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Hélène

Pâris et ses compagnons demeurèrent les hôtes de Ménélas durant les cinq journées qui suivirent. Ils discutaient parfois de questions politiques, mais la plupart du temps, buvaient et festoyaient.

Chaque soir, Hélène était présente dans la Salle du foyer, et chaque soir, elle sentait les yeux du prince se poser sur elle. Ce n’était plus elle qui l’observait, mais elle qui était observée, et si elle se montra timide au début, détournant les yeux lorsque son regard croisait le sien, elle constata qu’elle appréciait d’être l’objet de son attention. Elle portait ses plus belles tenues au cours de ces soirées, dévoilant son corps autant qu’elle se le permettait, guettant son regard sur sa peau exposée, ce qui provoquait chez elle un frisson d’excitation. Cela faisait si longtemps qu’elle ne s’était pas sentie désirée, ne serait-ce que remarquée… Si longtemps qu’un homme ne l’avait pas regardée de cette manière. Son époux ne le faisait jamais, contrairement à autrefois, et aucun autre homme n’osait le faire. Mais Pâris était différent. Il était audacieux. Même lorsqu’elle le surprenait à la contempler, il ne détournait pas le regard, mais plongeait un certain temps ses yeux dans les siens. À une occasion, leurs regards se croisèrent et Pâris s’empara d’un morceau de figue dans son assiette, le porta à ses lèvres et se mit à en sucer la chair sucrée, le jus rougeâtre du fruit faisant briller ses lèvres. Elle rougit et se détourna, observant furtivement autour d’elle pour voir si personne n’avait rien remarqué. Mais lorsqu’elle entama une conversation superficielle avec son voisin pour penser à autre chose, elle sourit intérieurement, sentant son regard toujours sur elle, réchauffant sa peau comme si ces yeux dorés étaient l’astre solaire lui-même.

Le sixième jour, elle tissait dans sa chambre, se demandant quelle robe elle allait porter le soir même, lorsque Ménélas entra pour lui parler.

— Je dois m’absenter, Hélène, lui annonça-t-il brutalement, en se tenant à quelques pas du métier à tisser. Des nouvelles viennent juste d’arriver de Crète. Mon grand-père Katreus vient de mourir. Je dois aller m’occuper des rites funéraires…

— Oui, bien sûr, je comprends, répondit-elle, prenant le temps d’assimiler ce qu’il venait de dire. Dois-tu partir immédiatement ?

— J’en ai bien peur, répondit-il. Cela tombe mal, car nous recevons des hôtes, mais je n’ai pas le choix. Je suis certain qu’ils comprendront, mais c’est pour cette raison que je souhaitais te parler. J’aimerais que tu t’occupes d’eux en mon absence. Veille à ce que l’on réponde à tous leurs besoins durant le reste de leur séjour, et assure-toi qu’ils reçoivent des présents convenables au moment de leur départ, si je ne suis pas encore de retour. Je te confie cette tâche afin que tu me représentes ainsi que Sparte, conclut-il avec solennité.

Hélène hocha la tête avec gravité, mais elle se sentait étrangement partagée. Elle était heureuse et surprise de constater la confiance dont son époux faisait preuve envers elle, mais elle éprouvait également une certaine nervosité.

— Je ferai mon devoir, mon cher époux, assura-t-elle d’une voix douce, avant de se sentir de nouveau gagnée par l’appréhension. Quand rentres-tu ?

— Je devrais être absent environ une semaine, répondit-il avec un demi-sourire rassurant. Et tes frères sont là.

Sentant qu’il s’attendait à une confirmation de sa part, Hélène sourit et hocha la tête, refoulant son sentiment d’anxiété.

— Tout ira bien. Ne t’inquiète pas pour tes hôtes. Que les dieux te protègent au cours de ton voyage…

— Merci, Hélène. Il me faut partir immédiatement.

Et, la saluant brièvement d’un hochement de tête, il fit demi-tour et quitta la chambre.

Dès qu’il eut refermé la porte, le sentiment d’appréhension qui lui serrait la poitrine s’amplifia. Ménélas partait. Sa présence avait constitué un garde-fou, au cours des jours précédents, lorsque Pâris l’observait de loin. Le prince tentait de la séduire, et peut-être l’y avait-elle encouragé, mais la présence de son époux lui avait permis de se sentir en sécurité, de sentir qu’elle gardait le contrôle. Tant qu’elle était auprès de lui, il ne s’agissait que de séduction, et rien d’autre ne pouvait se produire. Mais elle avait maintenant l’impression d’être livrée à elle-même, et le sentiment de liberté qu’elle éprouvait à cet instant était à la fois enivrant et terrifiant.