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Le réveil sonne. 6 h 45. Quelle idée de se lever aussi tôt ! Quinze minutes de sommeil en moins, un début de semaine, j’espère que Paolo réalise la chance qu’il a. À l’arrêt de bus, à 7 h 30, je suis surprise de voir que je ne suis pas seule : pourtant les cours ne commencent que dans une heure !

Je reconnais deux filles du lycée, je crois qu’elles sont en première. Elles sont hilares devant leur téléphone. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai la désagréable impression qu’elles passent leur temps à me regarder. Qu’est-ce que j’ai ? Je ne me suis pas maquillée, donc rien n’a pu couler, mon jean sort du lave-linge comme le reste de mes vêtements, ma veste est quasiment neuve. Je dois me faire des films, ce n’est pas possible autrement. Je soupire de soulagement quand le bus arrive, aux trois quarts vide. Les deux filles se mettent dans le fond, sans s’arrêter de glousser, tandis que je me glisse sur le siège derrière le conducteur, pose le casque sur mes oreilles et lance la musique. La voix d’Ed Sheeran distille sa douceur dans mes oreilles. Discrètement, je sors un petit miroir pliable de mon sac et regarde le reflet de mon visage, pour me rassurer. Rien à signaler mais l’attitude de deux filles me chiffonne.

Quand j’arrive au bahut, Paolo est déjà là, tout sourire. Il s’approche de moi et me claque la bise chaleureusement.

– Content de te voir, j’ai eu peur que tu me poses un lapin.

– Tu me dois un quart d’heure de sommeil, mais une chose promise est une chose due ! Allez, file-moi ça !

Il me tend une pile de flyers colorés.

– Il y aura aussi des affiches à placarder dans le lycée…

– On ne risque pas de rater l’info, je me moque, sauf si on est aveugle.

– Même pas. Il est prévu que Kim fasse aussi une annonce au micro, qu’on pourra entendre dans tous les bâtiments…

– C’est moi ou tout ceci est quelque peu… excessif ?

– On va dire qu’elle prend son rôle extrêmement à cœur.

Les premiers élèves arrivent, le plus souvent seuls, tête basse. Certains sourient quand on leur tend le flyer, d’autres le refusent : ce qui est présenté comme la fête du siècle n’intéresse pas tout le monde. Rapidement, je remarque aussi une autre attitude. J’ai l’impression que des élèves me regardent étrangement, leurs visages affichent un air railleur, un peu comme les deux filles à l’arrêt de bus ce matin. Le flyer reste tendu au bout de ma main. Enlève-toi cette idée de la tête, Axelle, tu deviens parano là… Certains n’ont pas encore dû te rencontrer, tout simplement, tu es arrivée il y a quelques semaines à peine. Et si ça tombe, ce bal, tout le monde s’en moque ! Je jette un regard à Paolo, placé un peu plus loin. Vu la vitesse à laquelle il distribue les tracts, ma dernière théorie tombe à l’eau. Je sens les larmes me monter aux yeux à mesure que l’inquiétude me gagne. Que se passe-t-il ? Les regards moqueurs et les sourires en coin me sont de plus en plus difficilement supportables. Certains sortent leur téléphone. Je n’ai qu’une envie, me jeter sur eux et lire ce qu’il y a de si hilarant. Je ne prends même plus la peine de tendre la main, je reste là, fixe, les bras ballants, à laisser passer les autres autour de moi. Je n’ose même plus bouger.

– Ça a sonné Axelle, tout va bien ?

La voix de Paolo me sort de ma léthargie. Je lui tends les flyers, échappe un oui et pars rapidement.

Au moment où j’entre dans la salle, tout le monde est déjà assis. J’avance tête baissée, le prof n’est pas encore là, ça ricane. Sur ma table, un papier plié. Je le prends, l’ouvre, et manque de crier. Il y a ma photo, celle qui a été prise lors de mon arrivée au lycée, avec à côté une copie écran du message que j’ai envoyé hier à Yassine : « La salle de bains te réclame. » En dessous, écrit en majuscules :

Je lève la tête, mortifiée, et tombe sur le regard amusé de Natasha. D’où vient ce papier ? Pourquoi Yassine me fait-il ça ? Il est obligatoirement dans le coup, ce n’est pas possible autrement. Je repense à tous ces regards amusés et moqueurs depuis ce matin : tout le monde est déjà au courant ?

Au moment où le professeur pénètre dans la salle, je prends mon sac et en sors sans attendre pour me diriger droit vers la sortie. Les larmes ruissellent sur mon visage, je me sens affreusement mal, et humiliée. Dire que j’avais enfin l’impression de trouver ma place !

Alors que je m’engouffre dans la rue, mon épaule en frappe violemment une autre. Je lève la tête et crois rêver : Yassine, lui-même ! Il arbore un sourire radieux, j’ai envie de lui crever les yeux. Il ouvre la bouche.

– Je…

Je ne veux pas le voir, je ne veux pas l’entendre, j’ai mal, je hurle :

– Je ne sais pas ce qu’il se passe dans ta tête pour me faire subir ça, mais va te faire soigner !

Les larmes brouillent ma vue.

– Je te hais ! Sors de ma vie !

Son sourire se dissipe alors que je détale en courant. Au loin sa voix résonne mais je n’entends rien : je veux partir, loin du lycée, loin de lui, pour toujours.