10

Hélène

Ménélas arriva à Sparte au crépuscule, un mois après que les fiançailles eurent été décidées. Une grande fête était en préparation, afin que le nouvel héritier de Sparte puisse s’entretenir et célébrer l’occasion avec le père et les frères d’Hélène, et avec les autres nobles de Laconie. Hélène était également présente, comme le demandait la coutume, même si elle avait davantage l’impression d’être un élément raffiné du décor qu’une convive. Père avait insisté pour qu’elle porte un voile si épais qu’elle ne pouvait rien voir au travers – pas même la lueur du foyer. Il s’agissait d’une expérience étrange et frustrante que d’entendre la fête se dérouler autour d’elle, de savoir que son futur époux était à proximité et de ne rien voir. Son père n’avait autorisé Alkippe à soulever le voile que pour lui faire avaler des gorgées de vin ou des morceaux de nourriture, et même ainsi, cela lui semblait trop bref pour avoir la chance d’apercevoir l’homme auquel elle serait bientôt liée. Si elle appréciait généralement les plats, la musique et la légèreté des fêtes, elle fut soulagée lorsqu’au bout d’une heure, elle fut reconduite dans sa chambre, où elle put se débarrasser de l’affreux voile et cesser de suffoquer.

Le jour suivant, elle eut à patienter durant un long après-midi en attendant le cortège nuptial qui l’emmènerait du palais de son père à sa nouvelle demeure, un peu plus bas sur la rivière, qui avait été bâtie pour l’accueillir avec son époux jusqu’à ce que celui-ci devienne à son tour roi de Sparte. Lorsque ses servantes vinrent l’apprêter enfin au début de la soirée, Hélène fut heureuse de découvrir un voile beaucoup plus fin entre les mains d’Alkippe, évoquant un filet d’or chatoyant. Je vais enfin pouvoir voir mon fiancé, pensa-t-elle avec satisfaction. Mais une fois qu’elle fut parée, le voile brillant posé tel un filigrane sur son casque de cheveux flamboyants, et menée à travers le palais jusqu’au cortège, à l’extérieur, elle éprouva une forte déception en apprenant que Ménélas avait déjà pris position à sa tête. Elle demanda à sa mère comment était sa monture, et tenta de distinguer ses traits malgré la faible lumière vespérale, mais à peine l’avait-elle identifié que son père vint la prendre par la main pour la conduire au chariot nuptial. Elle y monta seule, devenant le point de mire du cortège et des Spartiates, mais elle continua de fouiller l’obscurité et la fumée pour distinguer le casque doré qui étincelait sous la lueur des torches.

Lorsqu’ils arrivèrent, elle reçut l’instruction d’attendre dans la chambre nuptiale. Elle n’était pas seule, bien sûr. Ses deux servantes et son ancienne nourrice, Thèkle, l’avaient accompagnée pour l’assister. Elles l’aidèrent à quitter la tenue d’épouse qu’elle avait portée au cours du bref trajet entre le Vieux Palais et sa nouvelle demeure. Un parfum terreux d’ocre persistait dans la chambre, parce que ses murs venaient d’être enduits quelques jours auparavant.

Ensuite, les femmes baignèrent Hélène, frottant chaque centimètre de sa peau avec un tissu rugueux jusqu’à ce que celle-ci lui semble presque à vif. Lorsqu’elle poussa un cri pour se plaindre, sa nourrice objecta :

— Nous devons enlever l’enfant qui est en toi.

Une fois qu’elle eut été séchée, elles la relevèrent et se mirent à la masser avec une huile odorante afin que celle-ci pénètre sa peau blanche, lui donnant un parfum de fleurs et de sauge, ainsi qu’un éclat nacré. Enfin, elles apportèrent une petite coupe remplie d’une eau de rose très parfumée. Hélène ne pensait pas avoir besoin d’être encore parfumée ; elle n’avait jamais senti aussi bon de sa vie. Mais lorsque Thèkle trempa un doigt dans la coupe, elle comprit qu’elle n’allait pas être ointe de nouveau. Avec délicatesse et précision, la nourrice étala l’eau sur ses mamelons pâles. La jeune femme en fut surprise, mais ne laissa rien paraître. Elle était désormais une femme, et c’était ainsi que les femmes devaient être préparées. Et lorsque Thèkle lui demanda de s’allonger sur le lit, afin qu’elle puisse déposer un peu d’eau de rose entre ses jambes, Hélène obéit sans protester. Lorsqu’elle se leva, cependant, elle eut le sentiment que quelque chose avait changé, que certaines parties de son corps avaient acquis une importance qu’elles n’avaient pas auparavant.

