CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL

NOTEBOOK OF A RETURN TO THE NATIVE LAND

[1]

Au bout du petit matin bourgeonnant d’anses frêles les Antilles qui ont faim, les Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouées.

[1]

At the end of first light burgeoning with frail coves the hungry Antil-

les, the Antilles pitted with smallpox, the Antilles dynamited by alcohol, stranded in the mud of this bay, in the dust of this town sinisterly stranded.

[2]

Au bout du petit matin, l’extrême, trompeuse désolée eschare sur la blessure des eaux ; les martyrs qui ne témoignent pas ; les fleurs du sang qui se fanent et s’éparpillent dans le vent inutile comme des cris de perroquets babillards ; une vieille vie menteusement souriante, ses lèvres ouvertes d’angoisses désaffectées ; une vieille misère pourrissant sous le soleil, silencieusement ; un vieux silence crevant de pustules tièdes

[2]

At the end of first light, the extreme, deceptive desolate eschar on the wound of the waters; the martyrs who do not bear witness; the flowers of blood that fade and scatter in the empty wind like the cries of babbling parrots; an aged life mendaciously smiling, its lips opened by vacated agonies; an aged poverty rotting under the sun, silently; an aged silence bursting with tepid pustules

[3]

l’affreuse inanité de notre raison d’être.

[3]

the dreadful inanity of our raison d’être.

[4]

Au bout du petit matin, sur cette plus fragile épaisseur de terre que dépasse de façon humiliante son grandiose avenir—les volcans éclateront, l’eau nue emportera les taches mûres du soleil et il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins—la plage des songes et l’insensé réveil.

[4]

At the end of first light, on this very fragile earth thickness exceeded in a humiliating way by its grandiose future—the volcanoes will explode,* the naked water will bear away the ripe sun stains and nothing will be left but a tepid bubbling pecked at by sea birds—the beach of dreams and the insane awakening.

[5]

Au bout du petit matin, cette ville plate—étalée, trébuchée de son bon sens, inerte, essoufflée sous son fardeau géométrique de croix éternellement recommençante, indocile à son sort, muette, contrariée de toutes façons, incapable de croître selon le suc de cette terre, embarrassée, rognée, réduite, en rupture de faune et de flore.

[5]

At the end of first light, this town sprawled—flat, toppled from its common sense, inert, winded under its geometric weight of an eternally renewed cross, indocile to its fate, mute, vexed no matter what, incapable of growing according to the juice of this earth, encumbered, clipped, reduced, in breach of its fauna and flora.

[6]

Au bout du petit matin, cette ville plate—étalée…

Et dans cette ville inerte, cette foule criarde si étonnamment passée à côté de son cri comme cette ville à côté de son mouvement, de son sens,

[6]

At the end of first light, this town sprawled—flat.…

And in this inert town, this squalling throng so astonishingly detoured from its cry like this town from its movement, from its meaning, not even

sans inquiétude, à côté de son vrai cri, le seul qu’on eût voulu l’entendre crier parce qu’on le sent sien lui seul ; parce qu’on le sent habiter en elle dans quelque refuge profond d’ombre et d’orgueil, dans cette ville inerte, cette foule à côté de son cri de faim, de misère, de révolte, de haine, cette foule si étrangement bavarde et muette.

worried, detoured from its true cry, the only cry one would have wanted to hear because it alone feels at home in this town; because one feels that it inhabits some deep refuge of shadow and of pride, in this inert town, this throng detoured from its cry of hunger, of poverty, of revolt, of hatred, this throng so strangely chattering and mute.

[7]

Dans cette ville inerte, cette étrange foule qui ne s’entasse pas, ne se mêle pas ; habile à découvrir le point de désencastration, de fuite, d’esquive. Cette foule qui ne sait pas faire foule, cette foule, on s’en rend compte, si parfaitement seule sous ce soleil, à la façon dont une femme, toute on eût cru à la cadence lyrique de ses fesses, interpelle brusquement une pluie hypothétique et lui intime l’ordre de ne pas tomber ; ou à un signe rapide de croix sans mobile visible ; ou à l’animalité subitement grave d’une paysanne, urinant debout, les jambes écartées, roides.

[7]

In this inert town, this strange throng that does not huddle, does not mix; clever at discovering the point of disencasement, of flight, of dodging. This throng that does not know how to throng, this throng, one realizes, so perfectly alone under the sun, like a woman one thought completely occupied with the lyric cadence of her buttocks, who abruptly challenges a hypothetical rain and enjoins it not to fall; or like a rapid sign of the cross without perceptible motive; or like the sudden grave animality of a peasant, urinating standing, her legs parted, stiff.

[8]

Dans cette ville inerte, cette foule désolée sous le soleil, ne participant

à rien de ce qui s’exprime, s’affirme, se libère au grand jour de cette terre sienne. Ni à l’Impératrice Joséphine des Français rêvant très haut au dessus de la négraille. Ni au libérateur figé dans sa libération de pierre blanchie. Ni au conquistador. Ni à ce mépris, ni à cette liberté, ni à cette audace.

[8]

In this inert town, this desolate throng under the sun, not connected with anything that is expressed, asserted, released in broad earth daylight, its own. Not with Josephine, Empress of the French, dreaming way up there above the nigger scum. Nor with the liberator fixed in his whitewashed stone liberation. Nor with the conquistador.* Nor with this contempt, nor with this freedom, nor with this audacity.

[9]

Au bout du petit matin, cette ville inerte et ses au-delà de lèpres, de consomption, de famines, de peurs tapies dans les ravins, de peurs juchées dans les arbres, de peurs creusées dans le sol, de peurs en dérive dans le ciel, de peurs amoncelées et ses fumerolles d’angoisse.

[9]

At the end of first light, this inert town and its beyond of lepers, of consumption, of famines, of fears crouched in the ravines, of fears perched in the trees, of fears dug in the ground, of fears adrift in the sky, of piled up fears and their fumeroles of anguish.

[10]

Au bout du petit matin le morne oublié, oublieux de sauter.

[10]

At the end of first light the morne* forgotten, forgetful of exploding.

[11]

Au bout du petit matin le morne au sabot inquiet et docile—son sang impaludé met en déroute le soleil de ses pouls surchauffés.

[11]

At the end of first light the morne in restless, docile hooves—its malarial blood routs the sun with its overheated pulse.

[12]

Au bout du petit matin l’incendie contenu du morne, comme un sanglot que l’on a bâillonné au bord de son éclatement sanguinaire, en quête d’une ignition qui se dérobe et se méconnaît.

[12]

At the end of first light the restrained conflagration of the morne, like a sob gagged on the verge of a bloodthirsty burst, in quest of an ignition that slips away and ignores itself.

[13]

Au bout du petit matin, le morne accroupi devant la boulimie aux aguets de foudres et de moulins, lentement vomissant ses fatigues d’hommes, le morne seul et son sang répandu, le morne et ses pansements d’ombre, le morne et ses rigoles de peur, le morne et ses grandes mains de vent.

[13]

At the end of first light, the morne crouching before bulimia on the outlook for tuns and mills, slowly vomiting out its human fatigue, the morne solitary and its blood shed, the morne bandaged in shade, the morne and its ditches of fear, the morne and its great hands of wind.

[14]

Au bout du petit matin, le morne famélique et nul ne sait mieux que ce morne bâtard pourquoi le suicide s’est étouffé avec complicité de son hypoglosse en retournant sa langue pour l’avaler ; pourquoi une femme semble faire la planche à la rivière Capot (son corps lumineusement obscur s’organise docilement au commandement du nombril) mais elle n’est qu’un paquet d’eau sonore.

[14]

At the end of first light, the famished morne and no one knows better than this bastard morne why the suicide* choked with a little help from his hypoglossal jamming his tongue backward to swallow it; why a woman seems to float belly up on the Capot River* (her chiaroscuro body submissively organized at the command of her navel) but she is only a bundle of sonorous water.

[15]

Et ni l’instituteur dans sa classe, ni le prêtre au catéchisme ne pourront tirer un mot de ce négrillon somnolent, malgré leur manière si énergique à tous deux de tambouriner son crâne tondu, car c’est dans les marais de la faim que s’est enlisée sa voix d’inanition (un mot-un-seul-mot et je-vous-en-tiens-quitte-de-la-reine-Blanche-de-Castille, un mot-un-seul-mot, voyez-vous-ce-petit-sauvage-qui-ne-sait-pas-un-seul-des-dix-commandements-de-Dieu),

car sa voix s’oublie dans les marais de la faim,

et il n’y a rien, rien à tirer vraiment de ce petit vaurien,

qu’une faim qui ne sait plus grimper aux agrès de sa voix,

une faim lourde et veule,

une faim ensevelie au plus profond de la Faim de ce morne famélique.

[15]

And neither the teacher in his classroom, nor the priest at catechism will be able to get a word out of this sleepy little picaninny, no matter how energetically they drum on his shorn skull, for starvation has quicksanded his voice into the swamp of hunger (a word-one-single-word and we-will-forget-about-Queen-Blanche-of-Castille,* a word-one-single-word, you-should see-this-little-savage-who-doesn’t-know-any-of-God’s-Ten-Commandments),

for his voice gets lost in the swamp of hunger,

and there is nothing, really nothing to squeeze out of this little brat, other than a hunger that can no longer climb to the rigging of his voice,

a sluggish flabby hunger,

a hunger buried in the depths of the Hunger of this famished morne.

[16]

Au bout du petit matin, l’échouage hétéroclite, les puanteurs exacerbées de la corruption, les sodomies monstrueuses de l’hostie et du victimaire, les coltis infranchissables du préjugé et de la sottise, les prostitutions, les hypocrisies, les lubricités, les trahisons, les mensonges, les faux, les

[16]

At the end of first light, the disparate stranding, the exacerbated stench of corruption, the monstrous sodomies of the host and the sacrificing priest, the impassable beakhead frames of prejudice and stupidity, the prostitutions, the hypocrisies, the lubricities, the treasons, the lies, the

concussions—l’essoufflement des lâchetés insuffisantes, l’enthousiasme sans ahan aux poussis surnuméraires, les avidités, les hystéries, les perversions, les arlequinades de la misère, les estropiements, les prurits, les urticaires, les hamacs tièdes de la dégénérescence. Ici la parade des risibles et scrofuleux bubons, les poutures de microbes très étranges, les poisons sans alexitère connu, les sanies de plaies bien antiques, les fermentations imprévisibles d’espèces putrescibles.

frauds, the concussions—the panting of a deficient cowardice, the heave-holess enthusiasm of supernumerary sahibs, the greeds, the hysterias, the perversions, the harlequinades of poverty, the cripplings, the pruritus, the urticaria, the tepid hammocks of degeneracy. Right here the parade of laughable and scrofulous buboes, the forced feeding of very strange microbes, the poisons without known alexins, the sanies of really ancient sores, the unforeseeable fermentations of putrescible species.

[17]

Au bout du petit matin, la grande nuit immobile, les étoiles plus mortes qu’un balafong crevé.

[17]

At the end of first light, the great still night, the stars deader than a smashed balafo.

[18]

Le bulbe tératique de la nuit, germé de nos bassesses et de nos renon-cements…

[18]

The teratical bulb of night, sprouted from our villainies and our self-

denials …

[19]

Et nos gestes imbéciles et fous pour faire revivre l’éclaboussement d’or des instants favorisés, le cordon ombilical restitué à sa splendeur fragile, le pain, et le vin de la complicité, le pain, le vin, le sang des épousailles véridiques.

[19]

And our idiotic and insane stunts to revive the golden splashing of privileged moments, the umbilical cord restored to its ephemeral splendor, the bread, and the wine of complicity, the bread, the wine, the blood of veracious weddings.

[20]

Et cette joie ancienne m’apportant la connaissance de ma présente misère,

une route bossuée qui pique une tête dans un creux où elle éparpille quelques cases ; une route infatigable qui charge à fond de train un morne en haut duquel elle s’enlise brutalement dans une mare de maisons pataudes, une route follement montante, témérairement descendante, et la carcasse de bois comiquement juchée sur de minuscules pattes de ciment que j’appelle « notre maison », sa coiffure de tôle ondulant au soleil comme une peau qui sèche, la salle à manger, le plancher grossier où luisent des têtes de clous, les solives de sapin et d’ombre qui courent au plafond, les chaises de paille fantômales, la lumière grise de la lampe, celle vernissée et rapide des cancrelats qui bourdonne à faire mal…

[20]

And this joy of former times making me aware of my present poverty,

a bumpy road plunging into a hollow where it scatters a few shacks; an indefatigable road charging at full speed a morne at the top of which it brutally quicksands into a pool of clumsy houses, a road foolishly climbing, recklessly descending, and the carcass of wood, which I call “our house,” comically perched on minute cement paws, its coiffure of corrugated iron in the sun like a skin laid out to dry, the dining room, the rough floor where nail heads gleam, the beams of pine and shadow across the ceiling, the spectral straw chairs, the gray lamp light, the glossy flash of cockroaches in a maddening buzz …

[21]

Au bout du petit matin, ce plus essentiel pays restitué à ma gourmandise, non de diffuse tendresse, mais la tourmentée concentration sensuelle du gras téton des mornes avec l’accidentel palmier comme son germe durci, la jouissance saccadée des torrents et depuis Trinité jusqu’à Grand-Rivière, la grand’lèche hystérique de la mer.

[21]

At the end of first light, this most essential land restored to my gourmandize, not in diffuse tenderness, but the tormented sensual concentration of the fat tits of the mornes with an occasional palm tree as their hardened sprout, the jerky orgasm of torrents and from Trinité to Grand-Rivière* the hysterical grandsuck of the sea.

[22]

Et le temps passait vite, très vite.

Passés août où les manguiers pavoisent de toutes leurs lunules, septembre l’accoucheur de cyclônes, octobre le flambeur de cannes, novembre qui ronronne aux distilleries, c’était Noël qui commençait.

Il s’était annoncé d’abord Noël par un picotement de désirs, une soif de tendresses neuves, un bourgeonnement de rêves imprécis, puis il s’était envolé tout à coup dans le froufrou violet de ses grandes ailes de joie, et alors c’était parmi le bourg sa vertigineuse retombée qui éclatait la vie des cases comme une grenade trop mûre.

Noël n’était pas comme toutes les fêtes. Il n’aimait pas à courir les rues, à danser sur les places publiques, à s’installer sur les chevaux de bois, à profiter de la cohue pour pincer les femmes, à lancer des feux d’artifice au front des tamariniers. Il avait l’agoraphobie, Noël. Ce qu’il lui fallait c’était toute une journée d’affairement, d’apprêts, de cuisinages, de nettoyages, d’inquiétudes, de peur-que-ça

ne-suffise-pas,

de-peur-que-ça-ne-manque,

de-peur-qu’on-ne-s’embête,

puis le soir une petite église pas intimidante qui se laissât emplir bien-veillamment par les rires, les chuchotis, les confidences, les déclarations amoureuses, les médisances et la cacophonie gutturale d’un chantre bien d’attaque et aussi de gais copains et de franches luronnes et des cases aux entrailles riches en succulences, et pas regardantes, et l’on s’y parque une vingtaine, et la rue est déserte, et le bourg n’est plus qu’un bouquet de chants, et l’on est bien à l’intérieur, et l’on en mange du bon, et l’on en boit du réjouissant et il y a du boudin, celui étroit de deux doigts qui s’enroule en volubile, celui large et trapu, le bénin à goût de serpolet, le violent à incandescence pimentée, et du café brûlant et de l’anis sucré, et du punch au lait, et le soleil liquide des rhums, et toutes sortes de

[22]

And time passed quickly, very quickly.

After August and mango trees decked out in all their lunules, September begetter of cyclones, October igniter of sugarcane, November purring in the distilleries, there came Christmas.

It had come in first, Christmas did, with a tingling of desires, a thirst for new tendernesses, a burgeoning of vague dreams, then with a purple rustle of its great joyous wings it had suddenly flown away, and after that its abrupt fall out over the village making shack life burst like an overripe pomegranate.

Christmas was not like other holidays. It didn’t like to gad about the streets, to dance on public squares, to mount the carousel horses, to use the crowd to pinch women, to hurl fireworks into the faces of the tamarind trees. It had agoraphobia, Christmas did. What it wanted was a whole day of bustling, preparing, a cooking and cleaning spree, endless jitters, about

not-having-enough,

about-running-short,

about-getting-bored,

then at evening an unimposing little church that would benevolently make room for the laughter, the whispers, the secrets, the love talk, the gossip and the guttural cacophony of a plucky singer and also boisterous pals and shameless hussies and shacks up to their guts in succulent goodies, and not stingy, and twenty people can crowd in, and the street is deserted, and the village turns into a bouquet of singing, and you are cozy in there, and you eat good, and you drink heartily, and there are blood sausages, one kind only two fingers wide twined in coils, another broad and stocky, the mild one tasting of wild thyme, the hot one spiced to an incandescence, and steaming coffee and sugared anisette, and milk

bonnes choses qui vous imposent autoritairement les muqueuses ou vous les fondent en subtilités, ou vous les distillent en ravissements, ou vous les tissent de fragrances, et l’on rit, et l’on chante, et les refrains fusent à perte de vue comme des cocotiers :

ALLELUIA

KYRIE ELEISON… LEISON… LEISON,

CHRISTE ELEISON… LEISON… LEISON.

Et ce ne sont pas seulement les bouches qui chantent, mais les mains, mais les pieds, mais les fesses, mais les sexes, et la créature tout entière qui se liquéfie en sons, voix et rythme.

Arrivée au sommet de son ascension, la joie crève comme un nuage. Les chants ne s’arrêtent pas, mais ils roulent maintenant inquiets et lourds par les vallées de la peur, les tunnels de l’angoisse et les feux de l’enfer.

Et chacun se met à tirer par la queue le diable le plus proche, jusqu’à ce que la peur s’abolisse insensiblement dans les fines sablures du rêve, et l’on vit comme dans un rêve véritablement, et l’on boit et l’on crie et l’on chante comme dans un rêve, et on somnole aussi comme dans un rêve avec des paupières en pétales de rose, et le jour vient velouté comme une sapotille, et l’odeur de purin des cacaoyers, et les dindons qui égrènent leurs pustules rouges au soleil, et l’obsession des cloches, et la pluie,

les cloches… la pluie…

qui tintent, tintent, tintent…

punch, and the liquid sun of rums, and all sorts of good things that drive your taste buds wild or dissolve them into subtleties, or distill them to the point of ecstacy or cocoon them with fragrances, and you laugh, and you sing, and the refrains flare on and on like coco palms:

ALLELUIA

KYRIE ELEISON … LEISON … LEISON,

CHRISTE ELEISON … LEISON … LEISON.

And not only do the mouths sing, but the hands, the feet, the buttocks, the genitals, and your entire being that liquefies into sounds, voices and rhythm.

At the peak of its ascent, joy bursts like a cloud. The songs don’t stop, but roll now anxious and heavy through the valleys of fear, the tunnels of anguish and the fires of hell.

