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CE QUI SE PASSA SUR HANALEA
La jeune fille connue sous le nom de Chant d’Eau s’attarda au bord de la source des guérisseurs bien après que ses amies furent retournées au camp, leurs paniers remplis de baies. Elle travailla un moment à ses esquisses, essayant de capturer le reflet de la lumière sur l’eau avant que le soleil ne descende derrière l’épaule ouest d’Hanalea.
Comme la fatigue montait, elle posa son calepin à dessin à côté d’elle et s’adossa à un arbre, bercée par la musique de la Dyrnneflot, profitant de la chaleur du soleil. De temps en temps, elle dégustait une framboise, dont le jus chaud explosait sur sa langue.
Une voix interrompit sa rêverie, s’exprimant dans la langue commune.
— Qui es-tu ?
Elle leva les yeux, les protégeant d’une main. Il s’agissait d’un garçon, un peu plus âgé qu’elle. Il semblait très grand, surtout depuis le sol, et sa silhouette était étrangement floue. Un habitant des plaines, de toute évidence, mais il avait quelque chose… d’étrange.
Elle se leva, époussetant ses bas.
— Je m’appelle Chant d’Eau, répondit-elle en langue commune.
— Tu es une rouquine, dit le garçon, qui semblait un peu abasourdi. Mais… tu es très belle.
— Il n’y a pas de quoi être aussi surpris, répliqua Chant d’Eau en levant les yeux au ciel. Et si tu veux qu’on s’entende, évite d’utiliser ce mot.
— Quel genre de magie est-ce là ? grogna-t-il, comme s’il ne l’avait pas entendue. Tu es ensorcelante.
Chant d’Eau commençait à en avoir assez de cette drôle de conversation.
— Et toi, qui es-tu, et que fais-tu sur Hanalea ?
— Je… euh… je suis un marchand, dit-il. Mon nom est Gavan.
Il fit un pas de côté, ne cachant plus le soleil, et elle put voir clairement son visage. Il était pâle, comme s’il ne passait pas beaucoup de temps à l’extérieur, et avait des yeux bleu glacier sous des sourcils noirs et fournis. Charmant, pouvait-on dire.
La plupart des marchands que connaissait Chant d’Eau avaient la peau brûlée par le soleil et portaient les marques de leur exposition au vent.
— Vraiment ? dit-elle d’un ton sceptique. Tu n’en as pas l’air. Où se trouve ta marchandise ?
Il rougit aussitôt.
— Je viens de commencer, répondit-il. Je crains de m’être perdu. J’ai laissé mes chevaux et leur chargement un kilomètre et demi plus bas.
Ce doit être le marchand le plus incompétent que j’aie jamais rencontré, songea Chant d’Eau. Peut-être y avait-il eu une erreur lors de son attribution de nom d’adulte.
— Je suis à la recherche du marché des Pins Marisa, expliqua Gavan. En suis-je encore loin ?
— Non, c’est tout près, dit-elle en se retournant pour lui indiquer la direction. C’est juste au bas de cette…
— J’ai entendu dire qu’ils achetaient du métal, la coupa-t-il en lui attrapant le bras.
— Ils en vendent, plutôt, répondit Chant d’Eau.
Elle se dégagea et fit un pas en arrière, soudain consciente du fait qu’elle était seule dans les bois avec un garçon. Cela ne l’avait jamais gênée auparavant.
— De l’artisanat demonai, essentiellement, reprit-elle. Mais il leur arrive d’acheter, si le prix est correct.
— Voudrais-tu… voudrais-tu regarder un objet et me dire si tu penses qu’il pourrait avoir de la valeur ?
Le garçon semblait agité, nerveux, même. Bon. Il avait dit qu’il venait de commencer. Chant d’Eau se détendit un peu et hocha la tête.
Le marchand sortit un petit sac et le vida dans la main de Chant d’Eau. Il en tomba un lourd anneau d’or, sur lequel étaient gravés deux faucons, dos à dos, les serres ouvertes. Elle sentit le fourmillement de la magie à l’intérieur du métal.
— C’est du travail d’orfèvre brasillant ? demanda-t-elle.
Le garçon acquiesça d’un signe de tête.
— Très ancien, répondit-il. Fabriqué par les rou… par les clans.
