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IMPASSE

Raisa s’accroupit et frotta ses genoux endoloris. Lorsqu’elle était arrivée au temple, les derniers rayons de soleil ensanglantaient les piques de la ville alentour, se glissant sous une couche de nuages menaçants.

Elle retira sa lourde robe de cérémonie avec un soupir et la laissa tomber sur un lutrin. Elle se rendait souvent au petit temple du jardin d’hiver. Les fantômes l’assaillaient mais, en même temps, les souvenirs l’apaisaient. Toutefois, il était inutile de chercher à prier. Elle ne pouvait se concentrer, son esprit était bien trop occupé à chercher une solution à ses dernières inquiétudes.

Dans combien de temps empoisonneront-ils la rivière ? se demanda-t-elle. Pour le moment, les soldats ardenins y buvaient eux-mêmes, mais ils avaient toujours la possibilité d’aller chercher de l’eau plus loin dans les terres. Ceux qui étaient piégés au château ne disposaient pas de cette option. Afin d’anticiper cela, elle avait ordonné que l’on remplisse d’immenses citernes et que l’on teste l’eau chaque jour.

Pourquoi leurs magiciens n’ont-ils pas attaqué les remparts ? songea-t-elle.

Les barrières de Micah offraient une certaine protection, mais elle s’était dit qu’ils auraient déjà dû tenter de forcer le passage.

Elle refusait de rencontrer Marin Karn, le commandant de campagne de Montaigne. Elle ne voyait pas à quoi cela servirait, et elle ne voulait pas donner au seigneur Hakkam ainsi qu’aux autres une occasion de se chamailler et de débattre, de démontrer qu’ils ne s’entendaient pas.

Pourquoi le froid n’arrivait-il pas ? Le froid baiser de l’automne rappellerait à Karn et à ses officiers qu’ils s’étaient installés dans un pays qui pouvait devenir dangereux, et même inhospitalier, lorsque l’hiver arrivait.

Raisa sortit du temple et se fraya un chemin dans le jardin du toit jusqu’au bord de la terrasse, où elle avait vue sur la ville.

Si elle plissait les yeux, elle pouvait presque ignorer les feux de cuisine qui brûlaient au milieu des ruines du Pont-Sud, les soldats vêtus de sombre à chaque coin de rue, qui se serraient les uns contre les autres afin de se défendre contre les choses qui surgissaient des ténèbres. Elle leva la tête et regarda au-delà de la ville le mur de montagnes qui entouraient le Val. Des éclairs brillèrent au milieu des Esprits, et le vent fraîchit, apportant avec lui l’odeur de la pluie et de la poussière.

Sa fièvre était partie aussi vite qu’elle était arrivée, ne lui laissant qu’une extrême fatigue. Était-ce physique, émotionnel, ou un mélange des deux, elle l’ignorait.

Une brise venue d’Hanalea lui caressa le visage, soulevant les cheveux humides de sa nuque. L’air restait chaud, comme si les envahisseurs avaient amené le temps brûlant du Sud avec eux.

— Raisa.

La jeune fille fit volte-face, et ses doigts se refermèrent sur la dague qu’elle emportait partout avec elle.

Il se tenait à l’entrée du jardin, dans l’embrasure de la porte en haut de l’escalier principal.

— Que faites-vous là ?

— Vous savez que je désire vous parler, répondit Micah. Pourtant, vous m’avez repoussé chaque fois que j’ai essayé de vous approcher.

Il se tenait à moitié dans l’ombre, et elle ne distinguait pas son visage.

— Vous avez disposé de nombreuses occasions pour me parler. Nous passons toutes nos journées ensemble.

— Pendant des réunions, répondit Micah en claquant des doigts pour exprimer son dédain.

— Je passe tout mon temps en réunion, répliqua Raisa. Ou à résoudre des conflits au sujet de l’utilisation des réserves. Ou à servir sur les remparts. Parfois, même, à dormir.

— Et maintenant ? s’enquit Micah en regardant dans le jardin pour voir s’il s’y trouvait des oreilles indiscrètes. Nous pourrions parler maintenant.

Raisa prit une profonde inspiration.