Exposée à l’air frais du soir, Hélène commença à frissonner et fut heureuse lorsque les femmes l’aidèrent à remettre sa robe nuptiale. Celle-ci était simple, mais possédait une riche teinte safran, son odeur venant renforcer le nuage de senteurs enivrantes qui émanait d’elle. Elles replacèrent son voile, mais laissèrent ses cheveux dénoués, et ses poignets, son cou et ses oreilles sans ornements. Le moment d’être exposée était passé ; maintenant, il lui restait à faire impression sur son époux.

Adraste sortit de la chambre, sans doute pour annoncer qu’Hélène était prête.

Thèkle murmura doucement à son oreille :

— Nous en avons terminé, maintenant, ton époux va venir à toi. Il s’étendra sans doute auprès de toi, comme le font les époux auprès de leur femme. Ne sois pas effrayée. Je serai juste derrière la porte. Tu souffriras peut-être lorsqu’il te pénétrera, mais tu devras le laisser faire ce qu’il veut. Son devoir, en réalité… Cela se passera mieux pour toi si tu l’accueilles sans réticence. Efforce-toi de lui faire plaisir, Hélène. Puissent les dieux vous accorder une vie heureuse ensemble.

Hélène ne comprit pas toutes les paroles de la nourrice, mais hocha la tête et lui rendit son doux sourire. Thèkle et Alkippe se placèrent ensuite dans un angle de la pièce afin qu’Hélène se tienne seule devant le lit, les yeux fixés sur la porte. À cet instant, elle se dit qu’elle ne savait pas réellement à quoi s’attendre. Toutes ses pensées avaient été jusqu’alors tournées vers l’apparence de son époux, les vêtements qu’elle porterait lors de la procession, les présents qu’elle recevrait. Cet aspect de la noce était demeuré vague dans son esprit, et maintenant que le moment était venu, elle n’en avait pas une idée plus précise. Elle aurait souhaité à cet instant avoir posé davantage de questions lorsqu’elle en avait eu l’occasion.

Les minutes passèrent, et il n’y avait aucun bruit derrière la porte, aucun bruit dans la chambre, excepté celui de la respiration agitée d’Hélène et des allées et venues incessantes de Thèkle. La jeune femme s’assit sur le bord du lit et attendit.

Elle entendit un bruit. Puis des pas dans le couloir. Des voix. Des voix d’hommes. Elle se leva aussitôt et se tint aussi droite que possible, les bras le long du corps, le menton légèrement relevé. Elle resta figée dans cette position, en attendant que la porte s’ouvre. Ce n’est que lorsqu’elle entendit la barre se soulever qu’elle comprit qu’elle avait été enfermée.

Deux hommes entrèrent dans la chambre. L’un avait les cheveux blonds et était de grande taille, l’autre était brun et légèrement plus petit. Hélène savait que l’homme blond était son époux, car elle avait aperçu sa chevelure au cours de la procession. Il portait une fine tunique rouge et de solides bottes, et était désormais débarrassé de l’armure resplendissante qu’il portait plus tôt. Elle ne put s’empêcher d’éprouver une légère déception en le voyant de près. Même à travers le filtre de son voile, elle constata qu’il avait une large cicatrice au-dessus du sourcil droit. Celle-ci barrait son visage d’une tache sombre. Son nez était déformé, comme s’il avait subi plusieurs fractures. Ses cheveux étaient clairs et plutôt beaux, mais sa barbe était mouchetée et peu soignée. Certains hommes présents au tournoi étaient plus beaux.

Hélène s’efforça pourtant de ne pas perdre courage. Elle avait été promise à un guerrier, et elle avait devant elle un guerrier. Même s’il affichait une certaine rudesse, il semblait fort et en bonne santé. Sa mère avait toujours dit que pour les époux et les fils, cela était le plus important.

