Mer sombre, furieuse, démontée. Vagues écumantes, qui se fracassent sur des chicots noirs plantés dans les gencives de la côte. Vents cinglants, féroces, saturés d’embruns. Couleurs sulfureuses, bistre et sanguines : traduction d’une vision infrarouge qui transperce les nuages. Un bateau secoué dans la houle, bousculé par des collines liquides, dévalant des gouffres tourbillonnants… Crash ! Le bateau craque – spasme d’agonie –, se fracasse, se disloque, coule en quelques secondes. Des débris flottants s’éparpillent entre les dents de la côte…
Mouais, juge Hang, affalé sur son cliclac devant son moniteur 2D. Très romantique, mais déjà vu mille fois : Frères de la Côte est truffé de scènes semblables.
— Séquence suivante, commande-t-il.
Collines vertes étagées en terrasses qui reflètent le bleu du ciel et l’éclat du soleil. Pointillés des cultures, points colorés se mouvant doucement. Les points colorés sont des gens, penchés sur de longs sillons parallèles plantés dans l’eau. Dispersés sur les terrasses de la colline, dans l’eau jusqu’aux genoux, des chapeaux coniques sur la tête, munis d’outils rudimentaires, tous ces gens repiquent du riz. Des nuées de moustiques les harcèlent. Absorbés par leur travail, ils n’y prennent pas garde…
— Stop, grogne Hang.
La dernière image se fige.
Il checke le nom du satellite dont les coordonnées sont affichées au bas de l’écran : ISA-RESAT V2.8, un satellite indien de gestion des ressources. Sa console est théoriquement programmée pour ne retenir que des images violentes, spectaculaires ou insolites. Que vient faire ici cette paisible scène agricole ? Erreur de réception ? Défaut de son log de tri ? Bah, il traitera ce problème plus tard. Sa console trop sollicitée aurait bien besoin d’un reset…
— Effacement – confirmation. (La feuille 2D vire au bleu.) Séquence suivante.
Une grande ville, tissu urbain aux mailles serrées, survolée lentement. Au loin, parmi une concentration verticale au style agressif-conquérant typique de la fin de l’âge d’or économique, s’élève une épaisse fumée noire. Des hélicos frelonnent entre les tours. Un soleil blanc tropical éclate en reflets aveuglants sur les façades de verre. Au sein des lourdes volutes, des flammes : une tour est en feu. Un hélico pique dans la fumée, crache des salves d’éclairs rouges. (L’image s’obscurcit, puis s’éclaircit en fausses couleurs) Gorge étroite entre les falaises de verre et béton, la rue grouille de monde. Brassages de foule : ça court en tous sens, se bouscule, se disperse, se regroupe. Des véhicules trapus évoquant des cloportes fendent les masses comme des brise-glaces, tout clignotants de gyrophares. Des traits bleutés en fusent, explosent parmi la foule qui riposte : des fumerolles, des aigrettes de feu s’élèvent çà et là. Une barricade embrasée est défoncée par l’un des véhicules. Un autre est incendié à jets de lance-flammes… Les rues alentour sont moins peuplées. Des cloportes de renfort les parcourent à toute vitesse, convergent vers le lieu de l’insurrection. L’un d’eux est brutalement stoppé par un réverbère qui s’abat en travers de la rue. Une foule l’encercle aussitôt… Le reste de la ville est d’un calme mortel.
C’est ça que je veux ! exulte Hang, penché au bord de la banquette.
— Sauvegarde ! s’écrie-t-il.
Un point rouge s’allume au bas du flexe scotché au mur de sa piaule, puis s’affichent les coordonnées du satellite, la nature de la réception, la date et l’heure, ainsi que la durée de la séquence : 00:03:07:24. Trois minutes sept, c’est court, regrette Hang. Tant pis, j’arriverai bien à en tirer dix minutes…
Une autre ville, une autre rue, un autre combat – froidure et terreur, bruits de bottes, cliquetis des armes
— Séquence suivante.
