12
RENDEZ-VOUS À MIDI
Averill et Raisa se promenaient dans les jardins bas de l’enceinte du château, pendant l’une des rares occasions qu’ils avaient d’être ensemble. Bien que la reine lui ait alloué des appartements au palais, il était rarement présent. Ce jour-là, toutefois, il était descendu du camp Demonai car il avait des affaires à régler avec l’intendant.
— Je me demande s’il arrivera un jour où je pourrai au moins marcher dans l’enceinte du château sans être suivie, grommela Raisa en regardant les gardes derrière elle. Personne ne m’avait prévenue qu’être reine impliquait d’être aussi… entourée.
Il ne s’agissait là que d’un symptôme des problèmes qui l’assaillaient.
— J’espérais que les tensions s’apaiseraient après le couronnement, dit Averill. Mais la menace d’une guerre avec l’Arden et le Tamron continue de faire bouillonner le volcan. Et les meurtres de magiciens dans les rues n’arrangent rien. Je n’arrive pas à convaincre le seigneur Bayar que les Demonai n’y sont pour rien.
— En êtes-vous certain ? demanda Raisa. Chaque parti possède son lot de têtes brûlées.
Averill grimaça, comme si elle venait de le gifler.
— Crois-tu vraiment qu’Elena Cennestre et moi-même pourrions autoriser quelque chose qui te mettrait en danger, Églantine ?
— Non. C’est vrai, dit-elle en glissant son bras sous celui de son père.
— Le coupable pourrait-il être Chasse-Seul ? avança Averill. Y as-tu songé ?
Raisa résista à l’envie de se dégager.
— Il est lui-même magicien, fit-elle remarquer. Pourquoi irait-il assassiner ses semblables, en frappant au hasard ?
— Ce pourrait être une façon de se venger des clans, sachant que nous serions accusés, répondit Averill. Les meurtres ont été perpétrés dans des lieux qu’il fréquentait autrefois.
— Vous vous montrez injuste, protesta Raisa en luttant pour conserver une voix égale. D’abord, vous lui demandez son aide pour lutter contre le Conseil des Magiciens. Puis vous l’accusez de conspirer avec eux. Et maintenant vous l’accusez de les assassiner. (Elle chercha à accrocher son regard.) Je ne vous ai jamais vu ainsi.
— C’est difficile pour moi, dit Averill en détournant les yeux, la mâchoire crispée. Les magiciens ne sont pas comme nous, Églantine. Ils s’attaquent les uns aux autres, comme à leurs ennemis les plus ancestraux. Tu ne peux pas affirmer que, simplement parce que nous n’agirions pas d’une certaine façon…
— Il dit qu’il est innocent, l’interrompit Raisa. Et je le crois. Pourquoi faut-il qu’à chaque problème ce soit Han Alister qu’on accuse ?
Elle lutta pour dissimuler ses sentiments, qui menaçaient d’éclater au grand jour.
— C’est un tueur. Et un voleur. Ainsi qu’un magicien, répondit Averill en comptant chaque péché sur ses doigts.
— Et pourtant vous avez conclu un marché avec lui, nota Raisa.
— Peut-être était-ce une erreur.
— Pourquoi ? Qu’a-t-il fait ?
Raisa sentit son visage s’empourprer, et elle se détourna afin que son père ne le voie pas.
— C’est exactement cela : on ne peut deviner quelle sera sa prochaine action, gronda Averill. Je ne sais comment, il a réussi à te convaincre à faire de lui ton garde du corps, puis il s’est installé dans la chambre voisine de la tienne. Et voilà que tu le nommes au Conseil des Magiciens. (Averill se tut un instant, avant de reprendre.) Il est ambitieux.
Ce mot était lourd de sens.
