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L’Outremer

Les Templiers en Orient

L’Outremer est le nom donné aux États croisés situés le long de la côte est de la Méditerranée, de l’Asie Mineure jusqu’à l’Égypte. Il y avait le royaume de Jérusalem, le comté de Tripoli, la principauté d’Antioche, et le comté d’Édesse. Aujourd’hui, la région englobe Israël, les Territoires palestiniens, la Jordanie, le Liban, la Syrie et une partie de la Turquie. Mais les principaux sites associés aux Templiers visibles aujourd’hui se trouvent en Israël et en Syrie, et surtout dans la vieille ville de Jérusalem.

L’Outremer serait tombé bien plus vite sans la présence des Templiers. Ils ont défendu la Terre sainte sur le champ de bataille, mais aussi dans de nombreux châteaux et villes fortifiées, dont des vestiges sont encore présents dans toute la région. Outre Jérusalem et Saint-Jean-d’Acre, les Templiers étaient également présents à Tortose sur la côte syrienne, sur l’île de Rouad et à l’intérieur des terres à Safita, qui, avec le Krak des Chevaliers des Hospitaliers, veillait sur la trouée d’Homs, stratégiquement vitale. Tous ces endroits méritent aujourd’hui le détour.

Israël

Jérusalem est au cœur de l’histoire des Templiers. C’est là que le jour de Noël 1119, en l’église du Saint-Sépulcre, les chevaliers fondateurs prêtèrent serment devant le patriarche et le roi. Ils installèrent leur quartier général sur le Mont du Temple, dans la mosquée al-Aqsa. Lorsque Saladin s’empara de Jérusalem en 1187, les Templiers partirent vers Saint-Jean-d’Acre, ville portuaire qui devint la principale métropole d’Outremer. On peut également retracer l’histoire des Templiers à travers les pierres de ses remparts et le tunnel secret menant au port par lequel ils firent disparaître comme par enchantement leur trésor lors de la chute de l’Outremer.

Jérusalem : la vielle ville

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Panorama de Jérusalem du guide Baedeker de la Syrie et de la Palestine, 1912. La mosquée al-Aqsa est sur la gauche. À sa droite se trouve le dôme du Rocher.

Jérusalem fut le centre de la religion juive pendant trois mille ans, après que Salomon eut construit son temple au xe siècle av. J.-C. Site de la crucifixion et de la résurrection de Jésus au ier siècle apr. J.-C., Jérusalem est la pierre angulaire du monde chrétien. Pour les musulmans, le voyage nocturne que le prophète Mahomet réalisa au viie siècle apr. J.-C. a fait de Jérusalem la troisième ville sainte après La Mecque et Médine. Les sites juifs, chrétiens et musulmans importants sont tous situés au sein de la vieille ville, à l’intérieur des remparts médiévaux.

Les remparts

Les remparts entourant aujourd’hui la vieille ville de Jérusalem ont été reconstruits par le sultan ottoman Soliman le Magnifique entre 1537 et 1541, même s’ils ont été restaurés depuis à de nombreuses reprises. Leur tracé est précisément celui de l’époque de la première croisade, en 1099. Aujourd’hui, les visiteurs peuvent avoir un excellent point de vue de la ville et des alentours en empruntant le circuit pédestre de 4 kilomètres, en partie sur les remparts et en partie à l’extérieur.

Il est possible de marcher sur les remparts de la Porte de Jaffa à l’ouest à la Porte Saint-Étienne à l’est, via la Porte de Damas et la Porte d’Hérode, le long du mur nord. À l’est de la Porte d’Hérode figure l’endroit où, lors de la première croisade victorieuse, Godefroy de Bouillon s’engouffra, le 15 juillet 1099 vers midi, par les remparts nord, rapidement suivi par Tancrède et ses hommes, qui investirent la ville et se dirigèrent vers le Mont du Temple. Quatre-vingt-huit ans plus tard, Saladin porta son attaque contre la même partie de l’enceinte nord lorsqu’il fit le siège de la ville en 1187, entraînant sa capitulation le 2 octobre. Pour emprunter la moitié sud du circuit, de la Porte Saint-Étienne à la Porte de Jaffa, vous devez descendre des remparts et suivre le mur extérieur de la ville. Cet itinéraire vous amène au niveau des énormes murs de soutènement du Mont du Temple, à l’angle sud-est de la vieille ville.

Depuis l’époque médiévale, la vieille ville située entre ces murs a abrité quatre communautés religieuses, qui se sont rassemblées en quartiers : le quartier musulman au nord-est, le quartier chrétien au nord-ouest (à l’exception des Arméniens, qui ont leur propre quartier au sud-ouest) et le quartier juif dans la partie sud du centre de la ville.

