18

CRIMES PASSÉS ET DÉLITS MINEURS

Pendant un long moment, Han crut avoir mal entendu. Il cligna des yeux en observant Adam Gryphon, puis regarda autour de la table les autres visages stupéfaits. Ce qui lui fit comprendre qu’il avait certainement bien entendu.

— Excusez-moi ? dit le seigneur Bayar. Qu’avez-vous dit ?

— Je vote pour que Hanson Alister devienne Haut Magicien et vous remplace, répondit Gryphon. Il me semble que cela signifie qu’il l’emporte.

— Pourquoi iriez-vous voter pour le voyou des rues qui a assassiné vos parents ? s’écria Mander. Ça n’a aucun sens !

Voilà le rôle de Mander au sein du Conseil, songea Han. Il laisse échapper ce que tout le monde pense sans le dire.

Gryphon lui adressa un regard glacial.

— Je n’ai entendu aucune preuve indiquant qu’Alister avait un lien avec la mort de mes parents. Si et quand il sera accusé de ce crime, j’imagine que les procédures judiciaires habituelles s’appliqueront. S’il est reconnu coupable, il sera remplacé, bien évidemment.

— Vous… vous… vous avez voté pour quelqu’un dépourvu de lignée, d’histoire et de contacts à la cour ? gémit Mander. Il n’est magicien que depuis peu de temps. Tout le monde sait que ce gamin est de mèche avec les démons.

J’imagine que c’est vrai, d’une certaine façon, songea Han. Il était ébloui, la tête lui tournait presque, et il avait du mal à suivre la conversation.

— Il m’a semblé que l’introduction de sang neuf à ce poste serait… intéressante, répondit Gryphon.

— Seigneur Gryphon, intervint Bayar, luttant pour se montrer diplomate. Serait-il possible que la mort récente de vos parents ait pu vous inspirer un choix irréfléchi et quelque peu déraisonnable ?

— Au contraire, je dirais qu’il s’agit là d’un choix aussi courageux qu’inventif, répondit Abelard avec un large sourire.

Peut-être n’était-elle pas devenue Haute Magicienne elle-même, mais elle faisait bien enrager ses ennemis. Gryphon et elle semblaient être les seuls à se réjouir.

Bien sûr, Abelard ignorait que les plans de Han visant à rallier Gryphon à sa cause avaient fait long feu.

— Peut-être devrions-nous repousser ce vote et attendre que le seigneur Gryphon ait repris ses esprits, proposa hâtivement le seigneur Mander. C’était une erreur que de le faire assister trop tôt à cette réunion.

— En vérité, je n’ai jamais eu les idées aussi claires. Et cette discussion ne fait qu’illustrer la sagesse de ma décision.

Gryphon se redressa, les lèvres réduites à une fine ligne.

Han finit par reprendre ses propres esprits.

— Il me semble que ce vote a eu lieu de façon équitable et traditionnelle, et le résultat devrait en être accepté. Nous devrions cesser de chercher à deviner les motivations du seigneur Gryphon et passer à autre chose.

— Il était évident que vous alliez dire cela, répliqua Mander, acerbe.

— Je propose d’ajourner la réunion et de permettre à des esprits plus sereins de prévaloir, dit le seigneur Bayar en levant son marteau. Nous pourrons en reparler lors de notre prochaine réunion.

— Je croyais qu’il était extrêmement urgent que nous nous prononcions, intervint Abelard. Et nous l’avons fait. Je prends moi aussi des notes lors du processus, Gavan, et je m’assurerai que les vôtres soient honnêtes.

— C’est la volonté du Conseil, ajouta Gryphon en hochant la tête. Bien, que faisons-nous maintenant ? Êtes-vous censé donner votre marteau à Alister, seigneur Bayar, ou doit-il s’en acheter un ?

Ses yeux brillaient d’une joie retenue.

Han se prépara à se baisser rapidement, au cas où le seigneur Bayar le lui lance à la tête. Mais Bayar avait retrouvé son visage des rues. Il fit glisser l’objet sur la table, en direction de Han.

— Merci, seigneur Bayar, dit le jeune homme. Votre confiance m’honore, et je ferai de mon mieux pour rassurer ceux qui ont voté pour mon adversaire. (Il hocha la tête en direction de Micah, qui lui décocha son regard le plus noir.) J’ai quelques points à régler avant que nous n’ajournions cette session. Pour commencer, en ce qui concerne le… projet du Marché-des-Chiffonniers. En tant que Haut Magicien, j’en assumerai la responsabilité, seigneur Bayar, et rendrai compte de mes progrès au Conseil.