La jeune femme s’aperçut qu’elle avait retenu son souffle et se remit lentement à respirer. Ménélas lui jeta un bref regard en entrant, puis murmura quelque chose à l’intention de l’homme brun. Les deux hommes semblèrent s’accorder, puis se placèrent de nouveau en face d’elle. Ménélas hocha brièvement la tête en direction de Thèkle et d’Alkippe, qui se précipitèrent à l’extérieur, la nourrice lançant un dernier regard de réconfort à Hélène.

L’homme brun referma la porte derrière elle, mais demeura dans la pièce.

— Voici Déipyros, mon compagnon, déclara Ménélas, en faisant un signe de la main en direction de l’homme.

Sa voix était grave et rocailleuse. Hélène s’attendait à ce qu’il continue de parler et explique la raison de sa présence de l’autre homme, mais il n’en fit rien.

— Je suis Ménélas, fils d’Atrée, ton époux. Je suis ici pour achever les rites du mariage.

Il parlait comme s’il s’adressait à une audience, bien qu’il n’y ait personne. Il avait au moins une dizaine d’années de plus qu’Hélène et possédait une certaine prestance, et cependant, sa démarche, lorsqu’il traversa la pièce pour la rejoindre, lui parut légèrement hésitante.

Il leva les mains et souleva sans mot dire le voile d’Hélène. Leurs yeux ne se rencontrèrent qu’un bref instant, avant qu’il ne commence à faire glisser la robe safran de ses épaules. Le contact de ses doigts rugueux sur sa peau lui parut désagréable. Elle avait l’habitude d’être touchée et manipulée, vêtue, dévêtue et baignée par des servantes, mais à cet instant, la sensation était tout autre. Il s’agissait des mains d’un homme, d’un homme étranger de surcroît. Elle dut retenir un mouvement de recul.

Lorsque la robe tomba sur le sol, Hélène se sentit plus exposée qu’elle ne l’avait jamais été. Son cœur se mit à battre plus vite, mais elle continua de regarder droit devant elle, par-dessus l’épaule de Ménélas. Elle sentait son regard sur elle, détaillant son corps sans modération.

Pourtant, il ne la toucha pas. Il recula de plusieurs pas et continua de la regarder. Elle vit ses yeux dériver de sa poitrine vers ses hanches, ses chevilles, puis revenir pour s’attarder sur la zone pileuse située sous son nombril.

— As-tu tes menstrues ? demanda-t-il.

Hélène fut troublée par la brusquerie de cette question. Elle comprit qu’il parlait de ses saignements mensuels et hocha la tête.

Ménélas se tourna vers son compagnon.

— Ses seins ne sont encore que des boutons. Ses hanches sont trop étroites. Qu’en penses-tu, Déipyros ?

L’homme brun, qui l’observait également depuis un angle de la pièce, hocha la tête. Elle avait l’impression d’être une génisse sur le point d’être sacrifiée. Sa peau se hérissa sous la fraîcheur du soir. Elle avait envie de mettre ses bras autour d’elle et de s’éloigner. Mais elle était Hélène de Sparte, et non plus une petite fille. Elle fixa de nouveau le mur et serra les lèvres pour leur éviter de trembler.

— Un enfant trop tôt serait risqué, commenta l’homme brun, dont les yeux s’attardèrent sur ses hanches. Elle est encore jeune. Je te suggère d’attendre, mais la décision te revient, bien sûr.

— Tu es de bon conseil, Déipyros, je vais attendre.

Elle aurait été incapable de dire si le visage de son époux exprimait de la déception ou du soulagement.

— Mais le mariage doit être consommé, ajouta-t-il en regardant Déipyros.

Ce dernier hocha la tête et quitta la pièce, refermant la porte derrière lui.

Hélène savait qu’elle n’avait pas entièrement donné satisfaction à Ménélas, d’une manière ou d’une autre. Elle serra plus fortement les lèvres et cilla pour retenir les larmes qui jaillissaient de ses yeux. Malgré ses huiles et ses parfums, elle n’était pas à la hauteur. Elle n’était pas assez femme. Mais au moins, il n’avait pas abandonné. Il souhaitait quand même la prendre pour épouse. Nestre et elle seraient tout de même doublement liées, comme si elles étaient deux fois sœurs. Et elle serait reine de Sparte, un jour.

Ménélas arpenta une nouvelle fois la pièce. Il semblait de nouveau hésitant. Ou peut-être était-ce le fruit de son imagination – elle aurait aimé ne pas être la seule à ne pas comprendre ce qui se passait.

