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L’estomac noué par cette impression de traverser un champ de mines, Jessica entra dans l’hôtel. Tout le monde se débarrassa de son manteau et se dirigea vers le bar. Plusieurs tables étaient déjà occupées, et une demi-douzaine de clients étaient assis au bar. La plupart suivaient un match de hockey sur le grand téléviseur accroché au mur. Le barman, qui ressemblait tellement à Roland Krause que Jessica aurait parié qu’ils étaient frères, essuyait des verres derrière le comptoir en acajou.

Une fois installés dans de grands fauteuils en cuir autour d’une table basse en chêne vernie, ils attendirent que la serveuse coiffée d’un chapeau de Père Noël et vêtue d’une tenue rouge et verte vienne prendre la commande.

— Joyeuses fêtes, tout le monde, demanda la jeune fille, tout sourire. Que puis-je vous servir ?

— Du scotch, dit Marc sans hésitation.

Il n’était plus question de chocolat chaud. Manifestement, cette réunion nécessitait une boisson plus stimulante.

Jessica contempla la neige qui tombait derrière les grandes baies vitrées.

— Tu n’es pas censé conduire ? demanda-t-elle.

— Oui. Mais comme nous sommes là pour quelques heures, répondit-il sur un ton accusateur en lorgnant vers Kelley, je peux me permettre de prendre un verre.

— Une vodka-Martini, annonça Kelley en sortant un épais agenda de son immense sac à main.

— Un Martini-gin, commanda la mère de Jessica sur un ton cassant.

Jessica n’était pas du tout surprise de constater que l’avis des deux femmes différait quant à la bonne association avec le Martini.

Jess commanda du vin blanc, et Eric, une bière. La serveuse se dirigea vers le bar et un silence pesant s’abattit sur le groupe. Jessica se racla la gorge et plaqua sur ses lèvres un sourire chaleureux, sans être certaine de son effet.

— Pourquoi ne pas commencer ? Plus vite ce sera fait et plus vite nous aurons terminé.

— Parfait, approuva Kelley en consultant son agenda. Tout d’abord, nous devons choisir un nombre approximatif d’invités afin que je puisse le transmettre au responsable de la restauration du Marble Falls Country Club, où nous avons réservé une salle. La plus petite peut contenir une centaine d’invités, et la plus grande, jusqu’à trois cents.

— La plus petite, proposa Jessica.

— La plus grande, intervint en même temps sa mère, l’air soucieux. L’idée d’organiser la réception dans un Country Club ne me plaît pas. Le Ritz-Carlton n’est qu’à une heure de voiture de Marble Falls et leur salle de réception est bien plus élégante. En plus, les invités pourraient dormir sur place.

Jessica se pressa les tempes dans l’espoir de dissiper la migraine qui menaçait de se déclarer.

— Maman, je n’ai pas trois cents personnes à inviter.

— Mais nous avons des dizaines de connaissances par le restaurant que nous devons inviter, ma chérie.

Carol lança un regard furtif vers Eric.

— Eric aussi, très certainement.

— Le Ritz-Carlton est hors de question, lança Kelley. C’est beaucoup trop loin, surtout en février. Le temps est trop imprévisible. Si une mauvaise tempête de neige arrive, nous n’aurons plus nulle part où aller.

— C’est pourquoi nous fixerons une date en juin, expliqua Carol d’un air buté.

Kelley balaya l’idée d’un geste de la main.

— Le mois de juin est totalement surfait pour les mariages. Mai est le mois parfait…

— Arrêtez, l’interrompit Jessica en levant la main. Je ne veux pas attendre le mois de mai ou de juin pour me marier.

Elle se tourna vers Eric.

— Et toi ?

— J’ai déjà du mal à attendre demain.

Jessica faillit s’effondrer de soulagement en entendant sa réponse. Parfois, elle craignait vraiment que toutes ces histoires le fatiguent, et qu’il se lasse. Et cette seule pensée l’emplissait de tristesse.

Eric se tourna vers sa sœur.

— Le mariage aura lieu comme Jess et moi l’avons prévu, en février.

— Mais le temps… protesta Kelley.

— En février, répéta Eric.

La serveuse revint avec leurs boissons et, tandis qu’Eric signait la note, Jess but avec bonheur une gorgée de vin. Ces quelques minutes d’échange laissaient supposer que la réunion risquait de durer très longtemps.

— Quelle est la prochaine question sur ta liste ? demanda Eric à Kelley.