And everybody starts pulling the nearest devil by the tail, until fear imperceptibly fades in the fine sand lines of dream, and you really live as in a dream, and you drink and you shout and you sing as in a dream, and doze too as in a dream with rose petal eyelids, and the day comes velvety as a sapodilla, and the liquid manure smell of the cacao trees, and the turkeys shelling their red pustules in the sun, and the obsessive bells, and the rain,

the bells … the rain …

that tinkle, tinkle, tinkle …

[23]

Au bout du petit matin, cette ville plate—étalée…

Elle rampe sur les mains sans jamais aucune envie de vriller le ciel d’une stature de protestation. Les dos des maisons ont peur du ciel truffé de feu, leurs pieds des noyades du sol, elles ont opté de se poser superficielles entre les surprises et les perfidies. Et pourtant elle avance la ville. Même qu’elle paît tous les jours plus outre sa marée de corridors carrelés, de persiennes pudibondes, de cours gluantes, de peintures qui dégoulinent. Et de petits scandales étouffés, de petites hontes tues, de petites haines immenses pétrissent en bosses et creux les rues étroites où le ruisseau grimace longitudinalement parmi l’étron…

[23]

At the end of first light, this town sprawled—flat …

It crawls on its hands without the slightest desire to drill the sky with a stature of protest. The backs of the houses are frightened by the sky truffled with fire, their feet by the drownings of the soil, they chose to perch shallowly between surprises and treacheries. And yet the town advances, yes it does. It even grazes every day further beyond its tide of tiled corridors, prudish shutters, gluey courtyards, dripping paintwork. And petty hushed-up scandals, petty unvoiced guilts, petty immense hatreds knead the narrow streets into bumps and potholes where the wastewater grins longitudinally through the turds …

[24]

Au bout du petit matin, la vie prostrée, on ne sait où dépêcher ses rêves avortés, le fleuve de vie désespérément torpide dans son lit, sans turges-

[24]

At the end of first light, life prostrate, you don’t know how to dispose of your aborted dreams, the river of life desperately torpid in its bed, neither

cence ni dépression, incertain de fluer, lamentablement vide, la lourde impartialité de l’ennui, répartissant l’ombre sur toutes choses égales, l’air stagnant sans une trouée d’oiseau clair.

turgid nor low, hesitant to flow, pitifully empty, the impartial heaviness of boredom distributing shade equally on all things, the stagnant air unbroken by the brightness of a single bird.

[25]

Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et soeurs, une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d’une seule seule misère, je n’ai jamais su laquelle, qu’une imprévisible sorcellerie assoupit en mélanco-lique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère ; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d’une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit.

[25]

At the end of first light, another little house very bad-smelling in a very narrow street, a miniscule house that harbors in its guts of rotten wood dozens of rats and the turbulence of my six brothers and sisters, a cruel little house whose demands panic the ends of our months and my temperamental father gnawed by one persistent ache, I never knew which one, whom an unexpected sorcery could lull to melancholy tenderness or drive to towering flames of anger, and my mother whose legs pedal, pedal, day and night, for our tireless hunger, I am even awakened at night by these tireless legs pedaling by night and the bitter bite in the soft flesh of the night by a Singer that my mother pedals, pedals for our hunger both day and night.

[26]

Au bout du petit matin, au delà de mon père, de ma mère, la case gerçant d’ampoules, comme un pêcher tourmenté de la cloque, et le toit aminci, rapiécé de morceaux de bidon de pétrole, et ça fait des marais de rouillure dans la pâte grise sordide empuantie de la paille, et quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, comme un crépitement de friture d’abord, puis comme un tison que l’on plonge dans l’eau avec la fumée des brindilles qui s’envole… Et le lit de planches d’où s’est levée ma race, tout entière ma race de ce lit de planches, avec ses pattes de caisses de Kérosine, comme s’il avait l’éléphantiasis le lit, et sa peau de cabri, et ses feuilles de banane séchées, et ses haillons, une nostalgie de matelas le lit de ma grand-mère (Au dessus du lit, dans un pot plein d’huile un lumignon dont la flamme danse comme un gros ravet… sur le pot en lettres d’or : merci).

[26]

At the end of first light, beyond my father, my mother, the shack chapped with blisters, like a peach tree afflicted with curl, and the thin roof patched with pieces of gasoline cans, which create swamps of rust in the stinking sordid gray straw pulp, and when the wind whistles, these odds and ends make a noise bizarre, first like the crackling of frying, then like a brand dropped into water the smoke of its twigs flying up … And the bed of boards from which my race arose, my whole entire race from this bed of boards, with its kerosene case paws, as if it had elephantiasis, that bed, and its kidskin, and its dry banana leaves, and its rags, yearning for a mattress, my grandmother’s bed (Above the bed, in a jar full of oil a dim light whose flame dances like a fat cockroach … on this jar in gold letters: merci).*

[27]

Et une honte, cette rue Paille,

un appendice dégoûtant comme les parties honteuses du bourg qui étend à droite et à gauche, tout au long de la route coloniale, la houle grise de ses toits « d’essentes ». Ici il n’y a que des toits de paille que l’embrun a brunis et que le vent épile.

[27]

And this Straw Street,* this disgrace,

an appendage repulsive as the private parts of the village that extends right and left, along the colonial road, the gray surge of its “shingled” roofs. Here there are only straw roofs, spray-browned and wind-plucked.

[28]

Tout le monde la méprise la rue Paille. C’est là que la jeunesse du bourg se débauche. C’est là surtout que la mer déverse ses immondices, ses chats morts et ses chiens crevés. Car la rue débouche sur la plage, et la plage ne suffit pas à la rage écumante de la mer.

Une détresse cette plage elle aussi, avec ses tas d’ordure pourrissant, ses croupes furtives qui se soulagent, et le sable est noir, funèbre, on n’a jamais vu un sable si noir, et l’écume glisse dessus en glapissant, et la mer la frappe à grands coups de boxe, ou plutôt la mer est un gros chien qui lèche et mord la plage aux jarrets, et à force de la mordre elle finira par la dévorer, bien sûr, la plage et la rue Paille avec.

[28]

Everyone despises Straw Street. That’s where the village youth go bad.

It’s there especially that the sea pours forth its garbage, its dead cats and croaked dogs. For the street opens onto the beach, and the beach alone cannot satisfy the sea’s foaming rage.

A blight this beach as well, with its piles of rotting muck, its furtive rumps relieving themselves, and the sand is black, funereal, you’ve never seen a sand so black,* and the scum glides over it yelping, and the sea pummels it like a boxer, or rather the sea is a huge dog licking and biting the shins of the beach, biting them so persistently that it will end up devouring it, for sure, the beach and Straw Street along with it.

[29]

Au bout du petit matin, le vent de jadis qui s’élève, des fidélités trahies,

du devoir incertain qui se dérobe et cet autre petit matin d’Europe…

[29]

At the end of first light, the wind of long ago—of betrayed trusts, of uncertain evasive duty and that other dawn in Europe—arises …

[30]

Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir… j’arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : « Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai ».

Et je lui dirais encore :

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».

Et venant je me dirais à moi-même :

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse… ».

Et voici que je suis venu !

[30]

To leave. My heart was humming with emphatic generosities. To leave.

… I would arrive sleek and young in this land of mine and I would say to this land whose loam is part of my flesh: “I have wandered for a long time and I am coming back to the deserted hideousness of your sores.”

I would come to this land of mine and I would say to it: “Embrace me without fear … And if all I can do is speak, it is for you I shall speak.”

And again I would say:

“My mouth shall be the mouth of those calamities that have no mouth, my voice the freedom of those who break down in the prison holes of despair.”

And on the way I would say to myself:

“And above all, my body as well as my soul beware of assuming the sterile attitude of a spectator, for life is not a spectacle, a sea of miseries is not a proscenium, a man screaming is not a dancing bear …”

And behold here I am come home!

[31]

De nouveau cette vie clopinante devant moi, non pas cette vie, cette mort, cette mort sans sens ni piété, cette mort où la grandeur piteusement échoue, l’éclatante petitesse de cette mort, cette mort qui clopine de petitesses en petitesses ; ces pelletées de petites avidités sur le conquistador ;

[31]

Once again this life hobbling before me, what am I saying this life, this

death, this death without meaning or piety, this death that so pathetically falls short of greatness, the dazzling pettiness of this death, this death hobbling from pettiness to pettiness; these shovelfuls of petty greeds over

ces pelletées de petits larbins sur le grand sauvage, ces pelletées de petites
âmes sur le Caraïbe aux trois âmes,
et toutes ces morts futiles
absurdités sous l’éclaboussement de ma conscience ouverte
tragiques futilités éclairées de cette seule noctiluque
et moi seul, brusque scène de ce petit matin
où fait le beau l’apocalypse des monstres
puis, chavirée, se tait
chaude élection de cendres, de ruines et d’affaissements

the conquistador; these shovelfuls of petty flunkies over the great savage;
these shovelfuls of petty souls over the three-souled Carib,*
and all these deaths futile
absurdities under the splashing of my open conscience
tragic futilities lit up by this single noctiluca
and I alone, sudden stage of this first light
where the apocalypse of monsters cavorts
then, capsized, hushes
warm election of cinders, of ruins and collapses

[32]

—Encore une objection ! une seule, mais de grâce une seule : je n’ai pas le droit de calculer la vie à mon empan fuligineux ; de me réduire à ce petit rien ellipsoïdal qui tremble à quatre doigts au dessus de la ligne, moi homme d’ainsi bouleverser la création, que je me comprenne entre latitude et longitude !

[32]

—One more thing! only one, but please make it only one; I have no right to measure life by my sooty finger span; to reduce myself to this little ellipsoidal nothing trembling four fingers above the line,* I a man to so overturn creation, that I include myself between latitude and longitude!

[33]

Au bout du petit matin,

la mâle soif et l’entêté désir,
me voici divisé des oasis fraîches de la fraternité
ce rien pudique frise d’échardes dures
cet horizon trop sûr tressaille comme un geôlier.

[33]

At the end of first light,

the male thirst and the desire stubborn,
here I am, severed from the cool oases of brotherhood
this so modest nothing bristles with hard splinters
this too sure horizon shudders like a jailer.

[34]

Ton dernier triomphe, corbeau tenace de la Trahison.

Ce qui est à moi, ces quelques milliers de mortiférés qui tournent en rond dans la calebasse d’une île et ce qui est à moi aussi l’archipel arqué comme le désir inquiet de se nier, on dirait une anxiété maternelle pour protéger la ténuité plus délicate qui sépare l’une de l’autre Amérique ; et ses flancs qui sécrètent pour l’Europe la bonne liqueur d’un Gulf Stream, et l’un des deux versants d’incandescence entre quoi l’ Équateur funambule vers l’Afrique. Et mon île non-clôture, sa claire audace debout à l’arrière de cette polynésie, devant elle, la Guadeloupe fendue en deux de sa raie dorsale et de même misère que nous, Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité et la comique petite queue de la Floride où d’un nègre s’achève la strangulation, et l’Afrique gigantesquement chenillant jusqu’au pied hispanique de l’Europe, sa nudité où la Mort fauche à larges andains.

[34]

Your last triumph, tenacious crow of Treason.

What is mine, these few thousand deathbearers who mill in the calabash of an island and mine too the archipelago arched with an anguished desire to negate itself, as if from maternal anxiety to protect this impossibly delicate tenuity separating one America from the other; and these loins which secrete for Europe the hearty liquor of a Gulf Stream, and one of the two slopes of incandescence between which the Equator tight-ropewalks toward Africa. And my non-closure island, its brave audacity standing at the stern of this Polynesia, before it, Guadeloupe split in two down its dorsal line and equal in poverty to us, Haiti where negritude rose for the first time* and stated that it believed in its humanity and the funny little tail of Florida where the strangulation of a nigger is being completed, and Africa gigantically caterpillaring up to the Hispanic foot of Europe, its nakedness where Death scythes widely.*

[35]

Et je me dis Bordeaux et Nantes et Liverpool
et New-York et San-Francisco
pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale et mon calcanéum sur le dos des gratte-ciel et ma crasse dans le scintillement des gemmes !
Qui peut se vanter d’avoir mieux que moi ?
Virginie. Tennessee. Géorgie. Alabama.
Putréfactions monstrueuses de révoltes inopérantes,
marais de sang putrides
trompettes absurdement bouchées
Terres rouges terres sanguines terres consanguines

[35]

And I say to myself Bordeaux and Nantes and Liverpool

and New York and San Francisco*

not an inch of this world devoid of my fingerprint and my calcaneus on

the spines of skyscrapers and my filth in the glitter of gems!

Who can boast of being better off than I?

Virginia. Tennessee. Georgia. Alabama.

Monstrous putrefactions of revolts stymied,

marshes of putrid blood

trumpets absurdly muted

Land red, sanguineous, consanguineous land

[36]

Ce qui est à moi aussi : une petite cellule dans le Jura, une petite cellule, la neige la double de barreaux blancs

la neige est un geôlier blanc qui monte la garde devant une prison Ce qui est à moi

c’est un homme seul emprisonné de blanc

c’est un homme seul qui défie les cris blancs de la mort blanche

(TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE)

c’est un homme seul qui fascine l’épervier blanc de la mort blanche

c’est un homme seul dans la mer inféconde de sable blanc

c’est un moricaud vieux dressé contre les eaux du ciel

La mort décrit un cercle brillant au dessus de cet homme

la mort étoile doucement au dessus de sa tête

la mort souffle dans la canne mûre de ses bras

la mort galope dans la prison comme un cheval blanc

la mort luit dans l’ombre comme des yeux de chat

la mort hoquète comme l’eau sous les Cayes

la mort est un oiseau blessé

la mort décroît

la mort vacille

la mort est un patyura ombrageux

la mort expire dans une blanche mare de silence.

[36]

What is also mine: a little cell in the Jura,* a little cell, the snow lines it with white bars

the snow is a white jailer mounting guard before a prison

What is mine

a lone man imprisoned in whiteness

a lone man defying the white screams of white death

(TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE)

a man who mesmerizes the white sparrow hawk of white death

a man alone in the sterile sea of white sand

an old black man standing up to the waters of the sky

Death traces a shining circle above this man

death stars softly above his head

death breathes in the ripened cane of his arms

death gallops in the prison like a white horse

death gleams in the dark like the eyes of a cat

death hiccups like water under the Keys*

death is a struck bird

death wanes

death vacillates

death is a shy patyura*

death expires in a white pool of silence.

[37]

Gonflements de nuit aux quatre coins de ce petit matin

soubresauts de mort figée

destin tenace

cris debout de terre muette

la splendeur de ce sang n’éclatera-t-elle point ?

[37]

Swellings of night in the four corners of this first light

convulsions of congealed death

tenacious fate screams erect from mute earth

the splendor of this blood will it not blast forth?

[38]

Et maintenant un dernier zut :

au soleil (Il ne suffit pas à saouler ma tête trop forte)

à la nuit farineuse avec les pondaisons d’or des lucioles incertaines

à la chevelure qui tremble tout au haut de la falaise,

le vent y saute en inconstantes cavaleries salées

je lis bien à mon pouls que l’exotisme n’est pas provende pour moi.

[38]

And now a last raspberry:

to the sun (Not strong enough to inebriate my very tough head)

to the mealy night with its golden hatchings of erratic fireflies

to the chevelure trembling at the very top of the cliff,

where the wind leaps in bursts of salty cavalries

clearly I read in my pulse that for me exoticism is no provender.

[39]

Au sortir de l’Europe toute révulsée de cris

les courants silencieux de la désespérance

au sortir de l’Europe peureuse qui se reprend et fière se surestime

je veux cet égoïsme beau et qui s’aventure

et mon labour me remémore d’une implacable étrave.

[39]

Leaving Europe utterly twisted with screams

silent currents of despair

leaving timid Europe which collects and proudly overrates itself

I summon this beautiful egotism that ventures forth

and my ploughing reminds me of an implacable cutwater.

[40]

Que de sang dans ma mémoire ! Dans ma mémoire sont des lagunes.

Elles sont couvertes de têtes de morts. Elles ne sont pas couvertes de nénuphars.

Dans ma mémoire sont des lagunes. Sur leurs rives ne sont pas étendus des pagnes de femmes.

Ma mémoire est entourée de sang. Ma mémoire a sa ceinture de cadavres !

[40]

So much blood in my memory! In my memory are lagoons. They are covered with death’s-heads. They are not covered with water lilies.

In my memory are lagoons. No women’s loin-cloths spread out on their shores.

My memory is encircled with blood. My memory has a belt of corpses!

[41]

et mitraille de barils de rhum génialement arrosant

nos révoltes ignobles, pâmoison d’yeux doux

d’avoir lampé la liberté féroce

[41]

and machine gun fire of rum barrels brilliantly sprinkling

our ignominious revolts, amorous glances swooning

from having swigged too much ferocious freedom

[42]

(les nègres-sont-tous-les-mêmes, je-vous-le-dis

les vices-tous-les-vices, c’est-moi-qui-vous-le-dis

[42]

(niggers-are-all-alike, I-tell-you

vices-all-the-vices, believe-you-me

l’odeur-du-nègre, ça-fait-pousser-la-canne

rappelez-vous-le-vieux-dicton :

battre-un-nègre, c’est le nourrir)

nigger-smell, that’s-what-makes-cane-grow

remember-the-old-saying:

beat-a-nigger, and you feed him)

[43]

autour des rocking-chairs méditant la volupté des rigoises…

[43]

around rocking chairs contemplating the voluptousness of quirts …

[44]

Je tourne, inapaisée pouliche

Ou bien tout simplement comme on nous aime !

Obscènes gaiement, très doudous de jazz sur leur excès d’ennui.

Je sais le tracking, le Lindy-hop et les claquettes.

Pour les bonnes bouches la sourdine de nos plaintes enrobées de oua-oua. Attendez…

Tout est dans l’ordre. Mon bon ange broute du néon. J’avale des baguettes. Ma dignité

se vautre dans les dégobillements…

[44]

I circle about, an unappeased filly

Or quite simply as they love to see us!

Cheerfully obscene, completely nuts about jazz to cover their extreme boredom.

I can boogie-woogie, do the Lindy-hop and tap dance.

For a special treat our groans muffled with wah-wah. Wait…

Everything is as it should be. My good angel grazes the neon. I swallow drumsticks. My dignity wallows in puke …

[45]

Soleil, Ange Soleil, Ange frisé du Soleil.

Pour un bond par delà la nage verdâtre et douce des eaux de l’abjection !

Mais je me suis adressé au mauvais sorcier. Sur cette terre exorcisée, larguée à la dérive de sa précieuse intention maléfique, cette voix qui crie, lentement enrouée, vainement, vainement enrouée, et il n’y a que les fientes accumulées de nos mensonges—et qui ne répondent pas.

[45]

Sun, Angel Sun, curly Angel of the Sun.

For a leap beyond the sweet and greenish sculling of the waters of abjection!

But I approached the wrong sorcerer. On this exorcised earth, cast adrift from its precious malignant purpose, this voice that cries, little by little hoarse, vainly, vainly hoarse, and there remain only the accumulated droppings of our lies—and they do not respond.

[46]

Quelle folie le merveilleux entrechat par moi rêvé au dessus de la bassesse !

Parbleu les Blancs sont de grands guerriers

hosannah pour le maître et pour le châtre-nègre !

Victoire ! Victoire vous dis-je : les vaincus sont contents !

Joyeuses puanteurs et chants de boue !

[46]

What madness to dream up a marvelous entrechat above the baseness!

By Gad the Whites are great warriors

hosannah to the master and to the nigger-gelder!

Victory! Victory I tell you: the conquered are content!

Joyous stenches and songs of mud!

[47]

Par une inattendue et bienfaisante révolution intérieure j’honore maintenant mes laideurs repoussantes.

[47]

By a sudden and beneficent inner revolution I now honor my repugnant ugliness.

