Épilogue

 

 

L’ironie du sort voulut que le corps d’Esther, après l’autopsie pratiquée à l’IML d’Édouard-Herriot, soit remis aux soins d’un thanatopracteur pour être conservé le temps que ses amies guérissent de leurs blessures et puissent assister à son inhumation. Le responsable de l’accident qui lui avait été fatal ne s’était, quant à lui, pas arrêté. En revanche, un témoin avait pu mémoriser et noter le numéro d’immatriculation de la voiture avant d’appeler immédiatement les secours. Malheureusement, Esther avait déjà rendu son dernier souffle à leur arrivée.

Il s’agissait d’un véhicule de location, loué sous une fausse identité. Ce qui ne prouvait pas pour autant qu’il s’agissait d’un assassinat. Mais ce qui avait fini par trahir le mystérieux client et permis à la police de l’interpeller, ce furent les images de la vidéosurveillance de l’agence sur lesquelles, malgré sa casquette aux deux lettres dorées « NY », les enquêteurs reconnurent formellement Marc d’Orsay. En dépit de toute son expérience, l’erreur qu’il avait commise en oubliant la présence des caméras lui avait été fatale. Il avait refusé de s’expliquer sur les raisons de son acte et avait été déféré au centre pénitentiaire de Roanne. Mais lui seul savait la promesse faite à sa victime et qu’il avait tenue en vengeant un être que, comme son fils Arthur, il aurait pu chérir et voir grandir. Cet être qui n’avait jamais vu le jour, parce qu’elle seule avait décidé de mettre un terme à la vie qui prenait racine dans son ventre. « Tu n’es qu’une ordure, et jamais, tu entends, jamais je ne laisserai naître ce monstre que je porte en moi ! » Ces mots, qu’Esther lui avaient jetés en pleine face, avaient été la pire des tortures. Elle avait commis un meurtre, un assassinat. Elle avait tué un petit d’Orsay, et il s’était juré de le lui faire payer un jour.

Layla, encore sous oxygène et en fauteuil roulant, tint à être présente aux obsèques d’Esther, aux côtés d’Hélène à peu près remise de sa blessure. Il lui fallut ensuite un mois de convalescence avant de réintégrer la PJ à un poste aménagé. Un mois de réflexion à l’issue duquel elle fut sûre d’une chose : sa fille représentait ce qu’elle avait de plus cher, mais elle ne saurait rien faire d’autre que son métier de flic et poursuivrait aussi sa tâche en mémoire d’Esther. Dans le fond, peu lui importait de savoir qui son amie avait été vraiment. Nous sommes parfois ce que nous ne sommes pas, et ne sommes pas toujours ce que nous sommes réellement. Voilà la conclusion à laquelle elle arriva. Et Romain, lui, ne saurait jamais comment, grâce à Esther, il avait échappé à la réclusion à perpétuité pour un meurtre qu’il n’avait pas commis. Apprenant que Layla, la mère de sa fille et la femme qu’il avait aimée comme il avait pu, était entre la vie et la mort, Cherkaoui sembla prendre conscience de la fragilité de l’existence. Toujours est-il qu’il mit de l’eau dans son vin et qu’un rendez-vous avec un médiateur put avoir lieu. Rendez-vous au cours duquel ils tombèrent d’accord sur la garde alternée. Delgado, après avoir raconté à Layla et à Hélène les derniers aveux d’Esther – dont personne ne saurait qu’ils étaient faux –, déposa quant à lui son insigne et son arme de service et quitta définitivement la police. Ne comprenant pas le motif d’une telle décision, Morize, dans un premier temps, refusa, mais devant l’insistance de son lieutenant, céda. Julie retrouva aussitôt le sourire et son entrain. Elle aurait un bel avenir. La démission de Delgado lui suffisait, et elle avait annoncé à Layla qu’elle ne porterait pas plainte.

Malgré les circonstances tragiques, Hélène aussi renoua doucement avec le bonheur. Au fait de son état, Gauthier vint la voir à l’hôpital et implora son pardon en lui jurant qu’elle était la femme de sa vie et qu’il n’aimait qu’elle. Qu’il avait pété les plombs à cause de la pression au boulot et que ça ne se reproduirait plus jamais. Hélène lui rouvrit la porte. Parfois, elle se demandait si c’était vraiment pour lui ou pour la joie que lui procurait la perspective de partager à nouveau son quotidien avec Titi. Mais Gauthier semblait avoir réellement changé. Il avait ralenti sur les jeux vidéo et ne touchait plus au cannabis. L’avenir lui dirait si elle avait eu raison de lui pardonner. Caressant malgré tout le secret espoir d’être mère un jour, Hélène consentit finalement à suivre le protocole en immunothérapie dont lui avait parlé l’oncologue et, déjà, les premières séances s’annonçaient prometteuses.

Esther s’était persuadée jusqu’au bout que Sara avait été incinérée et que l’urne contenant ses cendres avait été placée à Loyasse, dans le caveau familial. Sauf que ça ne collait pas avec la politique de Thanatea exposée par Horn… Hélène et Layla se firent donc un devoir d’éclaircir ça. Quand les restes de Sara furent exhumés de leur tertre dans le cimetière fleuri de Thanatea, le fameux paradis de Marten, et que les analyses confirmèrent qu’il s’agissait bien d’elle, la tombe des Azoulay fut ouverte et l’urne descellée. En tombèrent en cascade une multitude d’origamis bleu ciel. Ceux qu’avait confectionnés Esther afin d’aider sa fille, trop fatiguée pour continuer à en plier avec la même régularité. Il y en avait quatre cent trente qui ajoutés aux cinq cent soixante-dix, trouvés par Layla dans la boîte de madeleines, faisaient mille. Mais qu’importe, maintenant que le vœu s’était réalisé.

Esther et Sara, ensemble pour toujours. À la vie, à la mort.