Sa bandacam sur les yeux, Hang est en train de filmer une bagarre de femmes à coups de seaux et de jerricanes autour d’un point d’eau – scène typique de Slum City – quand un petit morveux vient le tirer par sa ceinture porte-accessoires. Il sursaute et rate le plan où une matrone bâtie comme une bétonnière renverse son seau plein d’eau sur la tête d’une autre femme en criant : « Tiens ! Le v’ià ton tour de flotte ! » Relevant son bandacam, Hang fusille le môme du regard. C’est un maigrichon au nez crotté et à la bouche aphteuse, vêtu d’un T-shirt XL incolore et déchiré qui tombe jusqu’à ses genoux cagneux. Une pelade croûteuse dépoile son crâne.
— Zora veut t’voir. Tout d’zuite, zézaie-t-il.
Il détale dans le dédale de Slum City, contraignant Hang à le suivre au pas de course. Au bout d’un itinéraire tortueux, empruntant d’invraisemblables raccourcis à travers des rues favellisées, cours boueuses et fumeuses, escaliers jonchés d’ordures, terrasses encombrées, couloirs décrépits où des formes humaines rôdent dans la pénombre, Hang parvient essoufflé devant un attroupement à un carrefour, dans un quartier qu’il ne connaît pas. Le gamin le plante là, se perd parmi la foule. Hang joue des coudes, marmonne des pardons, se fraie un chemin vers le centre du rassemblement, feignant d’ignorer les regards intrigués voire hostiles qui pèsent sur lui, sa combi neuve, ses traits lisses et ronds de bien nourri, cette excroissance technologique qui enserre son front… Mais peut-être sa renommée l’a-t-elle précédé, car nul ne l’agresse, ne l’arrête.
L’objet de l’attroupement est la Grande Zora elle-même, assise au bord d’une bouche d’égout béante. Penchée sur les ténèbres putrides, elle braille des ordres indistincts. Tout autour, l’épaisse couche de bitume du carrefour a été éclatée à coups de pioche. La plaque qui fermait l’égout, également recouverte de bitume, porte de nombreuses marques de barre à mine.
— Qu’est-ce qui se passe ?
La Grande Zora redresse sa tête de golem inachevé, perfore Hang de l’éclat d’acier de son unique œil valide.
— Vlà fouille-merde ! T’as dérouté par le Nord ou quoi ?
— J’ai suivi le mioche que tu m’as envoyé. J’ignore quel chemin il m’a fait prendre. (Il s’approche de l’égout en plissant le nez devant les miasmes qui s’en dégagent.) T’as découvert un souterrain secret ? plaisante-t-il.
— Gueule d’égout no plombée. Planquée sous l’bitume. L’ont oubliée.
Lors de ses premières visites à Slum City, Hang avait remarqué que toutes les plaques au sol – égouts, eau, réseaux, électricité… – étaient condamnées, soudées à leurs socles, enchâssées dans le revêtement de la rue ou ce qu’il en restait. Quelques tentatives de déplombage avaient été fatales à leurs auteurs : chaque plaque est recouverte d’un enduit explosif qui réagit aux chocs violents, insuffisant pour desceller la plaque mais assez puissant pour tuer ou défigurer celui qui cogne dessus… La raison d’une telle protection est vite apparue à Hang : sous la banlieue courent une partie des nerfs et artères qui alimentent Paris, les réseaux de conduites, câbles et fibres optiques qui relient la capitale au reste du monde. Lorsque la Barrière a été érigée et que la banlieue a été livrée à elle-même, il a fallu protéger ces circuits vitaux de toute déprédation ou piratage… Des milliers de plaques enduites d’explosif, tout un réseau secret sous les pieds des outers. Mais nulle protection n’est infaillible : il suffit d’une bouche oubliée, ensevelie sous le bitume longtemps auparavant…
— Comment vous l’avez trouvée ? s’enquiert Hang.
— Repérée par un sourcier.
— Un sorcier ?