— Nous n’avons pas encore décidé de la taille de la salle.

— La plus grande, décida la mère de Jessica.

La migraine de Jessica empira.

— Maman, nous avons dit qu’Eric et moi préférions la plus petite. Nous pourrions inviter cinquante personnes. Ou moins.

Carol tiqua, comme si l’idée lui paraissait absurde.

— Cinquante personnes ? Impossible. Cela couvre à peine la famille proche.

— Maman, notre famille proche ne compte que six personnes.

— Je pensais aussi au cercle restreint : les amis, les collègues, les partenaires commerciaux.

Carol tendit la main et tapota le bras de sa fille.

— Inutile de te soucier des frais, ma chérie. Ce mariage est mon cadeau pour toi. Et pour Eric, bien sûr, dit-elle d’un air pincé.

Seigneur, elle détestait que sa mère regarde Eric comme un moins-que-rien, et qu’elle le cite en fin de phrase comme une personne dont elle se passerait bien. Jessica l’avait déjà évoqué plusieurs fois avec elle, mais chaque discussion dégénérait en dispute où sa mère lui rabâchait qu’Eric faisait partie de la concurrence et que Jessica pouvait trouver un autre homme à épouser, comme un médecin ou un avocat. Elle avait même poussé le bouchon jusqu’à sous-entendre que toutes ces disputes étaient dues au fait que Jessica n’avait pas présenté Eric à la famille avant leurs fiançailles.

A sa décharge, Jessica avait tenu sa relation avec Eric secrète pendant six mois. Car elle savait comment sa mère et ses frères réagiraient. Ses frères n’avaient apprécié aucun de ses précédents petits amis, et avaient réussi à en effrayer plus d’un. Quant à sa mère, elle trouvait des défauts à tous les garçons que Jessica avait amenés à la maison, à l’exception de John Wilson, son petit ami au lycée. Le garçon était en effet le portrait craché de Paul Newman, ce qui était un bon point. Mais il avait aussi un regard libidineux, ce qui était très mal vu. En terminale, Jessica avait compris qu’il n’y avait que deux sortes d’hommes qu’elle pouvait présenter à sa famille : ceux qui, effrayés par ses frères, ne lui donneraient plus jamais de nouvelles, et celui qu’elle voudrait épouser.

Or, dès qu’elle avait posé les yeux sur Eric, elle avait compris que c’était l’homme de sa vie. Chaque instant passé avec lui les six premiers mois n’avait fait que renforcer cette impression. Et, le sachant, elle ne voulait pas le faire fuir. Elle avait trouvé le courage de lui présenter sa famille lorsqu’il lui avait demandé de l’épouser. Une semaine plus tard, ils s’étaient retrouvés, avec sa mère, ses frères et Eric. Ils avaient annoncé qu’ils étaient fiancés.

Jessica ne connaissait pas non plus la famille d’Eric mais leur première entrevue s’était beaucoup mieux passée. Pourtant, ces débuts prometteurs avaient été entachés par la rencontre des deux familles deux semaines plus tard.

Et le reste, comme on dit, appartenait à l’histoire.

— Maintenant que nous avons réglé la question de la salle, déclara Kelley en la sortant de ses rêveries, passons aux couleurs.

— Jaune paille, décréta Carol.

— Impossible, s’opposa Kelley. C’est beaucoup trop pâle et printanier pour le mois de février. De plus…

— Je vais m’asseoir au bar, annonça soudain Marc, visiblement pressé d’échapper à ces discussions futiles.

Jessica lui enviait cette liberté. Si seulement elle avait pu le rejoindre !

Kelley se tourna vers Eric.

— Pourquoi ne vas-tu pas avec Marc ? proposa-t-elle. Sauf si tu souhaites parler de l’impossibilité de choisir du jaune paille ?

Eric ne rêvait que de quitter son fauteuil pour fuir, mais il ne pouvait pas abandonner Jess. Lorsqu’elle croisa son regard, elle hocha la tête.

— Va, dit-elle en se penchant vers lui pour l’embrasser sur la joue. Sauve-toi.

Puis elle lui glissa à l’oreille :

— Inutile que nous soyons deux à souffrir.

Puis elle mordilla le lobe de son oreille. Bon sang, tout ce qu’il voulait, c’était rester seul avec elle. Terminer ce qu’ils avaient commencé avant l’arrivée de leurs familles. Il était à deux doigts de la tirer de ce fauteuil et de l’emmener de force avec lui dans leur chalet. Il fermerait la porte à double tour et dirait à leurs familles de les laisser enfin tranquilles. Et, pour l’amour du ciel, si cette réunion n’était pas terminée dans une demi-heure, c’était exactement ce qu’il ferait.

