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Un an et demi plus tard…

Knox installa la valise griffée d’Elsa au pied du lit du Bed & Breakfast de Good Riddance. Malgré ses nombreux séjours dans cette ville, c’était la première fois qu’il pénétrait à l’intérieur de cette pension, située au premier étage d’un bel immeuble du centre-ville. Comme le reste de la ville, elle paraissait accueillante et donnait l’impression d’un endroit hors du temps.

Quatre ou cinq chambres se partageaient une salle de bains située au bout du couloir. Les murs et le sol étaient tout de bois. Aux fenêtres étaient suspendus des rideaux de dentelle, tandis qu’un tapis tressé recouvrait une partie du parquet et qu’une couverture faite main était jetée sur un lit au cadre en fer peint en blanc. Une bassine et un broc étaient posés sur un meuble ancien, surmonté d’un miroir ovale. Un petit sapin de Noël artificiel avait été installé dans un coin de la pièce, avec ses guirlandes lumineuses multicolores et ses décorations de bois. Bull Swenson était un excellent sculpteur sur bois. C’était certainement lui qui avait réalisé ces petits sujets, songea Knox.

Mormor les aurait adorés.

A cette évocation, Knox sourit. Cela ne faisait que six mois qu’il pouvait penser à Mormor sans se sentir accablé de chagrin.

Dehors, en cette mi-journée de décembre, la nuit était déjà en train de tomber. Malgré cela, les rues n’étaient pas éclairées, ce qui accentuait encore l’impression d’avoir fait un grand bond en arrière dans le temps en arrivant dans cette ville. Cela faisait quelques années déjà que les habitants de Good Riddance s’étaient exprimés en faveur de la suppression de l’éclairage public. Malgré l’obscurité grandissante, les préparations pour la fête de Chrismoose continuaient dans la plus grande effervescence. Les aboiements des chiens, les rires des enfants, les bruits des motoneiges, des bribes de conversation et des éclats de rires se mêlaient et s’élevaient dans la nuit. L’agitation et l’excitation emplissaient l’air et Knox se sentit d’un coup comme chez lui. Il fallait dire que Good Riddance était au fil du temps devenu un peu comme sa deuxième maison, surtout pendant la fête de Chrismoose.

Pour cette petite ville perdue, cette fête était devenue une attraction d’envergure régionale. Autrefois, un vieil original vivant en ermite — un certain Chris — avait pris l’habitude de venir en ville avec son renne apprivoisé quelques jours avant Noël. Déguisé en Père Noël, il distribuait aux enfants de la ville des jouets qu’il avait lui-même sculptés et fabriqués durant l’année. Après la mort de Chris, Merrilee, fondatrice et mairesse de la ville, avait poursuivi la tradition en son honneur. Durant une semaine, tous les ans, avaient lieu jeux et compétitions, tandis que se tenait une grande exposition abritant tous les artistes et artisans locaux, ainsi que l’élection de Miss Chrismoose.

Pour Knox, être là ce jour revêtait une saveur douce-amère. Depuis ses douze ans, il avait assisté chaque année avec Mormor à la fête de Chrismoose, en compagnie de Trudie et de ses parents. C’était devenu la tradition.

Les deux familles en profitaient toujours pour pêcher sous la glace et faire des randonnées à ski. La fête de Chrismoose était sans doute le moment de l’année qu’il attendait avec le plus d’impatience. Même adulte, il n’avait pas renoncé à ce plaisir, et Trudie et sa famille non plus.

Trudie… Il évitait de penser à elle. C’était bien mieux ainsi, d’ailleurs.

Cela faisait deux ans qu’il n’était pas venu à Good Riddance pour Chrismoose. L’année précédente, Elsa et lui étaient allés skier à Alyeska la semaine avant Noël… Enfin, il avait skié, pendant qu’Elsa avait passé tout son temps au spa. Elle avait dit qu’il était temps d’instaurer une nouvelle tradition, un peu plus sophistiquée et haut de gamme.

