Les récits des historiens antiques, dont le texte sert à l'étude de la grammaire, ont accoutumé à trouver naturel que la mort des héros, c'est-à-dire des saints, de l'empereur et des rois, soit accompagnée d'un cortège de phénomènes inhabituels. Il paraît donc tout à fait normal que, en mémoire du Christ, le temps du millénaire soit celui des plus grands prodiges. L'ordre du monde se montre alors perturbé par des troubles divers mais qui se lient les uns aux autres. Non point qu'ils s'enchaînent par une série de relations causales. Ils se répondent, ils sont frères : ils procèdent tous d'un même et très profond malaise.
Le dérèglement d'abord est cosmique. Toujours les annalistes avaient soigneusement noté les météores. Raoul Glaber et Adémar de Chabannes font large place à la comète de 1014, et relient à ce signe de feu les incendies qui éclatèrent conjointement.
Pendant le règne du roi Robert apparut dans le ciel, du côté de l'occident, une de ces étoiles qu'on appelle comètes ; le phénomène commença au mois de septembre, un soir à la nuit tombante, et dura près de trois mois. Brillant d'un très vif éclat, elle remplissait de sa lumière une vaste portion du ciel et se couchait vers le chant du coq. Quant à savoir si c'était une étoile nouvelle que Dieu envoyait, ou une étoile dont il avait simplement multiplié l'éclat en signe miraculeux, cela n'appartient qu'à Celui qui dans sa sagesse règle toutes choses mieux qu'on ne saurait le dire. Ce qui toutefois est sûr, c'est que, chaque fois que les hommes voient se produire dans le monde un prodige de cette sorte, peu après s'abat visiblement sur eux quelque chose d'étonnant et de terrible. Il arriva en effet bientôt qu'un incendie détruisit l'église de Saint-Michel-Archange, qui se dresse sur un rocher au bord de la mer Océane, et fait jusqu'à présent l'objet de la vénération du monde entier1
A cette époque, une comète, ayant en plus large et en plus long la forme d'un glaive, apparut vers le septentrion pendant plusieurs nuits de l'été ; et il y eut en Gaule et en Italie maintes villes, châteaux et monastères détruits par le feu, parmi lesquels Charroux, qui fut avec la basilique du Sauveur la proie des flammes. De même, l'église Sainte-Croix d'Orléans, et le monastère de Saint-Benoît de Fleury, et bien d'autres sanctuaires, furent dévorés par le feu2.
L'année même du millénaire de la Passion, le 29 juin 1033, eut lieu l'éclipse de soleil, dont parlent aussi Sigebert de Gembloux et les Annales de Bénévent, qui la disent « très ténébreuse ».
La même année, la millième après la Passion du Seigneur, le troisième jour des calendes de juillet, un vendredi vingt-huitième jour de la lune, se produisit une éclipse ou obscurcissement du soleil, qui dura depuis la sixième heure de ce jour jusqu'à la huitième et fut vraiment terrible. Le soleil prit la couleur du saphir, et il portait à sa partie supérieure l'image de la lune à son premier quartier. Les hommes, en se regardant entre eux, se voyaient pâles comme des morts. Les choses semblaient toutes baigner dans une vapeur couleur de safran. Alors une stupeur et une épouvante immenses s'emparèrent du cœur des hommes. Ce spectacle, ils le comprenaient bien, présageait que quelque lamentable plaie allait s'abattre sur le genre humain. Et en effet, le même jour, qui était celui de la naissance des apôtres, en l'église de saint Pierre, quelques-uns de la noblesse romaine, conjurés, se soulevèrent contre le pape de Rome, voulurent le tuer, n'y réussirent point, mais le chassèrent néanmoins de son siège...