Mon père n’est pas stupide, songea Raisa. Il doit se douter qu’il se passe quelque chose entre Han et moi. Voilà ce qui nourrit son animosité. Lorsqu’il regarde Han, pense-t-il à la façon dont Gavan Bayar a séduit Marianna ? Si c’est le cas, je pourrais tout aussi bien peindre une cible sur le dos de Han.
— C’est un homme, dit-elle. Pas une arme avec laquelle vous pouvez viser et tirer. Vous lui avez donné une mission, vous devriez lui faire confiance pour la remplir.
— Voilà le problème : nous ne lui faisons pas confiance, expliqua Averill en secouant la tête. Pour le moment, nos intérêts et les siens coïncident. Mais nous ne sommes pas naïfs. Nous nous sommes assurés qu’il ne nous trahira pas.
Raisa fit volte-face pour regarder son père.
— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle. Qu’avez-vous fait ? Que comptez-vous faire ?
— Il s’agit d’affaires demonai, ma fille, répondit Averill.
— Qu’avez. Vous. Fait ? exigea Raisa en fixant un regard noir sur son père, les poings serrés, sachant qu’elle se dévoilait bien trop, mais incapable de s’en empêcher.
— Églantine, dit Averill en lui prenant les mains, essayant de la calmer. Je t’en prie. Je dis simplement que nous gardons un œil attentif sur lui. Tant qu’il fait ce qu’on lui dit, il n’a pas à s’inquiéter.
Il me ment ! Mon père me ment, et il pense que c’est pour mon bien. Ils avaient toujours été si proches, et cela lui brisait le cœur qu’il ne puisse plus se confier à elle.
Et qu’elle ne puisse plus se confier à lui non plus.
— Je suis heureuse de l’apprendre, père, dit-elle. Je tiens simplement à vous rappeler que Chasse-Seul m’a sauvé la vie. Cela doit bien compter un peu. Et, tout comme le reste de mon peuple, je m’attends à ce que les Demonai respectent la loi.
Ils reprirent leur marche, toujours suivis par les gardes de Raisa.
Averill leur jeta un regard, semblant vouloir laisser de côté Han Alister.
— Tant que tu es célibataire, le Conseil des Magiciens espère te faire épouser l’un des leurs, dit-il. Un mariage réduirait cette possibilité à néant. Cela pourrait même assurer plus encore ta sécurité.
Raisa savait où il voulait en venir. D’une certaine façon, il parlait encore de Han Alister.
— Peut-être. Ou, en fonction de celui que j’épouserai, cela pourrait me mettre plus en danger encore. Par exemple, si je devais m’unir à un membre des clans des Esprits, les magiciens pourraient décider de m’assassiner et de tenter leur chance avec Mellony. (Elle se tut un instant.) En parlant de Mellony, j’aimerais que vous passiez plus de temps avec elle. Elle est complètement perdue depuis la mort de notre mère. Marianna et elle étaient très proches.
— Je sais, répondit Averill. Je suis d’avis que passer un peu de temps dans les montagnes lui ferait du bien. Mais Lys rejette toutes mes propositions. C’est comme si elle me rendait responsable de la mort de Marianna.
— Continuez d’essayer, dit Raisa. Je m’inquiète pour elle.
— C’est promis, acquiesça Averill, avant d’en revenir à son sujet favori. Maintenant, revenons à cette affaire de mariage. J’espère que tu envisageras sérieusement la possibilité d’épouser Reid MarcheNuit. C’est un chef fort et un guerrier de valeur, qui jouit d’un prestige important au sein de tous les camps. Il est de lignée royale dans les clans, et mon successeur.
— Il est plutôt entêté, non ? dit-elle.
Averill éclata de rire.
— Comme je l’étais, au même âge. Je pense que c’est cette passion en lui qui lui vaut une telle popularité. Et il te plaît, non ? Une fois, lorsque tu étais au camp Demonai…
— Il me plaît, la plupart du temps, admit Raisa.