— Micah, j’essaie de me monter diplomate étant donné la situation dans laquelle nous nous trouvons, mais je n’ai vraiment aucune envie de vous parler.

Elle se tourna de nouveau vers le temple, mais se rendit compte qu’elle ne pouvait partir par le tunnel tant que Micah était là.

— Il s’agit de sujets critiques quant à la survie du royaume, lança-t-il derrière elle. Et même quant à votre survie.

Raisa fit volte-face et croisa les bras, saisissant ses coudes de chaque côté.

— Je vous écoute.

Micah fit un pas vers elle.

— Qu’est-ce qui vous arrive ? dit-il. Qu’ai-je fait ? Pourquoi êtes-vous en colère contre moi ?

— Qu’est-ce qui vous fait…

La voix de Raisa mourut. Elle voyait bien qu’il était inutile de chercher à le nier. Elle ne voulait pas le nier.

— D’accord, très bien, dit-elle en se laissant tomber sur un banc de pierre. Je suis en colère contre vous.

Elle se sentait plus maîtresse d’elle-même que lorsque Micah était arrivé en apportant la nouvelle de la mort de Han.

Le jeune homme s’assit à l’autre bout du banc, à une distance prudente. Il fit glisser un sac de voyage volumineux de son épaule et le posa sur ses genoux. Cela semblait lourd.

— Et vous êtes en colère contre moi parce que… ? l’encouragea Micah.

Raisa inspira, et les mots se précipitèrent hors de sa bouche.

— Le royaume est en crise, la pire depuis la Rupture. Le château de la Marche-des-Fells subit un siège de la part de non pas une, mais deux armées. On appelait autrefois les magiciens l’Épée d’Hanalea, l’arme la plus puissante contre nos ennemis. Nous ne pouvons nous permettre de perdre le moindre atout. Et que font les membres du Conseil des Magiciens ? Ils s’entre-tuent.

Micah plissa les yeux.

— Je vois. Ainsi, Alister lance une attaque meurtrière, se fait tuer et, tout à coup, c’est ma faute.

— J’ai votre parole, et celle de personne d’autre, répondit Raisa. Après tout ce qui s’est passé, pourquoi vous croirais-je ? Je l’ai nommé au Conseil des Magiciens, ce à quoi vous, les Bayar, vous êtes violemment opposés. Maintenant il est mort. Qui sera le prochain, Danseur de Feu ?

Les lèvres de Micah devinrent une fine ligne à la mention de son demi-frère.

— Peut-être voyez-vous cela comme une occasion de vous débarrasser de vos ennemis tandis que j’affronte seule les soldats du Sud, reprit la jeune fille.

Elle avait le visage brûlant et savait que ses joues devaient être en feu.

— Je n’ai pas choisi mon père, ni créé le monde dans lequel nous vivons. Et pourtant je fais de mon mieux pour vous protéger.

— Vous ne cessez de répéter cela, Micah, mais je n’en vois pas la preuve. Par exemple, j’aurais pensé que les magiciens partageraient mon intérêt à garder le royaume libre de toute interférence ardenine étant donné que, dans le Sud, ils brûlent les magiciens. Malgré tout cela, les soldats du Sud sont dans le Val, et les magiciens se cachent dans les montagnes.

— Tout comme les rouquins, rétorqua Micah, ses yeux noirs brillant de colère. Nous ne sommes pas restés sans rien faire, Raisa. Beaucoup de magiciens ont été surpris dans leur résidence d’été. Beaucoup sont déjà morts.

— Dont Han Alister, cingla Raisa.

— Je ne l’ai pas tué, grogna Micah. Je n’étais même pas là.

— Alors comment savez-vous ce qui s’est passé ?

Il la regarda droit dans les yeux.

— Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé.

— Mais vous êtes certain qu’il est mort. Et cela vous réjouit.

Micah leva les yeux au ciel.

— Oui, pour les deux. Je ne peux m’empêcher de ressentir cela. Et il ressentirait la même chose si c’était moi qui étais mort.

— Mais vous ne l’êtes pas.

— Voudriez-vous que je le sois ?

Micah avait la voix qui tremblait, et il détourna le visage, la respiration hachée.