Un paysage semi-désertique, écrasé de soleil. Mesas rocailleuses parsemées de broussailles grisâtres, d’épineux rachitiques, de cactus dressés vers le ciel comme des mains atrophiées. Une piste pierreuse, à peine tracée, serpente entre les collines. Une nuée de poussière ténue flotte au-dessus, signe d’un passage récent. Le nuage de poussière s’épaissit. Quelques personnes marchent, vêtues de couleurs vives, des sacs ou des baluchons sur l’épaule. Les marcheurs sont de plus en plus nombreux, s’assemblent en une véritable foule. Hommes, femmes, enfants, vieillards, juchés sur des mulets, des carrioles, des vélos. Ni hâte, ni crainte : tous marchent lentement, tranquillement sur cette piste au milieu de la rocaille et des buissons rabougris, noyés dans la poussière, sous un soleil que l’on devine accablant. L’image, floue à force de grossissement, ne permet pas de distinguer les visages, mais le comportement des marcheurs reflète une certaine sérénité : cette population ne fuit pas, elle se déplace.
Hang reste perplexe devant cette scène étrange. Où vont tous ces gens ? Il y en a des milliers… Un exode ? une déportation ? un pèlerinage ? une fête religieuse, nationale ? La Basse Réalité recèle des mystères dont les inners n’ont pas idée, songe-t-il. Ils s’imaginent qu’elle se résume à leurs conapts déglingués, à leur cité vouée à l’entropie, et croient que la richesse de la vie réside désormais en MAYA. Pourtant le monde est plus vaste que le plus vaste des explorers, plus riche et complexe que le plus sophistiqué des simuls. Des milliards de gens y vivent et interagissent sans avoir jamais entendu parler de MAYA. Si au moins Mate, qui dérange tant les inners, pouvait leur faire entrevoir ce qu’ils ratent en passant leur temps à copier la vie…
— Sauvegarde, ordonne-t-il à sa console.
Hang ignore ce qu’il fera de cette séquence : le prochain passage du satellite lui fournira peut-être la solution de l’énigme… Sinon, elle ira s’enfouir dans ses téra-octets d’archives jusqu’à ce qu’il en trouve un usage.
— Séquence suivante.
C’est la nuit – c’est la guerre. La ville plongée dans les ténèbres est pilonnée depuis les montagnes qui l’entourent : gerbes de feu, pointillés incandescents, déflagrations, incendies. Un épais nuage de fumée stagne au-dessus de la cité. Des salves de missiles composent dans la nuit des panaches flamboyants. Des rayons laser chargés d’ultraviolets griffent le ciel, abattent des bombardiers qui explosent dans les montagnes. D’autres larguent sur la ville des bombes autoguidées – éphémères champignons embrasés. Une guerre conventionnelle, spectaculaire, presque irréelle dans la nuit et le silence. (Vision infrarouge qui annihile les ténèbres) La ville n’est plus que ruines, carcasses fumantes, bâtiments éventrés, avenues défoncées, tas de gravats. Une rivière coule au milieu, couleur de sang, léchant des ponts effondrés. Les explosions apparaissent comme d’énormes boules blanches frangées de rose, les tirs laser comme des rayures éblouissantes. Nul être vivant, seulement des machines de mort qui s’entre-détruisent…
— Fabuleux ! Sauvegarde !
Voilà de quoi gonfler mon audimat ! Les inners en prendront plein la gueule ! Je vais leur bichonner une séquence qui va spliter leurs consoles, exploser leurs cyglasses ! À côté leurs wars débiles genre Global Soldier auront l’air de wayouts-garderies pour moins de quatre ans !
— Séquence suivante.
Fin de transmission, avertit le moniteur.
C’est tout ? s’étonne Hang, déçu. Cinq malheureuses séquences ! Hé les sats, un petit effort ! Déjà usés ou quoi ? Enfin, deux bonnes séquences sur cinq, c’est toujours ça… Je vais leur imploser les rétines, à tous ces inners enkystés dans leurs simuls.
Il se lève, s’étire, se frotte les mains. Au boulot, Hang, au boulot ! Mate est toujours là où ça chauffe ! Bon, l’insurrection urbaine sera pour KD-Links, ils aiment bien ça… Mais la guerre, je me la garde !