À une époque, j’ai cru que je l’aimais, songea-t-elle. Que s’est-il passé ? Est-ce à force de le comparer à Han ? Ou est-ce parce qu’Elena et Averill essaient de me jeter dans ses bras ? Et, pourtant… ils le connaissent depuis toujours, et ils veulent ce qu’il y a de mieux pour moi, n’est-ce pas ?
— Selon vous, donc, je devrais conclure une union semblable à celle de ma mère ? s’enquit Raisa.
« Voilà qui a bien fonctionné », aurait-elle voulu dire. Mais elle se tut. Au lieu de cela, elle serra gentiment sa main sur le bras de son père pour effacer un peu de sa douleur.
Averill fit quelques pas avant de répondre.
— Je sais que mon mariage avec Marianna n’était pas… tout ce qu’il aurait pu être, finit-il par dire. Mais j’aimais sincèrement ta mère, il faut que tu le saches. Et, sans le seigneur Bayar, j’aurais pu gagner son amour, malgré notre différence d’âge. De plus, Lys et toi valiez toute la douleur que je pouvais endurer.
— Je vais devoir me contenter de souffrir et de procréer ? dit Raisa en essayant de garder un ton léger, mais sans pouvoir empêcher sa voix de trembler. Dans le cas de MarcheNuit, je me demanderais dans quel lit il va coucher.
— Il changera de comportement, répondit Averill. Il désire vraiment cette union, tu sais.
— Je le sais, assura Raisa. Et je vais étudier sérieusement sa proposition. Mais je ne peux m’empêcher de me demander s’il me désire, moi, ou s’il veut simplement épouser la reine.
— Cela compte-t-il ? demanda Averill en la regardant droit dans les yeux. On ne peut séparer l’un de l’autre.
Raisa éclata de rire.
— Parfois, je n’arrive pas à savoir si vous êtes un cynique ou un romantique.
— Les deux, dit-il. Il n’y a qu’ainsi que l’on peut survivre à l’amour comme à la politique.
Il la serra dans ses bras avant de s’en aller.
Raisa s’arrêta un instant dans le couloir, devant la porte de ses appartements, d’où sortait la douce mélodie d’une basilka. Cat, se dit-elle avec un sourire. Lorsqu’elle poussa le battant, elle vit la jeune fille assise au bord du foyer, sa basilka posée en travers de ses genoux, sa tête aux cheveux noirs penchée sur les cordes. Près d’elle, non loin du feu, Magret était étalée sur sa chaise, la tête rejetée en arrière, les yeux fermés et le front recouvert d’un linge.
Cat leva les yeux et aperçut Raisa, ce qui stoppa instantanément la musique. Elle bondit sur ses pieds et se plia en deux pour une révérence, tenant la basilka par le manche.
Lorsque la mélodie se tut, Magret ouvrit les yeux et se rassit, clignant des paupières. Apercevant Raisa, elle aussi se redressa instantanément, comme si elles venaient d’être prises en flagrant délit de faute.
— Votre Majesté ! bredouilla-t-elle en la saluant. Je ne vous ai pas entendue entrer.
— Ne vous affolez pas, Magret, répondit Raisa. Il semblerait que vous souffriez d’une de vos migraines.
— Oui, madame, acquiesça Magret avant de s’éclaircir la voix. Mais, la musique, ça a l’air d’aider. C’est la fille qui l’a suggéré.
Elle indiqua Cat d’un signe de tête.
— La fille a un nom, fit remarquer Raisa en haussant les sourcils.
— C’est Caterina qui l’a suggéré, se reprit Magret avec obédience.
— Continuez, si vous le désirez, leur dit la jeune fille. J’ai de la lecture.
— Si cela vous sied, madame, j’aimerais aller m’allonger un moment, dit Magret. Je me sentirai mieux d’ici le souper, j’en suis sûre.
— Bien entendu, répondit Raisa en la congédiant d’un geste. Prenez tout le temps qu’il vous faudra.