Il y avait eu un autre changement dans la tradition. Il n’avait jamais raconté à Elsa l’habitude prise avec Trudie depuis qu’ils étaient enfants, et qu’ils avaient suivie jusqu’à la mort de Mormor. Au lieu de le faire le jour de Noël, ils s’échangeaient des cadeaux pendant les douze jours précédant Noël. Enfants, ils s’offraient des dessins illustrant leur chant de Noël favori. En grandissant, ils étaient passés à un petit cadeau par jour. Mais il n’y avait pas eu de cadeau l’année précédente. Et, dès que la chanson passait à la radio, il s’était empressé de changer de station.

C’était ironique qu’Elsa ait décrété que Chrismoose était ringard et provincial. Quand elle le lui avait fait remarquer, il s’était presque rangé à son avis. Mais cette année, ils y assistaient, et Elsa en tant qu’« officielle ». Depuis son adolescence, elle côtoyait l’univers des concours de beauté et, en tant qu’ancienne Reine des Neiges d’Anchorage, elle devait faire partie du jury de Miss Chrismoose.

Knox avait accepté de l’accompagner uniquement pour lui rendre service. Il lui avait annoncé que tout était terminé entre eux, mais elle lui avait demandé d’être encore son « fiancé » pour la semaine. Il ne voyait pas trop pourquoi cela posait problème que Miss Reine des Neiges se promène sans escorte mais, comme elle lui avait demandé cette faveur comme cadeau de départ, ils étaient venus ostensiblement « ensemble ».

Mais, s’il avait accepté de venir à Good Riddance, c’était surtout dans l’espoir de croiser Trudie « par hasard ». Elle lui manquait, avec son sourire plein de chaleur, son goût pour l’aventure, sa perspicacité. Mais cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas donné signe de vie que l’appeler aurait semblé déplacé. Mais la croiser à la fête de Chrismoose serait inévitable.

— Merci, tu es un chou, dit Elsa en effleurant sa joue plutôt qu’en l’embrassant pour de bon, tout ceci afin de ne pas abîmer son rouge à lèvres.

Elle exécuta un tour sur elle-même, faisant danser sa robe bordée de fourrure blanche.

— Comment tu me trouves ?

Ses cheveux blonds semblaient ramassés très naturellement au sommet de sa tête et retombaient en une cascade de boucles. Toutefois, Knox, qui avait assisté à tous les préparatifs, savait combien d’efforts avaient été nécessaires pour aboutir à ce résultat. Le style naturel était une illusion construite avec application. En fait, rien n’avait été laissé au hasard, et surtout pas le choix de cet ensemble bordé de fourrure blanche — avec bottes mukluk assorties — rehaussé de broderies en perles transparentes, qui faisait ressortir le lumineux teint de porcelaine d’Elsa.

— Tu es magnifique.

Et c’était la vérité. Il était constamment frappé par sa beauté. Malheureusement, elle n’était qu’extérieure.

— On ne pourrait pas imaginer plus belle Reine des Neiges.

Elle sourit, révélant ses dents parfaitement alignées et resplendissantes de blancheur.

— Oh ! comme c’est gentil.

Non. Knox n’était pas particulièrement gentil, mais il savait à présent comment s’y prendre avec Elsa. Et, assez curieusement, la pratique de son métier l’y avait aidé. Il la traitait avec le même soin, la même déférence et la même attention qu’il aurait prodigués à une jument pur-sang.

— Il faut que j’y aille, le devoir m’appelle.

— Amuse-toi bien, dit-il alors qu’elle se dirigeait déjà vers la porte.

