Conclusion
Il est impressionnant de constater qu’il est possible de résumer tant d’années d’une vie en quelques pages. Et chacune de ces pages me rappelle finalement de bons souvenirs. Souvent même d’excellents souvenirs. J’ai eu, et j’ai encore, une belle vie, tant sur le plan professionnel que familial.
Durant ma carrière, je me rends maintenant compte que j’ai toujours fait ce que j’ai souhaité. Mais en bout de piste, qu’ai-je appris?
À mon sens, cela tient en quelques mots. D’abord, tous les chefs d’entreprises doivent se soucier de leurs employés. Ils sont la force de toute compagnie. Ils sont toujours en première ligne. Ce sont elles et eux qui, dans les magasins, accueillent et servent les clients avec le sourire et répondent avec compétence à leurs besoins.
Partout où je suis passé, j’ai été attentif à ce que les travailleurs disaient. Je suis allé les rencontrer aussi souvent que possible et cet effort sur le terrain, qui permet de leur montrer que vous les respectez, est primordial. Les employés savent, parfois bien avant les patrons, ce qui cloche dans une entreprise. Mieux encore, ils savent dans bien des cas comment remédier aux divers problèmes.
J’ai aussi appris qu’il faut oser l’entrepreneuriat. Trop longtemps, les Québécois sont demeurés hors du coup. Après les Bombardier, les Beaudoin, les Simard, les Dutil, les Lemaire, les Coutu, les Péladeau, les Marcoux et les Verreault de ce monde, le Québec a connu une période creuse. Comme si on avait épuisé l’esprit d’entreprise. Le goût du risque semblait avoir disparu. Plusieurs ne cherchaient qu’une sécurité d’emploi (parfois illusoire), laissant à d’autres les joies et les récompenses de l’entrepreneuriat. En 50 ans de carrière, j’ai travaillé 30 ans pour de grandes compagnies et 20 ans à mon compte. Et rien au sein de celles-ci, excepté peut-être à la Société des alcools du Québec, ne m’a donné autant de satisfaction que de réaliser des choses et réussir pour moi-même. J’ai créé ma propre sécurité d’emploi et j’ai ainsi cessé de dépendre du succès des autres.
Il y a évidemment toujours un risque à devenir entrepreneur, à se lancer dans l’aventure. Mais ces risques peuvent être calculés et, en bout de ligne, vous apporter des récompenses que vous ne trouverez jamais à travailler pour les autres. S’il y a une chose que j’ai apprise dans l’expérience de Dans l’oeil du dragon, c’est que les québécois sont ingénieux, imaginatifs et créateurs. Ils ont d’excellentes idées. Cependant, plusieurs ne savent pas compter. C’est tout ce qui manque. Si vous avez un projet qui vous tient à coeur et que vous croyez valable, foncez ! Faites un plan d’affaires, discutez-en avec vos proches et obtenez leur appui. N’hésitez pas à en parler à un banquier et à lui montrer vos plans. Bon, il vous dira probablement « Non ! », mais il saura vous diriger vers des firmes spécialisées en capital de risque. Le jeu en vaut la chandelle.
Il y a eu une autre conséquence à cette populaire production télévisuelle qu’est Dans l’oeil du dragon. En effet, en quelques mois, des entrepreneurs sont devenus des vedettes. D’accord, le mot est un peu fort et aucun de nous n’a la notoriété d’une Céline Dion. Néanmoins, il y a des centaines de milliers de personnes qui savent davantage qui sont les Lambert, Legault, Henkel, Vachon ou Frigon. Encore aujourd’hui, il ne se passe pas une journée sans que l’on me parle de telle ou telle émission. Je reçois régulièrement des courriels de personnes qui souhaitent m’intéresser à leur projet, à leur compagnie. Je sens une relance de cette fibre entrepreneu - riale, comme si cette production avait été une vitrine montrant qu’il était possible de créer, de réaliser son rêve, d’intéresser des gens d’affaires à son projet et que chacun avait le droit de réussir. Voilà aussi pourquoi je suis très heureux que les producteurs aient décidé d’y aller pour une deuxième saison en 2013.
Il y a encore une chose que la vie professionnelle m’a apprise. Les ententes entre deux personnes ou deux groupes devraient toujours faire deux gagnants. C’est la seule façon d’assurer que tout fonctionne. Même s’il vous faut parfois laisser aller des choses, même s’il vous faut faire quelques concessions, une entente gagnant-gagnant est toujours préférable. Dites-vous d’ailleurs que si vous abdiquez sur certains points, votre vis-à-vis en fera autant. Comme dans un couple, il est souvent préférable de mettre un peu d’eau dans son vin pour atteindre un objectif qui est beaucoup plus important.
Et, au-delà de tout cela, il faut être passionné par ce que vous faites. C’est vrai dans les affaires, mais je crois que c’est également vrai quel que soit l’emploi que vous occupez ou le loisir qui vous intéresse. Moi, j’ai toujours manoeuvré pour aimer mon travail.
Ensuite, c’est une question de pif et de confiance en vous. D’ailleurs, je m’étais un jour amusé à établir quels devraient être les 10 commandements d’un entrepreneur. Il n’y a peut-être là rien de nouveau, mais ce sont des lignes qui m’ont continuellement guidé dans mes choix et mes décisions de gestionnaire. Je vous les laisse en espérant qu’ils pourront, un jour ou l’autre, vous être utiles:
1. Il faut aller au bâton quand la situation l’exige. Ceux qui n’y vont pas ne sont jamais retirés sur trois prises, mais ils ne frappent jamais de circuits non plus.