[48]

À la Saint-Jean-Baptiste, dès que tombent les premières ombres sur le bourg du Gros-Morne, des centaines de maquignons se réunissent pour échanger leurs chevaux, dans la rue « de profundis » dont le nom a du moins la franchise d’avertir d’une ruée des bas-fonds de la Mort. Et c’est de la Mort véritablement, de ses mille mesquines formes locales (fringales inassouvies d’herbe de Para et rond asservissement des distilleries) que surgit vers la grand’vie déclose l’étonnante cavalerie des rosses impétueuses. Et quels galops ! quels hennissements ! quelles sincères urines ! quelles fientes mirobolantes ! « Un beau cheval difficile au montoir ! »—« Une altière jument sensible à la molette ! »—« Un intrépide poulain vaillamment jointé ! »

Et le malin compère dont le gilet se barre d’une fière chaîne de montre, refile au lieu de pleines mamelles, d’ardeurs juvéniles, de rotondités authentiques, ou les boursouflures régulières de guêpes complaisantes, ou les obscènes morsures du gingembre, ou la bienfaisante circulation d’un décalitre d’eau sucrée.

[48]

On Midsummer Day, as soon as the first shadows fall across the village of Gros-Morne, hundreds of dealers gather to exchange their horses on rue “de profundis” a name at least honest enough to announce an onrush from the shoals of Death. And truly it is from Death, from its thousand petty local forms (cravings unsatisfied by Para grass and tipsy bondage to the distilleries) that the astonishing cavalry of impetuous nags surges unenclosed toward the great-life. What galloping! what neighing! What sincere urinating! What prodigious droppings! “A fine horse difficult to mount!”—“A proud mare sensitive to the spur!”—“A fearless foal superbly pasterned!”

And the shrewd fellow whose waistcoat displays a proud watch chain, palms off, instead of full udders, youthful mettle, genuine contours, either the systematic puffiness from obliging wasps, or obscene stings from ginger, or the helpful distribution of several gallons of sugared water.

[49]

Je refuse de me donner mes boursouflures comme d’authentiques gloires.

Et je ris de mes anciennes imaginations puériles.

Non, nous n’avons jamais été amazones du roi de Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cents chameaux, ni docteurs à Tombouctou Askia le Grand étant roi, ni architectes de Djéné, ni Madhis, ni guerriers. Nous ne nous sentons pas sous l’aisselle la démangeaison de ceux qui tinrent jadis la lance. Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire, (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselle, des cireurs de chaussures sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte…

Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher

[49]

I refuse to pass off my puffiness for authentic glory.

And I laugh at my former puerile fantasies.

No, we’ve never been Amazons of the king of Dahomey,* nor princes of Ghana with eight hundred camels, nor wise men in Timbuktu under Askia the Great,* nor the architects of Djenne,* nor Madhis,* nor warriors. We don’t feel under our armpit the itch of those who in the old days carried a lance. And since I have sworn to leave nothing out of our history (I who love nothing better than a sheep grazing his own afternoon shadow), I may as well confess that we were at all times pretty mediocre dishwashers, shoeblacks without ambition, at best conscientious sorcerers and the only unquestionable record that we broke was that of endurance under the chicote …*

And this land screamed for centuries that we are bestial brutes; that the human pulse stops at the gates of the barracoon; that we are walking compost hideously promising tender cane and silky cotton and they would brand us with red-hot irons and we would sleep in our excrement and they would sell us on the town square and an ell of English cloth and

que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.

salted meat from Ireland cost less than we did, and this land was calm,

tranquil, repeating that the spirit of the Lord was in its acts.

[50]

Le négrier ! proclame mon sûr et ténébreux instinct, les voiles de noires nuages, la polymâture de forêts sombres et des dures magnificences des Calebars, insigne souvenir à la proue blanchoyant—ce squelette !

[50]

The slave ship! proclaim my certain and darkest instincts, the sails of black clouds, the polymasting of somber forests and the Calebars’ harsh magnificence, a glaring memory of the whitening prow—this skeleton!

[51]

J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquètements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer… les abois d’une femme en gésine… des râclements d’ongles cherchant des gorges… des ricanements de fouet… des farfouillis de vermines parmi des lassitudes…

[51]

I hear coming up from the hold enchained curses, the death gasps of the dying, the sound of someone thrown into the sea … the baying of a woman in labor … the scraping of fingernails searching for throats … the flouts of the whip … the seething of vermin amidst the weariness …

[52]

Rien ne put nous insurger jamais vers quelque noble aventure

désespérée.

Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.

Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les chancelleries

Je défie le craniomètre. Homo sum etc.…

Et qu’ils servent et trahissent et meurent

Ainsi soit-il. Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin.

Et moi, et moi,

moi qui chantai le poing dur

Il faut savoir jusqu’où je poussai la lâcheté.

Un soir dans un tramway en face de moi, un nègre.

C’était un nègre grand comme un pongo qui essayait de se faire tout petit sur un banc de tramway. Il essayait d’abandonner sur ce banc crasseux de tramway ses jambes gigantesques et ses mains tremblantes de boxeur affamé. Et tout l’avait laissé, le laissait. Son nez qui semblait une péninsule en dérade et sa négritude même qui se décolorait sous l’action d’une inlassable mégie. Et le mégissier était la Misère. Un gros oreillard subit dont les coups de griffes sur ce visage s’étaient cicatrisés en îlots scabieux. Ou plutôt c’était un ouvrier infatigable, la Misère, travaillant à quelque cartouche hideux. On voyait très bien comment le pouce industrieux et malveillant avait modelé le front en bosse, percé le nez de deux tunnels parallèles et inquiétants, allongé la démesure de la lippe, et par un chef-d’oeuvre caricatural, raboté, poli, verni la plus minuscule mignonne petite oreille de la création.

[52]

Nothing could ever lift us toward a noble hopeless adventure.

So be it. So be it.

I am of no nationality recognized by the chancelleries

I defy the craniometer. Homo sum etc.…

Let them serve and betray and die

So be it. So be it. It was written in the shape of their pelvis.*

And I, and I,

I was singing the hard fist

You must know the extent of my cowardice.

One evening on the streetcar facing me, a nigger.

A nigger big as a pongo trying to make himself small on the streetcar bench. He was trying to leave behind on this grimy bench his gigantic legs and his trembling famished boxer hands. And everything had left him, was leaving him. His nose which looked like a drifting peninsula and even his negritude discolored as a result of untiring tawing. And the tawer was Poverty. A big unexpected lop-eared bat whose claw marks in his face had scabbed over into crusty islands. Or rather, Poverty was, like a tireless worker, laboring over some hideous cartouche. One could easily see how that industrious and malevolent thumb had kneaded bumps into his brow, bored two parallel and troubling tunnels in his nose, over-exaggerated his lips, and in a masterpiece of caricature, planed, polished, and varnished the tiniest cutest little ear in all creation.

C’était un nègre dégingandé sans rythme ni mesure.

Un nègre à la voix embrumée d’alcool et de misère.

Un nègre dont les yeux roulaient une lassitude sanguinolante.

Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante au fond de la tanière entrebâillée de ses souliers.

La Misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever.

Elle avait creusé l’orbite, l’avait fardée d’un fard de poussière et de chassie mêlées.

Elle avait tendu l’espace vide entre l’accrochement solide des mâchoires et les pommettes d’une vieille joue décatie. Elle avait planté dessus les petits pieux luisants d’une barbe de plusieurs jours. Elle avait affolé le coeur, voûté le dos.

Et l’ensemble faisait parfaitement un nègre hideux, un nègre grognon, un nègre mélancolique, un nègre affalé, ses mains réunies en prière sur un bâton noueux. Un nègre enseveli dans une vieille veste élimée. Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant.

Moi je me tournai, mes yeux proclamant que je n’avais rien de commun avec ce singe.

Il était COMIQUE ET LAID,

COMIQUE ET LAID pour sûr.

J’arborai un grand sourire complice…

Ma lâcheté retrouvée !

Je salue les trois siècles qui soutiennent mes droits civiques et mon sang minimisé.

Mon héroïsme, quelle farce !

Cette ville est à ma taille.

Et mon âme est couchée. Comme cette ville dans la crasse et dans la boue couchée.

Cette ville, ma face de boue.

L’eau du baptême sur mon front se sèche.

Je réclame pour ma face la louange éclatante du crachat ! …

Alors, nous étant tels, à nous l’élan viril, le genou vainqueur, les plaines à grosses mottes de l’avenir !

Tiens, je préfère avouer que j’ai généreusement déliré, mon coeur dans ma cervelle ainsi qu’un genou ivre.

He was a gangly nigger without rhythm or measure.

A nigger with a voice fogged over by alcohol and poverty.

A nigger whose eyes rolled a bloodshot weariness.

A shameless nigger and his toes sneered in a rather stinking way at the bottom of the yawning lair of his shoes.

Poverty, without any question, had knocked itself out to finish him off.

It had dug the socket, had painted it with a rouge of dust mixed with rheum.

It had stretched an empty space between the solid hinge of the jaw and the bones in an old tarnished cheek. Had planted over it the small shiny stakes of a two- or three-day beard. Had panicked his heart, bent his back.

And the whole thing added up perfectly to a hideous nigger, a grouchy nigger, a melancholy nigger, a slouched nigger, his hands joined in prayer on a knobby stick. A nigger shrouded in an old threadbare coat. A comical and ugly nigger, with some women behind me sneering at him.

Me I turned, my eyes proclaiming that I had nothing in common with this monkey.

He was COMICAL AND UGLY,*

COMICAL AND UGLY for sure.

I displayed a big complicitous smile …

My cowardice rediscovered!

Hail to the three centuries that uphold my civil rights and my minimized blood.

My heroism, what a farce!

This town fits me to a t.

And my soul is prostrate. Prostrate like this town in its refuse and mud.

This town, my face of mud.

The baptismal water dries on my forehead.

For my face I demand the vivid homage of spit! …

So, being what we are, ours the warrior thrust, the triumphant knee, the well-plowed plains of the future!

Look, I’d rather admit to uninhibited ravings, my heart in my brain like a drunken knee.

[53]

Mon étoile maintenant, le menfenil funèbre.

[53]

My star now, the funereal menfenil.*

[54]

Et sur ce rêve ancien mes cruautés cannibales.

Les balles sont dans la bouche salive épaisse

notre coeur de quotidienne bassesse éclate

les continents rompent la frêle attache des isthmes

des terres sautent suivant la division fatale des fleuves

et le morne qui depuis des siècles retient son cri au dedans de lui-même,

c’est lui qui à son tour écartèle le

silence

et ce peuple vaillance rebondissante !

et nos membres vainement disjoints par les plus raffinés supplices, et

la vie plus impétueuse jaillissant de ce fumier—comme le corrossolier imprévu de la décomposition des fruits du jacquier !

[54]

And on this former dream my cannibalistic cruelties.

Bullets are in the mouth thick saliva

our heart from daily lowness bursts

the continents break the fragile bond of isthmuses

lands explode in accordance with the fatal division of rivers

and the morne which for centuries kept its scream within itself, draws and quarters the

silence in its turn

and this people an ever-rebounding valor!

and our limbs vainly disjointed by the most refined tortures, and life

even more impetuously springing up from this dunghill—unexpected as a soursop amidst the decomposition of breadfruit!

[55]

Sur ce rêve vieux en moi mes cruautés cannibales

[55]

On this dream so old in me my cannibalistic cruelties

[56]

Je me cachais derrière une vanité stupide

le destin m’appelait j’étais caché derrière

et voici l’homme par terre ! Sa très fragile défense dispersée,

ses maximes sacrées foulées aux pieds, ses déclamations pédantesques rendant du vent par chaque blessure.

Voici l’homme par terre

et son âme est comme nue

et le destin triomphe qui contemple se muer

en l’ancestral bourbier cette âme qui le défiait.

[56]

I was hiding behind a stupid vanity

destiny called me I was hiding behind it

and suddenly there was man on the ground! His feeble defenses scattered,

his sacred maxims trampled underfoot, his pedantic rhetoric so much hot air through each wound.

There was man on the ground

and his soul appears naked

and destiny triumphs in watching this soul which

defied its metamorphosis in the ancestral quagmire.

[57]

Je dis que cela est bien ainsi.

Mon dos exploitera victorieusement la chalasie des fibres.

Je pavoiserai de reconnaissance mon obséquiosité naturelle

Et rendra des points à mon enthousiasme le boniment galonné d’argent du postillon de la Havane, lyrique babouin entremetteur des splendeurs de la servitude.

[57]

I say that this is right.

My back will victoriously exploit the chalaza of fibers.

I will deck out my natural obsequiousness with gratitude

And the silver-braided bullshit of the postillion* of Havana, lyric baboon pimp for the glamour of slavery, will be more than a match for my enthusiasm.

[58]

Je dis que cela est bien ainsi.

Je vis pour le plus plat de mon âme.

Pour le plus terne de ma chair !

[58]

I say that this is right.

I live for the flattest part of my soul.

For the dullest part of my flesh!

[59]

Tiède petit matin de chaleur et de peur ancestrales

je tremble maintenant du commun tremblement

que notre sang docile chante dans le madrépore.

[59]

Tepid first light of ancestral heat and fear

I now tremble with the collective trembling

that our blood sings in the madrepore.

[60]

Et ces têtards en moi éclos de mon ascendance prodigieuse !

[60]

And these tadpoles hatched in me by my prodigious ancestry!

[61]

ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité

ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel

mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance

ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements

ceux qui se sont assouplis aux agenouillements

ceux qu’on domestiqua et christianisa

ceux qu’on inocula d’abâtardissement

tam-tams de mains vides

tam-tams inanes de plaies sonores

tam-tams burlesques de trahison tabide

[61]

those who invented neither powder nor compass

those who could harness neither steam nor electricity

those who explored neither the seas nor the sky

but knew in its most minute corners the land of suffering

those who have known voyages only through uprootings

those who have been lulled to sleep by so much kneeling

those whom they domesticated and Christianized

those whom they inoculated with degeneracy

tom-toms of empty hands inane

tom-toms of resounding sores burlesque

tom-toms of tabetic treason

[62]

Tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales

par dessus bord mes richesses pérégrines

par dessus bord mes faussetés authentiques

[62]

Tepid first light of ancestral heat and fear

overboard with my alien riches

overboard with my genuine falseness

[63]

Mais quel étrange orgueil tout soudain m’illumine?

[63]

But what strange pride of a sudden illuminates me?

[64]

O lumière amicale

O fraîche source de lumière

ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

[64]

O friendly light

O fresh source of light

those who invented neither powder nor compass

ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité

ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel

maix ceux sans qui la terre ne serait pas la terre

gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre

silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre

ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour

ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’oeil mort de la terre

ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale

those who could harness neither steam nor electricity

those who explored neither the seas nor the sky

but those without whom the earth would not be the earth

gibbosity all the more beneficent as more and more the earth deserts the earth

silo where that which is earthiest about earth ferments and ripens

my negritude is not a stone, its deafness hurled against the clamor of the day

my negritude is not a leukoma of dead liquid over the earth’s dead eye

my negritude is neither tower nor cathedral

[65]

elle plonge dans la chair rouge du sol

elle plonge dans la chair ardente du ciel

elle troue l’accablement opaque de sa droite patience.

[65]

it takes root in the red flesh of the soil

it takes root in the ardent flesh of the sky

it breaks through opaque prostration with its upright patience.

[66]

Eia pour le Kaïlcédrat royal !

Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé

pour ceux qui n’ont jamais rien exploré

pour ceux qui n’ont jamais rien dompté

[66]

Eia for the royal Cailcedra!*

Eia for those who never invented anything

for those who never explored anything

for those who never conquered anything

[67]

mais ils s’abandonnent, saisis, à l’essence de toutes choses

ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toutes choses

insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde

véritablement les fils aînés du monde

poreux à tous les souffles du monde

aire fraternelle de tous les souffles du monde

lit sans drain de toutes les eaux du monde

étincelle du feu sacré du monde

chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde !

[67]

but who yield, seized, to the essence of all things*

ignorant of surfaces but captivated by the motion of all things

indifferent to conquering, but playing the game of the world

truly the eldest sons of the world

porous to all the breathing of the world

fraternal locus for all the breathing of the world

drainless channel for all the water of the world

spark of the sacred fire of the world

flesh of the world’s flesh pulsating with the very motion of the world!

[68]

Tiède petit matin de vertus ancestrales

Sang ! Sang ! tout notre sang ému par le coeur mâle du soleil

ceux qui savent la féminité de la lune au corps d’huile

[68]

Tepid first light of ancestral virtues

Blood! Blood! all our blood aroused by the male heart of the sun

those who know about the femininity of the moon’s oily body

l’exaltation réconciliée de l’antilope et de l’étoile

ceux dont la survie chemine en la germination de l’herbe !

the reconciled exultation of antelope and star

those whose survival walks on the germination of the grass!

[69]

Eia parfait cercle du monde et close concordance !

[69]

Eia perfect circle of the world and enclosed concordance!

[70]

Écoutez le monde blanc

horriblement las de son effort immense

ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures

ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique

écoute ses victoires proditoires trompetter ses défaites

écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement

[70]

Hear the white world

horribly weary from its immense effort

its rebellious joints cracking under the hard stars

its blue steel rigidities piercing the mystic flesh

hear its proditorious victories touting its defeats

hear the grandiose alibis for its pitiful stumbling

[71]

Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !

[71]

Pity for our omniscient and naïve conquerors!

[72]

Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé

pour ceux qui n’ont jamais rien exploré

pour ceux qui n’ont jamais rien dompté

[72]

Eia for those who never invented anything

for those who never explored anything

for those who never conquered anything

[73]

Eia pour la joie

Eia pour l’amour

Eia pour la douleur aux pis de larmes réincarnées

[73]

Eia for joy

Eia for love

Eia for grief and its dugs of reincarnated tears

[74]

Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile

que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés sur cette ville que je prophétise, belle,

[74]

And here at the end of this first light my virile prayer

that I hear neither the laughter nor the screams, my eyes fixed on this town that I prophesy, beautiful,

[75]

donnez-moi le courage du martyr

donnez-moi la foi sauvage du sorcier

donnez à mes mains puissance de modeler

donnez à mon âme la trempe de l’épée

je ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proue

[75]

grant me the courage of the martyr

grant me the savage faith of the sorcerer

grant my hands the power to mold

grant my soul the sword’s temper

I won’t flinch. Make my head into a figurehead

et de moi-même, mon coeur, ne faites ni un père

ni un frère, ni un fils, mais le père mais le frère, mais le fils,

ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.

and as for me, my heart, make me not into a father nor a brother,

nor a son, but into the father, the brother, the son,

nor a husband, but the lover of this unique people.

[76]

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie comme le

poing à l’allongée du bras !

Faites-moi commissaire de son sang

faites-moi dépositaire de son ressentiment

faites de moi un homme de terminaison

faites de moi un homme d’initiation

faites de moi un homme de recueillement mais

faites aussi de moi un homme d’ensemencement

[76]

Make me resist all vanity, but espouse its genius like the fist the extended arm!

Make me a steward of its blood

make me a trustee of its resentment

make me into a man of termination

make me into a man of initiation

make me into a man of meditation

but also make me into a man of germination

[77]

faites de moi l’exécuteur de ces oeuvres hautes

[77]

make me into the executor of these lofty works

[78]

voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme.

