis désolé, je suis très vieux, j’ai eu peur. Vous m’arrêtez alors que je n’ai rien fait. Vous me traitez comme un criminel, vous voulez que je vous dise qui j’ai tué alors que je n’ai tué personne… Vous pouvez deviner qu’un tel traitement puisse impressionner un vieil homme comme moi.
– Oui évidemment, mais vous êtes là en tant que témoin. Je ne vous ai accusé de rien. Cela ne crée pas une situation favorable pour vous. Au contraire, ça crée de la suspicion envers vous. Pourtant je ne pense pas qu’une personne aussi âgée que vous ait pu tuer depuis si longtemps une vingtaine de personnes. Je vous imagine mal dans le rôle du tueur en série que je recherche. Quelque chose ne tourne pas rond ? J’aimerais que vous me racontiez votre histoire.
– Dans ce cas, on n’est pas arrivé, ça risque de prendre du temps.
– J’ai tout mon temps je vous écoute, ajouta le policier.
Monsieur Albert n’était pas très rassuré. Toutefois, il commença à raconter son histoire au Lieutenant Jeff Trèchaud :
– Cette histoire commence quand Pierre-André et moi-même, nous nous sommes rencontrés à l’armée. J’étais sergent et Pierre-André simple soldat. En 1960, j’ai eu de la chance. En sortant de l’armée, Pierre-André a acheté une boutique et comme il devait rester dans sa ferme, il m’a demandé de tenir ce magasin. J’ai rempli ce rôle. J’ai arrangé la boutique. Je vendais des tableaux, des bibelots, des meubles anciens, le magasin tournait bien et il était rentable. Cela a duré longtemps, puis un jour j’ai décidé de faire du rangement dans le fourbi qu’il y avait. J’ai bougé des meubles et, sous une armoire, j’ai découvert des livres comme celui que j’ai encore avec moi… C’est le dernier d’une série de livres et il faut que je le ramène d’urgence au magasin pour que la série soit complète.
– Plus tard, plus tard ! Continuez, pour l’instant de toute façon, j’ai quelqu’un qui surveille la boutique « Le vieux parchemin ». J’ai découvert que toutes les personnes mortes avaient un lien avec cette boutique.
Le Lieutenant était impatient de connaître la suite :
– Je vous en prie, continuez.
– Il est très important de ramener le livre pour compléter la collection, je pense que c’est la solution du problème.
– Vous voulez dire qu’il n’y aura plus de mort si vous réunissez les livres, c’est ça ?
– Oui, cela est certain. Je vous le garantis, plus aucun mort, j’en suis sûr ! De toute façon, ces livres vont être détruits afin d’avoir la certitude qu’ils ne tueront plus personne.
– Bon moi ça me va ! Plus de mort, plus d’enquête. Il me faudra un coupable pour clore mon rapport. On y reviendra plus tard. Terminez de me raconter votre histoire afin que j’y voie plus clair. Vous en étiez au moment où vous avez découvert une série de livres sous une armoire je crois ! Continuez !
– En effet, le hasard m’ayant fait découvrir ces livres que je trouvais très beaux car ils étaient anciens, je les ai mis en vitrine pour qu’ils soient exposés aux visiteurs. Bien sûr, j’en ai vendu quelques-uns : sept exactement sur les vingt que j’ai découverts. Je ne savais pas que de vieux livres pouvaient avoir un pouvoir maléfique et tuer des gens.
– QUOI ! Vous voulez dire que les coupables de ses victimes ce sont les livres ?
– J’ai bien peur de vous décevoir mais c’est effectivement le cas. Ce n’est pas moi qui ai tué ces personnes, je n’ai vendu que quelques livres et ils sont morts. Cela reste une vérité, un fait. Vous aimez bien les faits dans la police. Celui-là est indéniable, les gens qui ont lu ces livres sont morts.
Monsieur Albert marqua un temps d’arrêt, il but une gorgée d’eau qu’on lui avait apportée, puis reprit son histoire :
– Au début, je ne le savais pas, je ne l’ai appris que très récemment, sinon je ne les aurais pas vendus, vous vous en doutez bien !
– Oui, je comprends, comment l’avez-vous appris ?
– D’abord, nous avons eu des doutes avec Pierre-André à cause des gémissements nocturnes. À partir de la première vente, tous les soirs dans la boutique j’entendais des plaintes lancinantes. Chaque fois que je vendais un livre, les plaintes augmentaient. Comme nous n’avons pas trouvé la façon de les faire disparaître, nous avons opté pour la fermeture de la boutique pour ne pas nuire à la population… Les gémissements n’étaient pas supportables et les acheteurs de ces livres ont commencé à mourir, même si à l’époque, nous n’avions pas connaissance de ces événements morbides. Nous n’avions pas fait le lien entre les ventes et les morts suspectes, ou accidentelles. Ce n’est que quand la boutique à ouvert à nouveau que j’ai commencé à surveiller les journaux et que j’ai découpé les articles des faits divers sur les morts suspectes comme Yvan ou Katia et c’est là que j’ai compris que le problème venait des livres.
– Qui a repris le magasin d’antiquités ?
– C’est la petite fille de Pierre-André qui en a hérité et qui a décidé de l’exploiter. Elle a découvert les livres de la même manière que moi et avant que j’aie compris que les livres tuaient les gens, elle en avait vendu quatre de plus. Je lui ai alors montré les articles de journaux et elle a stoppé les ventes. Puis avec Valérie, nous nous sommes concentrés à la récupération des livres. Le dernier est devant vous !
– Qu’est-ce qu’ils ont de particulier ces livres pour tuer les gens ? Je peux le regarder celui-là ?
– Attention, vous ne devez pas le lire !