Peut-être Han l’imaginait-il, mais Micah semblait soulagé.

Pourtant, quelque chose dans l’expression du seigneur Bayar mettait Han mal à l’aise. Il n’avait pas l’air abattu, pas le moins du monde. Un frisson glacé parcourut le corps de Han. Il faut que je sorte d’ici, se dit-il. Il faut que je parle à Raisa.

La voix acerbe d’Abelard vint interrompre ses pensées.

— Étant donné que nous avons voté cette motion, nous ne tolérerons aucun délai dans l’exécution, Alister, quel que soit votre avis personnel en la matière. (Elle se tut un instant.) Si cela se révélait nécessaire, nous confierions cette tâche à quelqu’un d’autre.

Il était clair qu’Abelard comptait lui serrer la bride.

— Je comprends, répondit-il.

Peut-être allait-il pouvoir repousser la destruction du Marché-des-Chiffonniers et du Pont-Sud, mais il allait devoir trouver un moyen d’arrêter les meurtres, au risque de se retrouver dans une situation inextricable.

— Avant d’ajourner cette réunion, j’aimerais vous annoncer le nom de celui qui me remplacera au Conseil.

Micah finit par retrouver sa voix, bien qu’elle soit rauque et assez lasse.

— Celui qui vous remplacera ? N’est-ce pas à la reine de décider ?

— J’en ai discuté avec elle avant cette réunion, juste au cas où, répondit Han. Bien évidemment, je n’aurais jamais rêvé que cela arrive.

— Vous dites que la reine vous a déjà choisi un remplaçant ? fit Micah, sceptique.

— La reine Raisa a choisi Hayden Danseur de Feu, déclara Han.

— Hayden ? répéta Gryphon en clignant des yeux. Qui est… (Puis il comprit.) Elle a choisi un rouquin pour la représenter au Conseil ?

Tout le monde autour de la table secouait la tête. Abelard jeta un regard noir à Han, les sourcils haussés, comme pour dire : « Avez-vous perdu la tête ? »

— Raisa a-t-elle vraiment choisi un rouquin ? railla Micah. Ou est-ce vous ?

— Hayden a du sang des clans, c’est vrai, admit Han. Mais il porte également celui des magiciens.

Il sortit l’attestation de Raisa de sa veste, et la poussa en direction d’Abelard, qui semblait la moins à même de la déchirer.

Abelard brisa le sceau de cire, déplia le papier, et le parcourut rapidement.

— Eh bien, dit-elle en le jetant sur la table. Il tient cette décision par écrit, de la main de la reine.

Gavan Bayar se leva, ses yeux bleus brillant de triomphe, comme si après la défaite il sentait pouvoir saisir une belle victoire.

— Si cela est vrai, ce dont je doute sincèrement, soit la reine Raisa a totalement perdu l’esprit, soit vous la contrôlez d’une façon ou d’une autre.

Han se leva à son tour, rajustant son étole.

— La reine Raisa compte unir les peuples des Fells, déclara-t-il. Quelle meilleure façon de le faire que d’offrir une voix différente au Conseil ?

— La différence est une chose, répliqua Bayar. Nous avons de la diversité au Conseil. Contraire à la nature, c’en est une autre. (Il se dressa de toute sa taille.) Nous avons toléré les faux pas de la reine Raisa, sachant qu’elle est jeune et naïve. Malgré nos doutes, nous vous avons accueilli au sein de ce Conseil et tenté de vous enseigner nos traditions ainsi que nos procédures. (Il se retourna, et ses robes volèrent derrière lui.) Vous êtes-vous fait humble, avez-vous écouté les plus compétents et travaillé dur pour mériter votre place parmi nous ? Non. (Il secoua la tête.) Non. Vous semblez avoir monté un complot pour prendre le contrôle de cette assemblée à votre, quoi, votre deuxième réunion ?

»  Mais ceci, ceci est intolérable. Croire que nous pourrions admettre un sang-mêlé né d’un acte criminel dans notre assemblée la plus puissante. Que nous pourrions lui permettre de s’asseoir avec nous et de participer comme un égal, ceci ne saurait être toléré.

Han leva le marteau. Mais, avant de pouvoir l’abattre, il entendit des voix de l’autre côté de la porte, Forgemétal protestant que le Conseil était en pleine réunion, que personne ne pouvait entrer.

Il entendit Danseur dire :

— Il me semble que le seigneur Alister m’attend.

Danseur et Saule étaient venus. Et maintenant Han devait agir, continuer selon le plan malgré son désir de retourner en ville. Malgré son inquiétude que cette intervention donne trop d’éléments à prendre en compte trop vite.