— Alors tu devrais pouvoir en tirer un bon prix, dit Chant d’Eau en essayant de le lui rendre. Je peux te montrer comment…
— Essaie-le, la pressa le marchand. Je voudrais savoir s’il est trop lourd pour une femme.
— D’accord, capitula Chant d’Eau en le glissant à son index. Mais il faut vraiment que tu parles à… à…
Sa voix s’éteignit comme la brume envahissait son esprit, et son corps refusa de lui obéir.
— Et maintenant, dit le marchand en l’attrapant par les bras pour la forcer à s’allonger, voyons voir ce qui se cache sous toute cette peau de daim.
Sa voix avait changé et se déversait dans les oreilles de la jeune fille comme un flot de glace. Même sa silhouette n’était plus la même, plus définie, et désormais elle distinguait les traits arrogants de son visage, le pli cruel de sa bouche.
Porte-poisse ! voulut-elle dire. Mais en vain.
Saute-Pierre s’agita sur sa paillasse. Saule lui caressa le front pour la calmer, et la fillette se rendormit.
Il faisait sombre dans le pavillon, comme si une ombre malfaisante s’était étendue au-dessus d’eux, bien que Han sache qu’il s’agissait simplement de la tombée de la nuit. Danseur alluma les lampes près de la couche, et ils s’installèrent pour entendre la fin de l’histoire.
— Il a essayé de me tuer, ensuite, reprit Saule. Mais les Demonai sont arrivés, et il a dû fuir. Lorsqu’il a retiré sa bague de mon doigt, j’ai tiré ma dague de ma ceinture et je l’ai frappé à la main. (Elle leur mima la blessure en passant ses doigts sur sa paume.) Il a lâché l’anneau et il est parti en courant.
— Les Demonai ne l’ont jamais retrouvé ? demanda Han.
Saule secoua la tête.
— Malgré leurs célèbres aptitudes de pisteurs, ils ont perdu sa trace presque immédiatement, comme si la terre l’avait englouti. J’ai pensé qu’il avait dû user de magie pour s’échapper. Je n’ai jamais dit aux Demonai que mon assaillant était un magicien. Je ne leur ai jamais montré l’anneau. J’espérais pouvoir laisser cette histoire derrière moi, trouver un moyen d’oublier.
» Lorsque j’ai découvert que j’attendais un enfant de lui, j’ai songé à mettre fin à mes jours. Mais je refusais de terminer le travail de ce magicien. Ensuite, lorsque tu es né, dit-elle avec un sourire à Danseur, je me suis rendu compte de la chance que j’avais de t’avoir. Toutefois, je priais pour que tu n’aies pas le don, car je savais que tu te retrouverais sans nulle part où aller.
— Saviez-vous qui était Bayar ? demanda Han d’une voix basse et rauque. Qu’il était le Haut Magicien ?
Saule secoua la tête.
— À l’époque, il ne l’était pas, dit-elle. Et puis je ne connaissais aucun magicien. Plusieurs années plus tard, après être devenue la Matriarche, je me suis rendue à un mariage, à la ville. Lorsque j’ai aperçu Bayar de l’autre côté de la salle de bal, j’ai cru que mon cœur allait s’arrêter. Il venait d’être nommé Haut Magicien. Je savais qu’il risquait de me reconnaître, lui aussi, de poser des questions et de comprendre.
Elle tendit les jambes, et le bout de ses mocassins apparut sous sa jupe.
— Alors je suis partie. C’était ça, ou le poignarder. Je regrette de ne pas l’avoir fait, dit-elle en levant les yeux. Depuis ce jour, je remets en question mes capacités de jugement. Je me croyais en sécurité sur Hanalea. Je pensais pouvoir me promener seule sans avoir à regarder par-dessus mon épaule.
» Après cette histoire, je me sentais vulnérable. J’avais l’impression que, quelque part, c’était ma faute. Et, parce que je l’avais évité, il est devenu plus puissant encore dans mon esprit. Au fond de moi, ajouta-t-elle en appuyant son poing contre sa poitrine, j’avais le sentiment que, si je l’accusais publiquement, il trouverait le moyen de me le faire payer, à travers Danseur de Feu.
— C’est pour ça que vous n’êtes pas allée à la cérémonie en l’honneur de la reine, dit Han.