L’église du Saint-Sépulcre

L’église du Saint-Sépulcre est située dans le quartier chrétien, à l’angle nord-ouest de Jérusalem, sur les sites traditionnels de la crucifixion, de l’enterrement et de la résurrection de Jésus, lesquels, au ier siècle apr. J.-C. se trouvaient en dehors des murs de la ville.

C’est Hélène, mère de l’empereur romain Constantin le Grand, qui découvrit, lors de sa visite en Terre sainte en 326-328, la Vraie Croix et le site où Jésus fut mis au tombeau et réapparut le troisième jour. Constantin ordonna d’abord la construction d’une basilique baptisée Martyrium (du grec marturion, témoignage) pour englober le site du Golgotha, à savoir le Calvaire, le lieu de la crucifixion, consacré le 17 septembre 335. L’intérieur de la basilique de Constantin est en marbre multicolore et son plafond à caissons est recouvert d’or ondulant, se gonflant comme un océan sous les changements de lumière. Mais la construction de la grande rotonde avec son dôme, également appelée Anastasis (qui signifie résurrection), érigée au-dessus de la tombe de Jésus, prit plus de temps et ne fut achevée qu’en 340.

Le Martyrium et la rotonde furent reliés par une cour et entourés de bâtiments plus modestes, marqués par une histoire tumultueuse, de sorte que l’église que l’on voit aujourd’hui a subi de nombreuses restaurations. En 614, les Perses attaquèrent Jérusalem, volèrent la Vraie Croix et mirent le feu à l’église, détruisant son toit et nombre de ses décorations. Un incendie la ravagea une nouvelle fois, allumé par des émeutiers musulmans en 938, et dévasta par là même la chapelle du Golgotha au sein de la basilique de Constantin et la chapelle du tombeau à l’intérieur de la rotonde. En 1009, l’église et le tombeau furent encore ravagés, cette fois-ci sur les ordres du calife fatimide al-Hakim. Avec l’autorisation du Caire, les empereurs byzantins procédèrent à la reconstruction de l’église sur les anciennes fondations en utilisant des matériaux récupérés.

L’ordre des Templiers fut fondé ici-même, dans cette église reconstruite, lorsque, le jour de Noël 1119, Hugues de Payns et ses huit compagnons firent vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance devant le patriarche de Jérusalem. Se baptisant les Pauvres Chevaliers du Christ, ils se consacrèrent à la défense des pèlerins sur les routes menant aux lieux saints. L’église du Temple de Londres, consacrée par le patriarche de Jérusalem en 1185, tire sa forme circulaire de l’église du Saint-Sépulcre, lieu le plus saint de tout l’univers des croisés.

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La rotonde de l’église du Saint-Sépulcre pendant la messe de Pâques. L’église abrite les sites sacrés de la crucifixion, de l’enterrement et de la résurrection de Jésus.

Des parties imposantes de l’église du Saint-Sépulcre furent modifiées et reconstruites par les croisés entre 1150 et 1180. La façade de l’entrée est essentiellement l’œuvre des croisés et affiche les styles roman et gothique. Le clocher de cinq étages a été ajouté en 1153 et la basilique de Constantin, le Martyrium, fut reconstruite dans un style roman, alors que la rotonde est restée en grande partie intacte. C’est l’église que l’on peut voir aujourd’hui. Pendant le royaume de Jérusalem, l’église était le lieu où se déroulaient les enterrements royaux, mais les tombes furent pillées en 1244 par les Turcs khorezmiens, qui massacrèrent les chrétiens réfugiés à l’intérieur de l’édifice.

Le Mont du Temple

En hébreu, Mont du Temple se dit Har ha-Bayit, mais il est plus connu sous son nom arabe, al-Haram ash-Sharif, qui signifie sanctuaire noble. À l’époque des rois David et Salomon, au xe siècle av. J.-C., une corniche en calcaire s’élevait de la colline de l’Ophel, au sud, là où David construisit sa ville (aujourd’hui Cité de David, parc archéologique situé en dehors des remparts de la ville), et grimpait vers le nord pour former le Mont Sion, son point culminant se situant là où se trouve aujourd’hui le dôme du Rocher. À proximité se trouvait l’aire de battage d’Araunah, dernier roi jébuséen, où David bâtit un autel et où Salomon installa peut-être le saint des saints, l’Arche d’alliance, lorsqu’il construisit son temple.

Salomon tailla la corniche pour en faire une plateforme destinée à accueillir le temple, plateforme qui fut réutilisée pour le second temple, au vie siècle av. J.-C. Puis, lorsqu’il érigea son immense temple rénové et agrandi, au ier siècle av. J.-C., Hérode posa une plateforme plus vaste sur l’ancienne base. Bien que le temple ait été détruit par les Romains en 70 apr. J.-C., une grande partie de la plateforme et ses murs de soutènement sont toujours en place.