Elsa prenait ses obligations d’invitée officielle très au sérieux. Elle était logée au Bed & Breakfast, tandis que Knox avait décidé de retourner au chalet où il séjournait toujours avec Mormor. Les frères Knudson, qui étaient les fils d’amis de Mormor, possédaient un petit chalet, très rudimentaire, où ils venaient l’été pour pêcher et chasser, et qu’ils avaient toujours laissé à disposition de Knox et de sa grand-mère. Trudie et ses parents logeaient dans un chalet en tout point similaire, distant de moins de deux kilomètres.

Evidemment, l’endroit serait empli de souvenirs de ses séjours avec Mormor et des allées et venues de Trudie et de sa famille. Il n’avait pas proposé à Elsa de partager le chalet avec lui. En tant que « VIP », elle devait être accessible, c’est-à-dire en ville, au Bed & Breakfast. C’était logique. Et c’était aussi bien. Même si la présence d’Elsa l’aurait empêché de trop penser à sa grand-mère, il ne serait pas forcé de l’entendre se plaindre à tout bout de champ de l’inconfort de l’endroit. Ce n’était qu’une cabane de pêche et de chasse, après tout.

Knox la laissa prendre quelques minutes d’avance, avant de redescendre, en compagnie de Jessup. Dans le couloir du rez-de-chaussée, il passa devant le bureau de Merrilee Danville Weatherspoon Swenson, maire de la ville. Elle était absente au moment de leur arrivée, mais cette fois elle était bien là, et elle se leva dès qu’elle l’aperçut.

— Knox Whitaker ! Jessup ! Quel plaisir de vous revoir tous les deux.

Elle serra Knox dans ses bras et tapota affectueusement la tête de Jessup, qui en frétilla de joie.

— Bonjour, Merrilee. Moi aussi, je suis très heureux de te revoir.

Adolescent, il avait eu pour Merrilee un petit béguin, qui avait duré à peu près une saison. Même si elle devait aujourd’hui approcher la soixantaine, c’était toujours une très belle femme aux yeux bleus pétillants, au sourire facile et à la chaleur communicative.

Il l’avait toujours admirée. Elle avait tout de même fondé la ville de Good Riddance trente ans plus tôt et en avait fait le petit havre de paix qu’elle était à présent devenue. La devise de la ville, qu’elle avait elle-même trouvée et qu’elle récitait à tous les nouveaux arrivants en guise d’accueil, était la suivante : « Bienvenue à Good Riddance, où l’on se débarrasse de tout ce qui tracasse. »

Beaucoup de choses tracassaient Knox, et depuis si longtemps qu’il n’était pas certain que Good Riddance puisse faire quoi que ce soit pour lui. D’ailleurs, pour cela, il faudrait d’abord qu’il soit capable d’identifier clairement ce qui n’allait pas. Comment guérir quelqu’un d’un mal non diagnostiqué ?

— Je suis vraiment désolée pour ta grand-mère. C’était quelqu’un de bien.

— C’était quelqu’un de fabuleux, renchérit-il.

Cela faisait presque deux ans maintenant, et parfois il oubliait encore qu’elle n’était plus là.

— En tout cas, je suis heureuse de te revoir parmi nous. Tu nous as manqué l’année dernière, même si je comprends bien que venir aurait été trop douloureux pour toi.

En guise de réponse, Knox se contenta d’un grave mais rapide hochement de tête.

— Un café ? demanda-t-elle. Noir, sans sucre ?

— Tu n’as pas oublié.

— Bien sûr que non. Je ne suis pas encore tout à fait sénile.

Elle rit, et lui avec elle. Elle était tout sauf sénile.

— Tiens.

— Merci, répondit-il en prenant la tasse qu’elle lui tendait.

— Et comment va Trudie ?

Et maintenant, la question à deux cent mille dollars…

— Euh… Ça fait longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles de Trudie.

Il ne l’avait jamais rappelée. Et le seul fait de prononcer son prénom à voix haute le mettait mal à l’aise.