Han essaya de ne pas regarder la porte, qu’il s’attendait à voir s’ouvrir à tout instant. Attends, attends, attends, essayait-il de dire mentalement à Danseur. Laisse d’abord parler Bayar. Laisse-le se détruire lui-même. S’il existe un dieu au paradis, attends.

La voix de Bayar porta depuis le bout de la table :

— Pendant des siècles, nos ancêtres se sont réunis ici, prenant des décisions qui ont façonné l’histoire. Et l’une de ces décisions interdit toute relation entre les magiciens et les rouquins. Il s’agit pour nous d’une abomination. Cela représente un danger pour la pureté de la race des magiciens. C’est exactement pour éviter ce genre de situation que les lois ont été créées, des lois qui ont été respectées pendant un millier d’années. Il aurait mieux valu que le bâtard soit noyé à la naissance.

— Hayden Danseur de Feu est peut-être un enfant du hasard, répondit Han, mais il porte le sang de l’une des familles de magiciens les plus importantes du royaume.

Un quart de seconde, l’expression arrogante de Bayar vacilla. Puis il se détourna de Han pour faire face au reste du Conseil.

— Voilà comment nous allons procéder, déclara le seigneur Bayar. Nous allons déclarer que Hanson Alister n’est pas apte à servir ce Conseil et en informer la reine. Nous allons mettre de côté les résultats de notre dernier vote, étant donné que la participation d’Alister le rend nul et non avenu. Je continuerai de tenir mon rôle de Haut Magicien jusqu’à ce qu’Alister soit remplacé au Conseil. Puis-je suggérer un certain nombre de candidats capables de…

Forgemétal ouvrit les portes.

— Je suis navré, seigneur Bayar, mais ces… gens prétendent que le seigneur Alister les attend. Ils ont insisté pour entrer.

Danseur de Feu et Saule Chant d’Eau passèrent devant lui et entrèrent dans la salle du Conseil.

Saule portait une jupe fendue en laine brodée, un châle léger comme une plume sur les épaules, ainsi que de belles bottes pointues et peintes. Ses cheveux étaient rassemblés en une longue tresse, entremêlés à des talismans et des plumes. Elle n’avait jamais semblé aussi belle, aussi sereine.

Danseur était habillé comme un prince des clans et portait son étole Bayar à l’emblème du Faucon Plongeant drapée sur ses épaules, ainsi que l’amulette du Chasseur Solitaire en évidence. Ils s’avancèrent ensemble et s’arrêtèrent à quelques pas des Bayar abasourdis.

Alors que Danseur et le seigneur Bayar se retrouvaient côte à côte, la ressemblance entre eux était indéniable.

— Seigneur Bayar, dit Saule dans la langue commune d’une voix claire et forte. Vous souvenez-vous de moi ?

C’était le cas. Han le voyait. Le visage des rues de l’homme faillit un instant, révélant une peur brute, du désir et de la culpabilité.

— Comment osez-vous ? commença le seigneur Bayar, mais sa voix avait perdu de sa force. Comment osez-vous pénétrer dans ce lieu sacré et lancer des accusations ?

— Je n’ai encore porté aucune accusation, répondit Saule. Peut-être s’agit-il là de votre culpabilité résonnant à vos oreilles. (Elle se tourna vers les autres membres du Conseil, qui restaient bouche bée.) J’ai quelque chose à dire.

Bayar chercha à saisir son amulette et tendit une main tremblante vers la femme.

Danseur vint se placer entre eux, et la lumière fit scintiller la lame de son couteau.

— Lâchez cette amulette, dit-il à voix basse. Et laissez parler ma mère. Ou je vous tranche la gorge.

Le seigneur Bayar se leva, le souffle court, et soutint le regard de son fils pendant un long moment lourd de tension. Puis il lâcha son porte-poisse.

Saule parla, et même les alliés de Bayar semblèrent subjugués. Micah observait Saule, puis Danseur, puis Saule de nouveau, secouant la tête, avec sur le visage un mélange puissant de fureur et d’écœurement. Le seigneur Mander se léchait constamment les lèvres, sans lever les yeux de la table. Gryphon se frottait le menton avec la paume de sa main, le front plissé comme il réfléchissait, toute son attention concentrée sur Saule.

Abelard était appuyée au dossier de sa chaise et semblait tour à tour fascinée ou immensément amusée. De temps en temps, elle se reprenait et adoptait une expression de rejet horrifié. Mais tout le monde voyait bien qu’elle était la personne la plus heureuse de la pièce.

Le récit de Saule se termina enfin.

