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Tandis qu’elle roulait à tombeau ouvert en direction de la PJ, Hélène appela Layla en Bluetooth et lui rapporta ce que Delgado venait de lui révéler.

Un silence se fit au bout de la ligne.

— Allô ? Layla ?

— Esther s’était fait tatouer le prénom de sa fille au même endroit… gémit celle-ci d’une voix tremblante dans les enceintes. C’est elle, Hélène… C’est sûr !

— Ne t’emballe pas… Ce n’est pas une preuve suffisante. Sinon, je sors de chez Romain. Tu savais, toi, qu’il avait une fille d’environ vingt-cinq ans ?

— Pas du tout ! Et Esther non plus, elle m’en aurait parlé sinon.

— Tu en es sûre ?

Non, à vrai dire, après cette histoire d’adoption et tout le reste, Layla n’était plus sûre de rien.

— Il t’a dit quoi d’autre ? s’enquit-elle sans répondre.

— Malheureusement, pas grand-chose. Mais attendons d’en savoir plus sur l’autopsie et les analyses ADN, et je retournerai le voir si besoin. Ceci étant, il semblait vraiment très mal quand il a appris pour le corps dans le box. Un meurtrier aurait eu plus de sang-froid.

— Tu veux que j’essaye de lui tirer les vers du nez ? proposa Layla.

— Il va se sentir harcelé, ça risque de le braquer. Et toi, de ton côté, du nouveau ? Parce que j’imagine que tu n’as pas passé ta journée à enfiler des perles.

— Bonne déduction, inspectrice ! Tu iras loin dans la police, la railla Layla.

En quelques mots, elle lui raconta son entrevue avec Thierry Cossowitz à la terrasse d’un café.

— Et devine avec qui il a couché ? Ça commence par un E.

— Tu rigoles ?

— Esther et lui n’ont pas eu de relation sérieuse. C’était, à l’entendre, « juste comme ça ».

— Elle a trompé Romain avec ce type, « juste comme ça » ?

— Non, ça date d’avant Romain…

Ensuite, elle profita de ce coup de fil pour parler à Hélène de la boîte de madeleines, des origamis, de la figurine, de la chemise vide au nom d’Antonia… Elle évoqua également le prospectus de ce centre dédié aux enfants atteints de maladies incurables.

— Esther t’a dit avoir découvert une figurine en terre dans son logement de fonction. Tu crois qu’il s’agit de la même ?

— On dirait que c’est un haniwa, oui. J’ai regardé sur le Net. Ça y ressemble, en tout cas.

— Et les origamis, tu en penses quoi ?

— Ça me paraît normal qu’elle les ait conservés, ce sont tous ceux que Sara avait fabriqués.

— Ça, d’accord, mais c’est normal aussi qu’elle en trouve à plus de deux cents kilomètres d’ici ?

Soudain, la ligne se mit à crépiter.

— Tu m’entends ? Layla ? J’entre dans le tunnel.

— Oui, je suis là… En effet, ce n’est pas normal. Soit quelqu’un qui connaît son histoire lui en veut et cherche à la déstabiliser, soit…

— Soit c’est dans sa tête, c’est ça ? compléta Hélène.

— C’est possible. Mais on ne doit pas négliger la première hypothèse. Quelqu’un qui la suivrait, tel un prédateur… et ensuite, elle se volatilise. Pour moi, c’est tout aussi plausible. Dans ce cas, on en reviendrait, selon moi, à la piste d’Orsay.

— Ou Demange. Elle l’a plaqué, il aurait des raisons de lui en vouloir, répliqua Hélène, qui sortait du tunnel pour s’engager sur l’un des ponts qui enjambaient le Rhône.

— Je n’ai pas eu cette impression quand je lui ai parlé la dernière fois. Il s’inquiétait même beaucoup pour Esther. Et semblait très choqué à l’annonce de sa disparition.

— Tu sais comme moi qu’il y a de très bons comédiens.

— Que notre expérience permet malgré tout de détecter rapidement…

 

Quand Layla raccrocha, elle s’assit un instant dans son canapé pour faire le point. Hélène et elle peinaient à y voir clair, mais elle songea soudain qu’un certain nombre d’éléments convergeaient vers Sara. Sara, à qui elle devait rendre visite au cimetière pour tenir sa promesse. Sara, qui, peut-être, serait la clef pour mieux comprendre ce qui arrivait à son amie…

Layla alluma son ordinateur afin de faire une recherche plus approfondie sur la maladie dont la fillette avait été atteinte. Elle envisageait ensuite de se rendre dans le service où elle avait été hospitalisée pour rencontrer les membres de l’équipe soignante qui l’avait suivie. Rapidement, elle fut surprise de découvrir que le syndrome de déficience immunitaire sévère dont Sara souffrait, causé par la présence de l’antigène rare HLA-B27, n’était pas mortel dans tous les cas. Un ancien « enfant-bulle » témoignait en effet sur son blog et expliquait avoir été sauvé par le professeur Sylvain Tournier, une trentaine d’années auparavant, grâce à une greffe expérimentale de cellules souches. Bien avant que Sara fût diagnostiquée, donc. Qu’est-ce qui n’avait pas marché pour elle ? La greffe avait-elle été envisagée ? Peut-être Esther et Romain n’avaient-ils pas accepté…

Il fallut une vingtaine de minutes à Layla pour arriver sur le parking du centre hospitalier universitaire. S’orientant à l’aide des panneaux fléchés, elle suivit la direction « Pédiatrie-maladies orphelines ». Les Hospices civils de Lyon, avec leurs bâtiments aux façades défraîchies, près desquels les arbres étaient aussi rares que rabougris, comprenaient des centres de recherche de pointe dans différents domaines. Layla passa devant la gériatrie en se demandant comment on pouvait envoyer les anciens dans ces mouroirs. Elle s’était toujours promis que jamais ses parents n’y termineraient leurs jours. Même si la maladie ou la vieillesse les privait de leur autonomie.

Une fois dans le bâtiment menant au service pédiatrie, elle franchit une porte battante, s’arrêta à l’entrée de la salle des soignants, n’y vit personne, remonta une succession de chambres hermétiques dans lesquelles de petits anges branchés de toutes parts se battaient avec courage. Les murs étaient tapissés de dessins d’enfant. Plus elle avançait au cœur de ce temple des soins où vibraient l’espoir et, trop souvent, le chagrin, plus une boule grossissait dans sa gorge. À l’étouffer.

— Excusez-moi, je souhaiterais m’entretenir avec le professeur Tournier ou son assistant, interpella-t-elle l’infirmière qui venait de surgir quelques mètres plus loin.

— C’est pour quoi ?

Layla avait bien conscience qu’elle n’obtiendrait rien par une démarche officieuse, qu’elle pouvait au mieux préparer le terrain, ce qui représentait une vraie perte de temps. Elle décida donc de se présenter comme chargée de l’enquête sur la disparition d’Esther et sortit sa carte de police.

— Je dois lui poser quelques questions au sujet d’une jeune patiente qui est restée dans son service depuis sa naissance jusqu’à il y a deux ans.

— Ah… Je suis désolée, mais le professeur Tournier est parti à la retraite il y a quatre ans et son bras droit a quitté le service voilà quelques mois pour ouvrir un centre en Suisse, dédié aux enfants lourdement atteints.

Layla sentit son pouls s’accélérer.

— Sauriez-vous de quel centre il s’agit ?

— Son nom est Athenata, je crois que c’est sur les bords du Léman.

— Et pourriez-vous également me communiquer l’identité de ce « bras droit » ?

— Bien sûr. C’est la docteure Laetitia Horn.