15 heures, ma journée au lycée est enfin terminée. Lorenzo est à la maison, il sort du four des cookies tout chauds dont l’odeur sucrée embaume la cuisine et réjouit déjà mes papilles. Ce n’est pas la première fois que je le vois se mettre aux fourneaux, il adore cuisiner, surtout les pâtisseries, ce qui n’est pas pour me déplaire.
– Sers-toi vite, ils sont délicieux quand ils sont encore tièdes, me dit-il, en indiquant d’un mouvement du menton une première fournée qui refroidit sur la table de la cuisine.
Je ne me fais pas prier, je suis affamée.
– J’ai cru comprendre que tu avais fait la rencontre de Yassine ?
Mon corps se raidit à l’écoute de ce prénom. Je revois son sourire moqueur, ses cheveux mouillés, la chaleur de ses bras, avant que le visage d’Alicia et ses paroles acerbes ne viennent tout balayer.
– Il était là hier matin, il sortait de la douche !
– Oui, j’ai oublié de t’en parler, désolé, j’aurais dû mais ça m’est complètement sorti de la tête. Il vit dans une maison un peu plus loin sur la droite, avec ses six sœurs et sa mère, son père a malheureusement succombé à un AVC il y a deux ans. Bien qu’ils aient deux salles de bains, il se plaint souvent de ne pas avoir le temps de se doucher le matin avant d’aller au lycée. Ses sœurs, surtout les trois aînées, seraient des championnes en matière de monopolisation des lieux. Puis, un pauvre garçon, seul face à une horde féminine, je n’ai pas pu résister ! Alors je lui ai proposé de se doucher quelques fois ici quand il en aurait besoin. Plus personne n’utilisait la salle de bains du haut avant ton arrivée…
Sa phrase me serre un peu le cœur. Maman m’a déjà confié que l’ex-femme de Lorenzo et ses deux filles étaient mortes dans un accident de voiture, il y a quatre ans. Ça doit être horrible à vivre. Pourtant, loin de calmer mes interrogations, cette annonce me met les nerfs en vrac.
– Oui, tu aurais dû me prévenir, je m’emporte. J’ai vraiment eu peur ! Imagine ! Tu quittes tranquillement ta chambre le matin, pas vraiment réveillée, et tu te trouves face à un parfait inconnu qui sort de ta salle de bains avec une serviette !
Je passe sous silence le fait qu’il m’ait vue en pyjama et en chaussons.
– Oui, je sais, je suis désolé… Il ne vient pas pendant les vacances, alors j’ai oublié. Puis, on ne se croise pas toujours, il me griffonne seulement un mot pour m’informer de son passage ou m’envoie un SMS.
Ses mots me clouent sur place.
– Bien sûr, c’est plus pratique ! Ne sois pas inquiète, c’est un gentil garçon, très serviable, poli et honnête. Tu ne risques rien. Quand tu le connaîtras un peu plus, tu l’apprécieras autant que moi.
De toute évidence, on ne parle pas du même type. Je n’ai croisé qu’un gars prétentieux, désagréable, agaçant et qui risque de me causer des ennuis. Les mots d’Alicia ne quittent pas mes pensées : « Si je te vois t’approcher trop près de lui, je te promets que tu vas le regretter. » Ma décision est prise : je ferai tout pour l’éviter, que ce soit ici ou au lycée. Aucune envie de m’attirer des ennuis, mon arrivée au lycée est déjà assez chaotique comme ça.
Quelques minutes plus tard, j’allume mon ordinateur, Inès est déjà en ligne. Aussitôt la fenêtre de discussion apparaît, constellée de points d’interrogation.
Je souris. Inès est toujours dans l’exagération, mais je sais qu’elle tient suffisamment à moi pour s’inquiéter réellement.
Tête de nouille était ma professeure d’histoire-géo. On l’appelait ainsi car c’était l’une de ses insultes préférées quand on ne donnait pas la réponse souhaitée à une question. Son ton cassant et le désintérêt flagrant qu’elle nous portait ne lui valaient pas vraiment notre sympathie…
Au bout de quelques minutes, je coupe la conversation. J’ai déjà des devoirs à faire pour le cours de français, autant ne pas prendre de retard. Je me suis déjà suffisamment fait remarquer comme ça, je ne veux pas continuer à donner une mauvaise impression.
Néanmoins, je ne peux pas m’empêcher de guetter par la fenêtre les allées et venues de l’extérieur. Et quand le bus de 6 heures s’arrête, j’attends quelques secondes avant de voir qui en sort. Mon cœur se met soudainement à battre plus vite en apercevant une chevelure brune hâter le pas en direction de sa maison…