[78]

the time has come to gird one’s loins like a brave man.*

[79]

Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine

ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine

car pour me cantonner en cette unique race

vous savez pourtant mon amour catholique

vous savez que ce n’est point par haine des autres races

que je m’exige bêcheur de cette unique race

que ce que je veux

c’est pour la faim universelle

pour la soif universelle

[79]

But in doing so, my heart, preserve me from all hatred

do not make me into that man of hatred for whom I feel only hatred

for sheltered as I am in this unique race

you still know my catholic love

you know that it is not from hatred of other races

that I demand of myself to be a digger for this unique race

that what I want

is for universal hunger

for universal thirst

[80]

la sommer libre enfin

[80]

to summon it free at last

[81]

de produire de son intimité close

la succulence des fruits.

[81]

to generate from its intimate closeness

the succulence of fruit.

[82]

Et voyez l’arbre de nos mains !

il tourne pour tous, les blessures incises en son tronc

pour tous le sol travaille

et griserie vers les branches de précipitation parfumée !

[82]

And see the tree of our hands!

it turns for all, the wounds cut in its trunk*

the soil works for all

and toward the branches a headiness of fragrant precipitation!

[83]

Mais avant d’aborder aux futurs vergers

donnez-moi de les mériter sur leur ceinture de mer

donnez-moi mon coeur en attendant le sol

donnez-moi sur l’océan stérile

mais où caresse la main la promesse de l’amure

donnez-moi sur cet océan divers

l’obstination de la fière pirogue

et sa vigueur marine.

[83]

But before reaching the shores of future orchards

grant that I deserve those on their belt of sea

grant me my heart while awaiting the earth

grant me on the ocean sterile

but somewhere caressed by the promise of the clew-line

grant me on this diverse ocean

the obstinacy of the proud pirogue

and its marine vigor.

[84]

La voici avancer par escalades et retombées sur le flot pulvérisé

la voici danser la danse sacrée devant la grisaille du bourg

la voici barir d’un lambi vertigineux

voici galoper le lambi jusqu’à l’indécision des mornes

et voici par vingt fois d’un labour vigoureux la pagaie forcer l’eau

la pirogue se cabre sous l’assaut de la lame, dévie un instant,

tente de fuir, mais la caresse rude de la pagaie la vire,

alors elle fonce, un frémissement parcourt l’échine de la vague,

la mer bave et gronde

la pirogue comme un traîneau file sur le sable.

[84]

See it advance rising and falling on the pulverized wave

see it dance the sacred dance before the grayness of the village

see it trumpet from a vertiginous conch

see the conch gallop up to the uncertainty of the mornes

and see twenty times over the paddles vigorously plow the water

the pirogue rears under the attack of the swells, deviates for an instant,

tries to escape, but the paddle’s rough caress turns it,

then it charges, a shudder runs along the wave’s spine,

the sea slobbers and rumbles

the pirogue like a sleigh glides onto the sand.

[85]

Au bout de ce petit matin, ma prière virile :

[85]

At the end of this first light, my virile prayer:

[86]

donnez-moi les muscles de cette pirogue sur la mer démontée et

l’allégresse convaincante du lambi de la bonne nouvelle !

[86]

grant me pirogue muscles on this raging sea and the irresistible gaiety of the conch of good tidings!

[87]

Tenez je ne suis plus qu’un homme (aucune dégradation, aucun crachat ne le conturbe)

[87]

Look, now I am only a man (no degradation, no spit perturbs him)* now I am only a man who accepts emptied of anger

je ne suis plus qu’un homme qui accepte n’ayant plus de colère

(il n’a plus dans le coeur que de l’amour immense)

J’accepte… J’accepte… entièrement, sans réserve…

ma race qu’aucune ablution d’hysope et de lys mêlés ne pourrait purifier

ma race rongée de macules

ma race raisin mûr pour pieds ivres

ma reine des crachats et des lèpres

ma reine des fouets et des scrofules

ma reine des squasmes des chloasmes

(oh ces reines que j’aimais jadis aux jardins printaniers et lointains avec derrière l’illumination de toutes les bougies de marronniers !).

J’accepte. J’accepte.

et le nègre fustigé qui dit : « Pardon mon maître »

et les vingt-neuf coups de fouet légal

et le cachot de quatre pieds de haut

et le carcan à branches

et le jarret coupé à mon audace marronne

et la fleur de lys qui flue du fer rouge sur le gras de mon épaule

et la niche de Monsieur VAULTIER MAYENCOURT, où j’aboyai six mois

de caniche

et Monsieur BRAFIN

et Monsieur de FOURNIOL

et Monsieur de la MAHAUDIÈRE

et le pian

le molosse

le suicide

la promiscuité

le brodequin

le cep

le chevalet

le cippe

le frontal

(nothing left in his heart but immense love)

I accept … I accept … totally, without reservation …*

my race that no ablution of hyssop mixed with lilies could purify*

my race pitted with blemishes

my race ripe grapes for drunken feet*

my queen of spittle and leprosy

my queen of whips and scrofula

my queen of squama and chloasma

(oh those queens I once loved in the remote gardens of spring against the illumination of all the candles of the chestnut trees!).*

I accept. I accept.

and the flogged nigger saying “Forgive me master”

and the twenty-nine legal blows of the whip*

and the four-foot-high prison cell

and the spiked carcan

and the hamstringing of my runaway audacity

and the fleur de lys flowing from the red iron into the fat of my shoulder*

and Monsieur VAULTIER MAYENCOURT’S kennel where I barked six poodle months

and Monsieur BRAFIN

and Monsieur FOURNIOL

and Monsieur de la MAHAUDIÈRE

and the yaws

the mastiff

the suicide

the promiscuity

the bootkin

the shackles

the rack

the cippus

the headscrew

[88]

Et mon originale géographie aussi ; la carte du monde faite à mon usage, non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants, mais à la géométrie de mon sang répandu

[88]

And my special geography too; the world map made for my own use, not tinted with the arbitrary colors of scholars, but with the geometry of my spilled blood

[89]

et la détermination de ma biologie non prisonnière d’un angle facial, d’une forme de cheveux, d’un nez suffisamment aplati, d’un teint suffisamment mélanien, et la négritude, non plus un indice céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais mesurée au compas de la souffrance

[89]

and the determination of my biology* not a prisoner to a facial angle, to a type of hair, to a well-flattened nose, to a clearly melanian coloring, and negritude, no longer a cephalic index, or plasma, or soma, but measured by the compass of suffering

[90]

et le nègre chaque jour plus bas, plus lâche, plus stérile, moins profond, plus répandu au dehors, plus séparé de soi-même, plus rusé avec soi-même, moins immédiat avec soi-même

[90]

and the Negro every day more base, more cowardly, more sterile, less profound, more spilled out of himself, more separated from himself, more wily with himself, less immediate to himself

[91]

j’accepte, j’accepte tout cela

[91]

I accept, I accept it all

[92]

et loin de la mer de palais qui déferle sous la syzygie suppurante des ampoules, merveilleusement couché le corps de mon pays dans le désespoir de mes bras, ses os ébranlés et dans ses veines le sang qui hésite comme la goutte de lait végétal à la pointe blessée du bulbe… Et voici soudain que force et vie m’assaillent comme un taureau et je renouvelle onan qui confia son sperme à la terre féconde et l’onde de vie circonvient la papille du morne, et voilà toutes les veines et veinules qui s’affairent au sang neuf et l’énorme poumon des cyclones qui respire et le feu thésaurisé des volcans et le gigantesque pouls sismique qui bat maintenant la mesure d’un corps vivant en mon ferme embrassement.

[92]

and far from the palatial sea that foams under the suppurating syzygy of blisters, the body of my country miraculously laid in the despair of my arms*, its bones shattered and in its veins, the blood hesitating like a drop of vegetal milk at the injured point of a bulb… Suddenly now strength and life assail me like a bull and I revive onan* who entrusted his sperm to the fecund earth and the water of life circumvents the papilla of the morne, and now all the veins and veinlets are bustling with new blood and the enormous breathing lung of cyclones and the fire hoarded in volcanoes and the gigantic seismic pulse that now beats the measure of a living body in my firm embrace.

[93]

Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique.

Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences,

car il n’est point vrai que l’oeuvre de l’homme est finie

que nous n’avons rien à faire au monde

que nous parasitons le monde qu’il suffit

que nous nous mettions au pas du monde

[93]

And we are standing now, my country and I, hair in the wind, my hand puny in its enormous fist and the strength is not in us, but above us, in a voice that drills the night and the hearing like the penetrance of an apocalyptic wasp.*

And the voice proclaims that for centuries Europe has force-fed us with lies and bloated us with pestilence,

for it is not true that the work of man is done

that we have no business being in the world

that we parasite the world

that it is enough for us to heel to the world

[94]

mais l’oeuvre de l’homme vient seulement de commencer

[94]

whereas the work of man has only begun

[95]

et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur

et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force

et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite.

[95]

and man still must overcome all the interdictions wedged in the recesses of his fervor

and no race has a monopoly on beauty, on intelligence, on strength

and there is room for everyone at the convocation of conquest and we know now that the sun turns around our earth lighting the parcel designated by our will alone and that every star falls from sky to earth at our omnipotent command.

[96]

Je tiens maintenant le sens de l’ordalie : mon pays est la « lance de nuit » de mes ancêtres Bambaras.

Elle se ratatine et sa pointe fuit désespérément vers le manche si c’est de sang de poulet qu’on l’arrose et elle dit que c’est du sang d’homme qu’il faut à son tempérament, de la graisse, du foie, du coeur d’homme, non du sang de poulet.

Et je cherche pour mon pays non des coeurs de datte, mais des coeurs d’homme qui c’est pour entrer aux villes d’argent par la grand’porte trapézoïdale qu’ils battent le sang viril, et mes yeux balayent mes kilomètres carrés de terre paternelle et je dénombre les plaies avec une sorte d’allégresse et je les entasse l’une sur l’autre comme rares espèces, et mon compte s’allonge toujours d’imprévus monnayages de la bassesse.

Et voici ceux qui ne se consolent point de n’être pas faits à la ressem-blance de Dieu mais du diable, ceux qui considèrent que l’on est nègre comme commis de seconde classe : en attendant mieux et avec possibilité de monter plus haut ; ceux qui battent la chamade devant soi-même, ceux qui vivent dans un cul de basse fosse de soi-même ; ceux qui se drapent de pseudomorphose fière ; ceux qui disent à l’Europe : « Voyez, je sais comme vous faire des courbettes, comme vous présenter mes hommages, en somme je ne suis pas différent de vous ; ne faites pas attention à ma peau noire : c’est le soleil qui m’a brûlé ».

Et il y a le maquereau nègre, l’askari nègre, et tous zèbres se secouent à leur manière pour faire tomber leurs zébrures en une rosée de lait frais.

[96]

I now see the meaning of this ordeal: my country is the “lance of night” of my Bambara ancestors.*

It shrinks and its tip desperately retreats toward the haft when it is sprinkled with chicken blood and it states that its temperament requires the blood of man, his fat, his liver, his heart, not chicken blood.

And I seek for my country not date hearts, but men’s hearts which in order to enter the silver cities through the great trapezoidal gate beat with virile blood, and as my eyes sweep my kilometers of paternal earth I number its sores almost joyfully and I pile one on top of another like rare species, and my total is ever lengthened by unexpected mintings of baseness.

And there are those who will never get over not being made in the likeness of God but of the devil, those who believe that being a nigger is like being a second-class clerk: waiting for a better deal and upward mobility; those who bang the chamade before themselves, those who live in a corner of their own deep pit; those who drape themselves in proud pseudomorphosis;* those who say to Europe: “You see I can bow and scrape, like you I pay my respects, in short I am not different from you; pay no attention to my black skin: the sun did it.*”

And there is the nigger pimp, the nigger askari, and all the zebras shaking themselves in various ways to get rid of their stripes in a dew of fresh milk.

[97]

Et au milieu de tout cela je dis hurrah ! mon grand père meurt, je dis hurrah

la vieille négritude progressivement se cadavérise.

Il n’y a pas à dire : c’était un bon nègre.

Les Blancs disent que c’était un bon nègre, un vrai bon nègre, le bon nègre à son bon maître.

Je dis hurrah !

C’était un très bon nègre

la misère lui avait blessé poitrine et dos et on avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui qu’on ne prend pas au collet ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin ; qu’un Seigneur méchant avait de toute éternité écrit des lois d’interdiction en sa nature pelvienne ; et d’être le bon nègre ; de se contenter honnêtement d’être le bon nègre ; de croire honnêtement à son indignité, sans curiosité perverse de vérifier les hiéroglyphes fatidiques.

[97]

And in the midst of all that I say hurray! my grandfather dies, I say hurray

the old negritude progressively cadavers itself.

No bones about it: he was a good nigger.

The Whites say he was a good nigger, a really good nigger, massa’s good ole darky.

I say hurray!

He was a good nigger indeed

poverty had wounded his chest and back and they had stuffed into his poor brain that a fatality no one could trap weighed on him; that he had no control over his own destiny; that an evil Lord had for all eternity inscribed Thou Shall Not in his pelvic constitution; that he must be a good nigger; must honestly put up with being a good nigger; must sincerely believe in his worthlessness, without any perverse curiosity to verify the fatidic hieroglyphs.

[98]

C’était un très bon nègre

[98]

He was a very good nigger

[99]

et il ne lui venait pas à l’idée qu’il pourrait houer, fouir, couper tout tout autre chose vraiment que la canne insipide.

[99]

And it never occurred to him that he could hoe, dig, cut anything, anything else really than insipid cane.

[100]

C’était un très bon nègre.

[100]

He was a very good nigger.

[101]

Et on lui jetait des pierres, des bouts de ferraille, des tessons de bouteille, mais ni ces pierres, ni cette ferraille, ni ces bouteilles…

O quiètes années de Dieu sur cette motte terraquée !

[101]

And they threw stones at him, chunks of scrap iron, shards of bottles, but neither these stones, nor this scrap iron, nor these bottles …

O peaceful years of God on this terraqueous clod!

[102]

Et le fouet disputa au bombillement des mouches la rosée sucrée de nos plaies

[102]

And the whip argued with the bombilation of the flies over the sugary dew of our sores

[103]

Je dis hurrah ! La vieille négritude progressivement se cadavérise l’horizon se défait, recule et s’élargit

et voici parmi des déchiquètements de nuages la fulgurance d’un signe le négrier craque de toute part… Son ventre se convulse et résonne… L’affreux ténia de sa cargaison ronge les boyaux fétides de l’étrange nourrisson des mers !

[103]

I say hurray! The old negritude progressively cadavers itself the horizon breaks, recoils and expands

and through the shredding of clouds the flashing of a sign

the slave ship cracks from one end to the other … Its belly convulses and resounds … The ghastly tapeworm of its cargo gnaws the fetid guts of the strange suckling of the sea!

[104]

Et ni l’allégresse des voiles gonflées comme une poche de doublons rebon-die, ni les tours joués à la sottise dangereuse des frégates policières ne l’empêchent d’entendre la menace de ses grondements intestins.

[104]

And neither the joy of sails filled like a pocket stuffed with doubloons, nor the tricks played on the dangerous stupidity of the patrol ships prevent it from hearing the threat of its intestinal rumblings.

[105]

En vain pour s’en distraire le capitaine pend à sa grand’vergue le nègre le plus braillard ou le jette à la mer, ou le livre à l’appétit de ses molosses.

[105]

In vain to amuse himself the captain hangs the biggest loudmouth nigger from the main yard or throws him into the sea, or feeds him to his mastiffs.

[106]

La négraille aux senteurs d’oignon frit retrouve dans son sang répandu le goût amer de la liberté

[106]

Reeking of fried onions the nigger scum discovers in its spilled blood the bitter taste of freedom

[107]

Et elle est debout la négraille

[107]

And the nigger scum is on its feet

[108]

la négraille assise

inattendument debout

debout dans la cale

debout dans les cabines

debout sur le pont

debout dans le vent

debout sous le soleil

debout dans le sang

debout

et

libre

debout et non point pauvre folle dans sa liberté et son dénuement maritimes girant en la dérive parfaite

[108]

the seated nigger scum

unexpectedly standing

standing in the hold

standing in the cabins

standing on the deck

standing in the wind

standing under the sun

standing in the blood

standing

and

free

standing and no longer a poor creature in its maritime freedom and destitution gyrating in perfect drift

et la voici :

plus inattendument debout

debout dans les cordages

debout à la barre

debout à la boussole

debout à la carte

debout sous les étoiles

debout

et

libre

et le navire lustral s’avancer impavide sur les eaux écroulées.

Et maintenant tombent

et maintenant pourrissent nos flocs d’ignominie

and there it is:

most unexpectedly standing

standing in the rigging

standing at the tiller

standing at the compass

standing at the map

standing under the stars

standing

and

free

and the lustral ship advances fearlessly over the crumbling waters.

And now our ignominious plops

are falling and rotting away

[109]

à moi mes danses

mes danses de mauvais nègre

la danse brise-carcan

la danse saute-prison

la danse il-est-beau-et-bon-et-légitime-d’être-nègre

À moi mes danses et saute le soleil sur la raquette de mes mains

Mais non l’inégal soleil ne me suffit plus

enroule-toi, vent, autour de ma nouvelle croissance

pose-toi sur mes doigts mesurés

Je te livre ma conscience et son rythme de chair

Je te livre les feux où brasille ma faiblesse

Je te livre le chain-gang

Je te livre le marais

Je te livre l’in-tourist du circuit triangulaire

Dévore vent

Je te livre mes paroles abruptes

Dévore et enroule-toi

Et t’enroulant embrasse-moi d’un plus vaste frisson

Embrasse-moi jusqu’au nous furieux

Embrasse, embrasse nous

Mais nous ayant également mordus !

Jusqu’au sang de notre sang mordus !

[109]

rally to my side my dances

my bad-nigger dances

the carcan-break dance

the prison-spring dance

the it-is-beautiful-good-and-legitimate-to-be-a-nigger-dance

Rally to my side my dances and let the sun bounce on the racket of my hands

But no the unequal sun is not enough for me

coil, wind, around my new growth

light on my cadenced fingers

To you I surrender my conscience and its fleshy rhythm

To you I surrender the fire in which my weakness sparkles

To you I surrender the chain gang

To you the swamps

To you the non-tourist of the triangular circuit

Devour wind

To you I surrender my abrasive words

Devour and encoil yourself

And coiling round embrace me with a more ample shudder

Embrace me unto furious us

Embrace, embrace us

But having also bitten us!

To the blood of our blood bitten us!

Embrasse, ma pureté ne se lie qu’à ta pureté

mais alors embrasse !

Comme un champ de justes filaos

le soir

nos multicolores puretés.

Et lie, lie-moi sans remords

lie-moi de tes vastes bras à l’argile lumineuse

lie ma noire vibration au nombril même du monde

Lie, lie-moi, fraternité âpre

Puis, m’étranglant de ton lasso d’étoiles

monte, Colombe

monte

monte

monte

Je te suis, imprimée en mon ancestrale cornée blanche

Monte lécheur de ciel

Et le grand trou noir où je voulais me noyer l’autre lune

C’est là que je veux pêcher maintenant

la langue maléfique de la nuit en son immobile verrition !

Embrace, my purity mingles only with your purity

so then embrace!

Like a field of upright filaos

at dusk

our multicolored purities.

And bind, bind me without remorse

bind me with your vast arms of luminous clay

bind my black vibration to the very navel of the world

Bind, bind me, bitter brotherhood

Then, strangling me with your lasso of stars

rise, Dove

rise

rise

rise

I follow you who are imprinted on my ancestral white cornea

Rise sky licker

And the great black hole where a moon ago I wanted to drown

It is there I will now fish

the malevolent tongue of the night in its still verticity*!