Ils ne s’étaient pas parlé, n’avaient pas échangé de SMS ni de mails depuis cette dernière balade au coucher du soleil. Elle l’avait accusé d’être devenu un étranger, mais c’était elle qui avait changé. Elle s’était montrée critique envers lui, envers Elsa, et elle n’avait pas eu l’air de vouloir le comprendre, alors que, étant sa meilleure amie, elle aurait dû.

Il s’était senti si perdu, si seul à la mort de Mormor… Et Elsa avait été là pour remplir le vide qu’il ressentait en lui.

Trudie avait toujours eu un problème avec Elsa, et ne s’était pas rendu compte de ce besoin qu’avait comblé Elsa. Certes, Elsa ne voulait pas qu’il appelle Trudie, mais Trudie savait où le trouver. Et jamais elle n’avait fait cette démarche. Lui non plus. Les choses avaient sans doute été plus simples ainsi.

— Hmm, fit Merrilee, le regard perplexe.

Knox balaya la question qu’il lisait dans ses yeux.

— Les choses changent, dit-il, avant de promener le regard autour de lui. Par exemple, il y a plus de photos accrochées au mur que la dernière fois que je suis venu.

Au mur étaient fixées des photographies témoignant de l’histoire de Good Riddance et de ses habitants.

— Pourtant, l’odeur est la même, et l’endroit reste toujours aussi accueillant. Mais il y a eu des changements.

De la tête, il désigna deux hommes en train de jouer aux échecs, assis un peu plus loin dans un petit salon. Il n’avait pas besoin de se montrer plus explicite. L’un des deux vieillards qui, depuis des années, faisaient littéralement partie des lieux était mort au même moment que Mormor. Un autre — cheveux gris et costume impeccable, ce qui était un peu incongru pour l’endroit — l’avait remplacé.

— C’est vrai, les choses changent. Pourtant, je m’attendais à ce que… Enfin, Trudie et toi avez toujours été tellement proches…

Elle secoua la tête, comme pour remettre un peu d’ordre dans ses idées.

— Quoi qu’il en soit, cela fait plaisir de te revoir. Nous sommes ravis que tu sois parmi nous. Et ton travail, ça va ?

— Je ne peux pas me plaindre. Je viens de prendre un associé.

Lorsqu’il avait rejoint le cabinet vétérinaire du Dr Mack Beasley, deux ans plus tôt, il savait que ce dernier avait l’intention de prendre rapidement sa retraite. Cela faisait un an et demi qu’il avait quitté ses fonctions, et Knox était depuis lors tellement débordé de travail qu’il pouvait à peine respirer. Il aurait eu toutes les peines du monde à se libérer pour Chrismoose s’il n’avait pas recruté Luke Farmington quelques mois auparavant. Enfin, il pouvait souffler un peu.

— C’est un garçon très gentil. Il a quitté Denver pour venir s’installer à Anchorage.

— C’est super. Tu aurais dû l’emmener à Chrismoose.

A la radio passa soudain Les Douze Jours de Noël.

Bon sang, leur chanson, à Trudie et à lui. Malheureusement, ici, il ne pouvait pas couper le son.

Il se força à sourire et essaya de se concentrer sur la conversation.

— Il fallait bien que quelqu’un reste au cabinet. Mais on dirait que les choses sont plutôt prospères ici aussi. J’ai remarqué quelques nouvelles constructions en arrivant.

Merrilee acquiesça et semblait sur le point de répondre lorsque quelque chose attira son regard. Comme si une alarme intérieure se déclenchait en lui, Knox sentit ses cheveux situés à l’arrière de sa tête se dresser.

— Eh bien, lança Merrilee, Trudie et toi allez avoir l’occasion de renouer. Elle vient juste d’entrer.

Il le savait avant qu’elle le lui dise. Il avait senti la présence de Trudie comme il l’avait toujours sentie. Et il sentait aussi son animosité. Elle lui en voulait encore.

Bien décidé à ne plus se dérober, cette fois, il se retourna.

