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Quatrième tentative. Celine raccrocha quand retentit de nouveau le message enregistré annonçant que son correspondant n’était pas joignable.

— Éteint, dit-elle.

Elle voulut rendre le téléphone à Amber, mais la mystérieuse inconnue le repoussa d’un geste.

— S’il vous plaît, laissez-moi partir.

La gorge sèche, Celine avait très soif. De plus, elle n’avait pas encore pris ses acides foliques quotidiens pour le bébé et n’était pas allée aux toilettes depuis un bon moment. Elle ne pourrait plus se retenir bien longtemps.

— Réessayez dans deux minutes, répliqua Amber d’un ton indifférent.

Celine soupira, agacée.

— Ça n’a aucun sens.

— Regarder des gens taper avec un bâton dans une balle qui vole vers eux n’a pas non plus spécialement de sens, et pourtant des millions de fans de base-ball le font tous les week-ends. Et vous, vous appuierez sur la touche de répétition du numéro jusqu’à ce que Noah finisse par décrocher.

— Vous ne pouvez pas localiser son téléphone ?

— Avec les moyens techniques dont nous disposons, nous pourrions localiser un téléphone dans la fosse des Mariannes. Ce n’est pas l’endroit où se trouve Noah qui m’intéresse, je le connais déjà. En ce moment, il est caché dans le couloir latéral d’un tunnel de métro désaffecté, environ vingt mètres sous la surface de Berlin.

— Mais alors pourquoi avez-vous besoin de moi ?

Celine, furieuse, jeta le portable sur la table devant elle. Comme la coque en était légèrement bombée, il se mit à tourner sur lui-même.

Amber attendit qu’il se soit immobilisé puis répondit doucement :

— Nous avons essayé il y a peu de temps de le faire tomber dans le panneau. C’est l’éditeur en chef de votre journal lui-même qui a prétendu être un ami proche et puissant pour le convaincre de se rendre. Cependant, Noah a décelé l’astuce avec autant de facilité qu’il a ensuite abattu les hommes envoyés pour l’arrêter. (Amber soupira.) Je ne veux pas gaspiller encore plus de personnel, et surtout de temps. Il doit se rendre.

— Pourquoi ?

— Il dispose d’informations qui sont pour nous de la plus haute importance.

— Lesquelles ?

Amber tordit la bouche en un rictus moqueur.

— Rien qu’aujourd’hui, trois personnes ont été tuées en pourchassant Noah. Vous êtes certaine de vouloir savoir ce que je recherche ?

Celine déglutit.

— Mais comment voulez-vous que moi, je le convainque de se rendre ? Il ne me connaît absolument pas.

— Moi, je le connais. Et je connais ses facultés, qui sont aussi son talon d’Achille. Noah sait intuitivement faire la différence entre le bien et le mal. Si vous éveillez en lui son instinct de protection, vous aurez une chance de survivre à tout ça.

Celine tressaillit, apeurée, quand la femme lui saisit brusquement la main.

— Chchch, pas d’inquiétude. Je comprends que vous ne puissiez pas me sentir. Je ne vous aime pas particulièrement non plus.

Elle sourit, et Celine se mit à tout détester en elle. Ses dents blanches et régulières, son front haut, son visage allongé aux grands yeux profonds, et ses pommettes saillantes que les hommes trouvaient certainement belles mais qui, pour Celine, lui donnaient l’air d’une fourmi. Elle détestait son style Gucci et ses ongles manucurés, son parfum, et surtout sa voix chaude, un peu cassante, qui laissait deviner un profond rire de gorge. Mais avant tout, elle détestait son arrogante honnêteté.

— Je vous considère comme une petite dinde de la campagne qui a voulu faire carrière dans la grande ville et qui va maintenant retomber en pleine médiocrité avec un Polichinelle dans le tiroir. Et vous, vous me méprisez parce que je m’habille comme une étudiante russe partie à la chasse au milliardaire ; vous avez vu au premier coup d’œil que je couchais avec n’importe quel homme pouvant faire avancer ma carrière tandis que vous, vous rêvez encore du grand amour qui découpera la dinde de Thanksgiving avec vos enfants et vos parents. Vous et moi, on ne deviendra donc pas copines dans cette vie, ce qui pourrait vous être égal si cette pièce avait un système d’aération.

— Pour échapper à votre parfum ?

— Pour vous éviter d’être asphyxiée.

Amber, ou quel que soit son nom, jeta un œil à sa montre tandis que Celine portait instinctivement la main à sa gorge.

— Appelez Noah et convainquez-le de se rendre à nous avant que les autres ne le trouvent.

— Les autres ?

Mais quels autres, bordel ?

— Il vous reste tout juste trois heures, Celine, avant de respirer vos propres exhalaisons. Vous feriez mieux de ne pas gaspiller de précieuses minutes à poser des questions dont vous ne voulez de toute façon pas connaître les réponses.

Amber cligna de ses longs cils et indiqua du menton le téléphone, sur la table. En saisissant le portable, Celine la détesta encore un peu plus pour ce geste si maniéré.