Saule hocha la tête, puis la pencha sur le côté, étudiant son visage.
— Tu sembles déçu, Chasse-Seul. Tu penses que j’aurais dû l’affronter. Tu penses que j’aurais dû le tuer.
— Non, pas du tout, répondit Han en luttant pour transformer ses pensées en mots. C’est juste que… il me semble que Bayar aurait dû répondre de ses actes il y a déjà bien longtemps. Il n’a jamais eu à subir la moindre conséquence de ce qu’il a commis. Il a tué Mam et Mari, et qu’ai-je fait ? (Il hésita, mais il fallait qu’il pose la question.) Pourquoi êtes-vous si sûre que Bayar assassinerait Danseur s’il avait vent de son existence ? De nombreux sang-bleu ont des rejetons hors mariage.
— Danseur de Feu n’est pas un enfant du hasard. Au sein des clans des Esprits, chaque enfant est une bénédiction. Même dans le Val, ils ne font pas de distinction légale entre un enfant du hasard et un enfant né d’un mariage. (Incapable de rester assise sans rien faire, Saule reprit son travail de couture sur ses genoux.) Les Bayar ont toujours insisté sur l’importance des lignées pures. Ils peuvent faire remonter la leur jusqu’aux magiciens qui nous ont envahis depuis les Îles du Nord. Ils ont pris soin de ne jamais la souiller par des mariages interraciaux, pas même avec des gens des royaumes d’en bas. Les reines, les Valiens, et d’autres magiciens étaient, à leurs yeux, les seuls candidats acceptables.
» Plus important encore, les relations entre magiciens et membres des clans des Esprits ont été strictement interdites par le Conseil des Magiciens et l’Assemblée depuis l’invasion. La notion de sang-mêlé possédant le don de haute magie les terrifie. Elle met en péril ce fragile château de cartes que nous appelons les Fells. Le seigneur Bayar a été l’un des plus zélés pour s’assurer que cette interdiction soit respectée. En tant que Haut Magicien, il a puni sévèrement ceux qui transgressaient la règle.
— Et pourtant ils rêvent d’unir leur seul fils à une sang-mêlé, remarqua Han, songeant à Raisa.
— Un sacrifice, répondit Saule. Mais qui en vaudra la peine s’ils peuvent récupérer le trône. Les Bayar ont été scandalisés lorsque la reine Marianna a épousé PiedLéger. C’était le premier mariage mixte de ce genre depuis l’invasion. Ça leur fait grincer des dents, l’idée que la lignée du Loup Gris puisse avoir été contaminée.
De toute sa vie, Han n’avait jamais autant parlé de lignées. Ces histoires n’avaient jamais été un problème, au Marché-des-Chiffonniers.
— Ainsi, les Bayar veulent éviter qu’une lignée à laquelle ils souhaitent s’unir ne soit souillée davantage, continua Saule. Cela a dû attiser leur volonté de prétendre eux-mêmes à ce mariage. C’était cela, ou se débarrasser tout simplement de la lignée du Loup Gris.
Ce qui plairait beaucoup à Fiona, se dit Han.
— Alors, si on découvre que Bayar a engendré un fils avec une rouquine, au mieux on le verra comme un hypocrite.
— Au mieux, acquiesça Saule en hochant la tête. Au pire, il sera considéré comme un traître aux yeux des siens. Ses alliés pourraient se détourner de lui, et ses rivaux être convaincus qu’il est suffisamment vulnérable pour pouvoir être attaqué.
L’esprit de Han se mit à tourner à plein régime, envisageant les implications de toute cette affaire, les risques comme les avantages.
— J’ai également dû prendre en compte les Demonai, reprit Saule. Il était déjà assez terrible que mon fils ait pour père un magicien inconnu. Mais le fils de Bayar… ils ne l’auraient jamais toléré.
— Pourquoi avez-vous décidé de nous raconter tout ça aujourd’hui ? demanda Han.
Les yeux de Saule se remplirent de larmes.
— Ce qui est arrivé à ta mère et à ta sœur… Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, si j’avais affronté Gavan Bayar il y a des années, ça ne se serait peut-être pas produit. En même temps, cela semblait être une preuve de plus du fait qu’il était inattaquable.
— Comment se fait-il, intervint Danseur, que nous soyons malheureux et nous sentions coupables, alors que Bayar n’a aucun souci ?
