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Soudain, tout s’arrêta : les grognements, le souffle haletant, les ricanements lubriques. Alors qu’il venait de faire glisser son slip jusqu’aux genoux et de lui mettre la main entre les jambes, ce fut terminé. Seuls demeuraient son immuable odeur de sueur (sa puanteur insupportable) et son poids qui l’écrasait au sol.

Celine était allongée sur le tapis devant le canapé : son gardien l’avait tirée par terre en l’attrapant par les cheveux. Ses poignets ligotés étaient croisés devant ses seins, juste sous la poitrine de l’homme affalé sur elle. Il ne grognait plus, ne haletait plus, ne ricanait plus.

Qu’est-ce qui se passe ? À quoi il joue ?

Après avoir sniffé ce truc, son gardien avait semblé possédé par un démon. Il avait déchiré son chemisier et l’avait tripotée, avant d’extirper son pénis de sa braguette puis de se cracher dans la main. En constatant que son membre refusait de raidir, il s’était mis en colère, puis avait éclaté de rire en sortant un cachet bleu de la poche de son jean.

Du Viagra ?

Celine ne s’y connaissait pas plus en drogues qu’en médicaments contre l’impuissance, et elle s’inquiétait beaucoup trop pour son bébé pour réfléchir à cela. Depuis le début de sa grossesse, son ventre était devenu bien plus que la partie la plus intime de son corps : c’était le royaume de Petit Point, dont son vagin constituait l’accès. L’idée qu’un inconnu y pénètre de force lui inspirait un dégoût et une répulsion indescriptibles.

Mais que pouvait-elle faire, après avoir été assez idiote pour ouvrir la boîte de Pandore ? Comment aurait-elle pu empêcher ce type de lui écarter brutalement les jambes et de frotter contre sa vulve son pénis encore flasque ?

Il avait posé le pistolet sur une chaise à deux pas de là, une distance totalement infranchissable pour Celine. Le corps de son agresseur, mince et enfantin, presque androgyne, ne pouvait pas peser plus de soixante kilos, mais comme il était affalé sur elle tel un sac de sable, il semblait peser le double.

C’est un piège. Il fait semblant d’être mort.

Sa peur la paralysait. Elle n’osait pas remuer, pas parler. Pour dire quoi ? « Hé oh ? Pourquoi tu arrêtes de me violer ? »

Elle s’attendait à un plan perfide, à une idée cruelle de fou démoniaque.

Elle ne s’attendait pas à avoir de la chance.

Parce que seuls les flemmards ont besoin de chance, c’est bien ta devise, hein papa ?

Elle tourna la tête sur la gauche et ne vit que des cheveux.

Saloperie de tignasse pleine de gel.

La tête du jeune homme pendait sur l’épaule de Celine, sa bouche directement posée sur son cou comme celle d’un vampire s’apprêtant à mordre.

Et elle sentit là quelque chose de chaud, d’humide.

De la bave ?

Une envie de vomir monta en elle, pire que ses nausées matinales désormais familières et renforcée par l’odeur de sueur omniprésente.

En une timide tentative, Celine pressa ses poings serrés contre le torse de son agresseur, toujours dans la crainte de lui faire reprendre ses pervers esprits. Mais rien ne se passa.

Est-ce qu’il peut vraiment… ?

Elle avait déjà entendu parler plusieurs fois d’hommes succombant à une crise cardiaque pendant une relation sexuelle, mais ce gamin était bien trop jeune pour ça. D’un autre côté, il avait pris des drogues. Cocaïne et Viagra. Ou pire encore.

Celine ne voulut pas abuser de sa chance ; après tout, elle était déjà contente de ne plus devoir endurer les frottements entre ses jambes. Cependant, de la bave lui coulait dans le cou, et elle se sentait comme enterrée vivante sous le poids lourd (le poids mort ?) qui pesait sur elle.

Est-ce qu’il est inconscient ?

L’espoir qui naquit en elle lui donna la volonté d’enfin se libérer de cette charge répugnante. Elle s’arc-bouta contre le torse de l’homme pour le repousser vers le haut, tout en se détournant de lui.

Elle s’était déjà bien déplacée quand ses forces semblèrent l’abandonner, tout simplement parce que son dégoût devenait trop grand : la tête flasque de l’homme pendait au-dessus de la sienne, ses lèvres entrouvertes touchaient son front, des gouttes de salive lui dégoulinaient sur le visage. Mais elle se secoua et poussa ce poids (ce poids mort, faites qu’il soit mort, s’il vous plaît, mon Dieu, faites qu’il soit mort) loin d’elle, de toutes ses forces, jusqu’à ce que le corps inerte tombe sur le côté. Il y eut un choc sourd quand la tête de son agresseur heurta le sol, comme le bruit d’un livre tombant d’une étagère, puis elle fut libre.

Celine tenta de reprendre son souffle, s’apercevant alors seulement que, dans son effort, elle avait retenu sa respiration. Le manque d’oxygène provoquait à ses oreilles un grésillement si bruyant qu’elle n’entendait plus les crépitements de la cheminée.

Mais l’odeur est toujours là. Mon Dieu, pourquoi faut-il que je sente encore sa sueur ?

Elle se redressa, se tourna vers l’homme qui avait failli la violer, et la vue de ses yeux écarquillés et fixes, de ses paupières immobiles, la mit en fuite. Même si, un instant avant, elle avait pensé prendre son pouls, elle ne voulait désormais plus qu’une chose : partir, s’éloigner de lui.

Elle tenta de se lever mais l’épuisement la cloua au sol, genoux et mains appuyés sur le tapis.

À quatre pattes. Elle se souvint de la légende d’une illustration concernant les positions d’accouchement, dans un de ses livres sur la grossesse. Elle était toutefois bien éloignée de donner la vie dans cette position (les mains ligotées !). C’était plutôt l’inverse : si elle n’atteignait pas la chaise (le pistolet !) assez rapidement, elle perdrait une vie.

La sienne.

Celine rampa à travers le salon en direction de la chaise, tournant le dos à l’entrée, avec la certitude de ne pas arriver à temps, d’être trop lente pour réussir à refermer les doigts sur la crosse de l’arme. Elle n’attraperait que du vide, parce que son violeur reviendrait à lui et la devancerait. La sensation qu’elle éprouva en sentant soudain dans sa main le poids du pistolet n’en fut que plus libératrice – ce pistolet lourd, froid et terrifiant. Tout comme les bruits de respiration derrière elle.

Elle fit volte-face et poussa un cri.

Je le savais, bon sang, je le savais.

Il n’était pas mort. Il s’était seulement endormi un bref instant.

Bien trop bref.

Maintenant, il était réveillé, bien qu’encore un peu sonné.

— Qu’est-ce que… ?

Celine plia l’index.

Le geôlier retrouva ses esprits à une vitesse inattendue et se leva d’un bond.

Celine ferma un œil, se mordit les lèvres, et vit se rapprocher son visage tordu par la colère et couvert de bave. Elle vit aussi s’ouvrir la porte d’entrée.

Et elle tira.

À la dernière seconde.

Raté.