Au fil des siècles, des juifs du monde entier sont venus prier devant le mur occidental, le célèbre mur des Lamentations, section visible du mur de soutènement qui a fini par symboliser, non seulement le temple perdu d’Hérode, mais également le Temple de Salomon érigé à cet endroit même il y a trois mille ans. Après la conquête arabe, les musulmans bâtirent le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa sur le mont. Du temps des croisés, le Mont du Temple devint partie intégrante de la ville et toute la moitié sud du Mont un complexe des Templiers, ces derniers tirant leur nom de l’association au Mont du Temple.

Le Mont du Temple est administré par les autorités musulmanes et le mur occidental, à sa base, par les autorités rabbiniques. Les personnes de toutes confessions religieuses peuvent se rendre sur le Mont, même si les juifs orthodoxes refusent de s’y rendre. Seul le grand prêtre était autorisé à pénétrer le saint des saints du Temple et, comme sa position exacte demeure incertaine, les juifs orthodoxes craignent de fouler le plus sacré des lieux.

Le dôme du Rocher

La nature sacrée de Jérusalem pour les musulmans est confirmée par le voyage nocturne lors duquel l’ange Gabriel amène Mahomet au Mont du Temple, site du Temple de Salomon, d’où ils montent au paradis (Coran 17:1). De forme octogonale, coiffé d’un dôme doré et reposant sur un rocher oblong d’où l’ascension a eu lieu, le dôme du Rocher est plus un lieu saint qu’une mosquée, un lieu de pèlerinage pour les croyants, qui tournent en rond dans les déambulatoires en priant. C’est le deuxième plus important lieu de pèlerinage après La Mecque.

Les travaux du dôme du Rocher démarrèrent en 687 sur ordre du calife umayyade Marwan et s’achevèrent pour l’essentiel en 691, réalisés par des artisans syriens dans la tradition byzantine. Il fut recouvert intérieurement et extérieurement de mosaïques en or et de tesselles de différents coloris. Les mosaïques intérieures du déambulatoire extérieur sont d’origine et datent de 691. Les motifs représentent des palmiers, des feuillages, des guirlandes de fleurs et de fruits et des grappes de raisin. Dans les autres parties, les mosaïques intérieures ont été rénovées à plusieurs reprises, par exemple par Saladin, mais aussi beaucoup plus récemment, vers la fin des années 1950, en respectant scrupuleusement les motifs des pièces originales. Les mosaïques extérieures ont été remplacées par des tuiles turques au xvie siècle, lesquelles ont elles aussi été restaurées à la fin des années 1950. Le dôme actuel a été mis en place en 1961, mais, comme l’original, il est en bois, recouvert de dorures en plomb.

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Sur cette vue aérienne du Mont du Temple, le dôme du Rocher est au centre sur le site du Temple de Salomon, tandis que la mosquée al-Aqsa, dont les Templiers ont fait leur quartier général, est sur la droite.

La structure est décorée intérieurement et extérieurement d’inscriptions calligraphiques comprenant toutes les références à Jésus qui figurent dans le Coran, dont l’avertissement destiné aux chrétiens (Coran 4:171) selon laquelle leur foi, reposant sur la divinité de Jésus, est fausse : « Ô gens du Livre [chrétiens], n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allah que la vérité. Le Messie Jésus, fils de Marie, n’est qu’un messager d’Allah, Sa parole qu’Il envoya à Marie, et un souffle [de vie] venant de Lui. Croyez donc en Allah et en Ses messagers. Et ne dites pas “Trois”. Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Allah n’est qu’un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un enfant. C’est à Lui qu’appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre et Allah suffit comme protecteur. »

Mais les traditions à propos du rocher se trouvant directement sous le dôme sont très antérieures à la conquête musulmane de Jérusalem. Il s’agit du sommet du mont désormais recouvert par la plateforme artificielle. C’est donc le point le plus haut de la vieille ville. Une très ancienne source, uniquement connue sous le nom de Pèlerin de Bordeaux, qui a visité la Terre sainte en 333 apr. J.-C., a remarqué l’attachement des juifs à ce rocher, écrivant qu’il s’agit d’« une pierre perforée que les juifs viennent oindre chaque année et devant laquelle ils se lamentent en poussant des gémissements, déchirent leurs vêtements, avant de s’en aller ». Pour les juifs, il s’agit de la Pierre de fondation, car ils pensent que c’est là que David offrit des sacrifices après avoir acheté l’aire de battage d’Araunah, le Jébuséen.