— Sourcier ! La branle ça rend sourd ! (Zora se lève, domine Hang de ses deux mètres.) Tu no sais, sourcier ? Un vieux grab venu d’la brousse pour vivre ici. J’y mande ski sait faire cause on nourrit no glandeurs, y sort un bout d’bois fourchu et m’dit ça rpère la flotte sous terre. J’le mets dans c’quartier sans flotte. Avec son bois y rpère un tuyau, chouffe où creuser… et vlà. (Elle tend sa main calleuse vers la bouche d’égout.) Vazy, têtneu.
Hang esquisse un mouvement de recul.
— Comment ça, vazy ?
— Ya max tuyaux là-dans. Louque le goud.
— J’en sais rien, moi ! Je suis pas plombier !
Hang tente de s’esquiver mais la foule l’arrête, nullement disposée cette fois à le laisser passer. Zora l’empoigne par le col de sa combi, le soulève d’un bon demi-mètre.
— Tu descends tout seul ou jt’y jette ?
Un bruit de ferraille monte du trou nauséabond. Une tête hilare et dégoulinante pointe à l’extérieur, clignant des yeux dans la vive lumière du jour.
— Rpéré la flotte, annonce le type. C’ptain d’tuyau fuit !
— En ce cas, sourit Hang, vous n’avez plus besoin de moi…
Zora qui l’avait lâché le croche de nouveau, hisse son visage à quelques centimètres de sa gueule bombardée, dont les chicots noircis empestent une haleine cariée et des relents d’alcool.
— Pinuts la flotte. C’est l’jus qui m’intéresse. Lectricité, tu captes ? Ya +câbles là-dans, Gus ?
— Un max, sourit le type hilare, ses mèches filasse gouttant autour de ses oreilles en feuilles de chou. Moi j’y no touche. Trop risqué.
— C’câblé va faire.
Zora pousse Hang vers la bouche d’égout.
— Mais j’y connais rien ! répète-t-il, contre tout espoir.
Zora porte la main à l’énorme Cobra glissé sous sa ceinture.
— Tu descends ou j’te descends ?
À contrecœur, Hang suit Gus dans le puits à la puanteur suffocante. Les barreaux de l’échelle métallique encastrée dans la paroi, désagrégés par la rouille, sont friables et craquent sinistrement sous son poids. L’un d’eux cède soudain, dégringole avec fracas, rebondit sur Gus en dessous qui pousse un juron.
— Ptain ! T’veux m’killer ou quoi ?
Hang n’ose plus bouger, un pied dans le vide, les mains agrippées à la barre granuleuse, le cœur battant la chamade. Il ne sait jusqu’à quelle profondeur s’enfonce ce cloaque, ni ce qui l’attend en bas.
— Un barreau s’est décroché, dit-il sur un ton peu assuré.
— J’I’ai senti, ptain ! résonne la voix caverneuse de Gus. Gaffe où tu mets les pieds, l’en manque d’auts. Et bouge ton cul, on va pas y passer la nuit !
Hang lève des yeux désespérés vers le cercle de ciel bleu au-dessus de lui – soudain masqué par la trogne de cauchemar de Zora –, puis reprend sa lente progression vers le bas, éprouve chaque échelon du bout du pied avant d’y porter son poids, affermit ses prises sur le métal glissant, s’immobilise à chaque craquement, fixant d’un regard halluciné la dentelle de rouille qui relie les barreaux au mur tapissé de salpêtre et de moisissures…
— Alors ptain, tu glandes ?
— T’es… t’es en bas ?
— Où tu crois que j’suis ? En enfer ? T’arraches de cette ptain d’échelle, oui ou merde ? Go, saute !
— Je vois rien ! C’est encore loin ?
— Saute, j’te dis, ptain !
Un nouvel échelon se dérobe sous les pieds de Hang – qui lâche tout et saute.
Il s’écrase sur du béton rugueux, au terme d’une chute de plus de deux mètres. Gus éclate de rire à ses côtés.
— T’as raté un ptain d’plongeon… Louque.