D’autres ruines, d’autres morts, terreur en noir, crépitements des Kalachnikovs
Une heure plus tard, tandis qu’il synthétise sur sa console une perspective 3D « au sol » de la ville en guerre d’après un traitement de plusieurs vues aériennes (bidouillage destiné à faire croire qu’il y était), une sonnerie stridule soudain. Hang panique un instant (qu’est-ce qui se passe ? je plante ? c’est l’heure du Vieux ?) avant de découvrir la provenance de cette alarme agressive : l’antique téléphone analogique qui orne une étagère exposant une collection (jamais poursuivie) de matériel télécom de l’ère préinformatique.
C’est un appel de Slum City. Il ne peut venir que de là. Car ce téléphone est relié à une VHF. L’antenne est sur le toit de l’immeuble, fixée à sa parabole personnelle de réception satellite, fournie par KD-Links à son embauche. Une antenne similaire est accrochée sur la plus haute des ruines de Slum City, et connectée à un autre appareil préhistorique du même type. C’est par ce canal unique que Hang est rapidement informé des événements majeurs qui secouent la banlieue. Il est analogique, donc impiratable, et totalement inconnu des réseaux. Un bricolage à la mode Slum City – qui fonctionne…
— Allô ? décroche Hang.
— C’tâ, fouille-merde ?
— Non, c’est le président des îles Fidji.
— J’t’encule, têtneu ! C’tâ, yé ou no ?
Cette chère Zora, toujours aussi aimable. L’appareil donne l’impression qu’elle appelle de Mars, à travers une tempête solaire.
— Qui veux-tu que ce soit, Zora ? Qui d’autre que nous sur ce canal ?
— No sais, pige queud à ta tekno d’inner pourri. Bouge ton cul fissa, mate-la-mort.
— Qu’est-ce qui se passe ? Une nouvelle razzia ?
Hang frémit à cette perspective : la dernière fois, il a bien failli se faire bouffer, comme Zora l’en avait averti. Les hordes du Nord étaient sauvages et armées jusqu’aux dents. Hang s’est enfui avant la fin du carnage. Il n’est pas outer : il n’a pas tenu le coup.
— Pinuts, bitmol ! No baston toudai ! Charley i crève. Veut t’voir fissa. No sais pourquoi : ya +goud à mater en crevant qu’ta gueule trach.
— Chacun ses goûts, Zora. Si j’ai envie de baiser par exemple, il me suffit de penser à toi pour que ça passe aussitôt.
— Bitmol ! Culé sec ! Des merdes com’tâ j’en chie tles jours ! Amène-tâ que j’t’écrase !
— J’arrive, ma chérie. Charley va vraiment mal ?
— L’était +goud avant qu’Polo l’visite.
— Polo est avec lui ?
— +moins. Sa viande est là.
— J’arrive tout de suite. Dis à Charley de ne rien accepter de Polo, OK. ?
— Pinuts, nounou. Spid ton cul si t’veux t’mater avant qu’i daid.
L’odeur de maladie et de mort empuantit la piaule de Charley pire que jamais, parvient à couvrir les relents de moisissure émanant des immondices qui s’y entassent et les miasmes de merde filtrant des cuves de l’ancienne station-service. Hang s’efforce de ne pas y prêter attention, à l’instar de la Grande Zora qui a posé son postérieur osseux sur le seul tabouret valide de la pièce, et observe l’agonie de Charley, à la lueur incertaine d’une lampe à gazole, avec un air vexé comme s’il mourait exprès pour la faire chier.
Polo, le « toubib », est répandu au pied du grabat innommable de Charley, dos appuyé contre le mur, ses jambes étendues devant lui comme deux bâtons secs. Sa tête vineuse, d’où pendent quelques mèches incolores, retombe sur sa poitrine creuse. Sa maigreur et sa pâleur évoquent un déporté de la Seconde Guerre mondiale. On pourrait le croire mort lui aussi, si une infime respiration ne soulevait par moments le T-shirt décoloré qui flotte sur ses côtes. Éparpillé autour de lui, tout un assortiment de boîtes ouvertes, flacons débouchés, plaquettes de gélules et comprimés entamées. Une seringue autoshoot à moitié pleine d’un liquide noirâtre gît dans sa paume. Ses bras décharnés sont troués comme des passoires, boursouflés d’hématomes et caillots sanguins. Un rat lui court dessus, le renifle, s’enfuit dégoûté. Hang, debout près de la porte (au moins il y a de l’air dehors), frémit à ce triste spectacle, détourne les yeux et les reporte sur Charley.
