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— Tout va bien ?

La question de la cheffe de service la raccrocha à la réalité et à l’instant présent.

— Oui… Enfin, ça fait pas mal d’infos à encaisser.

— Surtout quand il s’agit de quelqu’un qu’on pensait connaître.

Layla posa les yeux sur Osgore. Elle avait l’air de savoir de quoi elle parlait. Ses doigts effleuraient de temps à autre l’oiseau de papier. Elle avait dû beaucoup s’attacher à Sara, peut-être même plus qu’à d’autres enfants ici.

— Tout à l’heure, vous avez dit qu’Esther et la docteure Horn ne se sont jamais croisées. Vous pourriez développer ?

Osgore se racla la gorge.

— Entre elles, les rapports étaient, disons, plutôt froids. Et Horn s’intéressait plus aux enfants mourants. Esther avait été habituée à s’entretenir avec le professeur Tournier, en qui elle avait une confiance inébranlable. Son départ à la retraite a été un coup de massue.

— Ça a dû compliquer les choses, en effet. Et sinon, j’imagine que des liens peuvent se nouer aussi entre les parents des enfants malades, qui restent ici des heures durant, n’est-ce pas ?

— Bien sûr. Certains dorment même sur place, selon les cas. C’est possible, surtout dans les dernières semaines ou les derniers jours. Esther, elle, s’était rapprochée du père d’une jeune patiente. Ils passaient du temps ensemble à parler et à échanger autour de leurs filles, atteintes de la même maladie, et qui s’étaient liées d’amitié. Voyant à quel point elles étaient proches, on les avait transférées dans une chambre double de manière à ce qu’elles puissent partager leur solitude.

— Et, le père de cette autre enfant, il n’avait pas de femme ?

— Non, il était veuf. Sa petite est morte aussi, peu avant Sara.

— Quelle horreur… Perdre sa femme, puis son enfant…

— Il n’a plus donné aucun signe de vie, du jour au lendemain. Esther en a été très affectée. Apparemment, ils ne se voyaient pas en dehors du cadre hospitalier.

— Auriez-vous son nom ? Des coordonnées ?

— Là, je suis désolée, mais je ne peux pas vous communiquer d’informations personnelles. Quitte à ce que vous reveniez avec un document du juge.

— Je comprends.

Tout ne peut pas tomber tout cuit, même dans l’oreille d’un flic, ironisa-t-elle en son for intérieur.

— Andreas Dante, ça vous dit quelque chose ?

— Rien du tout.

— OK. Parlez-moi un peu de Sara. Vous semblait-elle bien dans sa tête, malgré sa maladie et son isolement ? Était-elle joyeuse ? Triste ? Extravertie ? Timide ?

— Sara était un rayon de soleil, ici. Notre rayon de soleil. Osgore s’interrompit, la voix étranglée par l’émotion.

—Excusez-moi, reprit-elle. Sara avait toujours le sourire. Très attentive à autrui, sentant tout de suite si quelqu’un n’allait pas bien. Elle faisait preuve d’une intelligence et d’une sagesse exceptionnelles pour son âge.

— Elle recevait d’autres visites que celles de ses parents ?

La cheffe de service, le front plissé, paraissait démêler les fils de sa mémoire.

— Une femme venait la voir. Quand ses parents ne pouvaient pas, justement. Ce qui était plutôt rare. Maintenant que j’y pense, c’était comme si elle connaissait leur emploi du temps. Elle arrivait à se glisser entre leurs allées et venues. Surtout celles d’Esther. Une fois, je l’ai vue discuter avec Romain. Puis avec le père de l’autre petite. Ils semblaient même s’être rapprochés.

— Sara n’en parlait pas à sa mère ?

— Elle possédait vraiment une maturité incroyable. Elle savait naturellement ce qu’elle pouvait raconter ou ce qu’elle devait garder pour elle. Je ne crois pas qu’Esther était au courant de ces entrevues.

— Auriez-vous une idée de l’identité de cette femme ?

— Ça n’engage que moi, mais j’ai supposé qu’elle aurait pu être la mère porteuse de Sara.

Dans ces mots, Layla mesura toute l’absurdité de la situation. Qui était, tout compte fait, la véritable mère de Sara ? Esther ou l’inconnue ? Celle qui donnait ses ovocytes ou bien celle qui portait l’enfant durant neuf mois et le mettait au monde pour s’en séparer aussitôt, le plus souvent contre de l’argent ? Sans parvenir à se faire un avis sur cette question, elle préféra penser que Sara avait finalement deux mères. Deux femmes qui l’avaient aimée de tout leur être.

— En principe, la mère porteuse coupe le lien, non ? nota Layla.

— C’est vrai, mais là encore, ça dépend des cas. Franchement, je ne saurais pas vous en dire beaucoup plus, à part qu’il lui arrivait de venir une fois par semaine, puis de cesser pendant deux ou trois mois.

— Vous m’en avez déjà dit pas mal, docteure. Je vous remercie.

— Ça ne vous évitera pas, hélas, de revenir avec une commission rogatoire…

— C’est un détail, la rassura Layla en se levant de son siège, une idée derrière la tête.

— Je vous souhaite vraiment de retrouver vite votre amie.

Pourrez-vous me tenir au courant ?

— Bien sûr.

Elles se saluèrent. Osgore retourna s’asseoir, ses yeux humides posés sur le petit origami, tandis que Layla remontait le couloir, à la recherche de l’infirmière qu’elle avait interpellée un peu plus tôt. Elle finit par tomber sur elle devant l’une des chambres.

— Merci pour votre amabilité et votre aide, lui dit-elle.

Et bonne journée.

Dans la foulée, elle fit mine de s’éloigner, puis s’arrêta et revint sur ses pas. Elle ajouta, l’air innocent :

— Ah, au fait, la docteure Osgore m’a donné le nom du père de la petite qui partageait la bulle de Sara, mais je n’avais rien pour noter et, avec tous les autres noms, j’en ai forcément oublié un… Vous voyez qui c’est ?

— Oui, tout à fait, il était très sympa d’ailleurs et ils échangeaient souvent ensemble, Mme Azoulay et lui. Il s’appelait Régis Marten. Il avait également un frère qui venait de temps en temps, plus réservé que lui, Paul, si mes souvenirs sont bons.