Si des savants laïcs débattent parfois de la position exacte du Temple de Salomon et de son plan, de nombreux juifs sont convaincus que le rocher constituait la base du saint des saints et correspond à l’endroit où se trouvait l’Arche d’alliance. Ils pensent également qu’à l’époque du second temple, lorsque l’Arche disparut ou fut dissimulée, c’est sur ce rocher que le grand prêtre versait le sang des sacrifices et offrait l’encens lors de Yom Kippour.

Sous le rocher se trouve une chambre accessible par une volée de marches en marbre. De forme carrée, elle fait environ 2 mètres de haut et chaque côté mesure dans les 4,50 mètres. La première mention d’une ouverture dans le rocher a été faite par le Pèlerin de Bordeaux, mais la première référence documentée à cette grotte sous le rocher est l’œuvre d’un visiteur arabe, Ibn al-Faqih, en 903 : « Sous le rocher se trouve une caverne dans laquelle viennent prier les gens et qui peut contenir 62 personnes. » Les croisés construisirent l’entrée en marbre menant à l’escalier et cloisonnèrent la chambre, qu’ils utilisèrent pour les confessions.

Après la prise de Jérusalem par les croisés en 1099, le dôme du Rocher fut transformé en église, le Templum Domini ou Temple du Seigneur, et servit également de résidence au patriarche latin de Jérusalem. Les chanoines de l’église du Saint-Sépulcre mirent en place un couvent dans le coin nord-est de la cour extérieure et les Templiers construisirent également quelques quartiers de vie et aménagèrent des jardins.

 

Le mystère du rocher et de sa chambre souterraine

Il n’est fait aucune mention du rocher, ni de sa chambre souterraine lors de la période juive. Ce n’est pas surprenant, car la plateforme artificielle sur laquelle reposaient les temples de Salomon et d’Hérode le recouvrait entièrement. Il semblerait que l’empereur romain Hadrien ait rogné le sommet du Mont du Temple de plus d’un mètre afin d’effacer le caractère juif de Jérusalem. Ce n’est que lorsque le niveau supérieur de la plateforme d’Hérode fut débarrassée que le rocher apparut. À l’origine, il représentait le sommet du mont mais, une fois recouvert par la plateforme, il n’avait plus de lien particulier avec la base de l’autel et le saint des saints des temples de Salomon et d’Hérode. Concernant la chambre souterraine, on pense qu’il s’agissait d’une sépulture creusée quatre mille ans auparavant et tombée dans l’oubli bien avant qu’Araunah ne dispose son aire de battage sur les lieux. Après avoir abaissé la plateforme, Hadrien avait envisagé de bâtir là un mausolée en l’honneur de Jupiter, mais il ne concrétisa jamais son projet. Le rocher et la chambre souterraine sont demeurés exposés, permettant aux juifs et aux musulmans de donner une signification religieuse au site.

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Le Mont du Temple regorge de tunnels et de cavernes, mais cette coupe transversale du xixe siècle d’un ingénieur italien du nom d’Ermete Pierotti est complètement fantaisiste car elle montre un tunnel reliant la grotte située sous le dôme du Rocher (à droite) et la mosquée al-Aqsa (à gauche)

 

La mosquée al-Aqsa

Après la conquête arabe de Jérusalem en 638, le chef musulman Omar disposa d’une mosquée temporaire à l’extrémité sud du Mont du Temple. Cette mosquée fut remplacée soixante ans plus tard lorsque les travaux de la mosquée al-Aqsa débutèrent, pour se terminer en 715. Le terme Al-Aqsa signifie « la plus lointaine » et s’appliquait au départ à l’ensemble du Mont du Temple, car c’était l’endroit le plus lointain, où Mahomet est monté au paradis selon l’interprétation de la sourate 17:1 du Coran. Al-Aqsa, basilique avec un dôme en plomb qui prend des reflets argentés quand le soleil brille, est devenue la grande mosquée congrégationaliste de Jérusalem, le lieu des prières et du sermon de midi du vendredi.

Les Fatimides, Ayyubides, Mamelouks, Ottomans et, depuis les années 1920, le Conseil suprême musulman, ont modifié, agrandi et reconstruit la mosquée, devenue un palimpseste de treize siècles d’histoire architecturale. Les croisés jouèrent également un rôle important. En 1099, elle servit de quartier général au chef croisé Godefroy de Bouillon et, pendant plusieurs années, de palais à Baudouin Ier, premier roi de Jérusalem. Les croisés l’appelaient la mosquée du Templum Solomonis, car ils croyaient qu’elle se trouvait à l’endroit même où se dressait le Temple de Salomon. Ainsi, lorsque Baudouin Ier céda l’édifice à la nouvelle chevalerie des Pauvres Chevaliers du Christ en 1119, peu de temps avant qu’ils ne s’appellent les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon ou, plus simplement, les Templiers.