 

CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL

[1]

Au bout du petit matin bourgeonnant d’anses frêles les Antilles qui ont faim, les Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouées.

[2]

Au bout du petit matin, l’extrême, trompeuse désolée eschare sur la blessure des eaux ; les martyrs qui ne témoignent pas ; les fleurs du sang qui se fanent et s’éparpillent dans le vent inutile comme des cris de perroquets babillards ; une vieille vie menteusement souriante, ses lèvres ouvertes d’angoisses désaffectées ; une vieille misère pourrissant sous le soleil, silencieusement ; un vieux silence crevant de pustules tièdes

[3]

l’affreuse inanité de notre raison d’être.

[4]

Au bout du petit matin, sur cette plus fragile épaisseur de terre que dépasse de façon humiliante son grandiose avenir—les volcans éclateront, l’eau nue emportera les taches mûres du soleil et il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins—la plage des songes et l’insensé réveil.

[5]

Au bout du petit matin, cette ville plate—étalée, trébuchée de son bon sens, inerte, essoufflée sous son fardeau géométrique de croix éternellement recommençante, indocile à son sort, muette, contrariée de toutes façons, incapable de croître selon le suc de cette terre, embarrassée, rognée, réduite, en rupture de faune et de flore.

[6]

Au bout du petit matin, cette ville plate—étalée…

Et dans cette ville inerte, cette foule criarde si étonnamment passée à côté de son cri comme cette ville à côté de son mouvement, de son sens, sans inquiétude, à côté de son vrai cri, le seul qu’on eût voulu l’entendre crier parce qu’on le sent sien lui seul ; parce qu’on le sent habiter en elle dans quelque refuge profond d’ombre et d’orgueil, dans cette ville inerte, cette foule à côté de son cri de faim, de misère, de révolte, de haine, cette foule si étrangement bavarde et muette.

[7]

Dans cette ville inerte, cette étrange foule qui ne s’entasse pas, ne se mêle pas ; habile à découvrir le point de désencastration, de fuite, d’esquive. Cette foule qui ne sait pas faire foule, cette foule, on s’en rend compte, si parfaitement seule sous ce soleil, à la façon dont une femme, toute on eût cru à la cadence lyrique de ses fesses, interpelle brusquement une pluie hypothétique et lui intime l’ordre de ne pas tomber ; ou à un signe rapide de croix sans mobile visible ; ou à l’animalité subitement grave d’une paysanne, urinant debout, les jambes écartées, roides.

[8]

Dans cette ville inerte, cette foule désolée sous le soleil, ne participant

à rien de ce qui s’exprime, s’affirme, se libère au grand jour de cette terre sienne. Ni à l’Impératrice Joséphine des Français rêvant très haut au dessus de la négraille. Ni au libérateur figé dans sa libération de pierre blanchie. Ni au conquistador. Ni à ce mépris, ni à cette liberté, ni à cette audace.

[9]

Au bout du petit matin, cette ville inerte et ses au-delà de lèpres, de consomption, de famines, de peurs tapies dans les ravins, de peurs juchées dans les arbres, de peurs creusées dans le sol, de peurs en dérive dans le ciel, de peurs amoncelées et ses fumerolles d’angoisse.

[10]

Au bout du petit matin le morne oublié, oublieux de sauter.

[11]

Au bout du petit matin le morne au sabot inquiet et docile—son sang impaludé met en déroute le soleil de ses pouls surchauffés.

[12]

Au bout du petit matin l’incendie contenu du morne, comme un sanglot que l’on a bâillonné au bord de son éclatement sanguinaire, en quête d’une ignition qui se dérobe et se méconnaît.

[13]

Au bout du petit matin, le morne accroupi devant la boulimie aux aguets de foudres et de moulins, lentement vomissant ses fatigues d’hommes, le morne seul et son sang répandu, le morne et ses pansements d’ombre, le morne et ses rigoles de peur, le morne et ses grandes mains de vent.

[14]

Au bout du petit matin, le morne famélique et nul ne sait mieux que ce morne bâtard pourquoi le suicide s’est étouffé avec complicité de son hypoglosse en retournant sa langue pour l’avaler ; pourquoi une femme semble faire la planche à la rivière Capot (son corps lumineusement obscur s’organise docilement au commandement du nombril) mais elle n’est qu’un paquet d’eau sonore.

[15]

Et ni l’instituteur dans sa classe, ni le prêtre au catéchisme ne pourront tirer un mot de ce négrillon somnolent, malgré leur manière si énergique à tous deux de tambouriner son crâne tondu, car c’est dans les marais de la faim que s’est enlisée sa voix d’inanition (un mot-un-seul-mot et je-vous-en-tiens-quitte-de-la-reine-Blanche-de-Castille, un mot-un-seul-mot, voyez-vous-ce-petit-sauvage-qui-ne-sait-pas-un-seul-des-dix-commandements-de-Dieu),

car sa voix s’oublie dans les marais de la faim,

et il n’y a rien, rien à tirer vraiment de ce petit vaurien,

qu’une faim qui ne sait plus grimper aux agrès de sa voix,

une faim lourde et veule,

une faim ensevelie au plus profond de la Faim de ce morne famélique.

[16]

Au bout du petit matin, l’échouage hétéroclite, les puanteurs exacerbées de la corruption, les sodomies monstrueuses de l’hostie et du victimaire, les coltis infranchissables du préjugé et de la sottise, les prostitutions, les hypocrisies, les lubricités, les trahisons, les mensonges, les faux, les concussions—l’essoufflement des lâchetés insuffisantes, l’enthousiasme sans ahan aux poussis surnuméraires, les avidités, les hystéries, les perversions, les arlequinades de la misère, les estropiements, les prurits, les urticaires, les hamacs tièdes de la dégénérescence. Ici la parade des risibles et scrofuleux bubons, les poutures de microbes très étranges, les poisons sans alexitère connu, les sanies de plaies bien antiques, les fermentations imprévisibles d’espèces putrescibles.

[17]

Au bout du petit matin, la grande nuit immobile, les étoiles plus mortes qu’un balafong crevé.

[18]

Le bulbe tératique de la nuit, germé de nos bassesses et de nos renon-cements…

[19]

Et nos gestes imbéciles et fous pour faire revivre l’éclaboussement d’or des instants favorisés, le cordon ombilical restitué à sa splendeur fragile, le pain, et le vin de la complicité, le pain, le vin, le sang des épousailles véridiques.

[20]

Et cette joie ancienne m’apportant la connaissance de ma présente misère,

une route bossuée qui pique une tête dans un creux où elle éparpille quelques cases ; une route infatigable qui charge à fond de train un morne en haut duquel elle s’enlise brutalement dans une mare de maisons pataudes, une route follement montante, témérairement descendante, et la carcasse de bois comiquement juchée sur de minuscules pattes de ciment que j’appelle « notre maison », sa coiffure de tôle ondulant au soleil comme une peau qui sèche, la salle à manger, le plancher grossier où luisent des têtes de clous, les solives de sapin et d’ombre qui courent au plafond, les chaises de paille fantômales, la lumière grise de la lampe, celle vernissée et rapide des cancrelats qui bourdonne à faire mal…

[21]

Au bout du petit matin, ce plus essentiel pays restitué à ma gourmandise, non de diffuse tendresse, mais la tourmentée concentration sensuelle du gras téton des mornes avec l’accidentel palmier comme son germe durci, la jouissance saccadée des torrents et depuis Trinité jusqu’à Grand-Rivière, la grand’lèche hystérique de la mer.

[22]

Et le temps passait vite, très vite.

Passés août où les manguiers pavoisent de toutes leurs lunules, septembre l’accoucheur de cyclônes, octobre le flambeur de cannes, novembre qui ronronne aux distilleries, c’était Noël qui commençait.

Il s’était annoncé d’abord Noël par un picotement de désirs, une soif de tendresses neuves, un bourgeonnement de rêves imprécis, puis il s’était envolé tout à coup dans le froufrou violet de ses grandes ailes de joie, et alors c’était parmi le bourg sa vertigineuse retombée qui éclatait la vie des cases comme une grenade trop mûre.

Noël n’était pas comme toutes les fêtes. Il n’aimait pas à courir les rues, à danser sur les places publiques, à s’installer sur les chevaux de bois, à profiter de la cohue pour pincer les femmes, à lancer des feux d’artifice au front des tamariniers. Il avait l’agoraphobie, Noël. Ce qu’il lui fallait c’était toute une journée d’affairement, d’apprêts, de cuisinages, de nettoyages, d’inquiétudes, de peur-que-ça

ne-suffise-pas,

de-peur-que-ça-ne-manque,

de-peur-qu’on-ne-s’embête,

puis le soir une petite église pas intimidante qui se laissât emplir bien-veillamment par les rires, les chuchotis, les confidences, les déclarations amoureuses, les médisances et la cacophonie gutturale d’un chantre bien d’attaque et aussi de gais copains et de franches luronnes et des cases aux entrailles riches en succulences, et pas regardantes, et l’on s’y parque une vingtaine, et la rue est déserte, et le bourg n’est plus qu’un bouquet de chants, et l’on est bien à l’intérieur, et l’on en mange du bon, et l’on en boit du réjouissant et il y a du boudin, celui étroit de deux doigts qui s’enroule en volubile, celui large et trapu, le bénin à goût de serpolet, le violent à incandescence pimentée, et du café brûlant et de l’anis sucré, et du punch au lait, et le soleil liquide des rhums, et toutes sortes de bonnes choses qui vous imposent autoritairement les muqueuses ou vous les fondent en subtilités, ou vous les distillent en ravissements, ou vous les tissent de fragrances, et l’on rit, et l’on chante, et les refrains fusent à perte de vue comme des cocotiers :

ALLELUIA

KYRIE ELEISON… LEISON… LEISON,

CHRISTE ELEISON… LEISON… LEISON.

Et ce ne sont pas seulement les bouches qui chantent, mais les mains, mais les pieds, mais les fesses, mais les sexes, et la créature tout entière qui se liquéfie en sons, voix et rythme.

Arrivée au sommet de son ascension, la joie crève comme un nuage. Les chants ne s’arrêtent pas, mais ils roulent maintenant inquiets et lourds par les vallées de la peur, les tunnels de l’angoisse et les feux de l’enfer.

Et chacun se met à tirer par la queue le diable le plus proche, jusqu’à ce que la peur s’abolisse insensiblement dans les fines sablures du rêve, et l’on vit comme dans un rêve véritablement, et l’on boit et l’on crie et l’on chante comme dans un rêve, et on somnole aussi comme dans un rêve avec des paupières en pétales de rose, et le jour vient velouté comme une sapotille, et l’odeur de purin des cacaoyers, et les dindons qui égrènent leurs pustules rouges au soleil, et l’obsession des cloches, et la pluie,

les cloches… la pluie…

qui tintent, tintent, tintent…

[23]

Au bout du petit matin, cette ville plate—étalée…

Elle rampe sur les mains sans jamais aucune envie de vriller le ciel d’une stature de protestation. Les dos des maisons ont peur du ciel truffé de feu, leurs pieds des noyades du sol, elles ont opté de se poser superficielles entre les surprises et les perfidies. Et pourtant elle avance la ville. Même qu’elle paît tous les jours plus outre sa marée de corridors carrelés, de persiennes pudibondes, de cours gluantes, de peintures qui dégoulinent. Et de petits scandales étouffés, de petites hontes tues, de petites haines immenses pétrissent en bosses et creux les rues étroites où le ruisseau grimace longitudinalement parmi l’étron…

[24]

Au bout du petit matin, la vie prostrée, on ne sait où dépêcher ses rêves avortés, le fleuve de vie désespérément torpide dans son lit, sans turgescence ni dépression, incertain de fluer, lamentablement vide, la lourde impartialité de l’ennui, répartissant l’ombre sur toutes choses égales, l’air stagnant sans une trouée d’oiseau clair.

[25]

Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et soeurs, une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d’une seule seule misère, je n’ai jamais su laquelle, qu’une imprévisible sorcellerie assoupit en mélanco-lique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère ; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d’une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit.

[26]

Au bout du petit matin, au delà de mon père, de ma mère, la case gerçant d’ampoules, comme un pêcher tourmenté de la cloque, et le toit aminci, rapiécé de morceaux de bidon de pétrole, et ça fait des marais de rouillure dans la pâte grise sordide empuantie de la paille, et quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, comme un crépitement de friture d’abord, puis comme un tison que l’on plonge dans l’eau avec la fumée des brindilles qui s’envole… Et le lit de planches d’où s’est levée ma race, tout entière ma race de ce lit de planches, avec ses pattes de caisses de Kérosine, comme s’il avait l’éléphantiasis le lit, et sa peau de cabri, et ses feuilles de banane séchées, et ses haillons, une nostalgie de matelas le lit de ma grand-mère (Au dessus du lit, dans un pot plein d’huile un lumignon dont la flamme danse comme un gros ravet… sur le pot en lettres d’or : merci).

[27]

Et une honte, cette rue Paille,

un appendice dégoûtant comme les parties honteuses du bourg qui étend à droite et à gauche, tout au long de la route coloniale, la houle grise de ses toits « d’essentes ». Ici il n’y a que des toits de paille que l’embrun a brunis et que le vent épile.

[28]

Tout le monde la méprise la rue Paille. C’est là que la jeunesse du bourg se débauche. C’est là surtout que la mer déverse ses immondices, ses chats morts et ses chiens crevés. Car la rue débouche sur la plage, et la plage ne suffit pas à la rage écumante de la mer.

Une détresse cette plage elle aussi, avec ses tas d’ordure pourrissant, ses croupes furtives qui se soulagent, et le sable est noir, funèbre, on n’a jamais vu un sable si noir, et l’écume glisse dessus en glapissant, et la mer la frappe à grands coups de boxe, ou plutôt la mer est un gros chien qui lèche et mord la plage aux jarrets, et à force de la mordre elle finira par la dévorer, bien sûr, la plage et la rue Paille avec.

[29]

Au bout du petit matin, le vent de jadis qui s’élève, des fidélités trahies,

du devoir incertain qui se dérobe et cet autre petit matin d’Europe…

[30]

Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir… j’arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : « Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai ».

Et je lui dirais encore :

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».

Et venant je me dirais à moi-même :

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse… ».

Et voici que je suis venu !

[31]

De nouveau cette vie clopinante devant moi, non pas cette vie, cette mort, cette mort sans sens ni piété, cette mort où la grandeur piteusement échoue, l’éclatante petitesse de cette mort, cette mort qui clopine de petitesses en petitesses ; ces pelletées de petites avidités sur le conquistador ; ces pelletées de petits larbins sur le grand sauvage, ces pelletées de petites
âmes sur le Caraïbe aux trois âmes,
et toutes ces morts futiles
absurdités sous l’éclaboussement de ma conscience ouverte
tragiques futilités éclairées de cette seule noctiluque
et moi seul, brusque scène de ce petit matin
où fait le beau l’apocalypse des monstres
puis, chavirée, se tait
chaude élection de cendres, de ruines et d’affaissements

[32]

—Encore une objection ! une seule, mais de grâce une seule : je n’ai pas le droit de calculer la vie à mon empan fuligineux ; de me réduire à ce petit rien ellipsoïdal qui tremble à quatre doigts au dessus de la ligne, moi homme d’ainsi bouleverser la création, que je me comprenne entre latitude et longitude !

[33]

Au bout du petit matin,

la mâle soif et l’entêté désir,
me voici divisé des oasis fraîches de la fraternité
ce rien pudique frise d’échardes dures
cet horizon trop sûr tressaille comme un geôlier.

[34]

Ton dernier triomphe, corbeau tenace de la Trahison.

Ce qui est à moi, ces quelques milliers de mortiférés qui tournent en rond dans la calebasse d’une île et ce qui est à moi aussi l’archipel arqué comme le désir inquiet de se nier, on dirait une anxiété maternelle pour protéger la ténuité plus délicate qui sépare l’une de l’autre Amérique ; et ses flancs qui sécrètent pour l’Europe la bonne liqueur d’un Gulf Stream, et l’un des deux versants d’incandescence entre quoi l’ Équateur funambule vers l’Afrique. Et mon île non-clôture, sa claire audace debout à l’arrière de cette polynésie, devant elle, la Guadeloupe fendue en deux de sa raie dorsale et de même misère que nous, Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité et la comique petite queue de la Floride où d’un nègre s’achève la strangulation, et l’Afrique gigantesquement chenillant jusqu’au pied hispanique de l’Europe, sa nudité où la Mort fauche à larges andains.

[35]

Et je me dis Bordeaux et Nantes et Liverpool
et New-York et San-Francisco
pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale et mon calcanéum sur le dos des gratte-ciel et ma crasse dans le scintillement des gemmes !
Qui peut se vanter d’avoir mieux que moi ?
Virginie. Tennessee. Géorgie. Alabama.
Putréfactions monstrueuses de révoltes inopérantes,
marais de sang putrides
trompettes absurdement bouchées
Terres rouges terres sanguines terres consanguines

[36]

Ce qui est à moi aussi : une petite cellule dans le Jura, une petite cellule, la neige la double de barreaux blancs

la neige est un geôlier blanc qui monte la garde devant une prison Ce qui est à moi

c’est un homme seul emprisonné de blanc

c’est un homme seul qui défie les cris blancs de la mort blanche

(TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE)

c’est un homme seul qui fascine l’épervier blanc de la mort blanche

c’est un homme seul dans la mer inféconde de sable blanc

c’est un moricaud vieux dressé contre les eaux du ciel

La mort décrit un cercle brillant au dessus de cet homme

la mort étoile doucement au dessus de sa tête

la mort souffle dans la canne mûre de ses bras

la mort galope dans la prison comme un cheval blanc

la mort luit dans l’ombre comme des yeux de chat

la mort hoquète comme l’eau sous les Cayes

la mort est un oiseau blessé

la mort décroît

la mort vacille

la mort est un patyura ombrageux

la mort expire dans une blanche mare de silence.

[37]

Gonflements de nuit aux quatre coins de ce petit matin

soubresauts de mort figée

destin tenace

cris debout de terre muette

la splendeur de ce sang n’éclatera-t-elle point ?

[38]

Et maintenant un dernier zut :

au soleil (Il ne suffit pas à saouler ma tête trop forte)

à la nuit farineuse avec les pondaisons d’or des lucioles incertaines

à la chevelure qui tremble tout au haut de la falaise,

le vent y saute en inconstantes cavaleries salées

je lis bien à mon pouls que l’exotisme n’est pas provende pour moi.

[39]

Au sortir de l’Europe toute révulsée de cris

les courants silencieux de la désespérance

au sortir de l’Europe peureuse qui se reprend et fière se surestime

je veux cet égoïsme beau et qui s’aventure

et mon labour me remémore d’une implacable étrave.

[40]

Que de sang dans ma mémoire ! Dans ma mémoire sont des lagunes.

Elles sont couvertes de têtes de morts. Elles ne sont pas couvertes de nénuphars.

Dans ma mémoire sont des lagunes. Sur leurs rives ne sont pas étendus des pagnes de femmes.

Ma mémoire est entourée de sang. Ma mémoire a sa ceinture de cadavres !

[41]

et mitraille de barils de rhum génialement arrosant

nos révoltes ignobles, pâmoison d’yeux doux

d’avoir lampé la liberté féroce

[42]

(les nègres-sont-tous-les-mêmes, je-vous-le-dis

les vices-tous-les-vices, c’est-moi-qui-vous-le-dis

l’odeur-du-nègre, ça-fait-pousser-la-canne

rappelez-vous-le-vieux-dicton :

battre-un-nègre, c’est le nourrir)

[43]

autour des rocking-chairs méditant la volupté des rigoises…

[44]

Je tourne, inapaisée pouliche

Ou bien tout simplement comme on nous aime !