Le Lieutenant Jeff Trèchaud ouvrit le livre. Sur la page de garde, il découvrit le nom de l’auteur Luc Sifaire.
– Pourquoi est-il écrit à l’encre rouge ?
– Vous avez remarqué aussi, c’est surprenant !
– Oui déroutant même ! On penserait qu’un vieux livre serait écrit en bleu ou en noir, non !
– Évidemment, vous ne voyez pas pourquoi ils sont écrits en rouge !
– Non, franchement je ne vois pas !
– Je vais vous le dire alors. Cela a été notre première découverte : les livres sont écrits avec du sang humain.
– Non ! C’est possible ça !
– Eh oui, vous comprenez maintenant pourquoi ce sont les livres qui tuent les gens, ils ont un pouvoir maléfique. Vous avez remarqué le nom de l’auteur ?
– Bien sûr ! Luc Sifaire c’est proche de Lucifer. Seulement si mon coupable est le diable je vais avoir un problème pour lui faire un procès en règle. En plus, je vais passer pour un blaireau si je vais voir mes supérieurs et que je leur dis : « C’est le diable notre tueur ». Ils vont se foutre de moi ! Je risque même ma place sur un coup comme ça ! Ma hiérarchie n’aime pas les plaisanteries.
– J’ai une solution pour vous sauver la mise.
– Faites m’en part, je suis impatient !
– Vous oubliez tout et vous nous aidez à détruire les livres. Les preuves une fois disparues, il ne vous restera qu’une affaire non résolue « Un cold case ». Vous en pensez quoi ?
– Vous avez une solution ?
– Normalement. Une voyante nous a conseillé de brûler tous les livres car cela devrait libérer les esprits prisonniers.
– Vous me prenez pour un imbécile…
– Au contraire, si je vous raconte cette histoire, je vous prends plutôt pour quelqu’un d’intelligent capable de comprendre. Vous l’avez dit vous-même, vos supérieurs qui ont besoin de résultats ne pourraient pas comprendre. J’en suis bien conscient, on marche sur la tête. Cependant, c’est la réalité et la vérité de cette histoire. Sinon je serais venu vous trouver moi-même pour vous expliquer. J’ai choisi d’attendre et j’ai bien fait car avec les preuves que vous avez assemblées, vous savez que j’ai raison.
– Je n’en suis pas certain ! Toutefois, je n’ai pas le choix. Je dois vous faire confiance et espérer que votre plan va fonctionner. Vous avez une option de rechange si ça ne réussissait pas.
– Pour l’instant non ! La voyante nous a affirmé que tout brûler résoudrait la situation. Il faut lui accorder qu’elle est la personne la plus appropriée pour savoir ce qu’il faut faire. Il ne me serait pas venu à l’idée de brûler les livres pour libérer les entités, c’est la seule solution. On ne sait pas si ça va fonctionner mais il faut essayer on verra après.
– Bon, d’accord, allons-y !
Monsieur Albert et le Lieutenant Jeff Trèchaud sortirent du bâtiment. Albert avait toujours le précieux livre avec lui. Comme c’était le dernier qui complétait la collection, celle-ci serait reconstituée en totalité, une des conditions nécessaire à la destruction. Il était impatient de le montrer à Valérie qui devait être inquiète.
Pendant le trajet, l’enquêteur se posait des questions, une enquête sur fond d’ésotérisme et de surnaturel ce n’était pas commun. Celle-là était même sa première enquête de ce type. En général, les criminels, les meurtriers, les assassins ou les tueurs en série avaient peu recours à ce genre de méthodes. Heureusement car ils laissaient des indices matériels qui permettaient de les arrêter, mais des esprits immatériels, par définition : comment pourraient-ils laisser des indices ?
Le policier en était là de ses réflexions et interrogations lorsqu’ils arrivèrent à la boutique de Valérie. Dès qu’elle vit Monsieur Albert avec le livre dans les mains elle parut rassurée.
Mais qui était l’inconnu qui était avec lui ?
Elle se précipita vers la porte :
– Alors ça y est vous l’avez ?
– Oui j’ai réussi c’est le dernier, tenez !
Monsieur Albert remit le livre à la commerçante. Il fit une pause et Jeff Trèchaud en profita :
– Bonjour, je me présente, je suis le Lieutenant Jeff Trèchaud.
– Valérie Turpignon, antiquaire. Que faites-vous ici ?
– Quand le vieil homme qui m’a amené chez vous a récupéré le livre qu’il vient de vous remettre, je l’ai fait arrêter par mes hommes postés devant chez Otto Didact. Il n’est qu’un simple témoin, comme vous, car je sais que ni vous ni lui n’avez tué la femme d’Otto. Le médecin légiste m’a confirmé qu’elle s’était étouffée avec un biscuit. C’est un accident regrettable mais un accident ce n’est pas un crime. Quant à Yvan Dresamer, il a été victime d’une crise cardiaque. Cela ne peut pas être considéré comme un crime et d’ailleurs, chaque victime de cette affaire est morte dans des circonstances plus ou moins naturelles, c’est cela qui me pose le plus de problèmes pour l’instant. En fait, je n’ai rien qui puisse nourrir mon enquête : une crise cardiaque, un étouffement accidentel, une noyade dans une baignoire, rien de concret. Chacune des victimes était seule quand elle est morte et par conséquent, personne ne les a tuées mais peut-être que ce sont des esprits « les tueurs ». Vous croyez que cela est possible ?
– Vous avez raconté ça dans vos rapports ? Faites attention vous allez passer pour un dingo ! ajouta Valérie en riant à moitié.
– Évidemment, je n’en ai parlé à personne, je ne suis pas idiot, je veux essayer d’avoir des certitudes avant. J’espère que vous allez m’en apporter !