Al-Aqsa fut le centre administratif, militaire et religieux des Templiers pendant plus de soixante ans. Ils procédèrent à diverses modifications et extensions afin d’offrir des chambres au maître et à d’autres officiers et leurs aides, des quartiers de vie aux chevaliers et des pièces pour stocker vivres, vêtements et armes. Mais ils prirent soin de ne pas endommager les superbes décorations arabes. Certaines réalisations des Templiers existent encore, particulièrement l’annexe qu’ils érigèrent à l’est de la mosquée, aujourd’hui intégrée à la mosquée des femmes et au Musée islamique. Ils laissèrent également leur empreinte dans les Écuries de Salomon.

Les Écuries de Salomon

Les Écuries de Salomon étaient en fait des caves voûtées construites par Hérode le Grand destinées à soutenir l’immense plateforme du Mont du Temple lorsqu’il agrandit et remit à neuf le second temple au ier siècle av. J.-C. Ce vaste étayage suréleva de 45 mètres le niveau du sol à l’angle sud-est du Mont du Temple. On estime qu’il y a quatre niveaux de voûtes, toutefois, seul le niveau le plus haut est accessible, mais il est pour l’heure interdit aux touristes. Les Umayyades réutilisèrent la maçonnerie hérodienne pour restaurer ce dernier niveau à la fin du viie et au début du viiie siècle. Et les Templiers rebâtirent par la suite les arcs. En dehors du support structurel offert pour la plateforme du Mont du Temple, puis pour la mosquée al-Aqsa construite à cet emplacement, ces caves servirent peut-être de réserves au Temple d’Hérode. Les Templiers furent probablement les premiers à en faire des écuries et il demeure aujourd’hui des anneaux fixés à une majorité de colonnes qui servaient à attacher les chevaux.

Un tunnel court depuis le mur de soutènement sud du Mont du Temple sous les Écuries de Salomon. Au bout de 30 mètres, le tunnel est obstrué par des pierres et débris et les archéologues n’ont pas pu mener d’investigations au-delà en raison du refus des autorités musulmanes. Mais, vu le mode de construction du tunnel, souvent avec de gros blocs datant de l’époque du Temple d’Hérode, les archéologues en ont conclu qu’il a été bâti comme une poterne par les Templiers. L’entrée se serait située quelque part en surface et la sortie au niveau du mur sud aurait permis aux Templiers de lancer des attaques surprises contre leurs ennemis.

Le Musée islamique

Les fragments architecturaux et autres objets sortis des diverses structures du Mont du Temple lors des différentes rénovations sont exposés dans le Musée islamique. Parmi eux figurent des exemples du savoir-faire des croisés, mais la salle voûtée des Templiers est la plus belle pièce et sert de principal espace d’exposition. Construite dans les années 1160, cette salle faisait partie du magnifique complexe décrit par Theoderich, pèlerin qui se rendit en Terre sainte en 1172 :

De l’autre côté du palais [al-Aqsa], à savoir la partie ouest, les Templiers ont érigé un nouveau bâtiment. Je pourrais préciser la hauteur, la longueur et la largeur de ses caves, de ses réfectoires, de ses escaliers et de son toit, lequel est très pentu, contrairement aux toits plats de ce pays, mais mon auditoire aurait du mal à me croire.

 

En fait, on peut voir seulement la moitié occidentale de la salle, qui devint la salle de réunion d’une madrasa après la capture de Jérusalem par Saladin en 1187. La moitié est de la salle fut convertie en mosquée pour femmes, qui existe toujours.

Saint-Jean-d’Acre

Saint-Jean-d’Acre, ou Akko en hébreu, est située sur un long promontoire à une vingtaine de kilomètres au nord d’Haïfa. Porte maritime vers l’Outremer pendant toute la période des croisades, Saint-Jean-d’Acre était le principal port de commerce et le point d’entrée pour les pèlerins. En 1191, quatre ans après la capture de Jérusalem par Saladin, Saint-Jean-d’Acre devint également la capitale du royaume tronqué de Jérusalem, et Templiers et Hospitaliers y installèrent leur quartier général. Saint-Jean-d’Acre était la ville la mieux défendue d’Outremer et la forteresse des Templiers, située au bord de la mer, la place forte de la ville. Mais, en 1291, après un long siège, Saint-Jean-d’Acre tomba aux mains des puissants Mamelouks, ce qui marqua la fin définitive des croisades en Terre sainte. Sur ordre du sultan mamelouk victorieux al-Ashraf Khalil, toutes les personnes encore vivantes furent sorties de la ville pour être décapitées, et Saint-Jean-d’Acre fut entièrement rasée.

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Le tunnel secret des Templiers qui court sous les rues de Saint-Jean-d’Acre ne fut découvert qu’en 1994.

