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À six mille kilomètres de distance, une nouvelle interlocutrice prit la parole.

— Bonjour, Noah, fit une voix agréablement pleine, sensuelle, presque un peu trop masculine.

Elle semblait être un peu éloignée de l’appareil. Sans doute le téléphone était-il posé sur la table, entre les deux femmes.

— Quelle joie de vous parler, dit la femme prétendument prête à sacrifier une journaliste innocente si elle n’obtenait pas ce qu’elle voulait.

Le fait qu’elle s’essaie à ce genre de guerre psychologique préoccupait davantage Noah que son absence de scrupules. Apparemment, elle était convaincue que cette méthode porterait ses fruits, ce qui signifiait qu’elle le connaissait peut-être mieux qu’il ne se connaissait lui-même. Elle était consciente de son aptitude à déceler le mensonge et, manifestement, de ses faiblesses : il avait bel et bien décelé une peur mortelle dans les réponses sincères de la femme enceinte et avait maintenant du mal à ignorer les exigences de sa geôlière.

— Qui êtes-vous et que voulez-vous de moi ? demanda-t-il.

— Je suis le verso de la carte de quiz. La réponse. Je peux vous expliquer dans quel pétrin vous vous êtes involontairement fourré, Noah. C’est pour ça que je veux vous voir.

Oui. Sûrement.

Il se leva et posa les yeux sur le tuyau gris courant au plafond dont Oscar avait fait dériver son arrivée d’eau.

— Écoutez-moi bien. Au cours des dernières heures, j’en ai beaucoup appris sur moi-même. Par exemple, j’ai découvert que j’avais une bonne connaissance des êtres humains.

— Je sais.

— Je reconnais le mal quand il est en face de moi. Et j’entends les mensonges quand on m’en raconte. Donc, je sais que Celine est menacée, alors que vous, vous jouez avec des dés pipés.

— Par rapport à quoi ?

— Vous ne me laisserez pas en vie, et elle non plus, quoi que je fasse.

— Bon, eh bien si c’est comme ça que vous voyez les choses, commenta la femme en soupirant, nous venons d’arriver en quelques minutes à la situation que mon ex-mari et moi avons mis six mois à atteindre : nous n’avons plus rien à nous dire.

— Oh oh, Mme Supercool essaie de me déstabiliser.

— Non, Mme Qui-tient-les-commandes ne veut pas que d’autres membres de son équipe soient tués. Non que je sois particulièrement sentimentale, mais je privilégie toujours les solutions propres. Donc, vous avez le choix : soit vous continuez encore un moment à jouer au héros solitaire avant de finir par être tout de même maîtrisé, soit on abrège et vous vous rendez maintenant.

Noah pouffa, ce qui lui valut un regard perplexe d’Oscar.

— Vous croyez vraiment que je vais aller me jeter dans la gueule du loup sans savoir de quoi il est question ?

— J’aimerais pouvoir parler ouvertement, Noah, par exemple en vous révélant votre véritable nom, mais je crains que ce soit impossible.

— Pourquoi ?

— Parce qu’alors vous commettriez une grosse, grosse bêtise.

— Comment le savez-vous ?

Un nouveau métro ébranla les fondations de la cachette. Noah crut sentir les vibrations lui passer directement à travers le corps.

— Dites-moi, Noah, si je vous annonçais qu’un ver d’environ six centimètres de long logeait derrière votre œil, niché dans votre conjonctive, que feriez-vous avant toute chose ?

— J’irais me regarder dans un miroir.

— Vous voyez bien. Certaines réactions sont prévisibles. Sauf que la vôtre, si je répondais à toutes vos questions, aurait des conséquences catastrophiques pour nous tous.

— Donnez-moi au moins un élément. Sinon, je reste ici, et il faudra que vous veniez me chercher.

Il entendit la femme prendre une profonde inspiration et crut percevoir un mince sourire dans sa voix quand elle finit par dire :

— Vous détenez quelque chose qui appartient à une très puissante organisation.

— Au groupe Bilderberg ?

Elle rit, et Oscar se figea.

— Vous vouliez une information, Noah, et vous l’avez obtenue. Maintenant, vous devez prendre votre décision.

Noah hocha la tête et éloigna le téléphone de son oreille. Il ouvrit la fonction calendrier sans mettre fin à l’appel, puis reprit la parole :

— Avez-vous accès à Internet ?

— Oui.

Noah lui donna le numéro de train ICE figurant dans le calendrier de son appareil. Il n’entendit pas la femme attraper le portable duquel elle lui parlait, et en conclut qu’il y avait un ordinateur dans la pièce ou qu’elle possédait un autre smartphone.

— Que voulez-vous savoir ?

— Ce train part aujourd’hui de la gare centrale de Berlin. Où va-t-il, et à quelle heure ?

Il fallut un moment à son interlocutrice pour lui fournir les renseignements souhaités. Quand elle lui annonça la destination, il ne fut pas le moins du monde étonné.

— Combien de temps dure le trajet ? demanda-t-il enfin.

— Presque six heures et demie.

— Alors vous feriez mieux de vous dépêcher. Je vous verrai là-bas dans les toilettes pour femmes du hall central, à votre arrivée.

Du coin de l’œil, il vit Oscar lever les bras en un geste de protestation.

— C’est trop dangereux, dit-elle.

— Ça l’est depuis le début.

La femme eut un rire méprisant.

— Vous croyez vraiment que vous seriez toujours en vie si j’avais voulu votre mort ?

Non. Cette pensée lui était déjà venue. Pourquoi le premier agresseur n’avait-il pas simplement tiré dans l’eau quand Oscar était immergé devant lui, dans le jacuzzi ? Quel tueur professionnel en avertit un autre en se servant d’un viseur laser, pourtant inutile dans une telle situation ? De plus, le vendeur était plus petit que lui. La balle qui, tragiquement, l’avait touché n’aurait jamais atteint Noah à la tête.

Ils voulaient le tuer, il le sentait. Mais avant cela, ils voulaient lui parler. Ou bien, plus probablement, le torturer jusqu’à ce qu’il révèle des informations dont il ne se souvenait pas lui-même.

— C’est à cause des autres. Six heures et demie dans un train, ça fait un long moment pendant lequel vous seriez livré à vous-même.

Les autres ?

— De qui parlez-vous ?

— L’heure des questions est passée, très cher. Vous n’obtiendrez d’autres renseignements que lorsque vous serez en face de moi.

— Très bien, je viens, dit Noah, ayant pris sa décision.

Il ajouta, moins pour protéger la journaliste que pour tenter de découvrir les efforts que son adversaire était véritablement prêt à fournir pour l’attraper :

— Et je veux que vous ameniez aussi Celine. Si vous débarquez à Amsterdam sans elle, c’est vous qui ne survivrez pas à ce rendez-vous.