Obscènes gaiement, très doudous de jazz sur leur excès d’ennui.

Je sais le tracking, le Lindy-hop et les claquettes.

Pour les bonnes bouches la sourdine de nos plaintes enrobées de oua-oua. Attendez…

Tout est dans l’ordre. Mon bon ange broute du néon. J’avale des baguettes. Ma dignité

se vautre dans les dégobillements…

[45]

Soleil, Ange Soleil, Ange frisé du Soleil.

Pour un bond par delà la nage verdâtre et douce des eaux de l’abjection !

Mais je me suis adressé au mauvais sorcier. Sur cette terre exorcisée, larguée à la dérive de sa précieuse intention maléfique, cette voix qui crie, lentement enrouée, vainement, vainement enrouée, et il n’y a que les fientes accumulées de nos mensonges—et qui ne répondent pas.

[46]

Quelle folie le merveilleux entrechat par moi rêvé au dessus de la bassesse !

Parbleu les Blancs sont de grands guerriers

hosannah pour le maître et pour le châtre-nègre !

Victoire ! Victoire vous dis-je : les vaincus sont contents !

Joyeuses puanteurs et chants de boue !

[47]

Par une inattendue et bienfaisante révolution intérieure j’honore maintenant mes laideurs repoussantes.

[48]

À la Saint-Jean-Baptiste, dès que tombent les premières ombres sur le bourg du Gros-Morne, des centaines de maquignons se réunissent pour échanger leurs chevaux, dans la rue « de profundis » dont le nom a du moins la franchise d’avertir d’une ruée des bas-fonds de la Mort. Et c’est de la Mort véritablement, de ses mille mesquines formes locales (fringales inassouvies d’herbe de Para et rond asservissement des distilleries) que surgit vers la grand’vie déclose l’étonnante cavalerie des rosses impétueuses. Et quels galops ! quels hennissements ! quelles sincères urines ! quelles fientes mirobolantes ! « Un beau cheval difficile au montoir ! »—« Une altière jument sensible à la molette ! »—« Un intrépide poulain vaillamment jointé ! »

Et le malin compère dont le gilet se barre d’une fière chaîne de montre, refile au lieu de pleines mamelles, d’ardeurs juvéniles, de rotondités authentiques, ou les boursouflures régulières de guêpes complaisantes, ou les obscènes morsures du gingembre, ou la bienfaisante circulation d’un décalitre d’eau sucrée.

[49]

Je refuse de me donner mes boursouflures comme d’authentiques gloires.

Et je ris de mes anciennes imaginations puériles.

Non, nous n’avons jamais été amazones du roi de Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cents chameaux, ni docteurs à Tombouctou Askia le Grand étant roi, ni architectes de Djéné, ni Madhis, ni guerriers. Nous ne nous sentons pas sous l’aisselle la démangeaison de ceux qui tinrent jadis la lance. Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire, (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselle, des cireurs de chaussures sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte…

Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.

[50]

Le négrier ! proclame mon sûr et ténébreux instinct, les voiles de noires nuages, la polymâture de forêts sombres et des dures magnificences des Calebars, insigne souvenir à la proue blanchoyant—ce squelette !

[51]

J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquètements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer… les abois d’une femme en gésine… des râclements d’ongles cherchant des gorges… des ricanements de fouet… des farfouillis de vermines parmi des lassitudes…

[52]

Rien ne put nous insurger jamais vers quelque noble aventure

désespérée.

Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.

Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les chancelleries

Je défie le craniomètre. Homo sum etc.…

Et qu’ils servent et trahissent et meurent

Ainsi soit-il. Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin.

Et moi, et moi,

moi qui chantai le poing dur

Il faut savoir jusqu’où je poussai la lâcheté.

Un soir dans un tramway en face de moi, un nègre.

C’était un nègre grand comme un pongo qui essayait de se faire tout petit sur un banc de tramway. Il essayait d’abandonner sur ce banc crasseux de tramway ses jambes gigantesques et ses mains tremblantes de boxeur affamé. Et tout l’avait laissé, le laissait. Son nez qui semblait une péninsule en dérade et sa négritude même qui se décolorait sous l’action d’une inlassable mégie. Et le mégissier était la Misère. Un gros oreillard subit dont les coups de griffes sur ce visage s’étaient cicatrisés en îlots scabieux. Ou plutôt c’était un ouvrier infatigable, la Misère, travaillant à quelque cartouche hideux. On voyait très bien comment le pouce industrieux et malveillant avait modelé le front en bosse, percé le nez de deux tunnels parallèles et inquiétants, allongé la démesure de la lippe, et par un chef-d’oeuvre caricatural, raboté, poli, verni la plus minuscule mignonne petite oreille de la création.

C’était un nègre dégingandé sans rythme ni mesure.

Un nègre à la voix embrumée d’alcool et de misère.

Un nègre dont les yeux roulaient une lassitude sanguinolante.

Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante au fond de la tanière entrebâillée de ses souliers.

La Misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever.

Elle avait creusé l’orbite, l’avait fardée d’un fard de poussière et de chassie mêlées.

Elle avait tendu l’espace vide entre l’accrochement solide des mâchoires et les pommettes d’une vieille joue décatie. Elle avait planté dessus les petits pieux luisants d’une barbe de plusieurs jours. Elle avait affolé le coeur, voûté le dos.

Et l’ensemble faisait parfaitement un nègre hideux, un nègre grognon, un nègre mélancolique, un nègre affalé, ses mains réunies en prière sur un bâton noueux. Un nègre enseveli dans une vieille veste élimée. Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant.

Moi je me tournai, mes yeux proclamant que je n’avais rien de commun avec ce singe.

Il était COMIQUE ET LAID,

COMIQUE ET LAID pour sûr.

J’arborai un grand sourire complice…

Ma lâcheté retrouvée !

Je salue les trois siècles qui soutiennent mes droits civiques et mon sang minimisé.

Mon héroïsme, quelle farce !

Cette ville est à ma taille.

Et mon âme est couchée. Comme cette ville dans la crasse et dans la boue couchée.

Cette ville, ma face de boue.

L’eau du baptême sur mon front se sèche.

Je réclame pour ma face la louange éclatante du crachat ! …

Alors, nous étant tels, à nous l’élan viril, le genou vainqueur, les plaines à grosses mottes de l’avenir !

Tiens, je préfère avouer que j’ai généreusement déliré, mon coeur dans ma cervelle ainsi qu’un genou ivre.

[53]

Mon étoile maintenant, le menfenil funèbre.

[54]

Et sur ce rêve ancien mes cruautés cannibales.

Les balles sont dans la bouche salive épaisse

notre coeur de quotidienne bassesse éclate

les continents rompent la frêle attache des isthmes

des terres sautent suivant la division fatale des fleuves

et le morne qui depuis des siècles retient son cri au dedans de lui-même,

c’est lui qui à son tour écartèle le

silence

et ce peuple vaillance rebondissante !

et nos membres vainement disjoints par les plus raffinés supplices, et

la vie plus impétueuse jaillissant de ce fumier—comme le corrossolier imprévu de la décomposition des fruits du jacquier !

[55]

Sur ce rêve vieux en moi mes cruautés cannibales

[56]

Je me cachais derrière une vanité stupide

le destin m’appelait j’étais caché derrière

et voici l’homme par terre ! Sa très fragile défense dispersée,

ses maximes sacrées foulées aux pieds, ses déclamations pédantesques rendant du vent par chaque blessure.

Voici l’homme par terre

et son âme est comme nue

et le destin triomphe qui contemple se muer

en l’ancestral bourbier cette âme qui le défiait.

[57]

Je dis que cela est bien ainsi.

Mon dos exploitera victorieusement la chalasie des fibres.

Je pavoiserai de reconnaissance mon obséquiosité naturelle

Et rendra des points à mon enthousiasme le boniment galonné d’argent du postillon de la Havane, lyrique babouin entremetteur des splendeurs de la servitude.

[58]

Je dis que cela est bien ainsi.

Je vis pour le plus plat de mon âme.

Pour le plus terne de ma chair !

[59]

Tiède petit matin de chaleur et de peur ancestrales

je tremble maintenant du commun tremblement

que notre sang docile chante dans le madrépore.

[60]

Et ces têtards en moi éclos de mon ascendance prodigieuse !

[61]

ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité

ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel

mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance

ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements

ceux qui se sont assouplis aux agenouillements

ceux qu’on domestiqua et christianisa

ceux qu’on inocula d’abâtardissement

tam-tams de mains vides

tam-tams inanes de plaies sonores

tam-tams burlesques de trahison tabide

[62]

Tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales

par dessus bord mes richesses pérégrines

par dessus bord mes faussetés authentiques

[63]

Mais quel étrange orgueil tout soudain m’illumine?

[64]

O lumière amicale

O fraîche source de lumière

ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité

ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel

maix ceux sans qui la terre ne serait pas la terre

gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre

silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre

ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour

ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’oeil mort de la terre

ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale

[65]

elle plonge dans la chair rouge du sol

elle plonge dans la chair ardente du ciel

elle troue l’accablement opaque de sa droite patience.

[66]

Eia pour le Kaïlcédrat royal !

Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé

pour ceux qui n’ont jamais rien exploré

pour ceux qui n’ont jamais rien dompté

[67]

mais ils s’abandonnent, saisis, à l’essence de toutes choses

ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toutes choses

insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde

véritablement les fils aînés du monde

poreux à tous les souffles du monde

aire fraternelle de tous les souffles du monde

lit sans drain de toutes les eaux du monde

étincelle du feu sacré du monde

chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde !

[68]

Tiède petit matin de vertus ancestrales

Sang ! Sang ! tout notre sang ému par le coeur mâle du soleil

ceux qui savent la féminité de la lune au corps d’huile

l’exaltation réconciliée de l’antilope et de l’étoile

ceux dont la survie chemine en la germination de l’herbe !

[69]

Eia parfait cercle du monde et close concordance !

[70]

Écoutez le monde blanc

horriblement las de son effort immense

ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures

ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique

écoute ses victoires proditoires trompetter ses défaites

écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement

[71]

Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !

[72]

Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé

pour ceux qui n’ont jamais rien exploré

pour ceux qui n’ont jamais rien dompté

[73]

Eia pour la joie

Eia pour l’amour

Eia pour la douleur aux pis de larmes réincarnées

[74]

Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile

que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés sur cette ville que je prophétise, belle,

[75]

donnez-moi le courage du martyr

donnez-moi la foi sauvage du sorcier

donnez à mes mains puissance de modeler

donnez à mon âme la trempe de l’épée

je ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proue

et de moi-même, mon coeur, ne faites ni un père

ni un frère, ni un fils, mais le père mais le frère, mais le fils,

ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.

[76]

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie comme le

poing à l’allongée du bras !

Faites-moi commissaire de son sang

faites-moi dépositaire de son ressentiment

faites de moi un homme de terminaison

faites de moi un homme d’initiation

faites de moi un homme de recueillement mais

faites aussi de moi un homme d’ensemencement

[77]

faites de moi l’exécuteur de ces oeuvres hautes

[78]

voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme.

[79]

Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine

ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine

car pour me cantonner en cette unique race

vous savez pourtant mon amour catholique

vous savez que ce n’est point par haine des autres races

que je m’exige bêcheur de cette unique race

que ce que je veux

c’est pour la faim universelle

pour la soif universelle

[80]

la sommer libre enfin

[81]

de produire de son intimité close

la succulence des fruits.

[82]

Et voyez l’arbre de nos mains !

il tourne pour tous, les blessures incises en son tronc

pour tous le sol travaille

et griserie vers les branches de précipitation parfumée !

[83]

Mais avant d’aborder aux futurs vergers

donnez-moi de les mériter sur leur ceinture de mer

donnez-moi mon coeur en attendant le sol

donnez-moi sur l’océan stérile

mais où caresse la main la promesse de l’amure

donnez-moi sur cet océan divers

l’obstination de la fière pirogue

et sa vigueur marine.

[84]

La voici avancer par escalades et retombées sur le flot pulvérisé

la voici danser la danse sacrée devant la grisaille du bourg

la voici barir d’un lambi vertigineux

voici galoper le lambi jusqu’à l’indécision des mornes

et voici par vingt fois d’un labour vigoureux la pagaie forcer l’eau

la pirogue se cabre sous l’assaut de la lame, dévie un instant,

tente de fuir, mais la caresse rude de la pagaie la vire,

alors elle fonce, un frémissement parcourt l’échine de la vague,

la mer bave et gronde

la pirogue comme un traîneau file sur le sable.

[85]

Au bout de ce petit matin, ma prière virile :

[86]

donnez-moi les muscles de cette pirogue sur la mer démontée et

l’allégresse convaincante du lambi de la bonne nouvelle !

[87]

Tenez je ne suis plus qu’un homme (aucune dégradation, aucun crachat ne le conturbe)

je ne suis plus qu’un homme qui accepte n’ayant plus de colère

(il n’a plus dans le coeur que de l’amour immense)

J’accepte… J’accepte… entièrement, sans réserve…

ma race qu’aucune ablution d’hysope et de lys mêlés ne pourrait purifier

ma race rongée de macules

ma race raisin mûr pour pieds ivres

ma reine des crachats et des lèpres

ma reine des fouets et des scrofules

ma reine des squasmes des chloasmes

(oh ces reines que j’aimais jadis aux jardins printaniers et lointains avec derrière l’illumination de toutes les bougies de marronniers !).

J’accepte. J’accepte.

et le nègre fustigé qui dit : « Pardon mon maître »

et les vingt-neuf coups de fouet légal

et le cachot de quatre pieds de haut

et le carcan à branches

et le jarret coupé à mon audace marronne

et la fleur de lys qui flue du fer rouge sur le gras de mon épaule

et la niche de Monsieur VAULTIER MAYENCOURT, où j’aboyai six mois

de caniche

et Monsieur BRAFIN

et Monsieur de FOURNIOL

et Monsieur de la MAHAUDIÈRE

et le pian

le molosse

le suicide

la promiscuité

le brodequin

le cep

le chevalet

le cippe

le frontal

[88]

Et mon originale géographie aussi ; la carte du monde faite à mon usage, non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants, mais à la géométrie de mon sang répandu

[89]

et la détermination de ma biologie non prisonnière d’un angle facial, d’une forme de cheveux, d’un nez suffisamment aplati, d’un teint suffisamment mélanien, et la négritude, non plus un indice céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais mesurée au compas de la souffrance

[90]

et le nègre chaque jour plus bas, plus lâche, plus stérile, moins profond, plus répandu au dehors, plus séparé de soi-même, plus rusé avec soi-même, moins immédiat avec soi-même

[91]

j’accepte, j’accepte tout cela

[92]

et loin de la mer de palais qui déferle sous la syzygie suppurante des ampoules, merveilleusement couché le corps de mon pays dans le désespoir de mes bras, ses os ébranlés et dans ses veines le sang qui hésite comme la goutte de lait végétal à la pointe blessée du bulbe… Et voici soudain que force et vie m’assaillent comme un taureau et je renouvelle onan qui confia son sperme à la terre féconde et l’onde de vie circonvient la papille du morne, et voilà toutes les veines et veinules qui s’affairent au sang neuf et l’énorme poumon des cyclones qui respire et le feu thésaurisé des volcans et le gigantesque pouls sismique qui bat maintenant la mesure d’un corps vivant en mon ferme embrassement.

[93]

Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique.

Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences,

car il n’est point vrai que l’oeuvre de l’homme est finie

que nous n’avons rien à faire au monde

que nous parasitons le monde qu’il suffit

que nous nous mettions au pas du monde

[94]

mais l’oeuvre de l’homme vient seulement de commencer

[95]

et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur

et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force

et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite.

[96]

Je tiens maintenant le sens de l’ordalie : mon pays est la « lance de nuit » de mes ancêtres Bambaras.

Elle se ratatine et sa pointe fuit désespérément vers le manche si c’est de sang de poulet qu’on l’arrose et elle dit que c’est du sang d’homme qu’il faut à son tempérament, de la graisse, du foie, du coeur d’homme, non du sang de poulet.

Et je cherche pour mon pays non des coeurs de datte, mais des coeurs d’homme qui c’est pour entrer aux villes d’argent par la grand’porte trapézoïdale qu’ils battent le sang viril, et mes yeux balayent mes kilomètres carrés de terre paternelle et je dénombre les plaies avec une sorte d’allégresse et je les entasse l’une sur l’autre comme rares espèces, et mon compte s’allonge toujours d’imprévus monnayages de la bassesse.

Et voici ceux qui ne se consolent point de n’être pas faits à la ressem-blance de Dieu mais du diable, ceux qui considèrent que l’on est nègre comme commis de seconde classe : en attendant mieux et avec possibilité de monter plus haut ; ceux qui battent la chamade devant soi-même, ceux qui vivent dans un cul de basse fosse de soi-même ; ceux qui se drapent de pseudomorphose fière ; ceux qui disent à l’Europe : « Voyez, je sais comme vous faire des courbettes, comme vous présenter mes hommages, en somme je ne suis pas différent de vous ; ne faites pas attention à ma peau noire : c’est le soleil qui m’a brûlé ».

Et il y a le maquereau nègre, l’askari nègre, et tous zèbres se secouent à leur manière pour faire tomber leurs zébrures en une rosée de lait frais.

[97]

Et au milieu de tout cela je dis hurrah ! mon grand père meurt, je dis hurrah

la vieille négritude progressivement se cadavérise.

Il n’y a pas à dire : c’était un bon nègre.

Les Blancs disent que c’était un bon nègre, un vrai bon nègre, le bon nègre à son bon maître.

Je dis hurrah !

C’était un très bon nègre

la misère lui avait blessé poitrine et dos et on avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui qu’on ne prend pas au collet ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin ; qu’un Seigneur méchant avait de toute éternité écrit des lois d’interdiction en sa nature pelvienne ; et d’être le bon nègre ; de se contenter honnêtement d’être le bon nègre ; de croire honnêtement à son indignité, sans curiosité perverse de vérifier les hiéroglyphes fatidiques.

[98]

C’était un très bon nègre

[99]

et il ne lui venait pas à l’idée qu’il pourrait houer, fouir, couper tout tout autre chose vraiment que la canne insipide.

[100]

C’était un très bon nègre.

[101]

Et on lui jetait des pierres, des bouts de ferraille, des tessons de bouteille, mais ni ces pierres, ni cette ferraille, ni ces bouteilles…

O quiètes années de Dieu sur cette motte terraquée !

[102]

Et le fouet disputa au bombillement des mouches la rosée sucrée de nos plaies

[103]

Je dis hurrah ! La vieille négritude progressivement se cadavérise l’horizon se défait, recule et s’élargit

et voici parmi des déchiquètements de nuages la fulgurance d’un signe le négrier craque de toute part… Son ventre se convulse et résonne… L’affreux ténia de sa cargaison ronge les boyaux fétides de l’étrange nourrisson des mers !

[104]

Et ni l’allégresse des voiles gonflées comme une poche de doublons rebon-die, ni les tours joués à la sottise dangereuse des frégates policières ne l’empêchent d’entendre la menace de ses grondements intestins.

[105]

En vain pour s’en distraire le capitaine pend à sa grand’vergue le nègre le plus braillard ou le jette à la mer, ou le livre à l’appétit de ses molosses.