— En plus, tu as une dette envers moi, murmura-t-elle.

Un désir mordant s’empara de lui. Oui, il avait une dette envers elle, et il lui tardait de la payer. Pourtant, il devait rester avec elle au cas où ils auraient besoin d’un arbitre. Puis il se dit qu’elle avait peut-être besoin de se retrouver entre femmes. Il y avait des sujets que l’on n’abordait pas devant les hommes, comme les décorations pour le mariage, par exemple. Eric tenait aussi l’occasion de parler en tête à tête avec Marc, ce qui n’était encore jamais arrivé avec aucun des frères de Jess. D’après ce qu’il avait vu, ils se déplaçaient toujours en bande. Comme des chiens enragés. Peut-être qu’en restant seul avec lui Eric parviendrait à lui parler. Jess avec les femmes et lui avec Marc : diviser pour mieux régner, telle était sa stratégie. Le jeu en valait la chandelle. Car, ensuite, il pourrait rester seul avec Jess, la déshabiller et éteindre le désir brûlant qui le consumait.

Eric se leva, saisit sa bière et se pencha pour déposer un baiser sur les cheveux blonds et bouclés de Jess.

— Je suis au bar, si jamais tu as besoin de moi.

Il s’approcha de Marc avec le même enthousiasme que s’il s’agissait d’un cobra. Puis il se hissa sur le tabouret vide à côté de son futur beau-frère et attendit que Marc s’aperçoive de sa présence. Mais ce dernier était absorbé par le match de hockey qui passait à la télévision. Le hockey était encore un point négatif pour Eric aux yeux des frères Hayden. Ils étaient tous fans de hockey et de football, alors qu’Eric préférait le basket et le tennis. Les frères Hayden considéraient le tennis comme un sport de mollasson. Visiblement, aucun d’eux n’avait jamais disputé un match de trois heures en trois sets.

Eric finit par hocher la tête en direction de la télévision.

— Quel est le score ? demanda-t-il sans conviction.

— Les Rangers mènent trois à un.

Un lourd silence s’installa entre eux. Ce n’était pas vraiment une conversation animée entre hommes. Mais, avant qu’Eric ait pu trouver un autre sujet, le barman, qui arborait un chapeau de Père Noël et un sourire amical, s’approcha d’eux.

— Vous voulez une autre bière ? demanda-t-il en regardant la bouteille presque vide d’Eric.

Eric lui fit signe de leur servir deux verres puis se tourna vers la réception. Roland Krause était occupé avec un client.

— Oui, merci. Pendant une seconde, j’ai cru que vous étiez Roland. Vous êtes de la famille ?

— Nous sommes cousins, répondit l’homme en souriant. Tout le monde croit que nous sommes frères.

L’homme lui tendit la main.

— Je m’appelle Steve Howell. Roland et moi, nous nous ressemblons peut-être, mais sous ce chapeau j’ai beaucoup plus de cheveux que lui.

Steve lui apporta sa bière et retourna à l’autre bout du bar. Eric regarda le match quelques minutes, tandis qu’un long silence s’érigeait entre Marc et lui. C’était peut-être la meilleure façon d’éviter une dispute. Au moins, l’homme à l’air renfrogné était tourné vers le téléviseur et non vers lui. Lorsqu’il se décida à regarder Marc, il était visiblement contrarié, ce qui n’était pas une surprise.

— Ma sœur n’a pas l’air heureux, lâcha Marc.

Eric tourna rapidement la tête vers la table où Jess était assise. Elle sirotait son verre de vin et affichait un air serein.

— Pas à cette seconde précise, précisa Marc. Mais d’une façon générale.

Eric se tourna vers lui.

— Au ton de votre voix, vous pensez certainement que je suis responsable.

— Qui donc pourrait l’être ?

— Vous voulez un miroir ?

Marc paraissait de plus en plus en colère.

— Que dois-je comprendre ?

— Que je ne suis pas celui qui la rend malheureuse. C’est vous, votre famille et vos discussions incessantes qui la minent.

— Vous semblez oublier que c’est vous, l’objet de toutes ces disputes.

Eric laissa échapper un petit rire narquois.