Il allume une torche constituée de chiffons imprégnés d’huile moteur et enroulés sur une barre d’acier : sa lueur fuligineuse repousse de quelques mètres les ténèbres alentour. Hang a atterri juste au bord d’un canal excrémentiel, dont la pestilence dépasse les limites du supportable. Un pas de plus et… Il recule précipitamment contre la paroi, au pied de laquelle il dégueule tripes et boyaux. Gus rigole de plus belle.
— Délicat, hein ? Pourtant c’est dla merde de ptains d’câblés… Pue autant qu’la nôt. (Il tape sur l’épaule de Hang qui halète, le front appuyé contre le mur suintant.) Trace, câblé. Les auts nous attendent.
Titubant, nez bouché, secoué de hoquets écœurés, Hang suit Gus le long d’un labyrinthe de galeries glaireuses, radiers vaseux, passerelles branlantes, où la lueur de la torche provoque des fuites précipitées, allume de minuscules yeux rouges sur son passage. Au bout d’une course interminable, ils atteignent une seconde lueur qui brasille dans les ténèbres : à un croisement de collecteurs, un autre outer étudie les alignements de câbles et tuyaux qui se rejoignent et filent parallèles sur la paroi, véritable autoroute d’énergie multivoies. Une sacoche d’outils à ses pieds, l’homme a coincé sa torche entre deux câbles et, à l’aide d’un pied-de-biche, descelle du mur une conduite d’eau qui fuit au niveau d’un raccord. La rigole moussue qui s’est creusée dans la paroi révèle l’ancienneté de la fuite.
— Lors Moud, tu y arrives ? s’enquiert Gus.
Le type interrompt son travail, considère les tuyaux avec une moue.
— J’ai pas tout ski faut. Manque un robinstant pour percer l’tube sans gâcher la flotte, et un fer à souder. Faut aussi une méga longueur de tuyau souple pour driver cte flotte à la surface.
— L’câblé trouvera tout ça en ville…
Abattant sa grosse paluche sur l’épaule de Hang, Gus le pousse dans le cercle de lumière. Moud, relativement gras et âgé, aussi barbu qu’il est chauve, dévisage Hang de ses petits yeux noirs enfoncés sous une épaisse barre de sourcils.
— Lui ? Un câblé ?
— Ouaip. Va nous rpérer l’jus dans c’ptain d’merdier. (Il désigne le faisceau de câbles enrobés d’une croûte de crasse noire.)
— J’croyais kles câblés étaient maigres et blancs, avec des yeux de chouette, remarque Moud.
— Ptain, s’écrie Gus, l’est où Jaky ?
L’outer indique du pouce le grand collecteur qui s’enfonce dans l’obscurité.
— Parti explorer. Y croit kça mène droit sous Paris.
— Est-ce qu’il a pensé à… commence Hang – coupé par un éclair craquant et un bref – horrible – hurlement.
Gus est prêt à se précipiter au secours de Jaky – Moud le retient par le col de son blouson.
— Pensé quoi ? demande-t-il à Hang.
— À la Barrière, achève celui-ci dans un soupir.
— Ptain, veux louquer ça ! s’excite Gus, qui s’enfonce en courant dans les ténèbres.
— Te grille pas aussi !
Moud se tourne vers Hang qui s’est mis à frissonner. S’il finit par supporter la puanteur, c’est maintenant l’humidité qui le transperce jusqu’aux os.
― T’y connais en électricité ?
— Pas du tout, nie Hang vigoureusement. C’est Zora qui s’est mis ça en tête et m’a ordonné de descendre.
Moud se fend d’un large sourire, découvrant des dents étonnamment blanches.
— Sacrée Zora ! Dur lui résister, hein ? Surtout pour un câblé comme toi… Bon, la câblerie est ici, t’vois. Dessous c’est la plomberie : ça c’est mon rayon. Si t’as besoin d’outils, sers-toi, mais tu rmets tout en place. Si j’te vois piquer rien qu’un clou, j’te fous dans la merde, capté ?