Il eut l’impression de recevoir un coup de poing en pleine figure. C’était comme s’il la voyait pour la première fois. Bien sûr, il la reconnaissait. Mais l’avait-il jamais vraiment regardée ?

Le doux ovale de son visage, le contour sensuel de ses lèvres, la courbe de ses hanches… Et elle avait changé de coiffure.

Trudie Brown était une très belle femme.

*  *  *

Elle se doutait qu’il serait là puisqu’elle avait entendu dire qu’Elsa était invitée en sa qualité d’ancienne Reine des Neiges. Elle savait qu’elle le verrait. Elle pensait être prête. Elle pensait l’avoir oublié.

Ce n’était pas le cas.

Knox. Elle resta immobile, comme paralysée. Et cette chanson… Le voir, c’était comme rouvrir une ancienne blessure. Toute l’attente, tout le manque, toute la souffrance resurgirent d’un coup. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de le regarder pour bien s’imprégner de sa vue. Elle avait pleuré et fulminé et essayé si fort de l’oublier. Elle avait tenté de s’occuper, se lançant à corps perdu dans le travail, voyant sans cesse du monde, s’étourdissant de sorties. Mais cela n’avait pas empêché les nuits sans sommeil, passées à se languir sa présence, à regretter le son de sa voix, la chaleur de son sourire.

Plus d’une fois elle avait eu envie de l’appeler pour lui dire qu’elle l’aimait. Mais il n’avait pas cru bon de préserver leur amitié. Pourquoi aurait-il voulu savoir qu’elle l’aimait comme une femme aimait un homme ? Elle avait donc gardé son secret, ne le révélant pas même à ses meilleures amies.

Maintenant, il se tenait devant elle, du haut de son mètre quatre-vingts. Ses cheveux foncés étaient un peu plus longs. Il avait peut-être un peu maigri. Il y avait, autour de ses yeux, quelques rides qui n’étaient pas là avant. Il semblait fatigué, mais il restait magnifique.

Par réflexe, elle recula et appuya son bras contre le mur, car elle eut du mal à tenir debout. Jessup — et ses quarante kilos de tendresse — s’était rué sur elle, oubliant dans son enthousiasme les bonnes manières que son maître lui avait patiemment inculquées.

Il lui avait presque autant manqué que Knox.

— Jessup, assis ! ordonna Knox de son ton le plus sévère.

Le chien regarda son maître, mais la joie de revoir Trudie était la plus forte. Elle enfouit son visage dans la fourrure de son cou.

— Bonjour, mon toutou. Comment vas-tu depuis tout ce temps ?

Jessup lui lécha les mains et le cou comme pour lui dire qu’il se sentait bien mieux depuis qu’elle était là.

Trudie se redressa et, en souriant, s’avança de quelques pas, escortée de près par Jessup.

— Merrilee, salua-t-elle.

Aussitôt, Merrilee la serra chaleureusement dans ses bras.

— Je suis très heureuse de te revoir, Trudie. Comment vas-tu ?

— Très bien, merci, et toi ?

Comme c’était bizarre et perturbant de savoir Knox juste là, derrière elle. Il était assez curieux de penser que, bien qu’ils aient eu des vies étroitement liées — ils avaient notamment toujours fréquenté les mêmes amis et aimé les mêmes restaurants —, ils aient réussi à s’éviter pendant un an et demi. Trudie trouvait plutôt ironique qu’ils se retrouvent précisément dans une ville dont la devise était : « Bienvenue à Good Riddance, où l’on se débarrasse de tout ce qui tracasse. » Apparemment, elle faisait figure d’exception, car elle venait de retrouver ce qui la tracassait, ou, en tout cas, ce qui l’avait tracassée.

— Je n’ai pas à me plaindre, répondit Merrilee.

— Tant mieux.

C’est bon, dis-le, s’encouragea-t-elle. Vas-y, parle-lui.

Elle finit par se tourner vers lui. Mais elle essaya de ne pas le regarder. Il lui avait tant manqué qu’elle aurait eu toutes les peines du monde à ne pas le dévorer des yeux.