D'ailleurs, on vit alors de par le monde, dans les affaires ecclésiastiques aussi bien que dans celles du siècle, force crimes contre le droit et la justice. Une cupidité effrénée faisait qu'on ne rencontrait chez presque personne cette foi envers les autres qui est le fondement et le soutien de toute bonne conduite. Et pour qu'il fût plus évident que les péchés de la terre retentissaient jusque dans les cieux : « le sang recouvrit le sang », comme le cria le prophète devant les continuelles iniquités de son peuple. Depuis lors, en effet, dans presque tous les ordres de la société, l'insolence se mit à foisonner, la sévérité et les règles de la justice atténuèrent leur rigueur, de sorte que l'on put appliquer très exactement à notre génération la parole de l'apôtre : « On entend parler parmi vous de méfaits inconnus parmi les peuples. » Une avidité éhontée envahissait le cœur humain, et la foi défaillait chez nous. De là naissaient les pillages et les incestes, les conflits d'aveugles cupidités, les vols et les infâmes adultères. Hélas ! chacun avait horreur d'avouer ce qu'il pensait de lui-même. Et malgré cela, nul ne se corrigeait de sa funeste habitude du mal3.
Il arriva même, comme l'observa Adémar de Chabannes en 1023, que les étoiles combattissent entre elles comme le faisaient au même moment les puissances de la terre.
En ces jours, au mois de janvier, vers la sixième heure, se produisit une éclipse de soleil d'une heure ; la lune aussi subit alors des troubles fréquents, tantôt devenant couleur de sang, tantôt d'azur sombre, et tantôt disparaissant. On vit aussi, dans la partie australe du ciel, dans le signe du Lion, deux étoiles qui se battirent entre elles pendant tout l'automne ; la plus grande et la plus lumineuse venait de l'Orient, la plus petite de l'Occident. La plus petite courait comme furieuse et effrayée jusqu'à la plus grande, qui ne lui permettait point d'approcher, mais, la frappant avec sa crinière de rayons, la repoussait au loin vers l'Occident.
Dans le temps qui suivit mourut le pape Benoît, auquel succéda Jean. Basile, empereur des Grecs, mourut, son frère Constantin devint empereur à sa place. Herbert, archevêque de Cologne, quitta la vie humaine, et une fois mort s'illustra par des miracles. L'empereur Henri mourut à son tour, sans laisser de fils et laissa les insignes impériaux à son frère Bruno, évêque d'Augsbourg, et à l'achevêque de Cologne, ainsi qu'à celui de Mayence, pour qu'ils élussent après lui un empereur. Les évêques firent une assemblée de tout le royaume et ordonnèrent des litanies et des jeûnes pour rendre le Seigneur favorable en cette affaire. Les peuples élurent Conrad, neveu du défunt empereur Henri. Les évêques, mieux inspirés, choisirent un autre Conrad, époux d'une nièce d'Henri, parce qu'il avait un caractère énergique, et un jugement très droit. Ils l'ordonnèrent dans l'état royal par l'huile du sacre à Mayence, et lui remirent le sceptre, la couronne, et la lance de saint Maurice. A l'approche de Pâques, le prince marcha sur Rome avec une armée innombrable ; les citoyens romains refusèrent de lui ouvrir ; voyant qu'il ne réussirait pas à entrer sans un grand massacre d'hommes, l'empereur Conrad ne voulut point souiller de sang humain la fête de Pâques, et pour cela, se tint à Ravenne. C'est là que le seigneur pape lui apporta la couronne impériale et, le jour de Pâques, le couronna de ses mains empereur des Romains. L'année suivante, en ce même jour de Pâques, le seigneur empereur Conrad fit sacrer son fils à Aix-la-Chapelle. Ce roi sacré était alors tout jeune et se nommait Henri. A la cérémonie assistèrent des évêques venus tant d'Italie que de Gaule. Ainsi Conrad, de l'avis du pape de Rome et de tous les évêques et grands du royaume, qui le voyaient muni de la balance de la justice, assuma l'Empire. Cependant ce Conrad plus jeune, élu par les suffrages du peuple aveuglé, entreprit contre lui la guerre civile ; mais l'empereur parvint à le prendre vivant et le retint en prison aussi longtemps qu'il le jugea à propos. Ce sont ces événements qui avaient été annoncés dans les astres par le signe de la grande et de la petite étoile4.