Deux étages plus bas, l’odeur de cave était moins intense qu’au rez-de-chaussée, et il faisait beaucoup plus chaud. Cette partie de la clinique, qu’une plaque plastifiée désignait comme « Neuroradiologie & Virtopsie », était encore en activité, ou semblait l’avoir été récemment. Les radiateurs plats installés dans le corridor étaient réglés au niveau moyen, un plan de nettoyage accroché près des toilettes du personnel avait été complété à la main quelques jours plus tôt, et le couloir qu’ils suivirent depuis l’ascenseur sentait le détergent frais.
— Est-ce que ton HXP-je ne sais quoi peut aussi servir d’arme ? demanda Noah après avoir constaté que le chargeur de son pistolet était à moitié vide.
Altmann avait récupéré son jouet. L’appareil multifonction dont la caméra venait de leur ouvrir la voie était de nouveau fixé à sa poche de poitrine, semblable à un stylo-bille normal.
— C’est un HPX5. Et non, ça sert seulement à analyser le danger.
— Génial.
La plupart des portes qu’ils passèrent, l’arme au poing, étaient ouvertes ; ils aperçurent des salles d’examen, des bureaux, des réserves de matériel et des salles de repos pour les employés. Toutes étaient vides, mais apparemment on y avait travaillé peu de temps auparavant. La majorité des ordinateurs étaient restés allumés et un désordre studieux régnait sur les bureaux. Une tasse de café pleine trônait même encore sur l’un d’eux. Noah n’aurait pas été étonné de voir de la vapeur en monter.
— Hé, regarde ça, appela Altmann.
Quelques pas devant Noah, juste avant le bout du couloir, il avait poussé de côté une lourde porte coulissante. Une sorte de brouillard vaporeux émanait de la pièce.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Noah.
— On dirait une chambre froide. Pouah, bon sang !
Une odeur douceâtre de décomposition mêlée à un parfum de désinfectant et de conservateur les prit à la gorge. La puanteur de la mort s’incrusta instantanément dans leurs pores, bien qu’il n’y ait aucun cadavre sur les quatre civières roulantes garées là. La pièce était aussi vide que le reste de l’hôpital.
— Tu entends ça ? chuchota Altmann.
Noah pencha la tête de côté et observa la porte par laquelle ils venaient d’entrer.
— Non.
— Si, il y a eu un bruit, insista Altmann en désignant la porte du canon de son arme.
Marchant en crabe, il s’approcha du seuil puis jeta un coup d’œil dans le couloir. Noah, qui n’avait jusque-là respiré que par la bouche à cause de la puanteur, retint sa respiration et s’apprêta à suivre Altmann quand une table située dans un angle de la pièce attira son attention. Dissimulée sous un tissu molletonné noir, elle ressortait à peine contre le mur sombre.
— Altmann ? appela Noah.
Mais celui-ci avait quitté la chambre froide. Noah faillit le suivre, puis la curiosité l’emporta. Il poussa un brancard de côté et s’approcha du meuble couvert. Il s’aperçut qu’il ne s’agissait pas d’une table ordinaire : elle émettait un bourdonnement électrostatique.
Qu’est-ce que c’est ? Un générateur ?
Le bloc d’environ un mètre sur deux lui arrivait au nombril.
Noah s’arrêta à un pas de distance, par sécurité, braqua son arme et se pencha pour attraper la couverture.
On y va.
D’un coup, il ôta le tissu et dévoila le caisson d’un congélateur.
L’engin lui rappela les coffres réfrigérés qu’on trouve dans les bars de plage ou les supérettes ; même le couvercle coulissant était en Plexiglas transparent. Toutefois, ce congélateur n’était pas rempli de pizzas ou de glaces ; il contenait un cadavre masculin. Entre trente-cinq et quarante ans, cheveux bruns, traits anguleux et intelligents.
C’est… impossible !
Noah crut d’abord être victime d’une illusion d’optique. Choqué par sa découverte, il ne perçut rien de ce qui se déroulait dans son dos. Il n’entendit pas Altmann s’effondrer dans le couloir, inconscient, et ne remarqua pas l’ombre qui s’approchait lentement de lui par-derrière. Il était bien trop occupé à assimiler la vision de l’homme mort.
C’est impossible, pensa-t-il en secouant la tête.
Il espéra un instant, avec la force du désespoir, que le couvercle du congélateur soit muni d’un miroir.
Cela aurait été une explication logique.
La seule explication !
Mais le cadavre cireux, congelé, gisait là immobile, sans secouer la tête ni écarquiller les yeux.
Ce n’est pas un reflet, pensa Noah tandis que le canon d’un pistolet se posait sur sa nuque.
C’est moi-même.
Il n’y avait aucun doute. C’était son portrait qu’il voyait dans ce visage exsangue et mort. Et à cette seconde, à l’instant précis où une voix de femme lui ordonna de laisser tomber son arme, il commença à se rappeler.