Vendredi. Je devrais déjà être chez moi, mais je traîne à proximité de la salle de sport. Cela fait trois jours que j’ai lu la lettre de Yassine, et que je la relis, encore et encore, chaque soir. Les mots d’Inès me trottent dans la tête, tout comme le visage de Yassine. Sarah m’a parlé de lui hier.
J’ai appris qu’il n’allait pas très bien, mais je ne sais pas exactement ce qu’il a. Elle semblait inquiète, ce qui ne m’a pas vraiment rassurée. Que pouvait-il se passer ? Le soir, j’ai essayé de questionner Lorenzo à ce sujet, il m’a suggéré de lui poser moi-même la question. C’est pour ça que je me retrouve ici, à espérer qu’un hasard – que je provoque en partie – l’amène face à moi.
Après avoir attendu plus d’une demi-heure, je vois plusieurs gars sortir. Je m’approche un peu, mais ne reconnais pas Yassine. Au bout de quelques minutes, je m’approche de l’entrée du gymnase. Et s’il n’était pas là ?
Après tout, je l’ai à peine croisé dans la semaine. Je mordille mon pouce, un vieux réflexe dont je n’arrive pas à me défaire quand je suis stressée. Les lumières de la salle s’éteignent. Seul le boîtier indiquant la sortie de secours émet une faible lueur. Tout à coup, il me semble entendre des voix mais elles sont trop faibles pour que je comprenne ce qui se dit.
Curieuse, j’avance encore un peu pour écouter. C’est le prof de sport.
– Ça ira mieux la prochaine fois, ne sois pas inquiet. On ne peut pas être au top de sa forme tous les jours !
– Vous m’avez déjà dit ça la semaine dernière…
Je me fige sur place. C’est bien sa voix. Yassine.
– Ne te fais pas trop de mouron. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Tu n’as pas la tête à ça. Règle tes problèmes, et le reste suivra. À demain !
J’entends la voix de Yassine le saluer à son tour. Des problèmes personnels ? Si le prof est au courant, c’est certainement plus grave que ce que j’imaginais. Je n’avais pas rêvé la tristesse sur son visage. Et moi qui me suis montrée si odieuse avec lui ! Maintenant, ça me paraît impossible qu’il ait pu être responsable de quoi que ce soit concernant la photo : quelqu’un doit effectivement avoir accès à son compte Facebook.
J’hésite à m’avancer vers lui, à m’excuser, à lui dire que j’ai tout compris. Lui n’a toujours pas bougé depuis le départ du professeur de sport. Il faut que je m’approche. Je sens que c’est le moment. Maintenant ou jamais, comme on dit. J’avance rapidement vers la sortie du gymnase, et j’aperçois en même temps une silhouette arriver de l’autre côté. Suis-je idiote ! C’est pour ça qu’il ne bougeait pas, il attendait quelqu’un !
Je m’arrête et me fige. Yassine ne m’a pas vue, son regard est baissé vers l’écran de son téléphone portable. Il lève la tête vers Alicia qui s’approche, toute pimpante, vers lui. Si lui ne s’est pas rendu compte de ma présence, ce n’est pas le cas d’Alicia. Elle s’approche de Yassine qui lui fait face, dos à moi, se précipite dans ses bras, m’adresse un petit signe de la main qu’il ne voit pas et l’embrasse.
Je me retourne et pars en courant avec l’impression que le sol se dérobe sous mes pieds. Ainsi, je n’avais pas tort, ils sont bien en couple. Je suis complètement perdue et me sens idiote.
J’ai beaucoup pleuré ce week-end. Comme je m’en veux ! Je regrette d’avoir pu croire que Yassine et Alicia n’étaient pas ensemble, tout comme je m’en veux de me sentir affectée par tout ça. J’ai longtemps parlé avec Inès au téléphone, même elle n’a pas réussi à lui trouver des circonstances atténuantes cette fois-ci.
Lundi, au bahut, je rejoins Sarah et Marine à midi. La conversation ne tourne qu’autour du bal de vendredi, et il en sera ainsi jusqu’à la fin de la semaine. En cours, on ne fait plus grand-chose, et cette année est plutôt tranquille pour nous puisque nous n’avons pas d’examens : les deux prochaines années seront certainement bien plus stressantes ! Sarah a enfin sélectionné le chanceux qui aura l’honneur de l’accompagner. Il s’agit de Marc, un élève de terminale. Je dois dire qu’elle a plutôt bien choisi : grand, musclé, les cheveux blonds et courts, les yeux bleus, et un sourire ravageur entouré de deux fossettes. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’il serait parfait pour Inès.
– Et toi ? m’interroge Sarah.
– Personne, je réponds. Et ce sera vraiment très bien ainsi.
– Personne ne t’a invitée ? s’étonne-t-elle.
– Non, je te l’aurais dit sinon !
– C’est étrange.
– Pourquoi étrange ?
– Non, non, rien. Je verrai ça plus tard.
« Verrai ça plus tard » ? De quoi parle-t-elle ? Je suis intriguée mais, aussitôt, elle s’adresse à Marine :
– Et toi alors ? Pas d’invitations non plus ?
– Si, Théo, de la seconde C !
Sarah et moi nous mettons à rire. Théo est mordu de Marine depuis le début de l’année. Il lui aurait même écrit des poèmes d’amour à Noël, d’après ce que m’a raconté Sarah. S’il est extrêmement gentil, il n’est pas du tout dans le genre de Marine : un petit gringalet, brun, au crâne rasé.
– Et ? l’interroge Sarah, curieuse.
– Et j’ai dit que j’étais déjà accompagnée…
Elle plante son regard dans le mien.
– On peut bien s’y rendre ensemble, non ? C’est écrit nulle part qu’on ne peut pas venir avec une copine !
Quelques secondes silencieuses passent, le temps que je comprenne. Sarah nous regarde, incrédule.
– Mais oui, c’est super ! De toute façon on y va pour s’amuser, pas pour les mecs ! je finis par m’exclamer.
– Parlez pour vous, s’amuse Sarah.
– Oui, c’est sûr que quand on s’y rend avec un apollon…
La sonnerie coupe court à notre conversation. Quand je me rends dans la salle de cours, je croise Alicia, accompagnée de ses amies, qui me lancent à la cantonade un « Bonjouuuuur Axelle » retentissant. La scène de vendredi soir me revient en tête et je me mords la lèvre inférieure pour ne pas laisser les larmes couler.