49

 

 

Elle ne sait plus vraiment depuis combien de temps l’eau la berce, au fond de la coque. Ni comment elle a fini dans cette barque, seule. Les clapotements l’apaisent, lui racontent une histoire. Celle de sa fuite et de sa liberté retrouvée. Au-dessus d’elle, un velours noir, profond, infini, sur lequel se détachent de minuscules éclats brillants. Une étoile morte peut scintiller à nos yeux pendant encore des millions d’années. À l’inverse d’elle, qui est bien vivante et pourtant déjà éteinte. Combien lui ressemblent dans le monde ? Combien d’errances et de solitudes sont à la dérive sur le fleuve sans retour de la vie ? Ses cheveux sont encore imprégnés de cette odeur tenace de feu. Elle aurait pu mourir, foudroyée. Cela veut peut-être dire quelque chose. Qu’elle doit vivre. Qu’elle est faite pour ça, même si elle n’y croit pas. Vivre pour tous ceux qui n’ont pas pu. Ou qui n’en ont pas eu la force.

L’une des brillances palpite, tout là-haut, tel un signal lumineux qui lui serait adressé. Un message angélique. Le médaillon à son cou, où se reflète la lune, lui répond par un chatoiement. Elle l’a retrouvé, comme on retrouve son chemin. Dans la terre détrempée. La terre qui avale tout, digère et recrache ce dont elle ne veut pas, ce qui lui est inutile. La terre qui s’est refermée sur ses douleurs, ses deuils, ses morts. Du cratère fumant de son cœur, de la lave incandescente s’écoule désormais et irrigue ses veines. Un volcan qu’elle pensait endormi. Trop vieux. Trop sec.

Un vent du large gifle son visage blessé. Elle n’a presque plus mal. Elle ne retournera pas dans le monde des vivants. Elle sourit. Le premier sourire depuis des milliers d’années. Elle prend le médaillon entre le pouce et l’index, le regarde, y dépose ses lèvres puis, du bout de la langue, caresse les lettres gravées. Sept lettres. Celles de son prénom, Antonia.