Celui-ci n’est pas encore mort. Emmitouflé dans des couvertures mitées sur lesquelles il a craché et gerbé bien des fois, il pose sur Hang des yeux brûlants de fièvre, au fond d’orbites aux cernes violacés. Depuis dix jours que Hang ne l’a pas vu, il a fondu comme un mannequin de cire. Sa respiration est pénible et sifflante. Il se retient de tousser : il sait que la moindre quinte pourrait le tuer. Un filet de bave rosâtre suinte à la commissure de ses lèvres : écoulement naturel de ses poumons rongés par la tuberculose ou résultat du « traitement » administré par Polo…
— Tu me filmes ? demande-t-il, dans un filet de voix glaireux.
Hang secoue sa tête coiffée de la bandacam. Il l’a apportée pour tourner des plans des ravages causés par les hordes du Nord la semaine précédente. Il a été déçu ; à part quelques ruines supplémentaires, des traces d’incendies ici ou là, un peu plus de gravats et débris dans les rues, rien ne sortait de l’ordinaire. Dès le lendemain, une fois les morts enterrés, les incendies éteints et les cabanes reconstruites, la vie a repris son cours hasardeux à Slum City, comme si rien ne s’était passé.
— Tu… veux pas un café, Hang ? rauque Charley, qui redresse péniblement la tête.
— Non, Charley, je te remercie.
Le vieil îlotier entreprend néanmoins de se lever. Il repousse les couvertures – un autre rat en détale. Se soulève en tremblant sur un coude.
— Reste couché, Charley. Personne ne veut de café ici.
— Bordel, suis pas encore mort ! Me lèverai si j’veux !
Il est parvenu à se mettre à genoux quand la quinte de toux éclate. Le secoue comme un sac d’os, violace son visage, transforme sa gorge en un faisceau de tendons près de se rompre. Il crache du sang, au bord de l’asphyxie. Cette fois c’est la fin, craint Hang. Il ne sait comment lui venir en aide, calmer ses souffrances. Zora a dû avoir la même pensée, car elle a défouraillé son Cobra pour abréger son agonie. Hang tend le bras.
— Attends, Zora.
En effet, Charley récupère peu à peu. La mort l’a frôlé de près, mais n’a pas encore décidé de l’emporter. Sa toux s’amenuise, il reprend souffle : le bruit de forge redémarre dans sa poitrine. Son visage recouvre sa couleur cireuse habituelle. Il cligne ses yeux larmoyants, sourit niaisement. Le filet de bave rose s’est transformé en une traînée de sang qui dégouline sur son menton.
— Rrheu… racle-t-il. Vieux Charley… plus solide que vous croyez, pas vrai ? Aide-moi à me lever, mon pote.
Hang lui offre le bras. Charley s’y agrippe et parvient à se redresser, flageolant sur ses jambes. Zora rengaine son flingue avec une moue dégoûtée.
— Spid crève, débris, persifle-t-elle. T’crois qu’on va s’taper +long un grab qui s’pisse dessus com’tâ ?
Charley pointe vers elle un doigt accusateur.
— Toi, Zora… si t’étais pas une femme… j’te foutrais mon poing dans la gueule. (Elle ricane comme une hyène.) T’fous d’moi, hein ! Pasque j’suis vieux et malade ! Mais t’au… t’auras plus à me coltiner. Pasque j’m’en vais !
— Ah ouais ? T’vas aux îles Fidji ?
— Aux quoi ? Non… C’est Hang qui m’emmène. Pas vrai, mon pote ?
Hang dissimule son étonnement. Ça y est, Charley disjoncte, pense-t-il. La tuberculose commence à lui ronger la cervelle.
— Je t’emmène où, Charley ?
— À l’hosto. Pour qu’on me soigne. Ce tas, là… (il désigne Polo avachi d’un doigt tremblant) l’est pas foutu de me soigner. Y a un hosto à Paris, Hang ?