2. Il ne faut jamais remettre un problème au lendemain en espérant qu’il se résoudra de lui-même.
3. Il faut avoir un plan B en réserve, au cas où le plan original ne fonctionne pas.
4. Il faut être capable de réfléchir une heure par jour à long terme, en oubliant les problèmes quotidiens ou à court terme.
5. Il faut savoir s’entourer de gens compétents qui sont assez forts pour prendre votre place en tout temps.
6. Si vous réalisez que vous faites fausse route, ne vous entêtez pas, admettez votre erreur et recommencez.
7. Chacune de vos actions doit s’inscrire dans un contexte à long terme; toute solution à court terme sera futile si elle crée un autre problème à long terme.
8. Apprenez à vivre avec vos décisions et à en tirer le meilleur parti.
9. Votre « pif » est votre meilleur allié. Si vous devez décider entre ce que votre pif vous dit de faire et ce qu’une étude vous propose, allez-y avec votre pif.
10. Traitez vos employés avec respect et dignité; ils seront vos meilleurs alliés.
* * *
Si ma vie professionnelle est bien remplie et m’a apporté énormément de satisfaction, je le dois à certaines personnes qui m’ont soutenu au cours de ma carrière. Je tiens d’ailleurs à souligner l’apport d’un Jean-Claude Messier, d’un André Bérard, d’un Rémi Marcoux, d’un Denis Chaurette, d’un Bernard Landry et, à titre posthume, d’un Pierre Croteau à mes succès. Je ne serais certes pas non plus où je suis sans le soutien d’un Jean-Claude Gagnon et d’un Marcel Croux, qui ont toujours été présents lorsque la situation l’exigeait.
Je peux dire la même chose de ma vie personnelle. D’abord, j’ai pu voyager et j’ai toujours adoré cela. Hélène et moi avons visité pratiquement toute la planète. J’ai vu des choses extraordinaires et j’ai rencontré des gens fabuleux. Et il me reste des coins à découvrir que j’entends bien visiter dans les prochaines années.
Il y a un petit coin privé de ma vie qui me fait énormément de bien : ma famille. Hélène est une compagne fantastique. Je ne sais pas si on peut écrire une telle chose, mais je dirais que nous sommes complémentaires. Elle a des qualités et des forces que je n’ai pas et j’ai (du moins je l’espère) d’autres qualités ou d’autres forces qui font qu’ensemble, nous pouvons faire face à toutes les situations. Bien entendu, nous partageons aussi une même vision de la vie et des affaires. S’entendre sur les valeurs communes est la base sur laquelle on peut bâtir le reste. Ensuite, c’est dans le choix des moyens pour atteindre nos buts que nos différences se complètent. Et c’est extraordinaire.
J’ai aussi deux enfants, Marie-Claude et Michel, qui sont géniaux. Je suis très fier d’eux et je les aime. Je considère comme un privilège de pouvoir travailler avec mes enfants dans mon entreprise.
De plus, j’ai trois petits-enfants que j’adore. Je suis toujours heureux de les voir et je suis convaincu qu’ils savent que je serai toujours là s’ils en ont besoin. Marie-Claude a deux magnifiques filles, Virginie et Audrée. Michel a un beau grand bonhomme, Jean-Philippe. C’est d’ailleurs à eux que je dédie ce livre. Pour qu’ils sachent ce qu’a fait leur grand-père.
* * *
On m’a questionné, récemment, pour savoir s’il y a quelque chose dans ma vie que je n’ai pas fait et que j’aurais souhaité faire. La réponse est difficile parce qu’honnêtement, si j’avais à tout refaire, je recommencerais exactement de la même manière. Il y a néanmoins deux petites choses dont j’ai toujours rêvé et que je n’ai jamais eu l’occasion de tenter : piloter un avion et sauter en parachute. J’y songe encore parfois et il n’est assurément pas trop tard pour m’y mettre. Tiens! Ce pourrait être mon prochain projet…
Parce qu’en réalité, c’est ça qui m’a continuellement fait avancer : les projets. J’ai constamment quelque chose en marche. Je suis encore à l’affût de ce qui se passe afin de dénicher une nouvelle idée ou un nouveau plan à mettre en oeuvre. Dans les livres de croissance personnelle, on parle souvent de la parade de la vie. On dit qu’il y a trois types de gens, ceux qui font la parade, ceux qui la regardent passer et ceux qui ne savent pas qu’il y a une parade. Pour reprendre cette histoire, je me suis toujours considéré comme celui qui était en avant de la parade. Celui qui la menait. C’est encore là que je suis et là que je veux continuer d’être.
Je sens mon esprit aussi vif et curieux que lorsque j’étais jeune, mais j’ai maintenant infiniment plus d’expérience pour faire face aux défis. J’ai inlassablement trouvé la vie belle et elle a encore tant à offrir. Parfois, je me dis que le jour où j’arrê terai de travailler et de préparer des plans, c’est que je serai mort. Or, je n’en suis pas là. D’ailleurs, la prochaine année du Dragon aura lieu en 2024 et je compte bien en profi ter pour démarrer un nouveau projet… Parce que finalement, peut-être suis-je vraiment…
… Gaétan Frigon, né Dragon!