Par les os ! songea Raisa. Elle lui posa la main sur le bras.

— Non. Je ne voudrais pas que vous soyez mort.

— Nous nous connaissons depuis toujours, dit Micah. Je sais ce que vous devez affronter, et vous savez ce que j’ai enduré. Nous sommes des survivants. Nous savons faire preuve d’esprit pratique.

Il y avait une supplique dissimulée derrière ces mots, mais pour quoi ?

Sa bouche se tordit en un sourire sans joie.

— Je méprise mon père mais, je dois bien l’admettre, il atteint toujours son but. Bientôt, nous serons en position de renvoyer les soldats du Sud jusqu’au Bruinswallow.

— Bientôt ? Dans combien de temps ? demanda Raisa. Après que Karn et ses brutes auront détruit les remparts ? J’espère qu’ils m’enverront un message lorsque je me trouverai dans les cachots de la cour ardenine.

Micah regarda ses mains un long moment, les sourcils froncés. Il finit par soupirer avec exaspération et leva les yeux vers elle.

— Mon père détient l’Arsenal des Rois Magiciens.

L’arsenal ? Han avait dit qu’il savait où le trouver. Qu’il allait le trouver. Comptait-il le dérober à Gavan Bayar ? Était-ce pour cette raison qu’il s’était rendu sur la Dame Grise ?

— Raisa ? dit Micah.

— Quoi ? aboya-t-elle.

— Comprenez-vous ? Il sera impossible de s’opposer à lui, désormais. Vous verrez les chamailleries du Conseil disparaître comme tous les membres se rallieront à lui. Les rouquins deviendront impuissants. Leur mainmise sur les porte-brasillant deviendra de l’histoire ancienne.

— L’avez-vous réellement vu ? demanda Raisa avec scepticisme. L’arsenal ?

— J’ai une preuve.

Micah défit la boucle qui retenait le rabat du sac, en sortit un objet scintillant et le posa entre eux sur le banc.

Il s’agissait d’une couronne, plus lourde encore que la couronne de cérémonie utilisée lors du couronnement des reines du Loup Gris, faite d’or rouge et de platine, sertie de pierres de feu.

Elle brillait, éclairant les traits du visage dur et anguleux de Micah. Raisa tendit les mains, avant de les retirer rapidement. Prends garde aux présents des Bayar.

— Elle ne vous mordra pas, dit Micah d’une voix sèche. Elle ne possède aucun brasillant.

Raisa examina la couronne. Elle semblait étrangement familière, bien que difficile à identifier au premier coup d’œil.

— Qu’est-ce ? demanda la jeune fille en s’arrachant à sa contemplation pour lever les yeux sur Micah.

— Un magicien la reconnaîtrait immédiatement, répondit-il. Il s’agit de la Couronne écarlate, la couronne des rois magiciens. Perdue depuis mille ans, depuis la mort du Roi Démon. Jusqu’à aujourd’hui.

Elle se rappela soudain de l’histoire. Toute trace du règne des magiciens avait été effacée du palais des siècles auparavant. Mais les vieilles peintures témoignaient toujours du souvenir des rois magiciens.

Dans la salle de bal de la Maison du Nid d’Aigle, les murs étaient ornés des portraits des ancêtres Bayar. Ceux qui avaient épousé des reines du Loup Gris s’étaient fait passer pour des rois. Sur ces portraits, certains portaient cette couronne, ou l’avaient fait représenter en arrière-plan. Certains tableaux étaient des scènes de couronnement, dans lesquelles les reines du Loup Gris prisonnières couronnaient leur mari magicien.

Elle avait vu des peintures du Roi Démon, pris d’une fureur brûlante et portant la Couronne écarlate. Un menteur, comme tous les autres rois magiciens.

Raisa sentit son cœur se gonfler d’espoir. Si c’était vrai, si les Bayar avaient réellement découvert l’arsenal, peut-être serait-il possible de repousser les soldats du Sud ? Cela pourrait lui permettre de se sortir de ce dilemme.

Ses pensées furent interrompues par la voix de Micah.

— Vous ne pourrez pas vous opposer à lui, vous non plus.