— Plus pour longtemps, répondit Han.
Son cœur s’accéléra. Une fois de plus, il imagina son ennemi étendu sur les briques, son sang noir se répandant autour de lui. Il rêvait de voir l’arrogance disparaître du visage de Bayar, remplacée par la peur et le choc, puis par une absence totale d’expression. Une victoire politique de sang-bleu pourrait-elle jamais être aussi satisfaisante que d’affronter Bayar, la dague – et l’amulette – à la main ?
La voix de Danseur interrompit les pensées de Han.
— Vous m’avez dit que vous aviez toujours l’anneau de Bayar, dit-il à Saule. Pourrions-nous le voir ?
Elle hocha la tête et se redressa, rejoignant le foyer. Elle souleva une pierre descellée là où la cheminée rejoignait le mur du pavillon, et glissa sa main derrière. Elle en sortit un petit sac de lin. Elle revint s’asseoir sur sa chaise, défit le cordon et fit tomber le contenu dans sa main. Il s’agissait d’un lourd anneau d’or, sur lequel étaient gravés deux faucons, dos à dos, les serres ouvertes, avec des émeraudes pour figurer les yeux. Exactement comme l’avait décrit Saule. Han sentit son cœur se serrer comme il reconnaissait le symbole.
— J’ai déjà vu cet emblème, dit-il. Il concorde avec celui de l’amulette de Bayar. C’est l’un de ceux de la Maison du Nid d’Aigle.
— Je me suis demandé pourquoi je le gardais, dit Saule en le soupesant. Je n’avais certainement pas envie d’un souvenir. Mais, d’une certaine façon, c’était comme si ça me donnait un certain pouvoir sur lui : j’avais la preuve de ce qu’il avait fait, si jamais je décidais de l’utiliser.
— Il ne semble pas trop s’inquiéter d’être dénoncé, remarqua Han, puisqu’il arbore le porte-brasillant qui va avec.
— Ce sont des objets reçus en héritage, répondit Saule. Il ne voudrait pas se séparer d’une amulette aussi puissante. Il doit penser qu’il ne risque plus rien, désormais.
Elle rangea l’anneau dans son petit sac, qu’elle serra entre ses mains.
— Je pense qu’il vaudrait mieux passer à l’attaque les premiers, au lieu d’attendre que Bayar se lance à notre poursuite, dit-elle en jouant avec ses cheveux, les yeux levés vers Han. Je suis une artiste, non un stratège. Voilà pourquoi je t’ai demandé de venir : peut-être qu’à nous trois nous pourrions établir un plan.
Le poids des responsabilités, aussi lourd que celui d’un rocher, s’abattit sur les épaules de Han. Il ne voulait pas devoir répondre de plus de vies innocentes encore.
— Nous connaissons déjà les risques, dit-il. Nous devrions songer à ce que vous pensez obtenir en dénonçant Bayar. Cela pourrait vous aider à décider si, oui ou non, vous souhaitez continuer.
— C’est ce que je veux, répondit calmement Saule. J’ai déjà pris ma décision.
Danseur releva le menton.
— Je ne fuirai pas devant lui, et je refuse de quitter les Fells. Nous y sommes chez nous. J’ai pris ma décision, moi aussi. Ce dont nous devons discuter, c’est de la façon de le faire, qui le fera, et quand.
Ils restèrent un moment silencieux, perdus dans leurs pensées.
— Eh bien, finit par dire Saule, si nous racontons ce qu’a fait Bayar, dans un lieu public, à une assemblée suffisamment importante, il ne pourra pas espérer garder le secret en nous tuant.
— Il faudra que cette assemblée soit composée de sang-bleu, répondit Han, et surtout de magiciens. Des gens que Bayar ne peut ni éliminer ni ignorer.
— Et nous allons devoir produire des preuves accablantes afin qu’il ne puisse pas nier ou trouver une autre explication, ajouta Danseur.
— Pourquoi pas le château de la Marche-des-Fells ? suggéra Saule. Un public avec la reine et son conseil ?
