Je n’ai pas allumé mon téléphone ni mon ordinateur depuis hier : aucune envie de lire des idioties. Par contre, j’ai eu le temps de cogiter, encore et encore. Yassine se moque bien de moi, depuis le début. Sous ses airs de mec cool quand il est à la maison, c’est en réalité un simple enfoiré : comment ai-je pu m’intéresser, même si ce n’était qu’un tout petit peu, à lui ?
En tout cas, ce matin, c’est décidé : hors de question de louper le bahut pour des gamineries, je m’en veux déjà d’être partie comme si j’avais quelque chose à me reprocher.
J’arrive au lycée à 8 heures, comme la veille. Paolo est déjà là et semble surpris de me voir.
– Dieu soit loué ! J’ai cru que j’allais devoir poursuivre cette magnifique aventure seul…
– Tu pries Dieu toi, maintenant ? je lui réponds, amusée mais un peu stressée.
– Non, mais je pourrais le faire si on me le demandait. Il devrait bien y avoir quelqu’un, là-haut ou non, qui m’entend.
Il finit par s’avancer vers moi, m’enlace, et poursuit, un ton plus bas :
– Tu te doutes bien que j’étais au courant de rien hier matin. Quand j’ai appris la rumeur, je t’ai cherchée, en vain. J’ai harcelé ton répondeur aussi. En tout cas, sache que je ne crois pas du tout à ces idioties, et tu vas rester tout près de moi. Je te promets que le premier qui osera faire une remarque aura affaire à moi. Et puis, ils passeront vite à autre chose en voyant que ça ne te touche pas. Je suis sûr que celle ou celui qui est à l’origine de ça sera déçu de te voir ici.
« Celui ». Le visage de Yassine m’apparaît. Je ne suis pas d’un naturel bagarreur, encore moins avec un garçon, mais je pense sincèrement que je pourrais lui envoyer mon poing dans sa gueule d’ange. Néanmoins, les propos de Paolo me font du bien. Je sens que le nœud dans mon ventre se desserre : c’est tellement bon de se sentir soutenue.
Quand les premiers élèves arrivent, mon regard ne décolle pourtant pas du macadam. Paolo me jette quelques coups de coude et me pince les hanches : il a trouvé mon point faible ! N’en pouvant plus, j’éclate de rire et me redresse, juste au moment où Alicia passe à côté de nous. Son visage est fermé, le regard qu’elle me lance noir. Pour autant, je conserve mon sourire : quoi de pire que de voir une personne qu’on déteste être heureuse ? Je serais prête à parier qu’elle est derrière l’histoire tout autant que Yassine.
La suite se déroule sans heurt, et si quelques regards me toisent encore d’un air moqueur, le sourire qui ne disparaît pas de mon visage doit en désarçonner plus d’un.
Pour une fois, je suis ravie – et soulagée – de ne pas avoir croisé Yassine.
*
J’attends Paolo devant la porte du réfectoire pour notre merveilleuse mission « accrochons les affiches » ! La journée est passée rapidement. Je suis arrivée dans la salle en même temps que les autres, aucun papier ne m’attendait sur la table, et j’ai même adressé mon sourire du jour à Natasha, qui s’est renfrognée. Rien que pour revoir sa tête il faudra que je recommence. Je n’ai pas à attendre longtemps puisqu’à peine deux minutes plus tard, voilà Paolo qui surgit avec un énorme carton sur lequel est posé un gros rouleau de scotch transparent.
– Cent affiches, tu te rends compte ? Cent affiches ! Elle pense vraiment que c’est utile ? Je suis sûr qu’il n’y a même pas cent endroits pour les mettre !
– Elle a peut-être bénéficié d’une promo ? je m’amuse.
– Elle n’a pas besoin de ça. Papa est imprimeur, ça aide.
Avec un entrain modéré, nous commençons notre nouvelle mission. Les murs des couloirs sont bientôt recouverts d’annonces pour le bal, à l’instar des salles de cours – Paolo a eu droit à un double du pass pour l’occasion – et même des toilettes.
