Gerbert, qui s'était recommandé à l'archevêque par la noblesse de son savoir, s'attira toutes ses grâces. Sur sa demande, il fut donc chargé d'instruire dans les arts les équipes d'écoliers.
« Dans quel ordre il utilisa les livres pour enseigner », ce titre du chapitre 46 des Histoires de Richer insiste encore sur le rôle que tenait dans les techniques scolaires, la « leçon », la lecture d'un auteur par le maître. Richer décrit aussi le progrès des études : les élèves de Gerbert ont déjà reçu l'enseignement élémentaire du grammairien ; ils sont successivement initiés aux deux autres branches du trivium. Les lectures du maître portent d'abord sur la dialectique.
Il expliqua la dialectique et éclaircit le sens des mots en parcourant dans l'ordre ces livres : d'abord il commenta l'Isagoge de Porphyre, c'est-à-dire les Introductions selon la traduction du rhéteur Victorinus et aussi selon Boèce, il étudia le livre d'Aristote sur les Catégories, c'est-à-dire les prédicats, puis il exposa parfaitement ce qu'est le Peri Hermeneias, c'est-à-dire le livre De l'interprétation ; enfin il enseigna à ses auditeurs les Topiques, c'est-à-dire le fondement des preuves, traduits par Cicéron du grec en latin et éclairés par les six livres de commentaires de Boèce.
Il lut aussi et expliqua utilement les quatre livres sur les différentes topiques, les deux livres sur les syllogismes catégoriques, les trois sur les hypothétiques, un livre sur les définitions et un livre sur les divisions.
A peu près tous les ouvrages sur quoi se fonde l'enseignement de la logique sont de Boèce. Gerbert passe ensuite à la rhétorique. Dans une lettre au moine Bernard d'Aurillac, il dit avoir dressé un tableau de la rhétorique développé sur vingt-six feuilles de parchemin liées ensemble et formant un tout en deux colonnes juxtaposées, chacune de treize feuilles. Ce travail sans contredit paraît admirable aux ignorants ; il est utile aux écoliers studieux pour leur faire comprendre les règles très subtiles de la rhétorique et pour les fixer dans leur mémoire.
Toutefois,
craignant que ses élèves ne puissent atteindre à l'art oratoire sans connaître les modes d'élocution que l'on ne peut apprendre que chez les poètes, il utilisa donc ceux-ci, avec lesquels il jugea bon de familiariser ses élèves. Il lut donc et commenta les poètes Virgile, Stace et Térence, ainsi que les satiriques Juvénal, Perse et Horace, enfin l'historien Lucain. Lorsque ses élèves les eurent bien connus, et furent avertis de leurs modes d'élocution, il les introduisit dans la rhétorique.
Cependant, c'était dans le quadrivium – nommé ici mathématiques et composé, dans l'ordre, de l'arithmétique, la musique, l'astronomie et la géométrie – que Gerbert, on l'a vu, excellait.
Il commença par initier ses élèves à l'arithmétique qui est la première partie des mathématiques. Puis il enseigna à fond la musique, auparavant tout à fait ignorée en Gaule. En disposant les notes sur le monocorde, en distinguant dans leurs consonances et leurs symphonies les tons et les demi-tons, les ditons et les dièses, et en distribuant rationnellement les tons en sons, il en rendit tout à fait sensibles les rapports.
Construction d'une sphère pleine : – Pour manifester la sagacité de ce grand homme et faire sentir plus commodément au lecteur l'efficacité de sa méthode, il n'est pas inutile de dire au prix de quels efforts il a réuni les principes de l'astronomie. Alors que cette science est presque inintelligible, il parvint, à l'admiration de tous, à la faire connaître grâce à quelques instruments. Il représenta d'abord la sphère du monde en modèle réduit par une sphère ronde en bois plein ; il l'inclina, avec ses deux pôles, obliquement sur l'horizon ; il pourvut le pôle supérieur des constellations septentrionales et le pôle inférieur des constellations australes ; il régla sa position par le cercle que les Grecs appellent « horizon », et les Latins « limitant » ou « déterminant » parce que c'est grâce à lui que l'on distingue et délimite les constellations visibles de celles qui ne le sont pas. Il plaça la sphère sur l'horizon afin de montrer de manière utile et probante le lever et le coucher des constellations. Il initia aussi les élèves aux sciences naturelles et leur enseigna à comprendre les constellations. La nuit, il se tournait vers les étoiles brillantes et s'appliquait à faire mesurer leur oblique sur les diverses régions du monde, tant à leur lever qu'à leur coucher.
