Am stram gram
Une fois encore, depuis que l’homme enterre ses morts, la terre accueille pour son ultime voyage une dépouille enfermée dans la nacelle capitonnée.
Tandis que le cercueil descend dans la fosse, deux femmes pleurent en silence sans oser se regarder, de peur de voir en l’autre leurs propres sentiments. Peine, chagrin, douleur, incompréhension et, sans doute, le plus lourd de tous, la culpabilité. Plus pesante que cette caisse qui, dans quelques instants, disparaîtra sous des pelletées de terre et de cailloux. Plus écrasante que ces pierres qui plombent leur ventre à l’idée qu’elles ne la reverront plus jamais. Que ça aurait pu être elles. Que ça aurait dû être elles.
Esther, Layla, Hélène. Elles se connaissent depuis toujours. Aujourd’hui, l’une d’elles est couchée dans cette boîte scellée. Les deux qui restent la regardent s’enfoncer dans la fosse, comme si, à l’intérieur, il y avait un peu d’elles-mêmes. Les yeux de l’une sont gonflés à force de larmes derrière les verres fumés. Ceux de l’autre, clouée sur un fauteuil roulant, sont restés secs.
Il fait beau, parce que la nature ignore les enterrements. Ce n’est pas pour l’occasion qu’un petit vent fait chanter les peupliers, que les cyprès bruissent en chœur et que les cigales cymbalisent dans la douce chaleur de ce début de juin. La nature ignore les occasions et le temps qui passe. Elle ignore aussi laquelle d’Esther, de Layla ou d’Hélène est dans ce cercueil qui, déjà, résonne sourdement de la terre dont on le recouvre. À l’instar de bien des secrets.
Am stram gram.