Mais, quatre cents ans plus tard, les Ottomans commencèrent à reconstruire Saint-Jean-d’Acre, réutilisant souvent des pierres tombées et érigeant de nouveaux murs et bâtiments sur les fondations des croisés. Cela a donné à la ville une atmosphère médiévale, ce qui, avec ce surplomb spectaculaire au-dessus de la mer, permet aux visiteurs d’imaginer l’apparence de la ville du temps des croisés. En outre, de récentes fouilles archéologiques ont révélé une bonne partie du passé franc, notamment la cité souterraine des croisés et le tunnel des Templiers.

On peut commencer par marcher sur la digue, qui suit la plupart du temps l’alignement des remparts des croisés. À l’angle sud-ouest de ces remparts, où ils surplombent la mer, se trouve un phare, et au nord de ce dernier existe une zone de pierres de carrière désormais sous l’eau, à l’endroit même où était située la forteresse des Templiers. Cette forteresse fut détruite par les Mamelouks en 1291 et les blocs de pierre restants furent employés pour construire la digue du xviiie siècle. Juste en face, se trouve l’entrée du tunnel des Templiers, découvert en 1994 seulement. La partie basse de ce tunnel appartient au soubassement, tandis que la partie supérieure est une voûte en berceau en pierre de taille. La section du tunnel qui va vers l’ouest sous la mer jusqu’à la forteresse des Templiers est inaccessible, mais on peut emprunter le tunnel vers l’est sur 300 mètres, sous le quartier pisan, jusqu’au Khan al-Shuna (auberge des granges), qui repose sur les fondations du xiie siècle.

Contre les remparts nord se trouve la citadelle ottomane du xviiie siècle, plus grand bâtiment de Saint-Jean-d’Acre, bâtie sur les vestiges du quartier général des Hospitaliers des xiie et xiiie siècles mis au jour par les archéologues. Cela a permis de découvrir la cité souterraine des croisés, immense complexe majestueux comprenant des salles, des magasins, un hospice et une crypte avec quatre ailes disposées autour d’une cour. Aussi vaste que puisse être ce complexe, il ne correspond qu’à un seul niveau d’un bâtiment comptant autrefois quatre étages. C’est la plus grosse structure de l’époque des croisés existant à ce jour en Israël. Pourtant, selon des récits de l’époque, la forteresse aujourd’hui disparue des Templiers était encore bien plus grande.

Syrie

Tortose des croisés, aujourd’hui connue sous le nom de Tartous, était un important port de pèlerinage et un point de passage stratégique entre la Méditerranée et l’intérieur de la Syrie. La ville est située à l’extrémité de la trouée d’Homs, côté mer, cette trouée coupant la chaîne de montagnes du littoral, le djebel Ansarieh, tandis qu’à l’extrémité est de cette trouée se trouve la ville importante d’Homs et, plus loin, celle de Damas. Avec Le Caire, Damas était la ville où se rassemblaient les forces musulmanes partant combattre les Francs d’Outremer. Pour répondre à cette menace, les Templiers fortifièrent Tortose, dont la cathédrale est considérée comme la plus belle pièce d’architecture religieuse croisée à avoir survécu en dehors de Jérusalem. Ils construisirent dans les montagnes Chastel Blanc (ou Safita, son nom actuel), qui, avec le Krak des Chevaliers voisin, offrit aux croisés le contrôle total sur la route cruciale reliant l’intérieur de la Syrie à la mer. En 1291, année où l’Outremer succomba à l’assaut final mamelouk, les Templiers de Tortose tinrent deux mois de plus que les défenseurs de Saint-Jean-d’Acre et s’accrochèrent onze ans de plus à leur île de Rouad.

Tartous (Tortose)

Le vieux quartier de Tartous, Tortose des Templiers, est construit sur les vestiges de la citadelle des croisés. Une bonne partie de sa digue longe la Méditerranée tandis que, du côté terre, la citadelle est encerclée par une muraille intérieure et extérieure. Une grande partie de ces remparts existe encore, mais ils sont difficiles à suivre car des maisons ont été construites à l’intérieur des arcs et bastions, et sont adossées sur les murs eux-mêmes. La citadelle occupait moins d’un quart de la ville des croisés et celle-ci était également entourée d’une muraille, aujourd’hui presque entièrement disparue. À l’extrémité sud se trouve une tour carrée séparée, à 450 mètres au sud de la citadelle et juste en face du petit port où l’on peut appareiller pour se rendre sur l’île de Rouad.

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La cathédrale Notre-Dame-de-Tortose a été construite comme une forteresse par les Templiers suite à une attaque de Saladin en 1188.