[106]

La négraille aux senteurs d’oignon frit retrouve dans son sang répandu le goût amer de la liberté

[107]

Et elle est debout la négraille

[108]

la négraille assise

inattendument debout

debout dans la cale

debout dans les cabines

debout sur le pont

debout dans le vent

debout sous le soleil

debout dans le sang

debout

et

libre

debout et non point pauvre folle dans sa liberté et son dénuement maritimes girant en la dérive parfaite

et la voici :

plus inattendument debout

debout dans les cordages

debout à la barre

debout à la boussole

debout à la carte

debout sous les étoiles

debout

et

libre

et le navire lustral s’avancer impavide sur les eaux écroulées.

Et maintenant tombent

et maintenant pourrissent nos flocs d’ignominie

[109]

à moi mes danses

mes danses de mauvais nègre

la danse brise-carcan

la danse saute-prison

la danse il-est-beau-et-bon-et-légitime-d’être-nègre

À moi mes danses et saute le soleil sur la raquette de mes mains

Mais non l’inégal soleil ne me suffit plus

enroule-toi, vent, autour de ma nouvelle croissance

pose-toi sur mes doigts mesurés

Je te livre ma conscience et son rythme de chair

Je te livre les feux où brasille ma faiblesse

Je te livre le chain-gang

Je te livre le marais

Je te livre l’in-tourist du circuit triangulaire

Dévore vent

Je te livre mes paroles abruptes

Dévore et enroule-toi

Et t’enroulant embrasse-moi d’un plus vaste frisson

Embrasse-moi jusqu’au nous furieux

Embrasse, embrasse nous

Mais nous ayant également mordus !

Jusqu’au sang de notre sang mordus !

Embrasse, ma pureté ne se lie qu’à ta pureté

mais alors embrasse !

Comme un champ de justes filaos

le soir

nos multicolores puretés.

Et lie, lie-moi sans remords

lie-moi de tes vastes bras à l’argile lumineuse

lie ma noire vibration au nombril même du monde

Lie, lie-moi, fraternité âpre

Puis, m’étranglant de ton lasso d’étoiles

monte, Colombe

monte

monte

monte

Je te suis, imprimée en mon ancestrale cornée blanche

Monte lécheur de ciel

Et le grand trou noir où je voulais me noyer l’autre lune

C’est là que je veux pêcher maintenant

la langue maléfique de la nuit en son immobile verrition !

 

NOTEBOOK OF A RETURN TO THE NATIVE LAND

[1]

At the end of first light burgeoning with frail coves the hungry Antil-

les, the Antilles pitted with smallpox, the Antilles dynamited by alcohol, stranded in the mud of this bay, in the dust of this town sinisterly stranded.

[2]

At the end of first light, the extreme, deceptive desolate eschar on the wound of the waters; the martyrs who do not bear witness; the flowers of blood that fade and scatter in the empty wind like the cries of babbling parrots; an aged life mendaciously smiling, its lips opened by vacated agonies; an aged poverty rotting under the sun, silently; an aged silence bursting with tepid pustules

[3]

the dreadful inanity of our raison d’être.

[4]

At the end of first light, on this very fragile earth thickness exceeded in a humiliating way by its grandiose future—the volcanoes will explode,* the naked water will bear away the ripe sun stains and nothing will be left but a tepid bubbling pecked at by sea birds—the beach of dreams and the insane awakening.

[5]

At the end of first light, this town sprawled—flat, toppled from its common sense, inert, winded under its geometric weight of an eternally renewed cross, indocile to its fate, mute, vexed no matter what, incapable of growing according to the juice of this earth, encumbered, clipped, reduced, in breach of its fauna and flora.

[6]

At the end of first light, this town sprawled—flat.…

And in this inert town, this squalling throng so astonishingly detoured from its cry like this town from its movement, from its meaning, not even worried, detoured from its true cry, the only cry one would have wanted to hear because it alone feels at home in this town; because one feels that it inhabits some deep refuge of shadow and of pride, in this inert town, this throng detoured from its cry of hunger, of poverty, of revolt, of hatred, this throng so strangely chattering and mute.

[7]

In this inert town, this strange throng that does not huddle, does not mix; clever at discovering the point of disencasement, of flight, of dodging. This throng that does not know how to throng, this throng, one realizes, so perfectly alone under the sun, like a woman one thought completely occupied with the lyric cadence of her buttocks, who abruptly challenges a hypothetical rain and enjoins it not to fall; or like a rapid sign of the cross without perceptible motive; or like the sudden grave animality of a peasant, urinating standing, her legs parted, stiff.

[8]

In this inert town, this desolate throng under the sun, not connected with anything that is expressed, asserted, released in broad earth daylight, its own. Not with Josephine, Empress of the French, dreaming way up there above the nigger scum. Nor with the liberator fixed in his whitewashed stone liberation. Nor with the conquistador.* Nor with this contempt, nor with this freedom, nor with this audacity.

[9]

At the end of first light, this inert town and its beyond of lepers, of consumption, of famines, of fears crouched in the ravines, of fears perched in the trees, of fears dug in the ground, of fears adrift in the sky, of piled up fears and their fumeroles of anguish.

[10]

At the end of first light the morne* forgotten, forgetful of exploding.

[11]

At the end of first light the morne in restless, docile hooves—its malarial blood routs the sun with its overheated pulse.

[12]

At the end of first light the restrained conflagration of the morne, like a sob gagged on the verge of a bloodthirsty burst, in quest of an ignition that slips away and ignores itself.

[13]

At the end of first light, the morne crouching before bulimia on the outlook for tuns and mills, slowly vomiting out its human fatigue, the morne solitary and its blood shed, the morne bandaged in shade, the morne and its ditches of fear, the morne and its great hands of wind.

[14]

At the end of first light, the famished morne and no one knows better than this bastard morne why the suicide* choked with a little help from his hypoglossal jamming his tongue backward to swallow it; why a woman seems to float belly up on the Capot River* (her chiaroscuro body submissively organized at the command of her navel) but she is only a bundle of sonorous water.

[15]

And neither the teacher in his classroom, nor the priest at catechism will be able to get a word out of this sleepy little picaninny, no matter how energetically they drum on his shorn skull, for starvation has quicksanded his voice into the swamp of hunger (a word-one-single-word and we-will-forget-about-Queen-Blanche-of-Castille,* a word-one-single-word, you-should see-this-little-savage-who-doesn’t-know-any-of-God’s-Ten-Commandments),

for his voice gets lost in the swamp of hunger,

and there is nothing, really nothing to squeeze out of this little brat, other than a hunger that can no longer climb to the rigging of his voice,

a sluggish flabby hunger,

a hunger buried in the depths of the Hunger of this famished morne.

[16]

At the end of first light, the disparate stranding, the exacerbated stench of corruption, the monstrous sodomies of the host and the sacrificing priest, the impassable beakhead frames of prejudice and stupidity, the prostitutions, the hypocrisies, the lubricities, the treasons, the lies, the frauds, the concussions—the panting of a deficient cowardice, the heave-holess enthusiasm of supernumerary sahibs, the greeds, the hysterias, the perversions, the harlequinades of poverty, the cripplings, the pruritus, the urticaria, the tepid hammocks of degeneracy. Right here the parade of laughable and scrofulous buboes, the forced feeding of very strange microbes, the poisons without known alexins, the sanies of really ancient sores, the unforeseeable fermentations of putrescible species.

[17]

At the end of first light, the great still night, the stars deader than a smashed balafo.

[18]

The teratical bulb of night, sprouted from our villainies and our self-

denials …

[19]

And our idiotic and insane stunts to revive the golden splashing of privileged moments, the umbilical cord restored to its ephemeral splendor, the bread, and the wine of complicity, the bread, the wine, the blood of veracious weddings.

[20]

And this joy of former times making me aware of my present poverty,

a bumpy road plunging into a hollow where it scatters a few shacks; an indefatigable road charging at full speed a morne at the top of which it brutally quicksands into a pool of clumsy houses, a road foolishly climbing, recklessly descending, and the carcass of wood, which I call “our house,” comically perched on minute cement paws, its coiffure of corrugated iron in the sun like a skin laid out to dry, the dining room, the rough floor where nail heads gleam, the beams of pine and shadow across the ceiling, the spectral straw chairs, the gray lamp light, the glossy flash of cockroaches in a maddening buzz …

[21]

At the end of first light, this most essential land restored to my gourmandize, not in diffuse tenderness, but the tormented sensual concentration of the fat tits of the mornes with an occasional palm tree as their hardened sprout, the jerky orgasm of torrents and from Trinité to Grand-Rivière* the hysterical grandsuck of the sea.

[22]

And time passed quickly, very quickly.

After August and mango trees decked out in all their lunules, September begetter of cyclones, October igniter of sugarcane, November purring in the distilleries, there came Christmas.

It had come in first, Christmas did, with a tingling of desires, a thirst for new tendernesses, a burgeoning of vague dreams, then with a purple rustle of its great joyous wings it had suddenly flown away, and after that its abrupt fall out over the village making shack life burst like an overripe pomegranate.

Christmas was not like other holidays. It didn’t like to gad about the streets, to dance on public squares, to mount the carousel horses, to use the crowd to pinch women, to hurl fireworks into the faces of the tamarind trees. It had agoraphobia, Christmas did. What it wanted was a whole day of bustling, preparing, a cooking and cleaning spree, endless jitters, about

not-having-enough,

about-running-short,

about-getting-bored,

then at evening an unimposing little church that would benevolently make room for the laughter, the whispers, the secrets, the love talk, the gossip and the guttural cacophony of a plucky singer and also boisterous pals and shameless hussies and shacks up to their guts in succulent goodies, and not stingy, and twenty people can crowd in, and the street is deserted, and the village turns into a bouquet of singing, and you are cozy in there, and you eat good, and you drink heartily, and there are blood sausages, one kind only two fingers wide twined in coils, another broad and stocky, the mild one tasting of wild thyme, the hot one spiced to an incandescence, and steaming coffee and sugared anisette, and milk punch, and the liquid sun of rums, and all sorts of good things that drive your taste buds wild or dissolve them into subtleties, or distill them to the point of ecstacy or cocoon them with fragrances, and you laugh, and you sing, and the refrains flare on and on like coco palms:

ALLELUIA

KYRIE ELEISON … LEISON … LEISON,

CHRISTE ELEISON … LEISON … LEISON.

And not only do the mouths sing, but the hands, the feet, the buttocks, the genitals, and your entire being that liquefies into sounds, voices and rhythm.

At the peak of its ascent, joy bursts like a cloud. The songs don’t stop, but roll now anxious and heavy through the valleys of fear, the tunnels of anguish and the fires of hell.

And everybody starts pulling the nearest devil by the tail, until fear imperceptibly fades in the fine sand lines of dream, and you really live as in a dream, and you drink and you shout and you sing as in a dream, and doze too as in a dream with rose petal eyelids, and the day comes velvety as a sapodilla, and the liquid manure smell of the cacao trees, and the turkeys shelling their red pustules in the sun, and the obsessive bells, and the rain,

the bells … the rain …

that tinkle, tinkle, tinkle …

[23]

At the end of first light, this town sprawled—flat …

It crawls on its hands without the slightest desire to drill the sky with a stature of protest. The backs of the houses are frightened by the sky truffled with fire, their feet by the drownings of the soil, they chose to perch shallowly between surprises and treacheries. And yet the town advances, yes it does. It even grazes every day further beyond its tide of tiled corridors, prudish shutters, gluey courtyards, dripping paintwork. And petty hushed-up scandals, petty unvoiced guilts, petty immense hatreds knead the narrow streets into bumps and potholes where the wastewater grins longitudinally through the turds …

[24]

At the end of first light, life prostrate, you don’t know how to dispose of your aborted dreams, the river of life desperately torpid in its bed, neither turgid nor low, hesitant to flow, pitifully empty, the impartial heaviness of boredom distributing shade equally on all things, the stagnant air unbroken by the brightness of a single bird.

[25]

At the end of first light, another little house very bad-smelling in a very narrow street, a miniscule house that harbors in its guts of rotten wood dozens of rats and the turbulence of my six brothers and sisters, a cruel little house whose demands panic the ends of our months and my temperamental father gnawed by one persistent ache, I never knew which one, whom an unexpected sorcery could lull to melancholy tenderness or drive to towering flames of anger, and my mother whose legs pedal, pedal, day and night, for our tireless hunger, I am even awakened at night by these tireless legs pedaling by night and the bitter bite in the soft flesh of the night by a Singer that my mother pedals, pedals for our hunger both day and night.

[26]

At the end of first light, beyond my father, my mother, the shack chapped with blisters, like a peach tree afflicted with curl, and the thin roof patched with pieces of gasoline cans, which create swamps of rust in the stinking sordid gray straw pulp, and when the wind whistles, these odds and ends make a noise bizarre, first like the crackling of frying, then like a brand dropped into water the smoke of its twigs flying up … And the bed of boards from which my race arose, my whole entire race from this bed of boards, with its kerosene case paws, as if it had elephantiasis, that bed, and its kidskin, and its dry banana leaves, and its rags, yearning for a mattress, my grandmother’s bed (Above the bed, in a jar full of oil a dim light whose flame dances like a fat cockroach … on this jar in gold letters: merci).*

[27]

And this Straw Street,* this disgrace,

an appendage repulsive as the private parts of the village that extends right and left, along the colonial road, the gray surge of its “shingled” roofs. Here there are only straw roofs, spray-browned and wind-plucked.

[28]

Everyone despises Straw Street. That’s where the village youth go bad.

It’s there especially that the sea pours forth its garbage, its dead cats and croaked dogs. For the street opens onto the beach, and the beach alone cannot satisfy the sea’s foaming rage.

A blight this beach as well, with its piles of rotting muck, its furtive rumps relieving themselves, and the sand is black, funereal, you’ve never seen a sand so black,* and the scum glides over it yelping, and the sea pummels it like a boxer, or rather the sea is a huge dog licking and biting the shins of the beach, biting them so persistently that it will end up devouring it, for sure, the beach and Straw Street along with it.

[29]

At the end of first light, the wind of long ago—of betrayed trusts, of uncertain evasive duty and that other dawn in Europe—arises …

[30]

To leave. My heart was humming with emphatic generosities. To leave.

… I would arrive sleek and young in this land of mine and I would say to this land whose loam is part of my flesh: “I have wandered for a long time and I am coming back to the deserted hideousness of your sores.”

I would come to this land of mine and I would say to it: “Embrace me without fear … And if all I can do is speak, it is for you I shall speak.”

And again I would say:

“My mouth shall be the mouth of those calamities that have no mouth, my voice the freedom of those who break down in the prison holes of despair.”

And on the way I would say to myself:

“And above all, my body as well as my soul beware of assuming the sterile attitude of a spectator, for life is not a spectacle, a sea of miseries is not a proscenium, a man screaming is not a dancing bear …”

And behold here I am come home!

[31]

Once again this life hobbling before me, what am I saying this life, this

death, this death without meaning or piety, this death that so pathetically falls short of greatness, the dazzling pettiness of this death, this death hobbling from pettiness to pettiness; these shovelfuls of petty greeds over the conquistador; these shovelfuls of petty flunkies over the great savage;
these shovelfuls of petty souls over the three-souled Carib,*
and all these deaths futile
absurdities under the splashing of my open conscience
tragic futilities lit up by this single noctiluca
and I alone, sudden stage of this first light
where the apocalypse of monsters cavorts
then, capsized, hushes
warm election of cinders, of ruins and collapses

[32]

—One more thing! only one, but please make it only one; I have no right to measure life by my sooty finger span; to reduce myself to this little ellipsoidal nothing trembling four fingers above the line,* I a man to so overturn creation, that I include myself between latitude and longitude!

[33]

At the end of first light,

the male thirst and the desire stubborn,
here I am, severed from the cool oases of brotherhood
this so modest nothing bristles with hard splinters
this too sure horizon shudders like a jailer.

[34]

Your last triumph, tenacious crow of Treason.

What is mine, these few thousand deathbearers who mill in the calabash of an island and mine too the archipelago arched with an anguished desire to negate itself, as if from maternal anxiety to protect this impossibly delicate tenuity separating one America from the other; and these loins which secrete for Europe the hearty liquor of a Gulf Stream, and one of the two slopes of incandescence between which the Equator tight-ropewalks toward Africa. And my non-closure island, its brave audacity standing at the stern of this Polynesia, before it, Guadeloupe split in two down its dorsal line and equal in poverty to us, Haiti where negritude rose for the first time* and stated that it believed in its humanity and the funny little tail of Florida where the strangulation of a nigger is being completed, and Africa gigantically caterpillaring up to the Hispanic foot of Europe, its nakedness where Death scythes widely.*

[35]

And I say to myself Bordeaux and Nantes and Liverpool

and New York and San Francisco*

not an inch of this world devoid of my fingerprint and my calcaneus on

the spines of skyscrapers and my filth in the glitter of gems!

Who can boast of being better off than I?

Virginia. Tennessee. Georgia. Alabama.

Monstrous putrefactions of revolts stymied,

marshes of putrid blood

trumpets absurdly muted

Land red, sanguineous, consanguineous land

[36]

What is also mine: a little cell in the Jura,* a little cell, the snow lines it with white bars

the snow is a white jailer mounting guard before a prison

What is mine

a lone man imprisoned in whiteness

a lone man defying the white screams of white death

(TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE)

a man who mesmerizes the white sparrow hawk of white death

a man alone in the sterile sea of white sand

an old black man standing up to the waters of the sky

Death traces a shining circle above this man

death stars softly above his head

death breathes in the ripened cane of his arms

death gallops in the prison like a white horse

death gleams in the dark like the eyes of a cat

death hiccups like water under the Keys*

death is a struck bird

death wanes

death vacillates

death is a shy patyura*

death expires in a white pool of silence.

[37]

Swellings of night in the four corners of this first light

convulsions of congealed death

tenacious fate screams erect from mute earth

the splendor of this blood will it not blast forth?

[38]

And now a last raspberry:

to the sun (Not strong enough to inebriate my very tough head)

to the mealy night with its golden hatchings of erratic fireflies

to the chevelure trembling at the very top of the cliff,

where the wind leaps in bursts of salty cavalries

clearly I read in my pulse that for me exoticism is no provender.

[39]

Leaving Europe utterly twisted with screams

silent currents of despair

leaving timid Europe which collects and proudly overrates itself

I summon this beautiful egotism that ventures forth

and my ploughing reminds me of an implacable cutwater.

[40]

So much blood in my memory! In my memory are lagoons. They are covered with death’s-heads. They are not covered with water lilies.

In my memory are lagoons. No women’s loin-cloths spread out on their shores.

My memory is encircled with blood. My memory has a belt of corpses!

[41]

and machine gun fire of rum barrels brilliantly sprinkling

our ignominious revolts, amorous glances swooning

from having swigged too much ferocious freedom

[42]

(niggers-are-all-alike, I-tell-you

vices-all-the-vices, believe-you-me

nigger-smell, that’s-what-makes-cane-grow

remember-the-old-saying:

beat-a-nigger, and you feed him)

[43]

around rocking chairs contemplating the voluptousness of quirts …

[44]

I circle about, an unappeased filly

Or quite simply as they love to see us!

Cheerfully obscene, completely nuts about jazz to cover their extreme boredom.

I can boogie-woogie, do the Lindy-hop and tap dance.

For a special treat our groans muffled with wah-wah. Wait…

Everything is as it should be. My good angel grazes the neon. I swallow drumsticks. My dignity wallows in puke …

[45]

Sun, Angel Sun, curly Angel of the Sun.