– Il reste encore le réfectoire et la salle de sport !
– Haut les cœurs !
Nous ne croisons pas beaucoup d’élèves, la plupart sont déjà partis. Ne restent que ceux qui participent aux différents clubs proposés par l’établissement, clubs que je ne connais pas pour la plupart. À côté de Paolo, j’oublie tous les événements de ces dernières heures. Il me parle de sa famille, d’origine italienne, à fort caractère. Il décrit sa mère comme une diva, qui excelle dans la cuisson des pâtes et la préparation des pizzas, et son père comme un macho : deux vrais clichés ! J’espère qu’il exagère, sinon la cohabitation ne doit pas être facile tous les jours. Je suis contente d’en connaître un peu plus sur lui. Puis, de fil en aiguille, tandis que le réfectoire est recouvert d’affiches et que nous nous rendons vers la salle de sport, la discussion revient sur le bal, et je lui demande s’il compte s’y rendre.
– Certainement, je m’y suis bien amusé l’année dernière, et si je n’y vais pas, j’aurais peur de le regretter. J’espère juste y aller accompagné, c’est quand même mieux.
– Et ce sera le cas ?
– J’attends encore sa réponse, poursuit-il, mystérieux.
– Un indice ?
– Sur ?
– Sur la personne qui t’accompagnera ?
– Il te suffira de venir, Axelle, et tu verras…
Puis, il s’arrête de marcher, et reprend :
– Tu vas venir, n’est-ce pas ?
L’expression de son visage est sérieuse. Je repense à ma robe bleue, à la paire de chaussures achetée pour l’occasion, mais aussi à Yassine, et à cette odieuse publication qui tourne sur Internet. Devinant certainement mes pensées suite à mon silence, Paolo reprend :
– Ne les laisse pas gagner.
– Gagner, qui ? je lui demande, bien qu’il me semble connaître la réponse.
– Celles ou ceux qui ont voulu te faire mal. Viens au bal, et sois comme aujourd’hui : souriante, agréable, et très jolie. Crois-moi, c’est la meilleure façon de montrer que cela ne t’a pas affectée et que tu es au-dessus de tout ça. Et ce sera ta meilleure vengeance.
J’acquiesce d’un hochement de tête.
– Promis, je vais faire de mon mieux.
– Je crois qu’on a terminé, soupire d’aise Paolo, alors qu’il colle la dernière affiche à l’entrée de la salle de sport. Merci de m’avoir aidé, Axelle. C’est quand même beaucoup moins barbant en ta compagnie.
– Tout le plaisir était pour moi, c’est allé plus vite que je l’imaginais. Mais on verra si tu me remercieras encore quand on terminera de gonfler les ballons…
Nous rions tous les deux.
– À demain, alors.
Il s’approche de moi, pose ses joues sur les miennes et disparaît tout en me faisant signe. Un coup d’œil à ma montre m’apprend qu’il est 18 h 15. Je ne sais même pas s’il y a encore un bus à cette heure-là. Le temps est clair, la température douce : un peu d’activité physique en rentrant à pied me fera du bien, de toute façon maman et Lorenzo savent que je rentre plus tard. Sur le chemin, je pense à la journée qui s’est finalement mieux passée que ce que j’imaginais. Ne pas prêter attention aux ragots qui circulent semble être un bon moyen pour les faire taire, peut-être aussi parce que nous sommes au lycée, la mentalité est différente de celle du collège.
– Axelle !
Une voix au loin résonne. Une voix masculine qui bouscule le calme environnant. D’emblée, je comprends à qui elle appartient. Mon corps se raidit, mon visage se ferme. Mon rythme cardiaque s’accélère, tout comme ma cadence. Je ne veux plus le voir, non. Ni aujourd’hui ni jamais. Je veux qu’il sorte de ma vie.