— Heu… oui, plusieurs. Mais je sais pas où exactement. Et puis… il y a la Barrière.
— Si j’suis avec toi, j’pourrai passer, non ?
Charley dévisage Hang avec un espoir si pathétique que celui-ci craque : après tout, s’il a une chance sur un million de parvenir jusqu’à un hôpital, autant la tenter. Au point où il en est, que risque-t-il ?
— On peut essayer. Si tu tiens le coup jusque-là…
— J’tiendrai l’coup. T’en fais pas.
Charley redresse la tête et bombe le torse, essaie de paraître plus fringant. Il ne parvient qu’à faire remonter une nouvelle quinte de toux, étouffée de justesse. Haletant, cramponné à Hang, il se dirige à petits pas vers la porte.
— Hey, têtcul… (Hang se retourne à l’appel de Zora.) Merci.
Il hausse son absence de sourcils, fort surpris. Ce « merci » sonne étrangement dans la bouche de Zora, conformée aux insultes et jurons.
— De quoi ?
Les lèvres de Zora se tordent en une grimace inhabituelle : un sourire.
— Pour Charley.
Il ne répond pas, incertain d’avoir capté cet instant de grâce.
Quelques pas plus loin, il se retourne de nouveau : Zora est en train de jeter Polo sur le béton fissuré de la piste. Une quinzaine de loqueteux attendent à la porte qu’elle choisisse celui qui héritera de la piaule de Charley.
Au bout d’une heure de petits pas, entrecoupés de fréquentes haltes essoufflées, à travers le dédale obscur et enfumé de Slum City, Hang et Charley arrivent enfin sur le pont devant la Barrière, qui dresse haut dans le ciel de suie son chatoiement rouge d’énergie mortelle.
— Attends-moi là, intime Hang.
Charley s’effondre sur le bitume boueux, épuisé, souffle court et chuintant. Hang gagne le contrôle 66, qui se matérialise à l’extérieur par une simple borne blindée munie d’une plaque de lecture. Il applique sa main droite sur la plaque, frissonnant à ce contact désagréable. La barrière rouge et blanc vert-clignote et se soulève.
Hang fait signe à Charley, écroulé dans la glèbe en contrebas.
— Grouille ! Ça dure que trente secondes !
Galvanisé par l’espoir, Charley amasse assez de forces pour clopiner jusqu’à Hang.
La barrière retombe brusquement et rouge-flashe.
— Merde, grommelle Hang.
Il se doutait qu’il y aurait des complications.
« La personne qui vous accompagne n’a pas le droit d’entrer, émet l’urbot dans la guérite, d’une voix glacée très différente du ton haché et monocorde habituel. Si elle tente de franchir cette barrière, ou n’a pas dégagé le passage dans vingt secondes, elle sera abattue. Unique avertissement. »
Hang écarte les bras en signe d’impuissance.
Le vieil îlotier roule des yeux effarés sur l’environnement nickel-chrome qu’il aperçoit au-delà du passage – et sur la silhouette immobile de l’urbot dans la guérite, dont la tourelle traqueuse le fixe de ses yeux sans vie.
— Recule, Charley, avertit Hang. Ces machines ne plaisantent pas.
Au lieu d’obéir, Charley prend son élan et se jette sous la barrière – craquement, éclair éblouissant – une masse noire et fumante roule de l’autre côté, s’immobilise en un ultime frisson.
La barrière vert-clignote et se soulève de nouveau.
« Vous pou-vez pas-ser, mon-sieur, émet le gardien de son ton ordinaire. Veuil-lez ne pas tou-cher à ce ca-da-vre. Les ser-vi-ces de net-toie-ment s’en char-ge-ront. Mer-ci. »
— Au fond, c’est ce que tu voulais, non ? se réconforte Hang, qui enjambe d’un pas hésitant le corps carbonisé de Charley.
« Veuil-lez ré-pé-ter vo-tre ques-tion », articule l’urbot.
Hang tend le bras et lui montre son majeur dressé – un geste appris à Slum City, dont la signification échappe au gardien du contrôle 66.