Hang acquiesce d’un signe de tête, retenant une nouvelle nausée. Moud se remet au travail sur le tuyau, dont la fuite s’accroît sous ses efforts. Avec la manche de sa combi déjà cradingue, Hang nettoie une portion de chaque câble, dans l’espoir de découvrir une mention claire de sa nature. Mais sous l’épaisse couche de crasse n’apparaissent que des couleurs et des codes chiffrés qui ne signifient rien pour lui. Il remarque toutefois que l’un des câbles est nettement plus tiède que les autres. C’est celui-ci, pense-t-il – ou alors c’est celui qui alimente la Barrière… Si les outers le découvrent et le coupent !…
Gus revient sur ces entrefaites, sa tronche rieuse plissée par la contrariété.
— Trouvé Jaky, déclare-t-il. Enfin, skil en reste… Les rats sont djà à l’niaquer. Mais no vu c’te ptain d’Barrière !
— Elle n’est pas forcément visible, explique Hang. Sa couleur rouge, au-dehors, n’est qu’un effet lumineux dissuasif.
Gus examine les portions de câbles nettoyées.
— Lors tu rpères le jus ?
― Pour moi c’est du chinois. (Hang souligne du doigt les codes mystérieux imprimés sur les gaines.)
— Coupe au filigne, suggère Moud.
— Comment je saurai si c’est une alim électrique ?
— Si tu grilles, c’est goud ! s’esclaffe Gus.
— Et je le coupe avec quoi ?
— Ya une cisaille dans la sacoche, propose Moud.
Hang ne peut plus reculer maintenant. Observé à distance sécurisante par les deux outers, il choisit au hasard un câble rose de taille moyenne, l’arrache du mur sans difficulté (le béton pourri s’effrite autour des fixations), l’enserre entre les deux lames de la cisaille… et retenant son souffle, tranche d’un coup sec – lâche l’outil et bondit en arrière.
Ni étincelles, ni crépitements, ni arc électrique : rien. Empruntant la torche de Gus, Hang examine le câble sectionné : des milliers de petits points brillants, chacun reflétant la lueur de la torche, regroupés en dizaines de faisceaux.
Hang a beau être techniquement ignare, il sait reconnaître la différence entre une alimentation et un câble de fibres optiques. Et il sait – comme tout un chacun – que les fibres optiques sont dévolues à 80 % aux transmissions de données au sein de MAYA.
Bon Dieu, s’affole-t-il en lui-même, qu’est-ce que j’ai fait comme connerie ?
— Alors ? interroge Gus, approchant à son tour.
— C’est pas le bon, grimace Hang.
— Coupe un aut, propose Moud.
Hang réfléchit, se raisonne : après tout, il y a au moins vingt câbles ici, sans compter ceux qui courent en d’autres égouts, ou sont simplement enterrés. Les dégâts ne doivent pas être immenses… Il étudie de nouveau les codes, tente d’y discerner un ordre logique, une occurrence quelconque, l’indication d’une tension par exemple, d’un voltage, d’un débit… Rien d’évident dans ces lignes de chiffres et symboles, langage-machine par excellence. Il se rappelle alors que, chez lui et dans n’importe quel conapt, le fil rouge indique la phase, le bleu le neutre, le vert-jaune la terre, l’orange et le blanc les télécoms, le rose le haut débit, etc. Il doit certainement en être de même ici…
Il avise plusieurs câbles rouges fixés au mur. Il en choisit un au hasard et recommence l’opération – CLAC ! Cette fois, malgré le plastique des poignées, il reçoit une décharge qui le propulse en arrière – il ne doit qu’au réflexe de Gus de ne pas basculer dans le courant merdeux du collecteur. L’étincelle électrique flotte en rémanence verte sur les ténèbres de l’égout. Son cœur tachycarde et ses bras vibrent comme des feuilles.
— Hé, Gus, louque ça !
Moud a ramassé la cisaille et la présente à la lumière dansante de la torche : les lames ont bleui à l’endroit où elles ont tranché le câble, et les poignées ont à moitié fondu.
— +goud, câblé, t’as trouvé !