— Je n’ai pas honte de Hayden Danseur de Feu, dit-elle. Bien que le chemin qui lui a été tracé soit difficile, il est une bénédiction dans ma vie. Mais il est temps que le seigneur Bayar paie pour cet acte qu’il a commis, un crime parmi tant d’autres, j’imagine. Le plus répréhensible reste le fait qu’il condamne d’autres personnes pour ses propres exactions.

Pendant ce temps, Bayar semblait avoir repris le contrôle de lui-même. Han soupçonnait même qu’il n’avait pas écouté : il connaissait l’histoire, après tout, mais devait avoir préparé la sienne.

— En avez-vous bientôt terminé ? demanda-t-il ostensiblement.

— Pas encore, répondit Saule, mais j’aimerais entendre ce que vous avez à dire après mes paroles.

Bayar balaya l’assemblée du regard et secoua la tête d’un air malheureux, comme si le monde venait de le décevoir une fois de plus.

— Cette… cette femme, commença-t-il, comme s’il songeait à un autre mot. Cette femme a porté un enfant du hasard et pense pouvoir profiter d’une légère ressemblance entre moi et son rejeton illégitime pour faire cette déclaration grotesque.

»  Oui, il est probable que ce sang-mêlé ait été engendré par un magicien, ou quelqu’un ayant du sang de magicien. Peut-être même quelqu’un qui nous serait vaguement apparenté. Nous sommes liés par le sang à la plupart des importantes familles de magiciens du royaume. Cela expliquerait la ressemblance. Je ne serais pas surpris si cette sorcière barbare des montagnes avait volontairement séduit un magicien. Bien évidemment, cela n’absout pas le magicien de sa responsabilité en l’affaire. Il est de notre devoir de prendre garde à ce genre de piège. Tout le monde sait que les rouquins se reproduisent comme des lapins.

Danseur se raidit, et Han posa la main sur le bras de son ami.

— Il essaie de te faire sortir de tes gonds, murmura-t-il. Ne lui donne pas d’excuse pour vous faire taire. Laisse-le creuser sa tombe au plus profond.

— De toute évidence, Alister et ses amis rouquins ont mis au point toute cette histoire pour me discréditer, continua Bayar avant de regarder Saule et Danseur. Savez-vous que les rouquins ont interdiction de pénétrer dans la maison du Conseil ? Partez, ou je fais arrêter.

— Vous ne disposez pas de l’autorité de faire arrêter qui que ce soit, rétorqua Han. Vous n’êtes plus Haut Magicien.

— Nous n’allons pas rester plus longtemps, répondit Saule. Cet endroit me vide de ma magie. (Elle soutint le regard de Bayar.) Avant que nous partions, j’ai quelque chose à vous rendre. (Elle sortit un petit sac de sa ceinture et se tourna vers le Conseil.) Voici le porte-poisse dont s’est servi Gavan Bayar pour m’ôter toute volonté.

Elle le tendit à Adam Gryphon, qui défit le lien et fit tomber l’anneau de Bayar dans sa main. Il tendit le bras vers le milieu de la table et inclina le bijou, qui scintilla à la lumière tel un œil accusateur. Deux faucons, toutes serres dehors, dos à dos. Avec des yeux d’émeraude.

— Il s’agit bien d’un porte-poisse, déclara Gryphon en le tapotant de l’index. Très puissant, en effet.

Il ne dit pas ce que tout le monde savait : l’anneau correspondait parfaitement à l’amulette que portait Gavan Bayar depuis sa cérémonie d’attribution de nom d’adulte. Bayar referma d’ailleurs sa main dessus, comme s’il pouvait la cacher aux yeux de tous.

— Les guerriers demonai disent que, si l’on marque ses ennemis, on peut toujours les retrouver, continua Saule. Tu m’as marquée, Bayar. Tu m’as laissée avec une âme brisée et un fils. (Elle se tut un instant.) Mais j’ai moi aussi laissé ma marque sur toi.

— Cela a assez duré, dit Bayar. Nous étions en train de…

— Laissez-la parler, Bayar, le coupa Gryphon. Nous avons le temps pour cela.

— Dévoilez la paume de votre main droite au Conseil, déclara Saule. Montrez-leur la marque que je vous ai faite.

Au lieu de cela, Bayar serra les poings.

— Qui a séduit qui, sorcière ? dit-il d’une voix basse emplie de venin.

Il fit volte-face dans un envol de tissu et sortit de la pièce à grands pas.

Pendant un long moment de stupéfaction, personne ne bougea. Puis Micah Bayar se leva et suivit son père, mais après avoir décoché un regard de pure haine à Han et Danseur. Son oncle, le seigneur Mander, lui emboîta le pas aussitôt.