— Oh, non, je ne l’ai pas oublié. Vous me l’avez fait comprendre très clairement. Ecoutez, je comprends que vous soyez un frère très protecteur. J’ai moi-même intimidé les gars qui tournaient autour de ma sœur. Mais lorsque Chloe et Lara ont trouvé l’homme qu’elles voulaient épouser, je me suis réjoui pour elles. Elles ont toutes choisi des hommes bons et honnêtes. Croyez-moi ou non, je suis un homme bon et honnête.

— C’est vous qui le dites.

— C’est exact. Mais votre sœur le pense aussi. Elle est très intelligente et perspicace. Pas du tout le genre de femme à épouser un idiot.

— Les femmes intelligentes sont celles qui commettent les pires erreurs à propos des hommes.

— Eh bien, dans ce cas précis, Jessica ne se trompe pas.

Marc fit tourner lentement son verre de scotch et prit une gorgée.

— Votre restaurant n’est pas comparable au Hayden’s.

Eric serra très fort sa bouteille de bière mais réprima son irritation.

— Les deux endroits sont de bonne qualité et Marble Falls est une ville assez grande pour plusieurs restaurants.

— Elle n’aurait pas dû fréquenter un concurrent.

Eric décida qu’il avait été suffisamment poli.

— C’est son choix. Et le mien. Franchement, cela ne vous regarde pas. Si nous pouvons nous en arranger, chose que nous faisons, je ne vois pas pourquoi votre famille et vous ne pourriez pas le faire.

— Et que dites-vous de votre famille ? Eux non plus ne semblent pas ravis.

— Peut-être pas, mais leurs objections n’ont rien à voir avec Jess. Mes sœurs l’apprécient beaucoup. Et elles sont heureuses de savoir que nous nous sommes trouvés.

Marc se contenta de regarder fixement son verre.

Eric résista à la tentation de passer la main dans ses cheveux en signe de frustration.

— Ecoutez, continua-t-il, je ne suis peut-être pas l’homme que vous auriez choisi pour votre sœur, mais voici la vérité : ce n’est pas à vous de faire ce choix mais à elle. Et, pour le bien de tout le monde, et surtout celui de Jess, il serait bon que nous arrivions à détendre un peu l’atmosphère.

Eric but une longue rasade de bière et attendit, mais Marc garda le silence. Restait à espérer qu’il soit d’accord avec lui mais, vu son air bougon, les choses ne semblaient pas gagnées.

Incapable de supporter plus longtemps ce silence gênant, il changea de sujet.

— Je comprends pourquoi votre mère est ici, commença-t-il, mais pourquoi l’avez-vous accompagnée ? Pour servir de garde du corps ?

— Je suis son chauffeur. Elle n’aime pas conduire sous la neige.

Il lorgna vers la table puis prit une lampée de scotch.

— C’est le dernier endroit sur terre où j’avais envie d’être.

— C’est le dernier endroit sur terre où j’avais envie de vous trouver.

Un bruit qui ressemblait à un rire peu enthousiaste franchit la barrière des lèvres de Marc.

— Comment se fait-il que vous puissiez prendre quatre jours de vacances pendant l’une des semaines les plus chargées de l’année ? Les affaires vont si mal ?

Y avait-il une pointe d’espoir dans la voix de Marc ?

— Les affaires vont très bien, riposta Eric. Ce n’est pas la meilleure période pour moi pour partir, et ça n’a pas été facile à organiser. Mais Jess est ma priorité.

Kelley leva légèrement le ton et des échanges de voix tendus captèrent l’attention d’Eric.

— Il est absolument essentiel que le groupe joue une sélection de chansons actuelles, Carol.

Marc lança vers la table un regard soucieux.

— Votre sœur est un véritable général, commenta l’homme.

Eric lui retourna un regard étonné.

— Je pense que vous connaissez ce trait de caractère car il me semble que vous êtes pareil.

Dès que les mots franchirent ses lèvres, Eric se demanda s’ils avaient annihilé tous les minuscules progrès de communication qu’ils avaient faits. Mais Marc acquiesça.

— Il m’arrive en effet de l’être. En ce qui concerne ma sœur, du moins. Et ce mariage.

Eric était agréablement surpris que Marc soit capable de le reconnaître.

— Pareil pour Kelley. Elle n’aime pas perdre son temps. Elle est terriblement efficace. Elle sait exactement ce qu’elle veut et n’a pas peur de faire tout ce qu’il faut pour atteindre son objectif.

— Et elle y arrive toujours ?