Tortose appartenait à l’origine au comte de Tripoli, qui le confia aux bons soins des Templiers suite à la brève occupation de Nur al-Din en 1152. Les chevaliers résistèrent au siège de Saladin de 1188 en se réfugiant dans le donjon qui se trouvait juste derrière la digue. En empruntant l’ouverture dans la digue, on peut ensuite se faufiler dans le dédale de rues et la forêt d’habitations peuplant l’enceinte de la citadelle. Une petite place avec un café et des arbres se trouve juste derrière les restes du donjon des Templiers. Sur la partie nord de la place on peut voir des traces d’une salle de banquet des Templiers datant du xiiie siècle, tandis qu’au nord-est se trouvent des vestiges de leur chapelle.

Mais le lieu qui vaut vraiment le détour est la cathédrale Notre-Dame-de-Tortose, à 270 mètres au sud-est derrière les remparts de la citadelle, mais à l’intérieur du tracé de la muraille de la ville des Templiers. En cas de doute, on peut demander la kanisa (église) ou le mathaf (musée), ce qu’est devenue la cathédrale. Mais, pendant les siècles ayant suivi le retrait des croisés de Terre sainte, elle servit successivement de mosquée, d’écuries et de baraquements ottomans. Une chapelle, qui fut, d’après ce qu’on dit, la première à être dédiée à la Vierge, fut construite là au iiie siècle, bien avant que l’Empire romain ne tolère officiellement le christianisme. Lorsque, deux siècles plus tard, la chapelle s’écroula à cause d’un tremblement de terre, le désastre fut qualifié de miracle car l’autel était intact. Le comte de Tripoli s’appuya sur cette histoire lorsqu’il entama la construction de la cathédrale en 1123, dans l’optique d’abriter l’autel miraculé et d’accueillir les prières des pèlerins. Mais l’église que l’on peut voir aujourd’hui fut largement reconstruite par les Templiers après qu’ils eurent résisté à l’attaque lancée par Saladin sur Tortose en 1188, au cours de laquelle ce dernier détruisit la majeure partie de la ville et endommagea sérieusement la cathédrale.

On entre dans Notre-Dame-de-Tortose par l’ouest, là où l’édifice présente un mur blanc uniquement percé par une petite porte, au-dessus de laquelle se trouvent plusieurs fenêtres disposées en triangle, avec des arcs légèrement pointus marquant la transition entre les styles roman et gothique. Notre-Dame-de-Tortose ressemble plus à une forteresse qu’à une église et on peut distinguer les vestiges des tours d’angle qui auraient été employées pour se défendre, même si elles ne furent guère utiles au jeune Raymond, âgé de 18 ans, héritier du trône d’Antioche et de Tripoli, qui succomba aux coups de poignard de deux Assassins.

Lorsque l’on pénètre à l’intérieur, on découvre une cathédrale médiévale française, le plus gracieux des édifices religieux des croisés en Syrie. Vierge de toute décoration chrétienne, son volume vide avale les murmures des visiteurs occasionnels. Pas vraiment ébloui par les détails, le regard suit la trajectoire de ces arcs massifs qui s’élancent depuis des chapiteaux décorés de feuilles d’acanthe, et l’on a alors le sentiment que Notre-Dame-de-Tortose a été construite par des hommes désireux de rester éternellement en Terre sainte.

Safita (Chastel Blanc)

On grimpe à Safita en empruntant les terrasses de vergers et les oliveraies. La ville et ses maisons de pierre blanches et bleues, station de montagne estivale particulièrement prisée aujourd’hui, s’est développée autour du château des Templiers appelé Chastel Blanc, avant-poste de Tortose protégeant des incursions depuis le territoire des Assassins au nord-est et contribuant à la défense de la trouée d’Homs. Les remparts circulaires de la forteresse ont disparu, mais leur tracé reste évident compte tenu de l’agencement des rues et maisons. Le donjon, juché au sommet d’une colline, est visible à des kilomètres depuis toutes les directions tant il se détache dans le ciel.

Comme Chastel Blanc était une forteresse des Templiers, on ne sera pas surpris, en entrant dans le donjon, de découvrir que le rez-de-chaussée a été bâti comme une église. Sa nef voûtée faiblement éclairée se termine à l’extrémité est par une abside, avec une sacristie de chaque côté. L’église n’a jamais été transformée en mosquée, ni sécularisée. Elle est désormais occupée par la communauté orthodoxe grecque depuis le xixe siècle, après que celle-ci a été évincée du Hauran, en Syrie, par les Druzes. Un escalier à droite de la porte d’entrée vous amène au premier étage, qui servait d’armurerie et de lieu d’hébergement de la garnison. Un autre escalier vous conduit à une terrasse à ciel ouvert située au sommet de la tour, toujours en partie crénelée, offrant une vue panoramique sur la ville et la campagne alentour, permettant de voir le Krak des Chevaliers au sud-est et la Méditerranée à l’ouest.