Après le départ de sa servante, la jeune fille s’installa sur la chaise qu’elle avait quittée et sortit une liasse de papiers d’un portfolio. Il s’agissait d’une enquête qu’elle avait demandé à Klemath de réaliser au sujet des fortifications de la frontière. Selon son rapport, elles étaient en bon état.
Hmmm, songea-t-elle. Aux dernières nouvelles, le mur près du camp des Pins Marisa avait grand besoin de réparations.
Toutefois, il lui était difficile de se concentrer, tant l’accusation portée contre Han lui occupait l’esprit.
Pendant ce temps, Cat s’agitait comme si elle cherchait quelque chose à faire, tournant autour des piles de vêtements qui devaient être apportés à la blanchisserie ou jetés.
— Assieds-toi, ordonna Raisa en désignant le foyer. (Cat obéit.) Raconte-moi ce qui se passe au Marché-des-Chiffonniers ainsi qu’au Pont-Sud. Qu’as-tu appris sur les meurtres de magiciens ?
Le visage de Cat se ferma, telle une fenêtre qui se couvrirait de buée.
— Rien, dit-elle en triturant une croûte sur son bras. Je l’aurais dit à Gourmettes… au seigneur Alister, ou au capitaine Byrne, sinon.
La réponse avait été rapide, trop rapide pour être la vérité. Raisa essaya d’accrocher le regard de Cat, mais sa servante-espionne en chef refusait de lever les yeux.
— Tu as bien dû entendre quelque chose, insista Raisa. Des rumeurs, des commérages…
Cat haussa ses frêles épaules.
— Personne n’a rien vu, ou alors ils en parlent pas. Y a pas de brasillant en circulation au Marché. Les tueurs ont même pas abîmé les corps.
— Eh bien ? As-tu une idée, une théorie ? demanda Raisa, qui commençait à s’impatienter.
— Je me suis demandé si ça pourrait pas être quelqu’un qui voudrait venger tous les meurtres qu’y a eu l’été dernier, les Sudistes et les Chiffonniers. Mais il reste plus de Sudistes, et pas de Chiffonniers non plus, à part ceux qui bossent pour vous et pour le seigneur Alister.
Un léger doute s’insinua en Raisa avant qu’elle puisse lui tordre le cou. Était-il possible que Cat et les siens soient impliqués, d’une façon ou d’une autre ? Sans que Han ne le sache ? Était-ce la raison pour laquelle Cat se montrait aussi nerveuse ?
— Penses-tu que, si quelqu’un savait quelque chose à propos des meurtres, il irait en parler à la Garde ? demanda Raisa. Si quelqu’un voyait quelque chose ?
— Je crois pas, répondit Cat. Les porte-poisse sont pas les bienvenus au Pont-Sud ou au Marché-des-Chiffonniers. Ils sont nombreux à être contents de les voir se faire descendre. Personne va prendre de risques pour eux. Le seul qu’ils aiment bien, c’est Gourmettes, parce que c’est l’un des leurs. Ils le respectaient déjà avant. Maintenant, ils pensent qu’il peut mâcher des cailloux et recracher des diamants.
— Penses-tu qu’il s’agisse de quelqu’un œuvrant seul ?
— Peut-être. Si c’était les bandes, quelqu’un saurait quelque chose, et on me l’aurait dit. Qui que ce soit, ils sont doués pour se faufiler sans être vus.
Cat semblait choisir ses mots avec précaution, comme si elle cherchait à préserver un gros secret.
Raisa songea aux accusations de son père à l’encontre de Han.
— Se pourrait-il que ce soit un magicien ?
Cat la regarda enfin en face, l’air malheureuse.
— Ce serait possible, vu qu’ils peuvent se dissimuler. (Elle se tut un instant.) Vous en pensez quoi ?
— Je ne sais pas, répondit Raisa, ignorant comment interpréter les signaux de Cat. Enfin, aucune des victimes n’a été tuée par magie.