— Bonjour, Knox.

— Bonjour, Trudie.

Elle ne savait pas trop que faire et, visiblement, lui non plus. Ils avancèrent tous les deux l’un vers l’autre. Devait-elle le prendre dans ses bras ? Lui serrer la main ? Ni l’un ni l’autre ne semblait approprié. Elle recula, et Knox l’imita. C’était à la fois bizarre et merveilleux de le retrouver. Elle avait l’impression de ne pas l’avoir vu depuis une éternité.

— Ça fait longtemps, dit-elle.

Sans le vouloir, elle avait employé un ton légèrement réprobateur. Jessup, toujours planté à ses côtés, avait l’air d’en rajouter.

Merrilee regarda de Knox à Trudie plusieurs fois, avant de hocher la tête.

— Excusez-moi, j’ai quelques petites choses à vérifier, et je suis sûre que, depuis tout ce temps, vous avez une foule de choses à vous raconter.

Merrilee les avait bien coincés. Maintenant, ils étaient forcés de se parler.

— Alors, comment vas-tu, Trudie ? commença Knox. Bien, sans doute, car je te trouve resplendissante.

En entendant le ton de sa voix, et ses mots, elle ne put s’empêcher de frissonner. Combien de fois, durant l’année et demie écoulée, avait-elle espéré qu’il puisse la voir un jour comme une vraie femme ? En ce moment précis, elle avait presque l’impression d’avoir été exaucée.

— Merci. Je me suis fait couper les cheveux.

Elle avait toujours porté les cheveux longs. A présent, ils arrivaient un peu au-dessus de ses épaules, avec une frange. Le coiffeur avait dégradé quelques mèches, qui encadraient joliment son visage.

— J’aime bien.

Le regard qu’il lui adressa provoqua chez elle un subit embrasement.

Elle hocha la tête.

— Moi aussi.

Elle se sentit soudain très mal à l’aise, et elle avait de plus en plus chaud. Elle enleva son écharpe, mais cela ne servit à rien. Elle étouffait toujours autant.

— Toi aussi, tu as l’air en forme.

— Merci, répondit-il, avant d’enfouir les mains dans les poches de son jean et de se balancer d’un pied sur l’autre. Tu veux qu’on aille manger un morceau à côté ?

Elle hésita. Le mieux serait de répondre qu’elle avait à faire, et de décliner poliment son invitation, car il était venu avec Elsa. Le mieux serait de rester en dehors de son — ou plutôt de leur — chemin.

Mais elle s’en sentit incapable.

Quel mal y aurait-il à passer une petite demi-heure avec lui ?

Elle pensait s’être fabriqué une carapace assez solide pour le moment où elle le reverrait, mais apparemment il y avait une faille dans sa préparation. Elle mourait d’envie de savoir comment il allait, et ce qu’il avait fait de sa vie pendant tout ce temps.

Une demi-heure. Montre en main.

— Avec plaisir. Tu me connais, je n’ai jamais rien contre manger un morceau.

Elle insista bien sur ce point, pour ne pas qu’il se méprenne et pense qu’elle avait surtout envie de passer un moment en sa compagnie chez Gus, le restaurant juste à côté, comme au bon vieux temps.

Bien sûr, Gus était le grand point de rencontre de la ville, et, à Good Riddance, les nouvelles se propageaient comme des traînées de poudre. Elsa saurait que Trudie et Knox déjeunaient ensemble avant même qu’ils aient terminé de manger. Elle faillit demander si cela risquait de poser problème, avant de décider de s’abstenir.

Knox savait très bien comment les choses se passaient à Good Riddance. Mais il était grand, et si le fait qu’il déjeune avec elle dérangeait Elsa, cela ne la concernait pas.

Elle avait cessé de se préoccuper du sort de Knox le jour où il avait pris la décision de sortir de sa vie.