Raisa redressa brusquement la tête.

— Que voulez-vous dire ?

Micah ne donna pas plus d’explications et se contenta de soutenir son regard.

L’espoir naissant fut réduit en cendres et se transforma en crainte. Les Fells disposeraient peut-être d’un avenir, mais elle n’en ferait pas partie. Elle était peut-être la dernière des reines du Loup Gris.

La couronne était toujours posée entre eux et attirait le regard de Raisa telle une boule divinatoire. Voici l’avenir, semblait-elle dire.

— Me voilà face à un dilemme, dit la jeune fille en luttant pour contrôler sa voix. À qui dois-je me soumettre ? À votre père, ou à Gerard Montaigne ? Je ne sais comment choisir.

Remarquant la fascination apeurée de Raisa pour la Couronne écarlate, Micah la glissa de nouveau dans son sac et le mit de côté.

— Je sais ce que désire mon père, répondit Micah. La fierté des Bayar a été blessée il y a mille ans, et il compte restaurer l’honneur familial. Il veut remettre en place une lignée de rois magiciens. (Micah se tut et rejeta en arrière sa crinière de cheveux noirs.) Et je vous veux.

Leurs regards se croisèrent, et un océan de silence s’écoula entre eux.

— Que proposez-vous ? demanda finalement Raisa, la bouche aussi sèche que de la poussière. Que j’offre le trône à votre père, et que vous et moi nous retirions dans un nid d’amour à la campagne ? Au bout de combien de temps m’enverra-t-il des assassins ? Ou me suggérez-vous des rendez-vous galants dans les cachots de la Maison du Nid d’Aigle ?

Micah secoua la tête.

— Mon père… traîne quelques casseroles, comme vous le savez. Ses ennemis ont fait des gorges chaudes du scandale autour de mon demi-frère rouquin.

— Vous admettez maintenant que c’est vrai, dit Raisa, cherchant un angle d’attaque.

— Je ne peux dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, ni quelles circonstances atténuantes pourraient être trouvées, répliqua Micah, la mâchoire contractée. Mon père est tout à fait capable de… de bien pire que cela. Je suis simplement surpris que ce bâtard au cœur froid ait pris un tel risque. (Il esquissa un sourire en faisant tourner sa chevalière.) Peut-être mon père et moi nous ressemblons-nous plus que je le pensais. Le désir nous conduit à prendre de mauvaises décisions. Fiona, elle aussi, s’est laissé entraîner… s’est retrouvée là où elle n’aurait pas dû être.

Il fait allusion à Han et Fiona, songea Raisa avec acidité.

— Allez droit au but, Micah, dit-elle sans se fatiguer à dissimuler son agacement. Cela fait bien longtemps que je n’ai plus la moindre patience pour les énigmes.

Micah inclina la tête.

— Je vais donc parler franchement. Mon père comptait se débarrasser de vous et réclamer le trône pour lui-même. Je l’en ai dissuadé.

— Cela a dû demander une bonne dose de persuasion, remarqua Raisa, même pour vous.

— Mon père veut mettre en place une dynastie qui durera pendant des siècles. Contrôler l’arsenal lui confère un pouvoir vertigineux, mais il en perçoit les limites. Alger Waterlow possédait l’arsenal, et cela ne l’a pas sauvé.

»  Il aura besoin de chaque magicien survivant à son côté, puisqu’il devra s’occuper des soldats du Sud sans l’aide des rouquins. Il devra également convaincre les Valiens. Ce ne devrait pas être difficile, ils méprisent déjà les clans. Mais vous jouissez d’une grande popularité auprès des Valiens, surtout ici, dans la capitale. En temps normal, il ne s’en soucierait pas, toutefois il se trouve en position de vulnérabilité, car il doit consolider son pouvoir.

— Et les machinations politiques de votre père me concernent parce que… ?

— Mon père a besoin de légitimité, et il en a besoin maintenant. Il a besoin d’alliés, et il en a besoin maintenant. C’est pourquoi il a accepté une union entre nous deux. Vous resterez sur le trône, à condition que je sois couronné roi magicien à mon tour, et que nos enfants héritent du pouvoir.