— Ce serait un peu trop évident, non ? dit Cat, presque pour elle-même. Et, de toute façon, les lames sont plus rapides que les sorts. À mon avis, ce serait pas compliqué pour un magicien d’en planter un autre, comme en plus ils se font sûrement confiance.
Pour ce qui est de la confiance, je ne suis pas sûre, songea Raisa. La pénurie d’amulettes pourrait-elle être la cause ? Des magiciens s’entre-tuant pour se les voler ? Après tout, certains étaient prêts à kidnapper des enfants des clans pour en avoir. Les conflits du Conseil se déversaient-ils dans les rues ? Mais cela n’avait aucun sens. Aucune des victimes n’avait réellement d’importance. Leur seul point commun était leur nature de magicien.
— Et si tu jouais ? suggéra finalement Raisa en indiquant d’un signe de tête la basilka appuyée contre la cheminée.
À cet instant, on frappa à la porte d’un coup sec. Cat se leva pour aller répondre et, presque aussitôt, Raisa entendit les voix monter en une dispute.
— Elle n’est pas là, disait Cat. Revenez plus tard. Ou jamais.
— Qui est-ce, dame Tyburn ? lança Raisa par-dessus son épaule.
Cat tressaillit lorsque la voix de la reine indiqua qu’elle entendait.
— Personne, répondit-elle. Personne que vous voulez voir.
En tout cas, cela n’avait pas l’air d’être un danger imminent. Raisa se leva et se tourna vers la porte. Derrière Cat, emplissant l’embrasure, se tenait Micah Bayar, une main posée sur son amulette, et l’autre tendue vers Cat.
Un danger d’un genre différent.
— Rappelez votre chien de garde, Raisa, dit Micah.
Cat agita une dague sous son nez.
— Allez-y. On verra bien qui est le plus agile, dit-elle, les yeux brillants. Il vaudrait mieux que ce soit un sort rapide.
— Je croyais qu’Alister t’avait tuée, lui répondit Micah. Il m’a dit l’avoir fait.
— Pour ce qui est des gens que le seigneur Alister a envie de tuer, c’est pas moi qui suis la première sur la liste, répliqua Cat.
— Il suffit, Caterina, ordonna Raisa. Laisse-le entrer. Je lui ai dit qu’il pouvait venir me voir.
— Quoi ? s’exclama Cat, l’air de penser que Raisa était dérangée. Pourquoi ?
— Cela ne te regarde pas, rétorqua-t-elle.
Micah indiqua la porte du regard, essayant de faire sortir Cat de la pièce.
— Bon, si vous voulez bien nous excuser…
Ça, c’était hors de question. Comme toujours, Micah cherchait à outrepasser les limites de Raisa.
— Caterina, voudrais-tu jouer pendant que nous discutons ? demanda Raisa en caressant le manche de la basilka du bout des doigts. Ou peut-être préféreriez-vous entendre de la harpe ? ajouta-t-elle pour Micah.
— Je ne suis pas d’humeur à écouter de la musique, répliqua-t-il d’un air furieux.
— Croyez-moi, Micah, dame Tyburn va vous faire changer d’avis, assura-t-elle en tendant la basilka à sa servante au regard assassin. Pourquoi ne commencerais-tu pas par La Complainte d’Hanalea ? C’est ma préférée. (Elle indiqua les sièges devant le feu.) Nous pouvons nous installer là.
Elle-même se laissa tomber sur les coussins et indiqua l’autre fauteuil d’un geste.
Micah s’y assit avec réticence. Cat s’installa derrière eux, près de la porte, sa basilka sur les genoux.
— Que fait-elle ici ? demanda Micah en chuchotant furieusement. Lorsque j’ai vu partir la vieille chouette, j’ai pensé que vous étiez seule.
— Rôdiez-vous devant ma chambre, Micah ? demanda Raisa. Voilà qui n’est pas rassurant.