For a leap beyond the sweet and greenish sculling of the waters of abjection!

But I approached the wrong sorcerer. On this exorcised earth, cast adrift from its precious malignant purpose, this voice that cries, little by little hoarse, vainly, vainly hoarse, and there remain only the accumulated droppings of our lies—and they do not respond.

[46]

What madness to dream up a marvelous entrechat above the baseness!

By Gad the Whites are great warriors

hosannah to the master and to the nigger-gelder!

Victory! Victory I tell you: the conquered are content!

Joyous stenches and songs of mud!

[47]

By a sudden and beneficent inner revolution I now honor my repugnant ugliness.

[48]

On Midsummer Day, as soon as the first shadows fall across the village of Gros-Morne, hundreds of dealers gather to exchange their horses on rue “de profundis” a name at least honest enough to announce an onrush from the shoals of Death. And truly it is from Death, from its thousand petty local forms (cravings unsatisfied by Para grass and tipsy bondage to the distilleries) that the astonishing cavalry of impetuous nags surges unenclosed toward the great-life. What galloping! what neighing! What sincere urinating! What prodigious droppings! “A fine horse difficult to mount!”—“A proud mare sensitive to the spur!”—“A fearless foal superbly pasterned!”

And the shrewd fellow whose waistcoat displays a proud watch chain, palms off, instead of full udders, youthful mettle, genuine contours, either the systematic puffiness from obliging wasps, or obscene stings from ginger, or the helpful distribution of several gallons of sugared water.

[49]

I refuse to pass off my puffiness for authentic glory.

And I laugh at my former puerile fantasies.

No, we’ve never been Amazons of the king of Dahomey,* nor princes of Ghana with eight hundred camels, nor wise men in Timbuktu under Askia the Great,* nor the architects of Djenne,* nor Madhis,* nor warriors. We don’t feel under our armpit the itch of those who in the old days carried a lance. And since I have sworn to leave nothing out of our history (I who love nothing better than a sheep grazing his own afternoon shadow), I may as well confess that we were at all times pretty mediocre dishwashers, shoeblacks without ambition, at best conscientious sorcerers and the only unquestionable record that we broke was that of endurance under the chicote …*

And this land screamed for centuries that we are bestial brutes; that the human pulse stops at the gates of the barracoon; that we are walking compost hideously promising tender cane and silky cotton and they would brand us with red-hot irons and we would sleep in our excrement and they would sell us on the town square and an ell of English cloth and salted meat from Ireland cost less than we did, and this land was calm,

tranquil, repeating that the spirit of the Lord was in its acts.

[50]

The slave ship! proclaim my certain and darkest instincts, the sails of black clouds, the polymasting of somber forests and the Calebars’ harsh magnificence, a glaring memory of the whitening prow—this skeleton!

[51]

I hear coming up from the hold enchained curses, the death gasps of the dying, the sound of someone thrown into the sea … the baying of a woman in labor … the scraping of fingernails searching for throats … the flouts of the whip … the seething of vermin amidst the weariness …

[52]

Nothing could ever lift us toward a noble hopeless adventure.

So be it. So be it.

I am of no nationality recognized by the chancelleries

I defy the craniometer. Homo sum etc.…

Let them serve and betray and die

So be it. So be it. It was written in the shape of their pelvis.*

And I, and I,

I was singing the hard fist

You must know the extent of my cowardice.

One evening on the streetcar facing me, a nigger.

A nigger big as a pongo trying to make himself small on the streetcar bench. He was trying to leave behind on this grimy bench his gigantic legs and his trembling famished boxer hands. And everything had left him, was leaving him. His nose which looked like a drifting peninsula and even his negritude discolored as a result of untiring tawing. And the tawer was Poverty. A big unexpected lop-eared bat whose claw marks in his face had scabbed over into crusty islands. Or rather, Poverty was, like a tireless worker, laboring over some hideous cartouche. One could easily see how that industrious and malevolent thumb had kneaded bumps into his brow, bored two parallel and troubling tunnels in his nose, over-exaggerated his lips, and in a masterpiece of caricature, planed, polished, and varnished the tiniest cutest little ear in all creation.

He was a gangly nigger without rhythm or measure.

A nigger with a voice fogged over by alcohol and poverty.

A nigger whose eyes rolled a bloodshot weariness.

A shameless nigger and his toes sneered in a rather stinking way at the bottom of the yawning lair of his shoes.

Poverty, without any question, had knocked itself out to finish him off.

It had dug the socket, had painted it with a rouge of dust mixed with rheum.

It had stretched an empty space between the solid hinge of the jaw and the bones in an old tarnished cheek. Had planted over it the small shiny stakes of a two- or three-day beard. Had panicked his heart, bent his back.

And the whole thing added up perfectly to a hideous nigger, a grouchy nigger, a melancholy nigger, a slouched nigger, his hands joined in prayer on a knobby stick. A nigger shrouded in an old threadbare coat. A comical and ugly nigger, with some women behind me sneering at him.

Me I turned, my eyes proclaiming that I had nothing in common with this monkey.

He was COMICAL AND UGLY,*

COMICAL AND UGLY for sure.

I displayed a big complicitous smile …

My cowardice rediscovered!

Hail to the three centuries that uphold my civil rights and my minimized blood.

My heroism, what a farce!

This town fits me to a t.

And my soul is prostrate. Prostrate like this town in its refuse and mud.

This town, my face of mud.

The baptismal water dries on my forehead.

For my face I demand the vivid homage of spit! …

So, being what we are, ours the warrior thrust, the triumphant knee, the well-plowed plains of the future!

Look, I’d rather admit to uninhibited ravings, my heart in my brain like a drunken knee.

[53]

My star now, the funereal menfenil.*

[54]

And on this former dream my cannibalistic cruelties.

Bullets are in the mouth thick saliva

our heart from daily lowness bursts

the continents break the fragile bond of isthmuses

lands explode in accordance with the fatal division of rivers

and the morne which for centuries kept its scream within itself, draws and quarters the

silence in its turn

and this people an ever-rebounding valor!

and our limbs vainly disjointed by the most refined tortures, and life

even more impetuously springing up from this dunghill—unexpected as a soursop amidst the decomposition of breadfruit!

[55]

On this dream so old in me my cannibalistic cruelties

[56]

I was hiding behind a stupid vanity

destiny called me I was hiding behind it

and suddenly there was man on the ground! His feeble defenses scattered,

his sacred maxims trampled underfoot, his pedantic rhetoric so much hot air through each wound.

There was man on the ground

and his soul appears naked

and destiny triumphs in watching this soul which

defied its metamorphosis in the ancestral quagmire.

[57]

I say that this is right.

My back will victoriously exploit the chalaza of fibers.

I will deck out my natural obsequiousness with gratitude

And the silver-braided bullshit of the postillion* of Havana, lyric baboon pimp for the glamour of slavery, will be more than a match for my enthusiasm.

[58]

I say that this is right.

I live for the flattest part of my soul.

For the dullest part of my flesh!

[59]

Tepid first light of ancestral heat and fear

I now tremble with the collective trembling

that our blood sings in the madrepore.

[60]

And these tadpoles hatched in me by my prodigious ancestry!

[61]

those who invented neither powder nor compass

those who could harness neither steam nor electricity

those who explored neither the seas nor the sky

but knew in its most minute corners the land of suffering

those who have known voyages only through uprootings

those who have been lulled to sleep by so much kneeling

those whom they domesticated and Christianized

those whom they inoculated with degeneracy

tom-toms of empty hands inane

tom-toms of resounding sores burlesque

tom-toms of tabetic treason

[62]

Tepid first light of ancestral heat and fear

overboard with my alien riches

overboard with my genuine falseness

[63]

But what strange pride of a sudden illuminates me?

[64]

O friendly light

O fresh source of light

those who invented neither powder nor compass

those who could harness neither steam nor electricity

those who explored neither the seas nor the sky

but those without whom the earth would not be the earth

gibbosity all the more beneficent as more and more the earth deserts the earth

silo where that which is earthiest about earth ferments and ripens

my negritude is not a stone, its deafness hurled against the clamor of the day

my negritude is not a leukoma of dead liquid over the earth’s dead eye

my negritude is neither tower nor cathedral

[65]

it takes root in the red flesh of the soil

it takes root in the ardent flesh of the sky

it breaks through opaque prostration with its upright patience.

[66]

Eia for the royal Cailcedra!*

Eia for those who never invented anything

for those who never explored anything

for those who never conquered anything

[67]

but who yield, seized, to the essence of all things*

ignorant of surfaces but captivated by the motion of all things

indifferent to conquering, but playing the game of the world

truly the eldest sons of the world

porous to all the breathing of the world

fraternal locus for all the breathing of the world

drainless channel for all the water of the world

spark of the sacred fire of the world

flesh of the world’s flesh pulsating with the very motion of the world!

[68]

Tepid first light of ancestral virtues

Blood! Blood! all our blood aroused by the male heart of the sun

those who know about the femininity of the moon’s oily body

the reconciled exultation of antelope and star

those whose survival walks on the germination of the grass!

[69]

Eia perfect circle of the world and enclosed concordance!

[70]

Hear the white world

horribly weary from its immense effort

its rebellious joints cracking under the hard stars

its blue steel rigidities piercing the mystic flesh

hear its proditorious victories touting its defeats

hear the grandiose alibis for its pitiful stumbling

[71]

Pity for our omniscient and naïve conquerors!

[72]

Eia for those who never invented anything

for those who never explored anything

for those who never conquered anything

[73]

Eia for joy

Eia for love

Eia for grief and its dugs of reincarnated tears

[74]

And here at the end of this first light my virile prayer

that I hear neither the laughter nor the screams, my eyes fixed on this town that I prophesy, beautiful,

[75]

grant me the courage of the martyr

grant me the savage faith of the sorcerer

grant my hands the power to mold

grant my soul the sword’s temper

I won’t flinch. Make my head into a figurehead

and as for me, my heart, make me not into a father nor a brother,

nor a son, but into the father, the brother, the son,

nor a husband, but the lover of this unique people.

[76]

Make me resist all vanity, but espouse its genius like the fist the extended arm!

Make me a steward of its blood

make me a trustee of its resentment

make me into a man of termination

make me into a man of initiation

make me into a man of meditation

but also make me into a man of germination

[77]

make me into the executor of these lofty works

[78]

the time has come to gird one’s loins like a brave man.*

[79]

But in doing so, my heart, preserve me from all hatred

do not make me into that man of hatred for whom I feel only hatred

for sheltered as I am in this unique race

you still know my catholic love

you know that it is not from hatred of other races

that I demand of myself to be a digger for this unique race

that what I want

is for universal hunger

for universal thirst

[80]

to summon it free at last

[81]

to generate from its intimate closeness

the succulence of fruit.

[82]

And see the tree of our hands!

it turns for all, the wounds cut in its trunk*

the soil works for all

and toward the branches a headiness of fragrant precipitation!

[83]

But before reaching the shores of future orchards

grant that I deserve those on their belt of sea

grant me my heart while awaiting the earth

grant me on the ocean sterile

but somewhere caressed by the promise of the clew-line

grant me on this diverse ocean

the obstinacy of the proud pirogue

and its marine vigor.

[84]

See it advance rising and falling on the pulverized wave

see it dance the sacred dance before the grayness of the village

see it trumpet from a vertiginous conch

see the conch gallop up to the uncertainty of the mornes

and see twenty times over the paddles vigorously plow the water

the pirogue rears under the attack of the swells, deviates for an instant,

tries to escape, but the paddle’s rough caress turns it,

then it charges, a shudder runs along the wave’s spine,

the sea slobbers and rumbles

the pirogue like a sleigh glides onto the sand.

[85]

At the end of this first light, my virile prayer:

[86]

grant me pirogue muscles on this raging sea and the irresistible gaiety of the conch of good tidings!

[87]

Look, now I am only a man (no degradation, no spit perturbs him)* now I am only a man who accepts emptied of anger

(nothing left in his heart but immense love)

I accept … I accept … totally, without reservation …*

my race that no ablution of hyssop mixed with lilies could purify*

my race pitted with blemishes

my race ripe grapes for drunken feet*

my queen of spittle and leprosy

my queen of whips and scrofula

my queen of squama and chloasma

(oh those queens I once loved in the remote gardens of spring against the illumination of all the candles of the chestnut trees!).*

I accept. I accept.

and the flogged nigger saying “Forgive me master”

and the twenty-nine legal blows of the whip*

and the four-foot-high prison cell

and the spiked carcan

and the hamstringing of my runaway audacity

and the fleur de lys flowing from the red iron into the fat of my shoulder*

and Monsieur VAULTIER MAYENCOURT’S kennel where I barked six poodle months

and Monsieur BRAFIN

and Monsieur FOURNIOL

and Monsieur de la MAHAUDIÈRE

and the yaws

the mastiff

the suicide

the promiscuity

the bootkin

the shackles

the rack

the cippus

the headscrew

[88]

And my special geography too; the world map made for my own use, not tinted with the arbitrary colors of scholars, but with the geometry of my spilled blood

[89]

and the determination of my biology* not a prisoner to a facial angle, to a type of hair, to a well-flattened nose, to a clearly melanian coloring, and negritude, no longer a cephalic index, or plasma, or soma, but measured by the compass of suffering

[90]

and the Negro every day more base, more cowardly, more sterile, less profound, more spilled out of himself, more separated from himself, more wily with himself, less immediate to himself

[91]

I accept, I accept it all

[92]

and far from the palatial sea that foams under the suppurating syzygy of blisters, the body of my country miraculously laid in the despair of my arms*, its bones shattered and in its veins, the blood hesitating like a drop of vegetal milk at the injured point of a bulb… Suddenly now strength and life assail me like a bull and I revive onan* who entrusted his sperm to the fecund earth and the water of life circumvents the papilla of the morne, and now all the veins and veinlets are bustling with new blood and the enormous breathing lung of cyclones and the fire hoarded in volcanoes and the gigantic seismic pulse that now beats the measure of a living body in my firm embrace.

[93]

And we are standing now, my country and I, hair in the wind, my hand puny in its enormous fist and the strength is not in us, but above us, in a voice that drills the night and the hearing like the penetrance of an apocalyptic wasp.*

And the voice proclaims that for centuries Europe has force-fed us with lies and bloated us with pestilence,

for it is not true that the work of man is done

that we have no business being in the world

that we parasite the world

that it is enough for us to heel to the world

[94]

whereas the work of man has only begun

[95]

and man still must overcome all the interdictions wedged in the recesses of his fervor

and no race has a monopoly on beauty, on intelligence, on strength

and there is room for everyone at the convocation of conquest and we know now that the sun turns around our earth lighting the parcel designated by our will alone and that every star falls from sky to earth at our omnipotent command.

[96]

I now see the meaning of this ordeal: my country is the “lance of night” of my Bambara ancestors.*

It shrinks and its tip desperately retreats toward the haft when it is sprinkled with chicken blood and it states that its temperament requires the blood of man, his fat, his liver, his heart, not chicken blood.

And I seek for my country not date hearts, but men’s hearts which in order to enter the silver cities through the great trapezoidal gate beat with virile blood, and as my eyes sweep my kilometers of paternal earth I number its sores almost joyfully and I pile one on top of another like rare species, and my total is ever lengthened by unexpected mintings of baseness.

And there are those who will never get over not being made in the likeness of God but of the devil, those who believe that being a nigger is like being a second-class clerk: waiting for a better deal and upward mobility; those who bang the chamade before themselves, those who live in a corner of their own deep pit; those who drape themselves in proud pseudomorphosis;* those who say to Europe: “You see I can bow and scrape, like you I pay my respects, in short I am not different from you; pay no attention to my black skin: the sun did it.*”

And there is the nigger pimp, the nigger askari, and all the zebras shaking themselves in various ways to get rid of their stripes in a dew of fresh milk.

[97]

And in the midst of all that I say hurray! my grandfather dies, I say hurray

the old negritude progressively cadavers itself.

No bones about it: he was a good nigger.

The Whites say he was a good nigger, a really good nigger, massa’s good ole darky.

I say hurray!

He was a good nigger indeed

poverty had wounded his chest and back and they had stuffed into his poor brain that a fatality no one could trap weighed on him; that he had no control over his own destiny; that an evil Lord had for all eternity inscribed Thou Shall Not in his pelvic constitution; that he must be a good nigger; must honestly put up with being a good nigger; must sincerely believe in his worthlessness, without any perverse curiosity to verify the fatidic hieroglyphs.

[98]

He was a very good nigger

[99]

And it never occurred to him that he could hoe, dig, cut anything, anything else really than insipid cane.

[100]

He was a very good nigger.

[101]

And they threw stones at him, chunks of scrap iron, shards of bottles, but neither these stones, nor this scrap iron, nor these bottles …

O peaceful years of God on this terraqueous clod!

[102]

And the whip argued with the bombilation of the flies over the sugary dew of our sores

[103]

I say hurray! The old negritude progressively cadavers itself the horizon breaks, recoils and expands

and through the shredding of clouds the flashing of a sign

the slave ship cracks from one end to the other … Its belly convulses and resounds … The ghastly tapeworm of its cargo gnaws the fetid guts of the strange suckling of the sea!

[104]

And neither the joy of sails filled like a pocket stuffed with doubloons, nor the tricks played on the dangerous stupidity of the patrol ships prevent it from hearing the threat of its intestinal rumblings.

[105]

In vain to amuse himself the captain hangs the biggest loudmouth nigger from the main yard or throws him into the sea, or feeds him to his mastiffs.

[106]

Reeking of fried onions the nigger scum discovers in its spilled blood the bitter taste of freedom

[107]

And the nigger scum is on its feet

[108]

the seated nigger scum

unexpectedly standing

standing in the hold

standing in the cabins

standing on the deck

standing in the wind

standing under the sun

standing in the blood

standing

and

free

standing and no longer a poor creature in its maritime freedom and destitution gyrating in perfect drift

and there it is:

most unexpectedly standing

standing in the rigging

standing at the tiller

standing at the compass

standing at the map

standing under the stars

standing

and

free

and the lustral ship advances fearlessly over the crumbling waters.

And now our ignominious plops

are falling and rotting away

[109]

rally to my side my dances

my bad-nigger dances

the carcan-break dance

the prison-spring dance

the it-is-beautiful-good-and-legitimate-to-be-a-nigger-dance

Rally to my side my dances and let the sun bounce on the racket of my hands

But no the unequal sun is not enough for me

coil, wind, around my new growth

light on my cadenced fingers

To you I surrender my conscience and its fleshy rhythm

To you I surrender the fire in which my weakness sparkles

To you I surrender the chain gang

To you the swamps

To you the non-tourist of the triangular circuit

Devour wind

To you I surrender my abrasive words

Devour and encoil yourself

And coiling round embrace me with a more ample shudder

Embrace me unto furious us

Embrace, embrace us

But having also bitten us!

To the blood of our blood bitten us!

Embrace, my purity mingles only with your purity

so then embrace!

Like a field of upright filaos

at dusk

our multicolored purities.

And bind, bind me without remorse

bind me with your vast arms of luminous clay

bind my black vibration to the very navel of the world

Bind, bind me, bitter brotherhood

Then, strangling me with your lasso of stars

rise, Dove

rise

rise

rise

I follow you who are imprinted on my ancestral white cornea

Rise sky licker

And the great black hole where a moon ago I wanted to drown

It is there I will now fish

the malevolent tongue of the night in its still verticity*!