— Je-je sais pas co-comment vous allez f-faire pour tirer une ligne jusqu’à la surface, objecte Hang assis sur le béton gluant, tremblant encore de tous ses membres.
— On fait queud. Hein, Moud ?
— Queud. Le jus c’est pas mon rayon.
— Alors qui…
Hang ne poursuit pas, car il devine la réponse. Gus lui balance une grande claque dans le dos, avec un sourire niais et édenté.
De retour chez lui, après avoir pris une douche et constaté que tout fonctionnait normalement dans son conapt, Hang se connecte à MAYA afin d’évaluer l’étendue des dégâts.
Ils sont plus importants qu’il ne le craignait : plusieurs options du menu principal portent la mention Accès momentanément interrompu. Veuillez nous excuser.
La honte dans l’âme, il zappe le menu MAYA principal – qui n’existe en fait que pour pomper les crédits des débutants – et entre le code d’Agora, un socnet d’échange d’idées et d’opinions, afin de capter les réactions des inners à cette catastrophe inédite. (Il y a déjà eu – il y a toujours – des pannes en MAYA, mais jamais de cette ampleur : un cybergame bugué, un réseau défaillant, sans plus.) Tandis que la page d’accueil s’étale dans ses cyglasses – la place centrale de l’Athènes antique, avec ses temples à colonnes doriques et ses philosophes en toges blanches entourés de disciples –, un signal d’alerte bipe dans son oreille droite.
Hang se déconnecte en pressant le bouton d’urgence encastré dans ses cyglasses (il n’est pas assez engagé pour risquer un breakdown), les arrache de sa tête et coiffe les écouteurs de son scanner, d’où provient le signal d’alerte. Celui-ci, qui balaie en permanence les fréquences des flics et des pompiers, est programmé sur certains mots clés pour l’avertir dès qu’il se passe quelque chose d’inhabituel : un truc des stringers de jadis, que Hang a redécouvert.
Comme toujours, les flics s’expriment en langage codé, mais cinq années de pratique ont familiarisé Hang à leurs lettres et chiffres ésotériques : il comprend sans mal qu’ils préparent une expédition punitive à Slum City, accompagnés de techniciens et de Forces Spéciales…
Les cris des blessés, les hurlements des femmes violées, les rires des hommes en noir,
les crépitements des Kalachnikovs
Un violent tremblement secoue Hang de la tête aux pieds. Non ! Non ! s’insurge sa mémoire. Mais son côté pro le pousse à attraper sa bandacam et à se précipiter hors de son conapt. Il ne peut pas – ne doit pas – louper un tel clash à deux pas de chez lui !
Tandis qu’il trépigne, au contrôle 66, devant la lenteur de la procédure, l’urbot dans sa guérite le prévient aimablement qu’une insurrection est en cours en banlieue et qu’il est ex-trê-me-ment dan-ge-reux de s’aventurer au-delà de la Barrière. Il ne l’en empêche pas cependant : ce n’est pas son rôle de pallier la folie des hommes.
La barrière se soulève et Hang se précipite à travers l’immense rideau rougeoyant. Les frissons qui le parcourent ne sont pas seulement dus à l’électricité statique : tout son corps le retient, le tire vers Paris, son conapt, son terrier pour s’y blottir en tremblant… Non, je dois y aller, se bagarre-t-il contre lui-même. De toute façon ce ne sera pas pire que la razzia des hordes du Nord l’autre jour. Ce ne sont que des flics après tout, des inners parisiens comme lui.
Il hésite un instant sous les voûtes de béton barbouillé et fissuré de l’échangeur de Bagnolet. Mais la piste est béante devant lui, l’objectif clairement visible – et audible : large brèche de ruines et débris ouverte au sein du bidonville par le passage des blindés, fumées grasses et nuages toxiques dans le ciel de Slum City, clameurs, sifflements des projectiles, dum-dum sourds des canons et crépitements des mitrailleuses…
La mort dans l’âme, Hang emprunte cette artère éclatée, avec l’étrange sentiment de retourner dans la vie antérieure qui hante à jamais sa mémoire.