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La porte de la salle de bains se referme et me réveille en sursaut. Je regarde l’heure : 7 h 30. Il va falloir que je me lève. J’entends des pas dans le couloir, qui semblent s’arrêter devant ma chambre. Puis, une enveloppe apparaît sous la porte. Quelqu’un vient de la glisser. Immédiatement, je pense à Yassine : je n’imagine pas ma mère vouloir communiquer par écrit, encore moins Lorenzo. De toute façon, qui écrit encore des lettres ? Je ne bouge pas de mon lit, je ne veux pas faire de bruit. Puis, les pas reprennent, j’entends la personne descendre les escaliers et, quelques secondes après, la porte claque. Je me jette hors du lit, me précipite à la fenêtre et en soulève le rideau.

La silhouette qui s’éloigne de la maison confirme mon intuition. Arrivé devant la route, Yassine tourne la tête dans ma direction : je lâche le voile et m’écarte, mais je pense qu’il m’a vue.

Je ramasse l’enveloppe sur laquelle mon prénom est écrit (comme si le destinataire pouvait être quelqu’un d’autre, je pense, mauvaise langue), et m’assois sur mon lit.

 

La veille, quand je l’ai entendu crier mon prénom, je me suis mise à courir sans m’arrêter jusqu’à la maison : je ne savais même pas que j’en étais capable ! Je l’ai uniquement entendu dire qu’il voulait me parler, d’ailleurs il a essayé de m’appeler plusieurs fois sur mon portable, il a aussi envoyé des SMS que j’ai effacés sur-le-champ, sans les lire. Me parler ? Il n’a pas d’amis à qui parler ? Il ne peut pas me laisser tranquille un peu ? Qu’est-ce que je lui ai fait après tout ? À tous les coups, il prépare encore un sale coup avec Alicia, et je n’ai pas du tout envie d’être concernée par tout ça, j’ai assez donné. Dire que Lorenzo le trouve gentil ! Nul doute que si je lui racontais toute l’histoire, il reverrait son jugement. Une chance pour Yassine, je ne suis pas de ce genre-là. Quant à Inès – je l’ai appelée à peine rentrée –, elle est persuadée que c’est un complot et que je devrais laisser à Yassine le bénéfice du doute en l’écoutant. À mon avis, elle lit trop d’histoires d’amour, ou c’est le fait qu’elle se soit remise avec Julien qui la rend guimauve. Je laisse l’enveloppe sur mon lit et descends prendre mon petit déjeuner.

Au lycée, il y a encore quelques moqueries, mais je n’y accorde pas d’importance. Quand je suis libre, je retrouve avec plaisir Sarah ou ses amies. En classe, je m’entends de mieux en mieux avec Déborah. Pour le reste, je fais profil bas et j’ai repris la même stratégie avec Natasha : le sourire, faux, certes, mais je ne me laisserai pas intimider par qui que ce soit, encore moins par une lycéenne. Je suis certaine qu’elle déteste ça.

Je prends toujours le bus avec Sarah, elle n’est pas vraiment joyeuse en ce moment, je ne sais pas pourquoi. Elle ne me parle plus de son frère que j’ai d’ailleurs aperçu au lycée. Cette fois-ci, il n’a pas cherché à me parler, nos regards se sont seulement croisés, et il a baissé les yeux. Bien que je sois toujours en colère, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer de la tristesse dans son regard, cette même tristesse que je lis dans celui de Sarah. Tu te fais des films, Axelle, j’essaie de me convaincre. Pourtant, impossible de m’ôter cette idée de la tête.

En rentrant du lycée, je monte dans ma chambre avec un verre de soda. La lettre n’a pas bougé d’un centimètre. Je la prends dans mes mains et l’ouvre. L’écriture est fine, un peu en pattes de mouche, le stylo noir.

Quand je la repose, après l’avoir lue une dizaine de fois, je sens mon estomac qui se serre.

Qu’est-ce qui me dit que je peux le croire ? N’est-ce pas un peu trop facile ? Je contacte Inès. Après lui avoir fait un résumé des derniers événements, son constat est sans appel :

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Je soupire. Elle n’a pas tort. Je prends mon verre et bois une gorgée.

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Je pose le verre à toute vitesse et crache la gorgée que je viens d’avaler. Elle veut que je m’étouffe, je ne vois pas d’autres explications !

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J’ai déjà tellement parlé à Inès des filles qu’elle doit avoir l’impression de les connaître. À l’inverse, Sarah m’a demandé il y a peu si Inès était toujours avec Julien. C’est amusant de voir qu’un lien demeure entre mon ancienne et ma nouvelle vie, et même qu’un autre, entre elles, se crée.