Il y eut un éclair, suivi d’un grondement de tonnerre. De grosses gouttes de pluie s’écrasèrent sur la serre, quelques-unes d’abord, qui devinrent ensuite un véritable déluge. Raisa regarda autour d’elle dans le jardin et vit des yeux de loups briller dans l’obscurité, gris, verts et bleus.

Elle frissonna, reconnaissante envers le martèlement rythmé de la pluie qui rendait la discussion compliquée. Elle joua avec la bague sertie de pierres de lune et de perles que lui avait offerte Han pour son couronnement. Ceci, et le vide dans son cœur, était tout ce qui restait de leur amour maudit.

Et si elle avait accepté d’épouser Micah un an auparavant ? Combien de gens seraient-ils encore en vie ? Sa mère ? Han Alister ? Les gardes qui étaient morts en la protégeant au col du camp des Pins Marisa ? Trey Archer et Wode Mara ? Tous ces gens étaient morts, et pour quoi ? Elle se retrouvait dans une situation pire encore.

Lorsqu’elle parla enfin, ce fut d’une voix si basse que Micah dut se pencher en avant pour l’entendre.

— Et ainsi… un an plus tard… je me retrouve au point de départ. À devoir envisager un mariage forcé entre nous deux. (Elle leva les yeux vers lui, chassant ses larmes de clignements de paupières.) À tourner le dos à mon héritage des clans.

Micah eut le bon goût de paraître gêné.

— J’aurais voulu qu’il en soit autrement. J’aurais voulu que vous m’aimiez.

— Il ne s’agit pas d’amour, Micah, répliqua-t-elle. Il ne s’agit absolument pas d’amour.

— Peut-être pas pour vous. (Il sembla réfléchir à la suite, sachant qu’elle repousserait avec dédain ses flatteries habituelles.) Je suis suffisamment arrogant pour espérer que vous en viendrez à m’aimer. Et, pour le moment, je suis prêt à tout pour vous avoir.

Sa façon de le dire fit résonner un avertissement dans l’esprit de Raisa. Elle lui jeta un regard acéré, mais il avait baissé les yeux sur ses mains.

Quelle importance ? songea sombrement Raisa. Pourquoi devrais-je m’inquiéter de ce que réserve l’avenir ? Pour le moment, je n’ai pas grand-chose à en attendre. Je suis un soldat à l’aube d’une bataille que je ne peux remporter. Épouser un magicien ? J’ai déjà franchi cette limite. J’y étais prête, tant qu’il s’agissait de Han Alister. Aujourd’hui il est mort, et un autre magicien a pris sa place, offrant un fragile espoir de survie.

Les Fells dirigés par des magiciens valent mieux que les Fells sous la coupe de Gerard Montaigne. Si la lignée survit, nous trouverons un moyen de reprendre le pouvoir.

— Très bien, Micah, dit-elle. Mettons que j’accepte de vous épouser. Avez-vous mis un plan au point ?

Le jeune homme se redressa, l’air quelque peu abasourdi, comme s’il ne s’était jamais attendu à ce qu’elle dise oui. Puis il hocha la tête.

— J’ai infiltré les lignes de Klemath, en usant de sorts divers. C’est plus difficile, désormais, à cause des magiciens de Montaigne, mais je pense pouvoir nous faire sortir tous les deux. Nous irons sur la Dame Grise, puisque l’arsenal s’y trouve. Nous allons nous marier, puis je serai couronné. Cela ralliera tous les magiciens.

Une fois de plus, Raisa fut saisie d’un fourmillement de malaise. Elle ne voulait pas aller sur la Dame Grise, où elle se retrouverait sous le contrôle des Bayar. Tout pouvoir de négociation dont elle pouvait disposer disparaîtrait immédiatement. Micah se montrait convaincant, mais qui pouvait savoir ce que préparait Gavan Bayar ?

— Nous gouvernerons depuis la Dame Grise jusqu’à ce que nous puissions reprendre la ville, expliqua Micah, qui continuait sur sa lancée. Avec un peu de chance, les rouquins comprendront qu’il est dans leur intérêt de se joindre à nous. De toute manière, avec l’arsenal à notre disposition, nous…

— Attendez une minute, Micah, l’arrêta Raisa en levant les mains. Je n’ai aucune raison de me fier à votre père. Comment puis-je être certaine qu’il ne reviendra pas sur sa parole lorsque je serai à sa merci ?