— Presque toujours. C’est une très bonne professionnelle. Vous aussi. Ce qui veut dire que vous avez au moins ça en commun. Vous pourriez peut-être cesser de la fusiller du regard chaque fois que vous la voyez.

Marc l’observa quelques secondes avec une expression indéchiffrable.

— Jess m’a dit que Kelley vous a élevés, vous et vos sœurs, depuis que vous avez douze ans.

— C’est vrai.

Eric ignorait jusqu’où il devait lui donner des explications mais, comme le sujet lui paraissait sûr, il décida d’aller de l’avant. Il parla donc à Marc du décès de ses parents, de la manière dont Kelley avait dû abandonner ses études et dont son fiancé l’avait quittée. Sa sœur avait mis de côté sa propre vie pour élever trois enfants alors qu’elle sortait elle-même à peine de l’enfance.

— C’est une femme incroyable, conclut Eric. Je lui dois beaucoup.

Marc hocha lentement la tête. Il semblait réfléchir à tout ce qu’il venait de découvrir.

— Ça a dû être dur, lâcha-t-il enfin.

— Ça l’a été. Mais nous avons aussi eu beaucoup de bons moments.

— J’ignorais tout à propos de son fiancé.

— Eh bien, si vous preniez seulement quelques minutes pour apprendre à nous connaître au lieu de nous considérer sans cesse comme « la concurrence », et nous accueillir avec le sourire, vous découvririez peut-être que nous ne sommes pas si mauvais.

— Je pourrais dire la même chose de vous.

— Peut-être, concéda Eric. Mais je ne vous ai jamais considéré seulement comme « la concurrence ».

L’homme sourit.

— Je vous considère plutôt comme un parfait abruti, ajouta-t-il.

Marc plissa les yeux.

— J’hésite entre rire et me sentir offensé.

— Pourquoi ne pas en rire ?

— Je ne suis pas sûr de vous apprécier.

— Je dirais que le jury est encore en train de délibérer sur votre cas.

— Sachez pourtant que c’est la première fois que je n’ai pas eu envie de vous jeter dans une décharge, déclara Marc d’un air songeur.

— Pareil. Mais sachez-le, je ne vous aurais pas rendu la tâche facile.

Marc approuva d’un signe de tête.

— J’imagine.

Ce qui aurait pu passer pour l’esquisse d’un sourire plana sur ses lèvres.

— C’est pourquoi je préfère me trouver avec mes frères lorsque vous êtes dans le coin, conclut Marc.

— Au risque de me répéter, sachez qu’il faudra être plus de quatre pour vous débarrasser de moi. Je n’irai nulle part.

Du coin de l’œil, Eric vit Jess se lever. Il espérait que les femmes avaient enfin trouvé une solution satisfaisante pour tout le monde. Mais Jessica était très pâle, ses poings étaient serrés, et ses yeux, brillants. Eric comprit que ses espoirs étaient déçus. Il bondit de son tabouret en un instant et se dirigea vers elle à grands pas.

— Je ne veux rien entendre de plus, l’entendit-il dire à sa mère et à Kelley d’une voix basse et tremblante. Je suis fatiguée de ces querelles, et personne ne m’écoute. Visiblement, cela n’a pas d’importance pour vous que je sois la mariée. Je préfère vous laisser le soin de planifier toutes les deux le mariage. Je me fiche de la couleur des serviettes de table. Invitez six cents personnes si vous le voulez. Mais en aucun cas vous ne me ferez porter cette robe ridicule.

Elle brandit un doigt tremblant vers la couverture glacée d’un magazine montrant une femme vêtue d’une immense robe blanche et vaporeuse.

— C’est à moi de choisir ma tenue, décréta Jessica, même s’il s’agit d’un pyjama en coton. Un point c’est tout. De plus, je refuse d’en discuter plus longtemps. C’est terminé. Et, puisque je ne suis plus concernée par les décisions qui tournent autour du mariage, je retourne dans ma chambre. Et je vous suggère de rentrer chez vous.

— Jessica, intervint sa mère d’un air sévère. Tu ne peux pas partir comme ça.

— Non seulement je peux, mais je vais le faire.

Sa voix se brisa. Eric tendit la main vers elle mais elle se dégagea brutalement.

— Je n’en peux plus, expliqua-t-elle en détachant chaque mot. Et, concernant ce mariage, je me contenterai de me présenter à l’église. Ou pas.

Sur ces mots, elle tourna les talons et sortit d’un pas décidé du bar.