Son époux s’arrêta devant elle. Une odeur d’huile parfumée émanait également de lui. Elle se demanda si ses mamelons avaient également été enduits d’eau de rose, ou d’une autre substance… Cette pensée la fit rougir.

Il lui souleva le menton, de sorte qu’elle n’eut d’autre choix que de le regarder dans les yeux. Ceux-ci étaient foncés, et leur expression difficile à déchiffrer. Elle évita de regarder sa cicatrice.

Il prit doucement une boucle de ses cheveux entre ses doigts.

— Tes cheveux sont très… beaux, murmura-t-il.

Elle sourit. Il s’agissait d’un sourire sincère. Quelque chose en elle lui plaisait enfin.

— Merci, mon seigneur.

— Oui. Je suis ton seigneur maintenant, et tu es ma dame, et il en sera ainsi aussi longtemps que nous vivrons, affirma-t-il en lui adressant un léger sourire.

Puis il hésita, avant de se pencher en avant et de l’embrasser doucement sur les lèvres. Sa moustache lui irrita le nez et son haleine sentait le vin. Cela n’était pas désagréable, mais elle s’était attendue à une sensation… plus intense. Elle s’aperçut qu’il guettait son expression et s’efforça de sourire sans y parvenir. Lorsqu’il lui adressa de nouveau la parole, sa voix avait perdu un peu de sa douceur.

— Nous devons maintenant mener le mariage à son terme, si tu veux véritablement être ma femme-épouse, formula-t-il avant de s’interrompre. C’est bien ce que tu souhaites, n’est-ce pas ?

Elle hocha légèrement la tête.

— Alors tu dois t’étendre sur le lit et entrouvrir tes jambes…

Elle eut l’impression d’avoir reçu un coup à l’estomac. Elle se souvint qu’elle était nue – elle l’avait oublié pendant un instant lorsqu’il avait touché ses cheveux et l’avait embrassée sur les lèvres. Cependant, elle hocha la tête avec obéissance et s’exécuta.

Ménélas parut embarrassé. Puis, à sa grande surprise, il s’écarta d’elle et se dirigea vers le coffre situé à côté du lit. Il s’empara du petit pot d’huile d’olive qui était posé dessus et en versa une généreuse quantité dans le creux de sa main. Puis il souleva sa tunique.

Hélène se dit qu’elle aurait dû détourner le regard, mais elle en fut incapable. Le membre de Ménélas était raide et large, et celui-ci l’huila de la main plusieurs fois.

Hélène avait déjà vu des hommes nus auparavant, naturellement, lorsque ceux-ci luttaient dans la palestre ou faisaient la course le long de la rivière. Elle avait observé leurs membres – aucun ne ressemblait à celui-ci – mais jamais d’aussi près. Cela l’effraya.

L’appréhension qu’elle avait éprouvée au creux de l’estomac tout au long de la soirée s’amplifia. Elle ne souhaitait pas que Ménélas s’approche davantage. Elle avait envie de se dissimuler sous les couvertures, d’appeler sa nourrice. Un faible gémissement s’échappa de sa gorge.

Il revint près du lit, puis se pencha vers elle. Les jambes d’Hélène étaient encore largement écartées, malgré son désir de les refermer. Elle se sentait vulnérable. Elle ferma les yeux, comme si elle pouvait se cacher derrière ses paupières. Elle sentit alors le contact d’un objet charnu contre son entrejambe. Un doigt, pensa-t-elle. Non, cela était plus large qu’un doigt. Et cela la pénétra. Cette sensation d’intrusion soudaine lui arracha un cri de surprise. Il s’agissait d’un élément étranger, qu’elle rejetait. Et large, trop large, fouillant son corps. Elle avait envie que cela cesse. Il la blessait. Elle ouvrit les yeux, tendit sa petite main vers la poitrine de Ménélas, tentant de le repousser. Alors cela s’arrêta. Ménélas se redressa lentement et s’écarta d’elle, évitant son regard. Elle referma les jambes et roula de côté. Elle ramena les genoux vers sa poitrine et se mit à sangloter.

— Je suis désolé si je t’ai fait souffrir, ma dame, dit Ménélas d’un air inquiet. Mais cela est terminé, maintenant. Tu n’es plus une jeune fille, mais une femme-épouse, de nom et de corps.