— Je lui ferai tenir parole, répondit Micah d’une voix basse et menaçante. Il la tiendra, il n’aura pas le choix.

— Je ne me rendrai pas sur la Dame Grise avec cette fragile promesse, dit Raisa en laissant retomber ses mains sur ses genoux. Me prenez-vous pour une imbécile ?

— Que proposez-vous, alors ? demanda-t-il d’un ton empreint de frustration.

— Retournez sur la Dame Grise. Rencontrez les clans des Esprits et assurez-vous qu’ils nous aident à organiser une contre-attaque. Montrez-moi ce dont vous êtes capable.

— Les rouquins ne consentiront jamais à un mariage entre nous, répliqua Micah. Vous le savez.

— Vous n’avez pas besoin de leur dire que nous comptons nous marier. Ils n’accepteront peut-être pas de vous aider, mais je veux que vous essayiez. Avec ou sans leur aide, servez-vous de l’arsenal pour briser le siège et libérer la ville. Une fois que vous aurez fait cela, je vous épouserai, avec ou sans l’approbation des clans.

Elle mettait Micah au pied du mur. Il lui avait demandé de lui accorder sa confiance. Soit il admettait qu’il n’était pas convaincu qu’elle irait jusqu’au bout de sa promesse, soit il faisait ce qu’elle lui demandait.

Micah regarda d’un œil noir le verre taché de pluie, la mâchoire contractée.

— Raisa, s’il vous plaît. Je vous en prie. Venez avec moi maintenant. J’ai peur que, si je vous laisse, je ne vous revoie jamais.

— Non.

Il soupira et hocha la tête, avant de lui jeter un regard oblique.

— Très bien. J’ai besoin que vous me donniez quelque chose afin de prouver à ma famille et au Conseil des Magiciens que nous sommes fiancés. Quelque chose qui prouvera aux rouquins que j’agis en votre nom.

Alors que Raisa réfléchissait, Micah glissa sa main sur la sienne et la referma sur son poignet.

— Pourquoi pas cette bague ? dit-il en touchant celle que lui avait offerte Han.

— Non ! s’exclama-t-elle en s’arrachant à son étreinte. Pas celle-ci.

Micah la regarda fixement, les sourcils froncés. Sur une impulsion, Raisa retira la bague aux loups, le talisman qui avait autrefois appartenu à Hanalea. Celui que sa grand-mère Elena lui avait offert.

— Servez-vous de celle-ci, dit-elle en la lui tendant. Tous la reconnaîtront immédiatement. Ils sauront que je ne l’aurais jamais retirée, à moins que ce ne soit le gage d’une promesse que je vous aurais faite.

Il la soupesa dans la paume de sa main.

— Elle devient chaude, dit-il au bout d’un moment.

— Il s’agit d’un talisman, souvenez-vous. Elle réagit à la haute magie. Vous ne devriez pas avoir de problème tant que vous porterez votre amulette.

Micah la glissa à son petit doigt.

— Puisque nous sommes fiancés, je pense que nous devrions échanger des anneaux, dit-il d’un ton abrupt.

Il retira sa chevalière au faucon et la lui tendit.

— Après ce qui s’est passé la dernière fois, vous attendez-vous réellement à ce que je la mette ? demanda Raisa en croisant les bras.

— Un jour, dit Micah, j’espère que vous arriverez à me pardonner. Puis à me faire confiance. Et ensuite, peut-être, à m’aimer. (Il esquissa un sourire.) Ce n’est qu’une bague, Raisa. Rien de plus. Elle n’a rien de magique.

Raisa regarda l’anneau, puis le visage de Micah. Quelle importance, après tout ? Elle prit la chevalière et la glissa à son index, à la place de la bague aux loups.

Micah se pencha vers elle, l’entoura de ses bras et la serra contre lui.

— Maintenant, embrassez-moi, dit-il. Pour me souhaiter bonne chance.