— Mais le seul magicien à en faire partie est le seigneur Bayar, contra Han. La reine n’a aucun problème en ce qui concerne les mariages mixtes entre magiciens et membres des camps. Ceux qui pourraient demander des comptes à Bayar, ce sont les siens, les autres magiciens. Nous devons nous adresser à eux directement, ou Bayar pourra raconter n’importe quelle histoire lorsqu’il sera à la Dame Grise. (Une idée naquit dans l’esprit de Han, un plan périlleux de seigneur des rues.) Je propose qu’on envahisse son terrain, comme Bayar l’a fait sur Hanalea. Nous devons nous montrer, plonger une lame au cœur même de son pouvoir. Nous devons lui faire comprendre que nous n’avons pas peur de lui.
— Que proposes-tu ? demanda Danseur en se penchant en avant.
— Je raconterai les faits au Conseil des Magiciens, sur la Dame Grise, répondit Han.
— Tu as raison, Chasse-Seul. Le Conseil des Magiciens doit les entendre, dit Saule. Mais c’est à moi de leur transmettre cette histoire.
— Non, répliqua le jeune homme en secouant la tête. Vous ne pouvez pas vous rendre sur la Dame Grise. C’est trop dangereux.
Saule pinça les lèvres.
— Tu viens de dire que tu veux affaiblir le pouvoir de Bayar en le défiant, en te montrant, comme tu appelles cela. Tu veux lui prouver qu’il ne l’emporte pas toujours. Qui pourrait le faire mieux que moi, celle qu’il a bafouée la première ?
Han imagina la réaction du Conseil face à une rouquine dans leur sanctuaire.
— Vous n’avez pas besoin de vous infliger cela, dit-il.
— Je suis d’accord, renchérit Danseur. Si vous devez affronter Bayar, il faut que ce soit au château de la Marche-des-Fells, et non sur la Dame Grise.
Saule se tourna vers Han.
— Tu viens pourtant de dire que la Dame Grise serait l’endroit idéal, protesta-t-elle.
— C’est vrai, acquiesça Han. L’endroit idéal pour que je le fasse.
Danseur sauta sur ses pieds.
— Toi ? Tu n’as rien à voir avec cette histoire, dit-il. C’est à moi d’y aller.
Han se leva à son tour.
— Si, je suis concerné, répondit-il. Tu es mon meilleur ami. Et, de toute façon, je dois me rendre sur la Dame Grise, puisque je fais partie du Conseil. Du moins, j’ai bon espoir de pouvoir y entrer.
— Et qu’en est-il de pouvoir ressortir ? demanda Saule. Tu nous as déjà dit que Bayar allait certainement te tendre un piège.
— C’est à moi de prendre le risque, insista Han. C’est moi qui pourrais en bénéficier.
— Comment cela ? fit Danseur en carrant les épaules, les bras croisés. Je croyais qu’on se lançait là-dedans pour se protéger et faire payer Bayar.
— Oui, tu as raison, dit Han. Mais tout ce qui affaiblit Bayar est bon pour moi.
Saule se redressa à son tour, et ils se retrouvèrent debout dans une dispute à trois voix.
— Bayar me hante depuis des années, argua-t-elle. Ne penses-tu pas que je mérite ce face-à-face avec lui ? Il n’est pas question de politique, ni de ce qu’il y a entre Bayar et toi. Réfléchis : si Bayar te tue, cela ne fait qu’améliorer sa réputation. S’il me tue, il l’endommage.
— C’est un prix trop lourd à payer, murmura Danseur en lui touchant l’épaule. Pour nous, du moins.
— Écoutez, dit Han. Je pense connaître une façon d’entrer et de ressortir de la maison du Conseil sur la Dame Grise. Demain, j’emmènerai Danseur avec moi jusqu’à l’entrée, afin qu’il connaisse le chemin. Si tout se passe bien, nous irons affronter Bayar tous ensemble.
Après quelques discussions supplémentaires, ils mirent au point un plan rudimentaire, en se fondant sur ce que Han savait de la réunion du Conseil.
Cette nuit-là, le jeune homme se tourna et se retourna sur son étroite paillasse, dévoré d’inquiétude. Je n’arrive pas à croire qu’on se dispute le droit de risquer sa vie pour affronter Bayar, songea-t-il. Il était certain d’une chose : si Danseur et Saule se rendaient sur la Dame Grise et perdaient la vie, il ne se le pardonnerait jamais.
Il devait trouver un moyen de réduire le danger au minimum.