Elle releva légèrement la tête.

— Vraiment ?

Mais il s’était déjà éloigné. Il se tenait de nouveau debout près du coffre, essuyant l’huile de son corps avec une pièce de tissu. Lorsqu’il revint vers elle, elle se détendit légèrement.

— Je ne viendrai plus en toi, murmura-t-il par-dessus son épaule. Pas avant que tu ne sois pleinement développée et prête à porter des enfants.

Sa voix lui sembla étrange, mais elle ne pouvait voir son expression. Cependant, même si elle était soulagée, elle eut de nouveau le sentiment que quelque chose lui échappait.

Lorsqu’il se tourna finalement vers elle, il ne souriait pas, mais n’avait pas non plus l’air contrarié. Il ouvrit la bouche comme pour parler, mais la referma avant d’avoir prononcé un mot. Au lieu de cela, il s’assit lourdement au bord du lit et se mit à délacer ses bottes.

Au-delà de sa tête inclinée, Hélène aperçut la pièce de tissu avec laquelle il s’était essuyé. Et là, sur le coton clair, sous la lumière des lampes à huile, elle vit une traînée de sang. Son sang. Cette vision la fit se sentir mal à l’aise. Cela lui rappela son premier « saignement féminin », comme l’avait appelé Thèkle. Ce n’était pas le premier, et ne serait pas le dernier de ces saignements qui représentaient le coût de la féminité.

Brusquement, un sentiment de crainte l’envahit. L’aiguillon de la douleur qu’elle avait ressentie quelques instants auparavant s’intensifia, sous la forme d’une absence obsédante qui gagna tout son corps. Elle avait le sentiment d’avoir perdu quelque chose qu’elle ne retrouverait jamais…

Ménélas s’était relevé et ôtait le reste de ses vêtements. Elle détourna le regard et repéra sa robe safran abandonnée sur le sol. Elle se leva aussi légèrement que possible, s’efforçant de ne pas paraître désespérée lorsqu’elle la remit, désireuse de couvrir sa nudité. Alors qu’elle se trouvait au milieu de la chambre, elle serra ses bras autour d’elle, frissonnant, et s’aperçut que Ménélas s’était allongé sous les draps. Son visage était tourné de l’autre côté, et sa respiration était paisible.

Elle hésita. Elle savait qu’elle devait revenir dans le lit. Et pourtant, elle était comme enracinée au sol, pleine d’appréhension, et son cœur cognait sourdement dans sa poitrine.

Elle pouvait partir. Elle pouvait sortir dans le couloir et s’accrocher aux genoux de Thèkle, la prier de la ramener dans le Vieux Palais, dans son ancienne chambre, la sienne et celle de Nestre, la chambre de son enfance. Elle ne voulait pas dormir ici, avec cet homme étranger.

Elle tenta de percevoir les bruits à l’extérieur de la chambre. Tout était silencieux. Thèkle était peut-être partie. L’homme aux cheveux bruns pouvait se trouver devant la porte. Elle avait sans doute été de nouveau enfermée. Elle se sentit affreusement seule.

Tandis qu’elle se tenait là, debout, les barrières qu’elle avait érigées jusque-là commencèrent à s’effriter. Ses yeux se remplirent de larmes. Elle se mit à gémir, puis entendit un bruit dans le lit. Elle se tourna dans sa direction et vit Ménélas assis, qui la regardait. Il ouvrit la bouche, parut hésiter, et resta silencieux.

— Éteins les lampes lorsque tu viendras te coucher, finit-il cependant par dire avant de s’allonger de nouveau.

Hélène obéit, tout en reniflant. Lorsque la pièce fut plongée dans le noir, elle avança à tâtons vers le lit et se glissa sous les draps, s’efforçant d’occuper le moins d’espace possible, afin de ne pas être en contact avec son époux. Elle resta allongée sur le dos et des larmes silencieuses coulèrent dans ses oreilles. Lorsque la respiration de Ménélas ralentit, et qu’il se mit à ronfler, elle se demanda pourquoi elle avait été si impatiente de devenir une femme. N’était-ce pas stupide ? Le statut de femme était étrange, douloureux et humiliant – sans possibilité de retour en arrière.