Les premières notes de la chanson familière s’élevèrent. S’ensuivit une série d’accords forts et colériques. Cat était douée pour s’exprimer à travers son instrument.
— En parlant de rassurant, savez-vous qui est votre servante ? dit-il en remuant violemment les bûches avec un tisonnier de métal. Elle faisait partie d’une bande des rues avec Alister. C’est une voleuse, et aussi sûrement une meurtrière. Mais cela semble être les qualifications requises pour vous servir, dernièrement. J’espère que vos bijoux sont sous clé.
Cat commença enfin à jouer pour de bon. D’abord La Complainte d’Hanalea, puis L’Air des montagnes.
Micah soupira.
— Si nous ne pouvons être seuls, pourrions-nous parler du Conseil des Magiciens ?
— Qu’en est-il ?
— Que vous a dit Alister ?
— Ce que m’a raconté Alister reste entre lui et moi, cingla Raisa. Pourquoi ne me diriez-vous pas ce que vous avez en tête, Micah ? Je ne me livrerai pas à une joute avec vous.
Micah se passa les doigts dans les cheveux avant de poser ses deux mains sur ses genoux.
— L’ordre du jour de notre Conseil est l’élection d’un nouveau Haut Magicien pour servir à votre côté. Malheureusement, elle a été repoussée à notre prochaine réunion.
— J’imagine que rien ne presse, dit Raisa, si votre père est prêt à continuer de remplir ce devoir.
Micah tendit la main et toucha celle de la jeune fille comme s’il n’était pas sûr de sa réaction.
— Écoutez, dit-il à voix basse. Plus vite mon père se retire, mieux ce sera pour vous et votre lignée, plus sûr également. (Il s’interrompit, comme s’il hésitait à continuer.) Je compte me présenter pour devenir Haut Magicien, et j’ai de bonnes chances de l’emporter. Cela me mettra en meilleure position pour vous protéger. Peut-être qu’alors vous accepterez de ne pas garder Alister comme garde du corps.
Raisa retira sa main.
— Pourquoi ferais-je cela ?
— Je ne comprends vraiment pas, dit Micah en se penchant un peu plus en avant. Je ne vois pas pourquoi vous accordez tant de libertés à Alister. S’il vous a menacée, ou s’il vous fait chanter, ou s’il a trouvé un moyen de vous plier à sa volonté, dites-le moi. Je m’en chargerai.
— Je sais ce que je fais, rétorqua Raisa. Votre manque de confiance en moi relève de la condescendance.
— Ce n’est pas un manque de confiance de ma part. Vous êtes imprudente, répliqua Micah.
— Oh ? De qui devrais-je me méfier ? dit-elle. Han Alister m’a sauvé la vie au col du camp des Pins Marisa. Et vous ? Voyons voir… Vous m’avez ensorcelée lors de la fête de votre jour de naissance, vous avez essayé de me forcer à vous épouser, puis vous m’avez enlevée de l’école. Jolie performance.
Micah baissa les yeux sur ses mains.
— J’ai essayé de vous expliquer, mais c’est comme si vous ne m’entendiez pas, dit-il d’une voix légèrement tremblante.
— Je crois ce que je vois.
— Vraiment ? demanda-t-il en se redressant. Alors regardez bien Alister. Je vois une tout autre facette de lui. Je pense que c’est lui qui vous a ensorcelée. Je dois partir.
Il se leva. Raisa l’imita, frustrée par la tournure de la conversation.
— Vous n’avez aucune raison d’agir comme si je vous avais donné de faux espoirs, murmura-t-elle d’un ton furieux. Vous m’avez dit que je serais plus en sécurité si je vous laissais me courtiser en public. Je vous ai donné des règles lorsque j’ai accepté de jouer à ce jeu.
— Ce n’est pas un jeu, répondit Micah. Pas pour moi. (Il inclina la tête.) Votre Majesté.