Ceux qui restaient assis à la table les regardèrent partir.

— Bon, il semblerait que nous ayons perdu notre quorum, dit Han en jouant avec son marteau. Je ne pense donc pas que nous puissions nous occuper de quoi que ce soit d’autre aujourd’hui.

Abelard sourit et secoua la tête.

— Eh bien, Alister ! d’ordinaire, ces réunions sont d’un ennui mortel. Du sang neuf, en effet. Vous avez remis de la vie dans cette assemblée.

De tous les membres du Conseil, Abelard semblait prête à accueillir Danseur si cela signifiait que Gavan Bayar tombait en disgrâce.

Han ne se sentait pas particulièrement plein d’entrain. Si auparavant l’orage grondait, il avait déchaîné une véritable tempête. Le regard du jeune homme se perdit dans l’immense cheminée à l’autre bout de la salle. Un loup gris aux yeux verts l’observa en retour, la fourrure hérissée le long de ses épaules.

« Qu’y a-t-il ? voulut-il demander. Qu’essaies-tu de me dire ? »

Han avait trop de points vulnérables car il aimait trop de gens, trop de façons pour les Bayar de l’atteindre, avec leur bras long et leurs nombreux alliés. Il devait retourner à la Marche-des-Fells.

— Cette réunion est ajournée, déclara-t-il en laissant retomber son marteau. Doyenne Abelard, pourriez-vous rester un instant ?

 

 

 

Abelard était tellement ravie de l’issue de la réunion du Conseil qu’elle réquisitionna les montures de trois de ses gardes pour les donner à Han et aux siens sans poser de questions. Elle leur offrit également des capes aux couleurs des Abelard, avec le symbole du livre et de la flamme.

Han, Saule et Danseur passèrent le vêtement par-dessus leurs tenues, et décidèrent de se séparer pour se retrouver aux écuries dix minutes plus tard, lorsqu’ils seraient certains de ne pas être suivis.

Han quitta la salle de réunion le premier et parcourut à grands pas le couloir qui menait aux écuries, derrière la maison du Conseil.

— Alister !

Han jura en silence et fit volte-face. Fiona émergea de draperies, le saisit par le bras et le tira hors de vue.

Elle le dévisagea des pieds à la tête.

— Les couleurs d’Abelard ? Par le sang du démon ! Alister, je veux savoir à quel jeu vous jouez.

— Je n’ai pas le temps pour ça, répondit Han en se dégageant. Je dois partir.

Il essaya de se glisser entre elle et le mur, mais elle lui coupa la route.

— Vous travaillez pour Abelard, ou pour moi ? demanda-t-elle. J’ai vu Micah et mon père, ils m’ont dit ce que vous aviez fait là-dedans. Avez-vous perdu la tête ?

— Probablement, répliqua Han. Une caractéristique familiale, il semblerait. Maintenant, je dois vraiment…

— Écoutez-moi bien, le coupa Fiona en l’attrapant par un pan de sa cape. J’ai accepté de vous aider à devenir Haut Magicien et, en retour, vous…

— Mais vous ne m’avez pas aidé, remarqua Han. Vous m’avez dit vous-même n’avoir jamais vu Gryphon. Vous avez échoué, Fiona, et je ne récompense pas l’échec.

— Pourquoi Gryphon a-t-il voté pour vous ? demanda-t-elle. Pourquoi, alors que vous avez assassiné ses parents ?

— Peut-être ne me croit-il pas coupable, répondit-il. Et je ne le suis pas.

— Peu importe comment, vous avez eu ce que vous vouliez. Alors pourquoi faire intervenir les rouquins ? (Fiona lui crachait presque dessus.) C’est le nom et la réputation de ma famille que vous entachez avec cette histoire de Bayar ayant des relations avec… avec des sauvages. Vous savez que ça ne peut pas être vrai. Et, si ça l’est, alors la sorcière rouquine était l’agresseur.

Han perdit toute patience.

— Ce sont vous, les Bayar, qui êtes des sauvages, répliqua-t-il. Je vous ai dit honnêtement que j’allais faire tomber votre père en disgrâce, et c’est ce que j’ai fait. Ne prétendez pas que vous n’étiez pas prévenue. Maintenant, ôtez-vous de mon chemin.

Il la bouscula et retourna dans le couloir.

— J’irai voir mon père ! cria Fiona derrière lui. Vous paierez pour ça !

Probablement, songea Han. Mais il y a certains jeux auxquels je ne peux plus jouer.