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– Axelle, avec papa, nous divorçons.

Il serait temps ! je me retiens de répondre. Seule dans ma chambre, assise sur mon lit en train de dessiner, face à ma mère, c’étaient les seuls mots qui me venaient.

Depuis des semaines, ils ne se parlent uniquement que pour se crier dessus ou pour se faire des reproches. Régulièrement, l’un des deux rentre tard. Papa a même découché plusieurs fois. Pas besoin d’être intelligente pour comprendre. Et maman qui glousse comme une gamine quand elle lit des textos sur son téléphone…

C’est plutôt la suite que je n’avais pas prévue.

– On a vendu la maison, il va falloir qu’on déménage.

Coup de massue. Je casse la mine de mon crayon de bois.

– Quoi ? Mais vous auriez pu me prévenir tout de même, non ?

– Ça, tu vois avec ton père. C’est lui qui a mis la maison en vente sans même m’en parler.

Elle sait très bien que je ne vais plus rien dire après ça. Hors de question de m’en prendre à papa, ça lui ferait trop plaisir.

Je ne réponds pas. Elle soupire, fait demi-tour, prend la direction du couloir avant de s’arrêter.

– Au fait, Lorenzo nous accueille chez lui le temps de trouver autre chose. C’est sympa, non ?

Lorenzo est un collègue de maman, peut-être bien celui qui la fait tant glousser.

– Mais mam’, Lorenzo je ne le connais pas ! Tu m’as déjà dit qu’il habite à Arras, c’est à plus de quatre-vingts kilomètres d’ici !

– Ne t’inquiète pas, j’ai pensé à tout. J’ai été mutée là-bas et toi, je t’ai inscrite dans un établissement réputé à quinze minutes à peine de son domicile, le lycée Robespierre. Tu iras dès la rentrée d’avril. Tes notes sont excellentes, ton dossier a été accepté sans problème.

Arras… La capitale du Pas-de-Calais. Le bout du monde. Ma mère travaille à Pôle emploi, elle ne doit avoir eu aucun problème pour changer de ville, j’imagine qu’il y a autant de demandeurs d’emploi là-bas qu’ici.

Je me fige, bouche bée, face à la silhouette de maman qui disparaît dans le couloir. Impossible de dire quoi que ce soit, je suis tétanisée, je dois être en plein cauchemar. Je me pince. Aïe ! Je ne me réveille pas.

Les vacances débutent ce soir. Comment peut-elle me faire ça ? Qu’est-ce qui lui passe par la tête ? Je ne compte pas plus qu’un meuble ou quoi ? Saint-Omer, c’est ma ville, mon univers ! J’ai tout ici : mon lycée, mes amies dont Inès ma Best Friend Forever (BFF), mes repères. Je commence à peine à supporter M. Bellevile, mon prof de mathématiques ! Et voilà que sur un caprice maternel je devrais changer de vie, me retrouver dans un lycée certainement miteux, avec des enseignants barbants ou pire, sadiques, où tout un tas d’adolescents me regardera arriver comme si j’étais une bête curieuse qui sort de sa cambrousse ? Bon, d’accord, j’exagère. Saint-Omer, ce n’est pas vraiment la campagne. Mais c’est tout de même plus petit qu’Arras. Et ce n’est pas chez moi.

Papa. Je dois lui parler. Il m’aidera, j’en suis sûre.

Je me précipite sur mon téléphone avant de le reposer illico : plus de forfait.

Internet.

J’allume l’ordinateur, attends de trop longues secondes le chargement de Windows. Mes doigts tapotent frénétiquement le bureau. Je clique sur la fenêtre de mon navigateur : « Page indisponible ». J’actualise : même chose.

– Mamaaaaaaaaaaaan, Internet ne fonctionne plus !

– On a coupé la ligne ma chérie, c’est normal !

Voilà comment une vie tranquille et ordinaire peut basculer en quelques minutes.