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Le donjon de Chastel Blanc, le château des Templiers de Safita, avant-poste pour se protéger des Assassins, dont le château, situé à Masyaf, était proche.

Krak des Chevaliers

Le Krak des Chevaliers, Qalaat al-Husn en arabe, était un château des Hospitaliers et non des Templiers. Mais il mérite d’être mentionné, car il faisait partie du réseau de défense de la partie sud du djebel Ansarieh et de la côte syrienne, mission partagée par les deux ordres militaires. Le Krak est également presque entièrement intact, parfaite illustration du système concentrique, avec une imbrication de remparts de plus en plus hauts qui permettaient le cas échéant de procéder à des phases de retraite successives. Les défenseurs avaient toujours l’avantage de surplomber les assaillants. Situé sur une crête d’où l’on pouvait apercevoir Safita et dominant la trouée d’Homs, cette forteresse fut construite et agrandie en plusieurs étapes par les Hospitaliers à partir de 1144. En position avancée et permettant de contrôler ce couloir stratégique, il était très proche d’Homs et d’Hama et presque à l’intersection de la route intérieure entre Damas et Alep, ce qui poussa un chroniqueur musulman à le décrire comme « un os coincé dans la gorge des musulmans ». Cependant, malgré les multiples assauts subis, le Krak tint bon et même Saladin, après son triomphe sur le royaume de Jérusalem à la bataille de Hattin en 1188, observa ses défenses et passa son chemin.

Après avoir grimpé une sombre rampe voûtée en épingle à cheveux et être passé sous une herse, on entre dans la cour, espace sobre et étroit avec, d’un côté, une loggia élégante dans laquelle la lumière filtre par de jolis tympans en pierre rappelant Reims. « Que l’abondance, la sagesse et la beauté te soient données », dit l’inscription gravée dans la pierre, « mais l’orgueil à lui seul souille tout s’il t’accompagne ». Derrière la loggia se trouve une grande salle à manger et, derrière celle-ci, une immense chambre ressemblant à une nef, remplie à une époque de cuisines, d’un four à pain, de greniers et de jarres, car on s’attendait toujours à subir un siège et les châteaux les plus importants disposaient en permanence de denrées permettant de tenir cinq ans. Face à la loggia figure une chapelle du xiie siècle de style roman avec une voûte en berceau, transformée par la suite en mosquée.

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Le Krak des Chevaliers des Hospitaliers, surplombant la trouée d’Homs, faisait partie d’un système de défense qui comprenait le Chastel Blanc des Templiers et leur ville fortifiée, Tortose.

Pour apprécier la position splendide du Krak, le meilleur endroit est la tour dans laquelle un escalier en colimaçon mène à une vaste chambre élégante, les appartements du grand maître. On peut alors voir en contrebas les lacets des cercles concentriques qui font penser à un nautile géant. Cette énorme structure de défense du château semble voguer, comme un navire de guerre, bien au-dessus des vergers et champs de blé ondulants, paysage où règne l’abondance et qui rappelle la Provence.

Le Krak des Chevaliers n’a pas été pris, mais cédé. Dans les dernières années de l’Outremer, la forteresse, Safita et les autres châteaux situés dans les montagnes demeurèrent des avant-postes isolés, vulnérables et en sous-effectif face au rassemblement mamelouk. Finalement, après être resté cent soixante et un ans aux mains des chrétiens et au bout d’un siège d’un mois, Krak revint au sultan Baybars quand les chevaliers hospitaliers acceptèrent l’offre de sauf-conduit de ce dernier et se dirigèrent vers Tortose et la mer pour la dernière fois.

Arwad (Rouad)

Connue des Templiers sous le nom de Rouad, Arwad est à environ 3 kilomètres de la côte syrienne, en face de Tartous. Un village de pêcheurs occupe presque l’intégralité de l’île. Il n’y a aucune rue, mais seulement des ruelles tortueuses avec des passages étroits, au milieu desquels se trouve le château croisé où les Templiers de Tortose s’accrochèrent pendant onze ans supplémentaires, jusqu’en 1302, à la vue du joyau perdu de la chrétienté.

Les nombreux bateaux de plaisance partant de Tartous amènent au port de l’île où des pêcheurs réparent leurs filets près des restaurants et des cafés qui servent le flux constant des touristes faisant l’excursion. Derrière s’élèvent les murs d’un petit château musulman, à côté duquel se trouve le marché, qui serpente dans le village. On grimpe ensuite en direction de l’ouest de l’île et on arrive à la forteresse des croisés, datant probablement du xiiie siècle, et ses tours d’angle rondes et massives. Autrefois dernier avant-poste des Templiers, c’est maintenant un musée. Près de sa porte se trouve un relief sculpté représentant un lion enchaîné à un palmier, vaine déclaration symbolisant l’attachement éternel des croisés à l’Outremer.