INTRODUCTION

En dépit de certaines apparences, l’immigration ne constitue pas le principal sujet de cet ouvrage. Ce dont il est essentiellement question, c’est la crise interne à la nation française, une crise tout à la fois politique et morale, une crise de notre projet républicain aussi bien que de notre identité collective.

Qu’en sera-t-il demain de la France ? Cette interrogation banale nous obsède toujours davantage. Elle a de longue date envahi les conversations. Elle accroît son emprise sur les œuvres de l’esprit. Présente à l’état latent comme arrière-fond, un rien suffit à la jeter soudain en pleine lumière. Quoiqu’elle se déploie sur tous les tons, du plus détaché au plus grave, elle nous parvient ordinairement d’une voix angoissée dont la colère semble s’épuiser dans le sentiment d’une irréductible impuissance. « Où allons-nous ? » signifie alors : « Où descendons-nous ? »

Cette dépression collective a de quoi étonner. Notre pays se range parmi les premières puissances du monde. Dans d’innombrables domaines, il se distingue par son dynamisme et son inventivité. La richesse de sa culture et la beauté de ses paysages recueillent une adhésion générale. Ses valeurs sont universellement admirées. Tout pourrait par conséquent nous sourire. Et pourtant, d’abord imperceptiblement, puis lentement, très lentement, on dirait presque paisiblement, un profond malaise s’est répandu dans nos consciences, jusqu’à devenir l’une des caractéristiques de notre peuple.

L’élection d’un jeune président nimbé d’enthousiasme, obtenue à la barbe des partis installés, nous a certes tirés de la pesante atmosphère dans laquelle s’achevait le quinquennat précédent. L’attente le dispute désormais à la résignation. Il serait cependant naïf de croire que le malaise national s’est résorbé.

La variété de ses symptômes permet de l’appréhender sous de multiples angles, de l’éducation aux institutions en passant par l’économie. Le point de départ, ici, sera la question de l’immigration. Pourquoi ce choix, demandera-t-on, alors que tant d’autres défis nous requièrent ? Cela ne reviendrait-il pas à suggérer que l’immigration domine tout, voire que tout s’y résume ?

Telle n’est absolument pas la thèse défendue au long de ces pages. Si l’immigration forme la pierre d’angle du raisonnement, ce n’est pas pour lui prêter un rôle causal, ni même pour lui donner la primauté parmi les enjeux contemporains, mais parce qu’elle nous tend un formidable miroir. Quand on l’envisage dans toutes ses implications, on voit paraître la France telle qu’elle vit et se pense aujourd’hui. C’est comme une bobine que l’on déroule. Les politiques qui ont accompagné l’évolution des flux migratoires et les discours qui ont prétendu en rendre compte, les actes et les passivités, les mots et les silences, en somme notre rapport à l’immigration dans son ensemble, illustrent à la perfection la crise où s’est enferré notre pays – et à un degré moindre notre continent, en tout cas sa partie occidentale, le cœur historique de l’Union européenne.

À cela s’ajoute un élément conjoncturel. Notre approche de l’immigration est brouillée par les réactions passionnelles qu’elle suscite et les exploitations politiciennes auxquelles elle donne lieu, tandis que son caractère hautement sensible exigerait qu’elle ne soit traitée qu’avec retenue. C’est ainsi faire œuvre utile que de l’examiner sereinement, dans un double souci de rigueur et de bienveillance, en s’efforçant de se mettre à la place des uns et des autres afin de rendre justice à chacun.

Au demeurant, la motivation de cet ouvrage est civique autant qu’intellectuelle. Son but est de contribuer à la réflexion sur les moyens de surmonter nos difficultés présentes. L’analyse y est donc tout entière tournée vers l’action : elle se veut une tentative de comprendre ce qui est, mais aussi, et plus encore, un appel à déterminer ce qui sera.