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Muni de ses fiches, Delgado redescendit en salle d’interrogatoire et reprit sa place face à d’Orsay qu’il avait laissé mijoter dans son jus. Il ignorait que Layla suivait le reste de la séance à distance, devant un moniteur vidéo.

— On reprend. Quel type de relation entreteniez-vous avec Meyer ?

— On se connaissait, c’est tout.

— Où vous êtes-vous rencontrés et depuis combien de temps vous fréquentiez-vous ?

— On s’est rencontrés quand j’étais en poste à Lyon. J’enquêtais sur une affaire de féminicide. Ophélie était l’avocate de la famille de la victime. Elle était mariée et, de mon côté, j’étais avec quelqu’un, mais ça a fini par se faire après.

— Après quoi ?

— Ma rupture.

— Avec qui ?

— Ça ne vous regarde pas, et l’identité de cette personne n’a rien à voir avec ce qui est arrivé à Ophélie. Vous ne savez même pas s’il s’agit d’un meurtre ou d’un suicide, d’ailleurs. Je n’ai donc rien à faire ici et…

— Cette personne ne serait-elle pas Esther Azoulay, par hasard ?

Les deux hommes tournèrent la tête en même temps.

Layla venait d’entrer dans la salle.

— Je prends le relais, asséna-t-elle à l’attention de Delgado sans davantage d’explications.

Ce genre de pratique pouvait faire partie d’une stratégie, mais dans ce cas précis, l’intervention de Layla était improvisée. D’humeur massacrante, Delgado rongea cependant son frein et obtempéra, ce qui ne signifiait pas qu’il n’exigerait pas une discussion ensuite. Il gagna l’espace vidéo et prit la place qu’occupait sa collègue quelques minutes plus tôt. Elle lui avait coupé l’herbe sous le pied, mais il était curieux de voir si elle en obtenait plus que lui.

— Réponds à ma question, d’Orsay, dit Layla, décidée à garder son calme coûte que coûte. Je suis sûre que tu as des choses à raconter sur la lieutenante Azoulay.

— Pas plus qu’à ton collègue. Et puis, c’est ex-lieutenante, si je ne m’abuse.

— Tu me déçois beaucoup. Faut-il que je te rappelle la teneur de ton coup de fil, l’autre soir ? D’ailleurs, comment as-tu eu mon numéro perso ?

— Allons, ne fais pas ta sainte nitouche, Bennani. Tu me l’as donné au parc, tu te souviens pas ? Pour qu’on aille boire un verre ensemble.

Celle-là, Layla ne l’avait pas vue venir. D’Orsay jouait son rôle à la perfection et mentait avec un aplomb impressionnant. Ou peut-être n’était-ce pas un rôle, mais sa vraie nature. Celle d’un salopard, songea Layla, soudain mal à l’aise, comme si elle avait quelque chose à se reprocher. C’était sa parole contre celle de d’Orsay. Or, elle avait déjà couché avec un flic. On pouvait donc aisément imaginer qu’elle serait capable de le refaire. D’autant que le flic en question était Philippe Delgado, et qu’il suivait l’interrogatoire en ce moment même.

— Je crois que tu prends tes désirs pour la réalité, d’Orsay, répondit Layla. Je ne t’ai jamais donné mon numéro, ma fille en est témoin.

D’Orsay éclata de rire.

— Une gamine ! Forcément, elle donnera raison à sa mère.

— Lors de ton appel, continua Layla sans se démonter, tu souhaitais me parler d’Esther Azoulay, que tu as ouvertement menacée le soir de son pot de départ. « Tu peux te tirer au bout du monde, je te retrouverai toujours. » Ce sont tes mots. Une menace très claire, non ? En revanche, ce sont tes motivations qui le sont beaucoup moins. Sur le plan personnel, la lieutenante Azoulay aurait été victime de…

— Et là, mon avocat interviendrait en te disant qu’on s’écarte du sujet.

— Sauf que ton avocat n’est pas là, répliqua Layla.

— Si ça ne tient qu’à ça, un coup de fil et il arrive. Ceci étant, je n’en aurai pas besoin, parce que je m’en vais maintenant, et que tu vas gentiment me laisser partir si tu veux rester dans la légalité.

Layla fulminait, mais il lui fallait se rendre à l’évidence : ils n’avaient rien contre d’Orsay. Il ne s’agissait pas d’une garde à vue et ils n’étaient pas en mesure de le retenir. Il aurait été plus judicieux d’attendre le verdict du légiste avant d’interroger ce type…

Quand il claqua la porte, elle n’était pas plus avancée sur les intentions de l’ex-bourreau d’Esther, même si elle se doutait qu’elles étaient loin d’être les meilleures. Par contre, elle allait désormais devoir s’expliquer avec son collègue qui venait de la rejoindre, le visage déformé par la colère et la frustration.