Signification des cercles intermédiaires : – Quant aux cercles que les Grecs disent « parallèles » et les Latins « équidistants » et dont le caractère incorporel n'est pas douteux, voici comment il les faisait comprendre. Il fabriqua un demi-cercle coupé par un diamètre, constitua ce diamètre par un tube, aux extrémités duquel il fit marquer les deux pôles, boréal et austral. Il divisa d'un pôle à l'autre le demi-cercle en trente parties. A la sixième à partir du pôle, il plaça un tube représentant le cercle arctique. Puis, ayant sauté cinq divisions, il ajouta un tube indiquant le cercle des pays chauds. Quatre divisions plus loin, il mit un tube identique pour marquer le cercle équinoxal. Il divisa selon les mêmes dimensions le reste de l'espace jusqu'au pôle sud.
La structure de cet instrument, avec le diamètre dirigé vers le pôle et la convexité du demi-cercle tourné vers le haut, permettait d'appréhender les cercles invisibles et les gravait profondément dans la mémoire.
Construction d'une sphère très utile pour connaître les planètes : – Il trouva un artifice pour faire voir la révolution des planètes, bien qu'elles se meuvent à l'intérieur du monde en se croisant. Il fabriqua d'abord une sphère circulaire, c'est-à-dire constituée seulement de cercles. Il y plaça les deux cercles que les Grecs appellent « cohérents » et les Latins « incidents » parce qu'ils se coupent. A leurs extrémités, il fixa les pôles. Il fit ensuite passer par les colures cinq autres cercles, dits parallèles, de façon que, d'un pôle à l'autre, la moitié de la sphère soit partagée en trente parties. Et ceci de manière ni vulgaire ni confuse : sur les trente parties de l'hémisphère, il en établit six du pôle au premier cercle, cinq du premier au second, quatre du second au troisième, quatre encore du troisième au quatrième, cinq du quatrième au cinquième, six du cinquième au pôle. Par rapport à ces cercles, il plaça obliquement le cercle dit par les Grecs « loxos » ou « zoe » et par les Latins « oblique » ou « vital », car il contient les figures d'animaux représentant les étoiles. A l'intérieur de cet oblique, il suspendit les cercles des planètes par un admirable artifice. Il démontra de manière très efficace à ses élèves leurs révolutions, leurs hauteurs et leurs distances respectives. De quelle manière ? Il faudrait pour le dire un développement qui nous écarterait de tout propos.
Construction d'une autre sphère pour faire connaître les constellations : – Outre cette sphère, il en fit une autre circulaire, à l'intérieur de quoi il ne disposa pas des cercles, mais sur laquelle il représenta les constellations par des fils de fer de cuivre. Il la traversa d'un tube servant d'axe qui indiquait le pôle céleste. Lorsqu'on le regardait, l'appareil figurait le ciel. Il était fait en sorte que les étoiles de toutes les constellations fussent représentées par des signes sur la sphère. Cet appareil avait ceci de divin : celui même qui ignorait l'art pouvait, sans maître, si on lui montrait l'une des constellations, reconnaître toutes les autres sur la sphère. Ainsi Gerbert instruisait noblement ses élèves. Voilà pour l'astronomie.
Confection d'un abaque : – Il ne prit pas moins de peine à enseigner la géométrie. Pour introduire à cette science, il fit fabriquer par un armurier un abaque, c'est-à-dire une table à compartiments. Elle était divisée dans sa longueur en vingt-sept parties. Il y disposa les neuf chiffres représentant tous les nombres. Il fabriqua aussi mille caractères en corne, à l'image de ces chiffres. Lorsqu'on les déplaçait sur les vingt-sept compartiments de l'abaque, ils indiquaient la multiplication et la division des nombres. De telle sorte, on multipliait et divisait une multitude de nombres, et l'on parvenait au résultat en moins de temps qu'il eût fallu pour formuler l'opération. Celui qui voudrait connaître pleinement cette science, qu'il lise le livre écrit par Gerbert au grammairien Constantin de Saint-Benoît-sur-Loire ; il y trouvera la question abondamment traitée1.
Dans les écoles épiscopales, l'étude de la langue latine et de ses tournures, appuyée sur des exemples classiques, et l'étude du raisonnement démonstratif, d'après les minces traités de logique où Boèce, au seuil des temps médiévaux, avait en latin brièvement résumé la dialectique grecque, formaient le premier cycle de l'enseignement. Apprentissage des moyens d'expression et de persuasion, il visait, comme le système scolaire antique dont il était issu, à former des orateurs. Quant au second cycle, il entendait communiquer certaines connaissances pratiques (la musique était d'immédiate utilité aux hommes d'Eglise dont la fonction première consistait alors à chanter, à chaque heure du jour, la gloire de Dieu). Mais il offrait aussi une vision globale et intime de la création. Orienté, en effet, vers l'astronomie, l'étude des nombres et des concordances tonales, il montrait l'ordre profond de l'univers, reflété par le mouvement circulaire des astres, par des relations mathématiques et par des rythmes accordés.
1 Richer, Hist., III, 45, 46-47, 49-54.